Depuis le début des années 90, les membranes prennent une place de plus en plus grande dans le cycle de l'eau. Selon leur mise en oeuvre, elles clarifient, concentrent, purifient, ou séparent. Aujourd'hui la technologie est au point, les prix baissent. Et les applications sont là...
« Dès l'instant où l'on connaît bien l'eau et les variations de turbidité et que l'on maîtrise les prétraitements, les membranes sont des barrières physiques idéales ». Tels sont les propos tenus par Michel Faivre, ingénieur, chef de groupe en charge des techniques membranaires chez Anjou Recherche. Utilisée depuis plus de vingt ans dans les procédés de fabrication industriels de l’agro-alimentaire, la membrane pénètre peu à peu le cycle de l'eau.
Les procédés à membrane sont basés sur l'utilisation de pellicules minces, semi-perméables séparant l'eau à traiter en deux phases : le perméat et le concentrat. Pour réaliser cette séparation, on applique une force motrice, qui peut être la pression, un champ électrique, un gradient de température ou une différence de concentration. La plupart des technologies utilisées dans le domaine de l'eau fonctionnent à l'aide d'un gradient de pression. C'est un criblage physique qui permet ou interdit le passage de certains constituants de l'un à l'autre milieu que la membrane sépare.
Cette séparation est réalisée sans changement de phase et à température ambiante. Elle permet parfois de concentrer les produits recyclables ou valorisables sans changement de phases, tout en produisant une très bonne qualité d'eau traitée.
Elles fonctionnent comme un tamis
Les procédés de micro- et ultrafiltration sont basés sur le principe du tamis, c'est-à-dire du passage à travers les trous calibrés d'une membrane. Celle-ci arrête de fait tous les éléments dont la taille dépasse une valeur inhérente à sa technologie. Cette valeur correspond au seuil de coupure. La rétention
Principales caractéristiques des procédés à membranes à gradient de pression
Procédé traditionnel |
Plus petites espèces retenues |
Flux typiques (l/m²·h) |
Application principale |
Procédés à membranes |
la plupart des espèces dissoutes |
15-80 |
15-30 |
dessalement |
Document : Anjou Recherche
d'une espèce ne dépend donc que des dimensions respectives des pores de la membrane et de l'espèce considérée.
En ultrafiltration, la membrane constitue une barrière infranchissable pour les matières en suspension de taille supérieure à 0,01 µm. Sans ajout de coagulant et de floculant, et par simple filtration physique, l'ultrafiltration permet de produire de l'eau potable à partir de l'eau de la nature. L'eau brute est filtrée à travers les membranes qui piègent les impuretés. L'eau produite est exempte de germes pathogènes de contamination fécale et de virus. La chloration est réalisée de façon très faible, juste pour assurer la rémanence pendant la distribution.
Les niveaux de traitement de la micro et de l'ultrafiltration peuvent être améliorés par conversion de certaines espèces dissoutes en particules de tailles supérieures au pouvoir de séparation des membranes. Cette conversion est réalisée par adsorption sur charbon actif, par coagulation ou encore par oxydation ou réduction biologique ou chimique.
Par exemple : « Quand l'eau brute contient des quantités significatives de matière organique détériorant les performances de la membrane, il faut neutraliser son effet avant de filtrer, » explique Basile Jarmak, directeur Grands Systèmes d'Aquasource une filiale de Degrémont, « en ajoutant à l'eau brute du charbon actif en poudre (CAP) ».
La combinaison du CAP et de l'ultrafiltration est à la base du procédé Cristal, breveté par Lyonnaise des Eaux. Outre la réduction des matières organiques, il présente une bonne performance dans l'élimination des pesticides et améliore le flux de filtration.
La nanofiltration et l'osmose inverse fonctionnent différemment puisqu'elles vont jusqu'à retenir des substances dissoutes.
Retenir les substances dissoutes
La nanofiltration retient, plus particulièrement, des ions divalents et les petites molécules organiques telles que les pesticides et les molécules de matière organique dissoute. Cette technologie se place entre l'ultrafiltration et l'osmose inverse.
Elle permet de séparer des solutés de masse molaire de 300 à 800 Dalton, ce qui correspond à des dimensions de l'ordre du nanomètre.
Les membranes de nanofiltration connaissent un développement relativement récent. Mises en œuvre pour le dessalement partiel d'eaux saumâtres, elles intéressent fortement, depuis quelques années, le traitement des eaux industrielles et commence à pénétrer la production d'eau potable.
Quant à l'osmose inverse, elle retient la plupart des substances dissoutes. Le degré de rétention, appelé encore taux de réjection, des substances organiques ou inorganiques dépend de la taille des molécules considérées, mais également de leur solubilité et leur diffusivité au sein même du matériau membranaire. « En osmose, la membrane est semi perméable, » explique Abdel Khadir, ingénieur d'affaires chez Permo, une entreprise spécialisée dans l'utilisation et la mise en œuvre de techniques membranaires. Son principe consiste à appliquer une pression sensiblement supérieure à la pression osmotique du liquide concentré. Ainsi, les sels dissous, fer, manganèse, matières organiques sont stoppés et concentrés sur la surface du milieu poreux. Seules les molécules d'eau traversent la membrane.
Cependant, « l'utilisation de l'osmose impose un prétraitement de type micro ou ultrafiltration pour éliminer tout ce qui peut encrasser la membrane », rappelle Abdel Khadir. Pour Robert Niay d’USF Memcor : « Les conditions optimales de fonctionnement de l'osmose inverse sont bien connues, il faut réchauffer l'eau, préfiltrer toute la matière en suspension y compris les colloïdes et les micro-organismes, réduire l'indice de colmatage, stabiliser la qualité de l'eau d'alimentation et éventuellement ajuster le pH et ajouter des agents anti tartre. » Dans ces conditions, la performance des membranes d'osmose est meilleure que leur performance nominale. Les nettoyages en place sont très espacés et les membranes ont une durée de vie supérieure à 5 ans.
Nettoyer les membranes
Seules les molécules d'eau sont appelées à traverser la membrane. Les matières en suspension et autres bactéries, virus, spores... sont arrêtés par la barrière. Il est donc facile de voir que ces éléments vont s'accumuler sur la surface filtrante, empêchant l'eau de circuler à travers la membrane. La perméabilité est réduite, c'est le colmatage. Pour prévenir cette chute de flux, il est possible d'augmenter la pression transmembranaire. Mais cette action risque d'augmenter encore plus le colmatage pour atteindre un stade d'incapacité totale de production.
Pour éliminer les dépôts présents sur la membrane, l'opération la plus courante consiste en l'envoi d'eau (ou d'air) pure à contre-courant, c'est-à-dire du perméat vers l'eau brute, à une pression supérieure à celle de la filtration. Cette opération permet de décoller les particules, c'est le rétrolavage. Pour limiter le colmatage, Aquasource créé un mouvement de l'eau à l'intérieur de la fibre. « L'alternance est faite au coup à coup en fonction de la turbidité. » Memcor, pour sa part, utilise un système de décolmatage à l'air. Un flux inverse d'air comprimé est automatiquement déclenché. Le système consiste en une détente brutale d'air comprimé à travers les fibres, à contre-courant. L'expulsion de la matière, remise en suspension par la poussée d'air, se fait par un courant d'eau brute, sans injection d'oxydants, de désinfectants ou d'adjuvants.
Pour compléter le décolmatage et éviter la
formation de biofilm dans les pores, il faut réaliser à titre préventif un nettoyage chimique. Il s'agit de faire circuler au moins une fois dans l'année une solution chimique pour nettoyer la membrane. Cette opération met souvent la membrane à rude épreuve et elle impose l'arrêt du module de filtration ce qui coûte cher. Pour limiter les incidences négatives sur la production, les fabricants de membranes cherchent à espacer autant que possible les lavages.
Tous les fabricants de membranes travaillent en ce sens. Les membranes se nettoient plus facilement et leur durée de vie est plus longue. Plusieurs constructeurs annoncent des durées de vie supérieures à cinq ans. Pendant tout ce temps-là, ils auront vérifié que la membrane est bien étanche.
Un paramètre reflétant les caractéristiques d'une membrane est l’index colmatant de l'eau qu'elle a filtrée. Elle est basée sur la variation du volume d’eau passant pendant une durée déterminée à travers une membrane calibrée. Aquasource produit aujourd'hui des membranes avec un index proche de 1 ; « dans plus de 50 % des cas nous ne nettoyons plus qu'une fois par an ».
Une membrane étanche
Une membrane percée ne remplit plus son rôle de tamis. Il faut donc la détecter au plus vite. Pour réaliser cette opération, Memcor utilise un test d'intégrité qui permet de s'assurer en moins de quatre minutes de l'absence de défaillance dans les fibres. Il s'agit à chaque décolmatage de contrôler le profil des pressions d’entrée et de sortie du bloc de modules. Une dérive des courbes de référence est immédiatement détectée, ce qui permet d’établir rapidement un diagnostic sur l'état des membranes.
Pour contrôler l’intégrité de ses membranes, le Cirsee utilise jusqu'à présent le test à l’air. Le module isolé est gonflé par la sortie à une pression de 2 bars. Une fois cette pression atteinte, il s’agit d'observer pendant 5 minutes s’il y a une chute de pression. Mais cette méthode est très longue et nécessite l'arrêt de l’équipement. Pour le contrôle des grosses installations, le Centre de Recherche de Lyonnaise des Eaux se sert d'un compteur de particules. « Il faut une nuit pour tester 30 modules. S’il y a un problème, on réalise ensuite un test à l'air pour mieux le cerner », explique Jean-Michel Lainé, chef du département procédés eaux potables au Cirsee. « Ce qui est critique, c'est le contrôle des très grosses installations, celles qui ont plus de 1 000 modules. » Pour ces équipements, le Centre de Recherche de Lyonnaise des Eaux développe actuellement une méthode basée sur l'écoute acoustique. Il s’agit d’écouter la fuite à l’aide d’un microphone. Brevetée, cette méthode permet de garantir l'intégrité du système en continu avec 100 % de réussite. Elle est en cours d’industrialisation et devrait être installée à Lausanne sur une unité d’ultrafiltration en cours d'installation.
Quel matériau pour quelle membrane ?
De nombreux polymères entrent dans la fabrication des membranes. En France, les matériaux destinés à la production d'eau potable doivent faire l'objet d'un agrément après avis du Conseil Supérieur d’Hygiène et Publique de France en application de l'article L21 du Code de la Santé Publique.
En règle générale, les fabricants ne dévoilent pas la nature chimique des constituants de leur membrane et préfèrent en indiquer les principales propriétés en termes de :
- - résistance mécanique, pour déterminer la durée de vie et l’intégrité de la membrane,
- - hydrophilicité, c’est-à-dire sa résistance au colmatage,
- - stabilité chimique, ou résistance aux agents lavants.
Le polypropylène sert à la fabrication des membranes de microfiltration. C’est un matériau élastique qui résiste bien sur le plan mécanique aux rétrolavages fréquents. Son caractère hydrophobe le rend assez sensible au colmatage. Il présente une bonne stabilité chimique dans une large gamme de pH mais peut être détruit par le chlore dont l’usage doit être proscrit.
Les polysulfones destinés à la fabrication de membranes d'ultrafiltration sont utilisés tels quels ou servent de support à une couche fine de séparation pour constituer des membranes composites de nanofiltration ou d'osmose inverse. Leurs propriétés mécaniques et leur résistance chimique sont excellentes. Ils acceptent une large gamme de pH et supportent une exposition continue au chlore. Le caractère hydrophobe de ce matériau le rend cependant sensible au colmatage par adsorption de molécules organiques.
Les dérivés de la cellulose servent à la fabrication des membranes asymétriques d'ultrafiltration, de nanofiltration et d’osmose inverse. Sous l'effet de fortes pressions, ils ont tendance à se compacter, entraînant une diminution irréversible de la perméabilité.
Ce phénomène n'est pas observé en ultrafiltration où les pressions restent faibles. Ces matériaux présentent une forte hydrophilicité garantissant une faible tendance au colmatage. Leur stabilité chimique est réduite. Les pH opératoires doivent rester dans une gamme de 4 à 6,5 et leur température inférieure à 40 °C pour éviter l'hydrolyse du matériau. Ces membranes supportent une exposition continue à de faibles concentrations de chlore qui empêche leur dégradation complète par les micro-organismes.
Orelis, ex Tech-Sep, commercialise quatre familles de membranes. Les membranes organiques en PES Polyéther sulfone, PVDF Polyvinylidène fluoré et A Acrylonitrite copolymères de sa gamme Iris sont destinées à la micro et à l'ultrafiltration.
Leur pouvoir de coupure s'étend de 3 · 10⁵ à 50 · 10⁵ Dalton. Elles sont adaptées aux viscosités élevées et aux milieux concentrés. Réalisée en Polyethersulfone PES et TFC Polyamide, la gamme Persep couvre la totalité de la gamme de l’osmose à la microfiltration. Plutôt destinée aux applications industrielles, la gamme Persep est adaptée aux liquides de faible viscosité.
Les membranes d'ultrafiltration minérales de la famille Carbosep sont réalisées en ZrO₂-TiO₂ sur support carbone. Elles résistent aux pH extrêmes et sont insensibles aux solvants. Elles acceptent les températures élevées. Monolithes, les membranes Kerasep sont fabriquées en Al₂O₃-TiO₂ et supportent des débits de filtration très élevés, tout en étant insensibles aux agents chimiques et aux solvants.
Quant à USF Memcor, elle commercialise la fibre MF. Réalisée en Polypropylène, cette membrane est constituée par une fibre creuse extrudée qui constitue une barrière filtrante dont le seuil de rétention est de 0,2 µm. Montée en faisceau de surface nominale 15 m², elle entre dans la composition de filtres montés dans un carter rigide appelé module.
Les membranes conditionnées en modules
Les membranes sont planes, tubulaires (⌀ > 5 mm), capillaires (0,5 mm < ⌀ < 5 mm) ou à fibres creuses (⌀ < 0,5 mm). La couche de séparation est située sur la face interne dans le cas de membranes tubulaires, sur la face interne ou externe dans le cas de membranes capillaires et sur la surface externe dans le cas de fibres creuses.
« Les membranes sont assemblées en faisceaux et leurs extrémités noyées dans un tampon de colle qui isole le perméat de l'eau à traiter », explique Hervé Buisson. Dans la pratique, l'eau à traiter est toujours directement en contact avec la couche de séparation. Selon sa position à l'intérieur ou à l'extérieur du tube, la filtration est réalisée de l'intérieur vers l'extérieur du tube ou vice et versa. Dans le cas d'une configuration en carter de filtration, l'eau d'alimentation est mise sous pression. Lorsque les membranes sont immergées sans carter, le perméat est aspiré à chaque extrémité des fibres sous une faible dépression, soit < 0,3 bar.
Les membranes planes sont assemblées en cassette ou en modules spiralés. Ces assemblages comportent toujours trois types d'éléments : deux espaces de circulation, un pour l'eau à traiter (l'espaceur d'alimentation) et un pour le perméat (espaceur perméat). Ils encadrent la membrane. Ces deux espaces de circulation sont constitués par des grilles plastiques.
Afin d'obtenir des solutions clé en main beaucoup plus compactes, les constructeurs développent des procédés à membrane. Ces équipements intègrent l'ensemble des composants nécessaires à leur fonctionnement. Citons : BRM de Degrémont, Pleiade de Orelis, M10C de USF Memcor et Biosep de CGE… Ultrasource, par exemple, est une unité autonome de clarification-désinfection commercialisée par Aquasource. Son principe repose sur l'ultrafiltration par membrane. La machine de base peut recevoir de 2 à 4 tiroirs équipés chacun de 3 ou 4 modules d'ultrafiltration. Elle permet de produire de 80 à 200 m³/jour d'eau potable. Cette unité est équipée d'une carte microprocesseur, de capteurs, d'une pompe… Bref, de tout ce qui permet d'optimiser le fonctionnement de l'équipement et les séquences de nettoyage.
Avec Biosep, CGE va plus loin, puisqu'en plongeant directement les faisceaux de fibres dans l'eau à traiter, l'entreprise supprime la notion de module. La fibre plongée dans le milieu à épurer est mise en dépression. L'eau propre est aspirée. Pour réduire le colmatage, une insufflation d'air est assurée en fond de cuve, pour maintenir en agitation continue les fibres membranaires. Mis en service en Corse, à la station de Ocana, ce procédé est une des solutions membranaires pour la fabrication d'eau potable.
Une solution pour les eaux potables…
Depuis deux ans, la tendance consiste à construire des stations de potabilisation de plus en plus grandes. L'on y traite de l'eau de surface, avec comme préoccupation principale l'élimination des germes pathogènes chloro-résistants. « Cette tendance est observée aux USA avec des villes de 100 000 habitants telles que Marquette et Kenosha mais aussi dans les pays neufs notamment à Tauranga, une capitale régionale de Nouvelle-Zélande, qui s'approvisionne sur des eaux de rivière », explique Robert Niay. Jusqu'à présent ces communes se contentaient de chlorer la ressource. Aujourd'hui, suite à des risques constatés ou à des épidémies, les municipalités optent pour un traitement de l'eau potable à 100 % par microfiltration. Il en est de même en Grande-Bretagne, où le risque de cryptosporidiose est pris très au
Tami Industries se hisse dans la cour des grands
Tami Industries a su se hisser au troisième rang des fabricants de membranes céramiques derrière le français Orélis et l’américain US Filter. En cinq ans, la jeune entreprise qui fabrique des produits pour la micro-, l’ultra- et la nanofiltration a su faire preuve d’innovation technologique. Elle propose une gamme de produits à canaux non circulaires : la gamme Ceram Inside. « Les alvéoles sont en forme de pétales de trèfle, de marguerite ou de tournesol, explique Philippe Lescoche, directeur général de Tami Industries, ce qui augmente la surface filtrante. »
Par ailleurs, l’entreprise est la seule à proposer une gamme de membranes céramiques planes : Keram Inside. Cette technologie présente une plus grande surface d’échange tout en diminuant la surface au sol de l’installation.
En tout, ce sont neuf brevets qui sont déposés et exploités par l’entreprise. Ses produits équipent les BRM de Degrémont destinés à l’industrie, entreprise avec laquelle Tami Industries a signé un accord. Ils sont installés chez SLVO à Rozet-Saint-Albin (02), ou encore chez Sanofi Taramon et Sisteron.
Créée en 1993, l’entreprise a réalisé l’an passé 20 MF de chiffre d’affaires.
Elle emploie aujourd’hui 13 personnes. Elle propose des prestations complètes qui couvrent la mise au point de process, le pilotage, le dimensionnement de l’installation et la fourniture de skids.
Sérieux. Aussi, des programmes d'investissements sont mis en place.
Les avantages des techniques membranaires en production d'eau potable sont aujourd'hui bien connus. Comparés aux techniques classiques de séparation par coagulation/décantation, filtration sur sable, filtration sur charbon actif en grain… ces procédés offrent de nombreux avantages. Ils permettent l'élimination en une seule étape d'une large gamme de polluants. Ils sécurisent la désinfection par rétention physique des micro-organismes et des pathogènes. Ils produisent une eau de qualité constante, tout en réduisant l'usage des réactifs chimiques, donc des sous-produits de traitement. De plus, l'eau produite a une qualité qui dépasse celle obtenue par les techniques classiques. Cette qualité reste stable. Sans compter que les procédés à membranes permettent de traiter des eaux soumises à des pollutions chroniques telles que turbidité après les pluies, contamination organique ou bactériologique…
« Aujourd'hui, l’évolution du cadre réglementaire et la dégradation des ressources utilisables contribuent principalement au développement et à la diffusion de ces technologies pour la production d'eau potable », explique Hervé Buisson d'Anjou Recherche. Au terme de nombreuses recherches, ces procédés sont aujourd'hui disponibles pour des applications à grande échelle. Il suffit pour s'en convaincre de faire le tour de quelques unités de traitement en cours d'installation :
- - L'extension de Méry-sur-Oise, 140 000 m³/jour, inauguration 1998. L'unité, construite par OTV, est équipée de 33 ha de membranes de nanofiltration pour éliminer les micropolluants à large spectre. La membrane spiralée est un transfert de technologie issu du dessalement de l'eau de mer.
- - Ocana (Corse) : adaptation par OTV du procédé Biosep (microfiltration) en remplacement des filtres à sable. Cette adaptation a permis d'augmenter la capacité de filtration tout en apportant une meilleure désinfection.
- - Lausanne (Suisse) 76 000 m³/jour : intègre la technologie Cristal de Lyonnaise des Eaux. L'unité de production construite par Degrémont devrait avoir ses blocs d'ultrafiltration contrôlés par écoute acoustique. Elle sera en service en 2000 et 2002 (deux tranches).
- - Del Rio (Texas) 106 000 m³/jour, construite par Degrémont. Sa mise en service est prévue pour fin 1999.
Si les eaux souterraines sont la plupart du temps de meilleure qualité que les eaux de surface, leur traitement est devenu nécessaire pour s'affranchir des dérives, même temporaires, de non-conformité sanitaire. C'est particulièrement le cas des eaux de type karstique qui ne présentent pas de problème majeur de pollution, mais qui peuvent faire l'objet de variations de qualité (dégradation de la turbidité et de la microbiologie). Le caractère aléatoire et imprévisible de tels phénomènes rend nécessaire un traitement de sécurité permanent pour que les normes sanitaires soient toujours respectées. La mise au point d'un système à partir de membranes de filtration s'inscrit dans cette démarche.
À L'Apié, dans le sud de la France, l'eau à traiter est prélevée dans un réservoir. Celle-ci présente de fortes variations de turbidité en cas d'orage et un développement algal important en été. Pour améliorer la qualité de l'eau, Degrémont a mis en place le procédé Cristal après une préfiltration à 200 µm pour éviter le bouchage de la membrane. La mise en œuvre de charbon actif en poudre a permis en plus de résoudre les problèmes de goût et d'odeurs dus aux algues. Le procédé Biosep s'applique bien également au traitement des eaux karstiques. « Le fait d'aérer l'eau va dans le bon sens car on entame une nitrification biologique, explique Michel Faivre, on utilise donc moins de chlore. »
L'osmose basse pression peut être intéressante pour le traitement de l'eau potable. Pour Jean-Michel Lainé : « Cette technologie permet de retirer les micropolluants et les pesticides. Le problème est que l'on déséquilibre l'eau. Il faut donc la restabiliser avant la distribution pour empêcher les problèmes de dégradations et de corrosion pendant le transport. »
À terme, il devrait être possible de traiter toute l'eau par ultrafiltration et une partie par osmose inverse. Après un traitement poussé, la séparation se stabilise à des pressions plus faibles, ce qui entraîne des économies d'énergie. Là, cette approche va devenir rentable. Actuellement, le projet européen Joule évalue sur des prototypes industriels des combinaisons de membranes. Il réunit Cirsee-Lyonnaise des Eaux, Mekorot Water Company (Israël) et Agbar (Espagne).
Il devrait aboutir à la mise au point de procédés de traitement permettant de traiter les eaux de surface contaminées (France), les
Recycler les produits d'encollage
eaux saumâtres (Israël) et dessaler l'eau de mer (Espagne).
... et pour les eaux usées
Chez USF Memcor, les demandes affluent pour l'étude de traitements tertiaires de petites capacités permettant de recycler les effluents finaux d'eaux résiduaires urbaines ou industrielles. L'objectif est de protéger les petits cours d'eau. Le plus souvent l'adaptation consiste à placer un bioréacteur en sortie du traitement biologique. Un tel appel d'offres a été fait par la communauté urbaine de Lille (59) pour la station de Comines. Quel que soit les systèmes d'épuration biologique déjà en place, même un simple lagunage, il est possible de clarifier et désinfecter par microfiltration l'effluent à un niveau d'hygiène suffisant pour irriguer, arroser en aspersion ou rejeter en zone sensible une eau parfaitement claire.
Dans certaines régions du globe, la rareté de la ressource, ou la détérioration de sa qualité font qu'il devient impératif de recycler les effluents. « L'une des manières les plus élégantes est de les recycler comme les eaux de process industriel, » ajoute Robert Niay, « ceci peut être réalisé moyennant une étape finale d'osmose inverse. On économise ainsi les ressources d'eau potabilisable tout en minimisant les rejets. » Cette solution a été adoptée à Carson par la régie de West Basin à Los Angeles où six unités de 90 modules M10C traitent avant osmose inverse 625 m³/h d'effluents urbains, afin de les recycler à la raffinerie Mobil Oil. Cette unité sera mise en service en 1998. En Australie, Eraring se sert d'une approche similaire depuis 1995. Elle permet à Pacific Power de recycler jusqu'à 146 m³/h d'effluent urbain en centrale électrique.
En Arizona et en Californie, à Scottsdale et El Segundo, les effluents urbains réalimentent la nappe phréatique. Avec une énorme capacité. En Californie par exemple, deux usines Water Factory 21 et El Segundo réalisent un traitement tertiaire de 112 m³/h et 470 m³/h sur module M10C de USF Memcor avant un affinage par osmose inverse et réinjection en nappe phréatique.
Le traitement membranaire peut aussi intéresser la filière boue. Les ingénieurs d'Anjou Recherche, qui s'intéressent au traitement des eaux résiduaires à l'aide de la technologie Biosep, ont remplacé le décanteur secondaire par une membrane. L'étude a été financée par l'Agence de bassin Seine-Normandie. « Cette approche fait plus que séparer la biomasse, » explique Hervé Buisson, chercheur au Centre de Recherche de Maison-Laffitte, « nous avons développé les conditions pour que la biomasse soit de plus en plus filtrable. » En fait, la boue produite à l'aide de cette approche est dix fois plus compacte que celle produite par les méthodes traditionnelles. La concentration atteint 15 à 20 g/l contre 2 à 3 g/l par la méthode boue activée. L'aération prolongée, produite de fait par la mise en œuvre du Biosep permet en 30 à 50 jours de traitement de produire 50 à 70 % moins de boues. Ceci sans compter que l'approche membranaire est plus facile à conduire, car la gestion du procédé est basée sur de simples mesures de débit et de pression. Chaque jour, 1/50 du volume du réacteur est soutiré pour maintenir 50 jours de traitement effectif. « Cette mise en œuvre répond à l'évolution des nouvelles normes azote/phosphore et en plus, elle filtre une bonne partie des micro-organismes. » Si l'application sur eaux résiduaires urbaines reste à dévelop-
per, le procédé tourne déjà sur plusieurs sites industriels, à savoir chez Smart à Hambach (Moselle), aux Cartonneries et Papeteries du Rhin et chez Pierre Fabre Médicaments SA.
Traiter les effluents industriels
Sur le plan du traitement des eaux usées industrielles, les procédés membranaires sont très présents.
Depuis quatre ans, l'usine Sicos de l'Oréal traite ses effluents à l'aide du réacteur à membrane d'ultrafiltration BRM, de Degrémont. Depuis, le procédé est installé sur deux sites de Sanofi à Sisteron et Aramon.
Avec comme intérêt majeur le recyclage de deux tiers des effluents traités par la station.
La qualité d'une peinture sur carrosserie dépend de l'efficacité du rinçage. Celui-ci nécessite de gros volumes d'eau déminéralisée pour enlever les restes de peinture mal accrochée avant cuisson. Le recyclage de cette eau par ultrafiltration permet aussi de récupérer la peinture reconcentrée. Une première référence a été installée par Orelis en Allemagne. L'installation traite 4,5 m³/h.
L'osmose inverse est aussi de la partie. Cette technologie bien connue des industriels permet de séparer proprement, sans produits chimiques, l'eau des matières en suspension et dissoutes, valorisables ou non. « C'est un marché en pleine progression, » souligne Abdel Khadir, « en utilisant ces technologies, les industriels peuvent réaliser d'importantes économies. »
Par exemple, une distillerie de la région de Châlons s'est équipée d'une installation Permo d'osmose inverse. Cet équipement traite les 50 m³/h d'eau qu'elle rejetait chaque heure dans sa lagune aérée. Maintenant, cette entreprise recycle 80 % de cette eau dans son process.
L'intérêt des industriels peut aller beaucoup plus loin que la simple récupération d'eau. Les polluants présents dans les effluents sont souvent des excédents de matières pouvant être valorisés dès lors qu'on sait les récupérer. Là, les technologies membranaires présentent un certain nombre d'atouts : ce sont des techniques non destructrices et strictement séparatives, qui ne demandent aucun ajout de réactif. Elles peuvent être appliquées à des effluents présentant des débits peu importants ou contenant des substances polluantes bien caractérisées.
Dans ce cadre, les membranes sont utilisées pour assurer les fonctions de concentration ou encore de purification/séparation. Ces critères seront d'autant mieux respectés que les effluents seront appréhendés le plus en amont possible, en bout de chaîne de production par exemple. De nombreux exemples existent dans les secteurs aussi variés que l'agro-alimentaire, l'automobile, la papeterie, la pharmacie...
Traiter au plus près du process
Le renforcement des normes de rejet constitue une incitation au développement des technologies membranaires. Le nombre des paramètres pris en compte est en augmentation, avec une approche plus fine par substance. Les seuils de concentration sont de plus en plus bas, donc plus délicats à atteindre. Et certaines branches professionnelles connaissent depuis quelques années des restrictions en terme de quantité d'eau utilisée. Dès lors, le développement d'actions de recyclage en amont prend tout son intérêt.
Les techniques membranaires, qui se caractérisent par leur aptitude à clarifier, concentrer, séparer de façon continue, sont potentiellement intéressantes pour le traitement des effluents industriels dès l'instant où l'on poursuit un objectif de recyclage. Parmi les procédés membranaires, la nanofiltration permet de séparer des solutés. Depuis un an, Orelis développe avec le groupe La Rochette et les CTP (Centre Technique du Papier) français, suédois et finlandais un procédé de traitement des effluents de blan-
Chimie de pâte à papier.
L’objectif est de travailler à la température du procédé, c’est-à-dire 70 °C et à pH 10,5 à 11. Le procédé testé à l'usine de La Rochette est la technologie Cerasep d’Orelis. L’objectif visé est de recycler l'eau et les produits chimiques, ce qui permettrait de résoudre les problèmes d’effluents.
L'industrie de l'électronique s’intéresse elle aussi beaucoup au problème du recyclage.
Grande consommatrice d’eau de grande pureté, elle cherche à recycler ses effluents.
La production des circuits imprimés génère une eau de rinçage peu chargée en ions métalliques et en additifs organiques.
Si les techniques d’élimination des métaux sont opérationnelles et bien maîtrisées, il n’en est pas de même pour la destruction des traces de produits organiques.
La réutilisation de ces eaux nécessite la mise au point d’un procédé efficace d’élimination des composés organiques, dénué d’impact sur la qualité des bains de traitement. Tel est l'objet du projet Brite Euram III Recycat, mené par Anjou Recherche, avec la participation de Bull Electronics (France), Philips CFT (Pays-Bas), OTV Industries, Enirisorse (Italie), INCM (Italie) et ESIP (France).
Basé sur une combinaison ultrafiltration-osmose inverse, ce procédé devrait être complété par des phases d’oxydation à l’ozone et adsorption par CAP, afin de maintenir une qualité correcte à l’eau recyclée. Pour étudier les applications potentielles des technologies de nanofiltration au traitement des effluents industriels, une étude Inter Centres Techniques, à laquelle est associée l'IFTS (Institut de Filtration et des Techniques Séparatives), EDF et l'Agence de l'Eau Seine-Normandie, a été menée sur des effluents de l'industrie du papier, du cuir, du textile et des industries mécaniques. L’objectif de ce programme est de tester les capacités d’épuration offertes par la nanofiltration pour réduire le volume des fractions toxiques et atteindre une qualité de perméat suffisante pour recycler l'eau en process industriel.