Les matériaux rétenteurs sont obtenus en introduisant des agents rétenteurs dans un coulis autodurcissant. Ils agissent sur les polluants suivant plusieurs mécanismes. Le premier exemple concerne le confinement d'une décharge de produits chimiques, essentiellement organiques au moyen d'une paroi en coulis contenant du charbon actif. Le second exemple décrit comment une paroi drainante rétentrice peut traiter in situ une pollution importante en chrome hexavalent.
Depuis une dizaine d’années, d’importantes recherches sur le comportement des polluants en solution ont permis de développer une gamme de matériaux capables d’en ralentir ou d’en empêcher la migration. Ces matériaux rétenteurs de polluants sont brevetés et commercialisés sous la marque Ecosol.
Deux réalisations récentes illustrent l’intérêt de ces matériaux rétenteurs pour la protection de l'environnement :
- Le premier exemple concerne la mise en sécurité d’une ancienne décharge de produits chimiques, au moyen d’un confinement par paroi moulée en coulis contenant du charbon actif. Les polluants sont, en majorité, d’origine organique, mais on rencontre également des minéraux lourds.
- Le second exemple est la réalisation d'une tranchée drainante rétentrice, en matériaux poreux, pour retenir le chrome hexavalent polluant une nappe phréatique.
Ces deux chantiers ont été réalisés en 1994 et 1995, en employant des matériaux rétenteurs adaptés aux différents problèmes posés.
Les matériaux rétenteurs
Mode d’obtention
Ces matériaux autodurcissants sont obtenus à partir de mélanges eau-liants hydrauliques. Dans le mélange encore à l'état fluide, différents agents peuvent être introduits : argiles spéciales, ajouts siliceux, agents de rétention. L’évolution de ce mélange conduit au cours du temps à la formation d’une microstructure stable, très peu perméable et pérenne dont le squelette est constitué de cristaux hydratés insolubles de silicates et d’aluminates de calcium.
Le choix des agents de rétention se fait en fonction des propriétés recherchées pour le matériau final. La mise au point d'une formulation se fait en laboratoire. Le matériau après durcissement subit une série de tests afin d’évaluer ses propriétés de rétention dans les conditions de l’application.
Cette mise au point repose sur la connaissance des mécanismes physico-chimiques susceptibles d’affecter la mobilité des polluants en solution.
Mécanismes de rétention
Il existe de nombreux mécanismes physico-chimiques susceptibles d’agir sur des espèces en solution : précipitation, oxydation, complexation, adsorption, etc.
Les mécanismes mettent en jeu des propriétés spécifiques de certains matériaux, notamment la filtration-adsorption sur charbon actif.
Tous ces mécanismes se produisent
Dans la porosité du matériau : l’efficacité du matériau sera d’autant plus grande que la surface spécifique sera grande. Pour cela, on utilise des minéraux à très grandes surfaces spécifiques pour la composition des matériaux Ecosol : par exemple, des argiles (100 m²/g) ou du charbon actif (500-1000 m²/g). L’efficacité repose sur deux mécanismes complémentaires : la précipitation et l’adsorption.
La précipitation
La précipitation chimique est notamment utilisée pour traiter les effluents industriels acides contenant des ions métalliques en solution, tels que fer, zinc, nickel, cuivre, plomb, chrome trivalent, chrome VI, etc. Ces cations sont essentiellement précipités sous forme d’hydroxydes métalliques selon des réactions chimiques contrôlées par le pH.
Dans les matériaux à base de ciment, la solubilité de la chaux impose un pH de 12-12,5. Cependant, cette réserve alcaline des ciments, même très grande, n’est pas infinie : l’incorporation de tampons alcalins dans les matériaux prolonge leurs capacités de rétention dans le temps.
L’adsorption
L’adsorption est un mécanisme physico-chimique reposant sur les propriétés de matériaux poreux à surface spécifique élevée. Sur ces surfaces, il existe des sites particuliers où certaines espèces chimiques en solution peuvent se trouver attirées et liées selon différents mécanismes :
- liens physiques, dans des pores de tailles comparables aux molécules ;
- forces de Van der Waals, dues à la polarisation de certaines molécules situées en surface ;
- échange ionique : les argiles peuvent échanger leurs ions compensateurs avec les ions de la solution ;
- affinité de surface : les molécules organiques hydrophobes ont des affinités pour des sites du charbon actif.
Confinement d’une décharge par une paroi
Le projet de réhabilitation
La décharge de l’usine de carbochimie de Spolana (République Tchèque) est située le long de l’Elbe. Cette ancienne carrière d’agrégats a été utilisée comme décharge par l’usine voisine pendant des décennies.
La décharge est organisée en plusieurs unités de stockage, limitées par des digues qui s’élèvent à 9 mètres au-dessus du sol d’origine. Les nombreux types de déchets sont classés en fonction de leur nocivité : les plus toxiques sont stockés dans deux unités, dont les dimensions sont de 175 mètres de large sur une longueur de 300 mètres (figure 1).
Pour en accroître la capacité de stockage tout en mettant cette zone en sécurité, il a été décidé de les confiner et de réinstaller une nouvelle décharge de déchets toxiques au-dessus de l’ancienne en surélevant les digues existantes.
Caractéristiques du site
Sous une épaisseur variable de déchets (entre 7 et 9 mètres), on rencontre des argiles sableuses et du sable avec quelques graviers. À partir de 14 à 15 mètres de profondeur, on rencontre une couche de marne gréseuse indurée.
Les polluants rencontrés sont très variés, mais essentiellement d’origine organique : pesticides, PCB, hydrocarbures, cyanides, produits organochlorés divers. On rencontre également des polluants minéraux, notamment du mercure.
La solution technique
Le confinement de l’ancienne décharge de produits chimiques est assuré par une paroi moulée verticale ancrée dans les marnes et par une couverture horizontale contenant une géomembrane.
La couverture horizontale
Toute la surface de la décharge (soit 53 ha) a été traitée par compactage dynamique, pour que la pose de la géomembrane ait lieu sur un support stable, afin d’éviter les déchirures dues aux tassements des déchets. Cette opération a permis de réduire l’épaisseur des déchets d’environ 60 cm.
La continuité entre les étanchéités horizontale et verticale est assurée en raccordant la géomembrane horizontale à celle insérée dans la paroi.
La paroi périmétrale ECOSOL
La paroi périmétrale doit assurer le confinement vertical. Elle est donc en permanence au contact des divers polluants organiques contenus dans la décharge. Il est donc très intéressant d'utiliser un matériau rétenteur pour ralentir la migration des polluants à travers la paroi, soit sous l’effet d’un gradient hydraulique et/ou soit l’effet d’un gradient de concentration. En fonction de la nature organique de la majorité des polluants, les agents rétenteurs ont été choisis : charbon actif, argiles spéciales.
La paroi a été excavée à l'aide d'un KS 3000. Il s'agit d'une benne hydraulique reliée à un kelly télescopique, qui permet de la guider lors de ses déplacements entre la tranchée et les camions évacuant les déblais. Le coulis spécial a pu être utilisé comme fluide de perforation, grâce au contrôle de ses caractéristiques rhéologiques.
La paroi ainsi réalisée a un périmètre de 1 680 mètres, une profondeur variant entre 11 et 20 mètres et est ancrée d'un mètre dans la marne gréseuse. Sa surface totale est de 30 000 m², et son épaisseur de 0,6 m.
Traitement d’une pollution au chrome par une paroi drainante rétentrice
Le principe de la tranchée drainante rétentrice est d’intercepter les eaux souterraines polluées et de les traiter in situ. Cette tranchée accomplit ce rôle sans maintenance, sans personnel et sans énergie. Cette solution a été appliquée pour traiter une pollution des eaux souterraines par des chromates.
Origine et nature de la pollution
Cette pollution a été générée par des matériaux contenant du chrome hexavalent, utilisés comme remblai pour la construction de l’autoroute A22 située dans le Nord de la France, près de Lille.
Cette toxicité, connue lors des travaux, a justifié des précautions particulières en ce qui concerne la structure des remblais. Malheureusement, la conception du terre-plein central n’a pas assuré une imperméabilisation totale. Rapidement, après la mise en service, des phénomènes ponctuels indiquant la présence de chrome VI dans les eaux sont apparus.
En 1987, une entreprise riveraine, située en contrebas de l’autoroute (aval de la nappe), a constaté la présence de chrome hexavalent dans ses eaux de drainage, cette pollution s’accompagnant d’une pelade de la végétation sur le flanc du talus autoroutier.
Caractéristique du site
Sous les remblais constituant le corps de la bretelle, le sol est constitué par 4 à 5 m de limons sableux, recouvrant l'argile des Flandres (figure 4). Ces limons abritent une nappe de faible capacité qui s’écoule vers un talus situé en contrebas, à une dizaine de mètres en aval du remblai, et donnant directement sur le parking de la société riveraine.
Au cours du temps, les eaux de pluie infiltrant le remblai ont lessivé les terrains. Ces eaux, chargées en chrome VI, ont pu atteindre la nappe malgré l’existence d’une couche de schistes compactés réalisée à la base du remblai. Les eaux du fossé en pied du remblai présentent une coloration « jaune citron » caractéristique des chromates. En période de sécheresse, des efflorescences jaunâtres apparaissent sur les talus. Des résurgences d’eaux polluées entraînant une absence de végétation sont observées plus en aval au niveau du parking de la société riveraine.
Des investigations ont été menées sur le site pour reconnaître l’extension de la pollution. Des sondages à la tarière ont été réalisés pour obtenir des échantillons du terrain. Les analyses chimiques ont montré l'importance de la pollution du sol, pouvant atteindre 1 000 mg/kg de chrome VI, et qui s’annule entre 5 et 6 m de profondeur du fait de la faible perméabilité de l’argile des Flandres. Des prélèvements de la nappe dans les piézomètres ont donné des concentrations en chrome VI très élevées, atteignant pratiquement 2 000 mg/l. Il faut rappeler que le chrome VI est soluble et très toxique, le seuil étant de 0,05 mg/l pour l’eau potable.
Description de la solution
La solution proposée consiste à intercepter l’écoulement des eaux souterraines polluées par une tranchée drainante possédant des propriétés de rétention vis-à-vis du chrome VI. Plus précisément, il s’agit de mettre en place dans une tranchée un matériau poreux perméable et rétenteur d’espèces chimiques polluantes.
Ce matériau est obtenu en malaxant des gravillons calibrés avec un coulis spécial. Cette gamme de coulis correspond à des formulations spéciales selon la nature des polluants à traiter : éléments radioactifs, métaux lourds, composés organiques. Les gravillons enrobés de coulis rétenteur adhèrent les uns aux autres et créent après dur
Après durcissement, une structure rigide et perméable à travers laquelle l'eau peut ainsi circuler facilement. Lors de la percolation, les espèces chimiques polluantes sont fixées sur la pellicule de coulis durci qui adhère aux grains.
Fabrication du matériau
Un certain nombre de paramètres déterminants doivent être scrupuleusement observés lors de la fabrication du matériau :
- - le rapport pondéral coulis/gravillons Celui-ci ne doit pas être trop grand pour éviter d’obstruer la porosité de la structure. Il ne doit pas être trop petit non plus sinon les gravillons ne sont pas complètement enrobés sur toute leur surface.
- - la granulométrie des gravillons Pour un même rapport du volume de coulis en m³ à la masse de grains, une granulométrie plus fine des gravillons se traduit par une augmentation de la surface d’échange de la structure et une diminution de l’épaisseur de la pellicule de coulis durci enrobant les gravillons. On observe alors un accroissement de la vitesse des réactions de rétention. En revanche, elle s’accompagne d'une diminution de la perméabilité de la structure avec un risque d’obstruer la porosité.
- - la nature des gravillons et du coulis La liaison entre la pellicule de coulis durci et le support granulaire doit être parfaite et pérenne. L'utilisation de liants hydrauliques dans la composition du coulis et de gravillons compatibles permet de garantir cette pérennité à condition de prendre les mêmes précautions que celles liées à la formulation des bétons.
- - la rhéologie du coulis La rhéologie du coulis frais doit être telle qu’une pellicule stable se forme autour des gravillons. À cette fin, en dehors des agents spécifiques de rétention, la formulation doit être ajustée pour obtenir une rigidité initiale au moment du mélange avec les gravillons ni trop grande ni trop petite.
- - la formulation du coulis Tous les types de coulis peuvent être utilisés à condition d’en adapter la rhéologie. La formulation exacte du coulis est adaptée en fonction de la nature des polluants, de leur concentration et de la capacité de rétention visée.
La mise au point du matériau est réalisée au laboratoire. En l’occurrence, la quantité cumulée de chrome VI retenu par m³ de matériau a pu être déterminée.
Le coulis est fabriqué en introduisant dans un malaxeur les différents réactifs intervenant dans sa composition. Le coulis est ensuite utilisé pour enrober les gravillons. Cette opération est effectuée dans un camion toupie, ce qui permet d’une part de se faire livrer des gravillons calibrés, d’y introduire le coulis, d’homogénéiser le mélange et de le transporter directement sur le lieu de mise en œuvre.
Réalisation de la tranchée
Sur le chantier, l'excavation est réalisée par une trancheuse. On réalise ainsi une tranchée remplie de gravillons enrobés de coulis.
Suivi du fonctionnement de la tranchée
Trois profils piézométriques, perpendiculaires à la tranchée, permettent de suivre l’évolution des teneurs en chrome VI entre l’amont et l’aval. Au total, onze piézomètres ont été installés pour suivre le fonctionnement de la tranchée.
Le matériau mis en œuvre confère à la tranchée une capacité de rétention importante, voisine de 15 kg de chrome VI par mètre linéaire. En l’absence de données sur la quantité de chrome VI en amont de la tranchée, deux scénarios peuvent s’appliquer.
Dans le premier scénario, la capacité
Deux zones ont été délimitées :
- une zone (A) où l'écoulement est intercepté par deux tranchées, car elle correspond à une zone où les concentrations en chrome VI sont plus importantes ;
- une zone (B) où l'écoulement est intercepté par une seule tranchée.
Les tranchées drainantes, de 0,25 m d'épaisseur, ont été élargies en tête par un fossé rempli de matériau Ecosol. Cette capacité de rétention supplémentaire servira à traiter les eaux superficielles chargées en chrome VI et susceptibles de s'infiltrer.
La capacité de rétention de la tranchée est suffisante pour intercepter tout le chrome VI situé en amont. La fixation du chrome VI étant irréversible, le problème de pollution pourra être considéré comme résolu. Éventuellement, le matériau de la tranchée pourra être extrait et mis dans une décharge contrôlée.
Dans le deuxième scénario, la capacité de rétention de la tranchée n'est pas suffisante pour intercepter tout le chrome VI situé en amont. Dans ce cas, une deuxième tranchée pourra alors être réalisée soit à côté, soit en remplacement de la première.
Conclusion
Ces deux chantiers montrent la large gamme d'emploi des matériaux réteneurs :
- rétention de polluants essentiellement organiques, dans une paroi moulée ;
- rétention de chrome VI, dans une paroi drainante.
Cette dernière technique, le traitement d'une pollution par tranchée drainante, est généralisable à différents polluants : métaux lourds (plomb, cadmium, cuivre, nickel, zinc, chrome, mercure, arsenic) et composés organiques (aromatiques, halogénés volatils, pesticides, PCB, etc.).
La tranchée drainante est une alternative économique à une solution de pompage avec traitement. En effet, elle évite l'installation d'une petite station de traitement d'eau, dont le fonctionnement nécessite maintenance, énergie et personnel. En outre, la pellicule de coulis contenant les agents spécifiques de rétention n'est active qu'en présence de polluants : le matériau s'adapte de lui-même aux variations de niveaux de pollution.
Cette technique peut aussi bien servir dans un but curatif que préventif pour protéger un écosystème fragile d'une pollution accidentelle. En effet, le coulis contenant les agents spécifiques de rétention n'est actif qu'en présence des polluants pour lesquels il a été mis au point. Il peut s'agir par exemple d'une tranchée préventive près d'une installation industrielle située à proximité d'une rivière. La tranchée, dont la longueur serait limitée à la zone d'influence de l'installation industrielle, serait implantée perpendiculairement à l'écoulement des eaux en amont de la rivière. En fonctionnement normal, la tranchée resterait passive jusqu'à ce que, pour une raison accidentelle (débordement, fuite d'une cuve, incendie), une pollution vienne atteindre la nappe.
Références
Bouchelaghem A., Cherel A. & Gouvenot D., 1989. Les techniques spéciales de génie civil appliquées à la protection de l'environnement. L'eau, l'industrie, les nuisances – juin 1989.
Cherel A. & Gouvenot D., 1991. Techniques de pointe de travaux spéciaux dans le sol pour la protection des eaux souterraines contre les polluants minéraux et organiques. XXième Journées de l'hydraulique, Sophia-Antipolis, janvier 1991.
Gouvenot D., 1993. L'innovation géotechnique au service de la protection de l'environnement. Colloque International Environnement et Géotechnique, Paris, 6-8 avril 1993.
Bouchelaghem A. & Gouvenot D., 1993. Barrières antipollution souterraines. Géoconfine, Montpellier (France), 8-11 juin 1993.
Bouchelaghem A. & Gouvenot D., 1994. Barrières ouvragées pour la protection des eaux souterraines. XIIIème ICSMFE, New Delhi, Inde, janvier 1994.