L'étanchéité des décharges permet de protéger les sols des pollutions. Cependant, cette technique pose d'autres problèmes comme la gestion des lixiviats. Selon la nature des déchets stockés, ces "jus" de lavage et de décomposition des ordures se révèlent très toxiques et difficiles à traiter. Ils posent un véritable casse-tête aux exploitants.
Aujourd’hui l’objectif prioritaire est d’empêcher que les déchets stockés en décharge nuisent à l’environnement.
Pour éviter tout problème, les déchets sont stockés dans des alvéoles isolées du sol par des membranes étanches.
Un réseau drainant est installé au fond, pour collecter les lixiviats issus de la percolation des eaux de pluie et de la fermentation des déchets pendant l’exploitation des alvéoles.
Une fois captés, les lixiviats doivent être traités sur le site, puis traités, avant d’être rejetés dans l’environnement.
Toutefois les lixiviats sont fortement chargés en DCO dure, difficilement dégradable.
Leur traitement pose un sérieux casse-tête aux exploitants de centres d’enfouissement, qui doivent retenir un procédé efficace tout en tenant compte des contraintes économiques.
Actuellement quelques techniques semblent émerger du lot : les membranes, le traitement physico-chimique complété par un affinage biologique, l’ozone et le couplage ozone-UV... Il est souvent difficile de choisir en toute connaissance de cause.
Aujourd’hui, quelques décharges commencent à s’équiper et intègrent peu à peu ces procédés de traitement. Elles servent souvent de vitrine technologique aux constructeurs.
Comment séparer les molécules polluantes, difficiles à dégrader, de l’eau à rejeter ?
Cette question la réponse « solution membrane » s'est imposée rapidement aux exploitants.
L'arrivée en force des membranes
Depuis près de 10 ans, Pall se sert d’un module disque-tube de Rochem pour traiter les lixiviats de décharge. Cet équipement fonctionne suivant le principe de l'osmose inverse. Mis au point, par Pall, pour le dessalement de l’eau de mer, le module DT disque-tube est rapidement adapté au traitement de ces effluents. « Le liquide à traiter entre sous une pression de 60 bars », à l'extérieur de l’empilement des disques. Puis, il chemine le long de chaque membrane en passant successivement dans les espaces ménagés dans les disques. Cette configuration particulière permet de réaliser un écoulement extrêmement turbulent qui contribue à retarder et à réduire l'apparition des phénomènes de polarisation et d’encrassement des membranes. Ce traitement ne nécessite aucun traitement primaire coûteux, ce qui est intéressant. Seul un filtre à sable et un filtre à cartouche sont installés pour protéger.
Pour gérer les modules contre une surcharge en MES, cette préfiltration diminue l’indice de colmatage de l'eau brute. La qualité de l'eau préfiltrée est suffisamment bonne pour que les modules DT fonctionnent correctement. Le nettoyage des membranes est assuré par le circuit interne de circulation de l'eau propre auquel on ajoute des produits de nettoyage. Pour répondre aux problèmes créés par la fluctuation de la qualité et de la quantité de jus à traiter, les paramètres de l'installation peuvent être modifiés pour tenir compte de ces variations. La modularité de l'équipement permet une grande souplesse dans l'équipement.
Par exemple, pour les capacités de perméats plus importantes, Pall Rochem a construit le système d’osmose inverse à haute pression. Cette technologie 150 bars permet de dépasser 90 % de conversion globale par rapport à du lixiviat brut, contre 75 à 85 % avec une pression de 60 bars. Pour Jean-Luc Appriou, responsable environnement de Balcke-Dürr Swenson SA : « L'intérêt de l’osmose est d’éliminer les polluants de façon statistique avec des rendements de 95 % sur la DCO, 94 % sur l’azote, 97 % sur les sels, 99 % sur les métaux et 100 % sur les MES. » Une installation d’osmose inverse équipe depuis 1990 la décharge d'Ihlenberg près de Hambourg. Cet équipement traite 65 m³ de lixiviats à l'heure. Composée d’étages à 60 et 120 bars, cette installation permet de récupérer 90 % de l'eau pure avec une rétention de plus de 99 % des sels dissous et des contaminants organiques.
La consommation énergétique est toujours le gros souci des procédés membranaires. Dans ce cas, elle ne dépasse pas 14 kWh par mètre cube de perméat traité. Le concentrat est mélangé à une matrice solide contenant entre autres des cendres d'incinération puis remis en décharge. En 1998, ce type d’équipement représente plus de 80 % de la capacité de traitement installée en Allemagne. Une approche similaire a été retenue par Proserpol pour équiper le site de Braseux à Vert-le-Grand dans l’Essonne. L’équipement mis en place combine l’osmose inverse, les procédés physico-chimiques et la filtration sur sable (un article spécifique sur cette technologie est publié dans ce numéro). En service depuis quelques semaines, il permet d’atteindre le zéro rejet en milieu naturel. Comme autre technologie, seule l'évaporation connaît des rendements d’élimination comparables à l’osmose inverse sauf pour la DCO où la présence d’organique volatile ne permet des rendements que de l’ordre de 90 %.
Une autre approche du traitement des lixiviats consiste à déstabiliser les molécules de DCO dures à l'aide de l’ozone seule, ou du couple UV-ozone.
Un couplage UV-ozone
Le procédé installé sur le site de la décharge municipale allemande de Rhein Sieg Abfallwirtschafts GmbH à Saint-Augustin près de Cologne a été mis au point par Air Products. Chemox SR, c’est son nom, est un réacteur intégré d’ozone de 20 m³ qui remplace les trois réacteurs utilisés précédemment. Cet équipement dégage une économie de 200 000 DM par rapport à l’installation précédente.
Avant, la DBO était réduite à environ 25 ppm par une nitrification en tête de station suivie d’une biologie aérobie. La DCO restante, environ 1 200 ppm, était alors traitée par une oxydation chimique à l’ozone conventionnelle via un venturi et trois réacteurs de 20 m³ chacun. En sortie, la DCO est inférieure à 100 ppm. La DBO née de l’ozonation était réduite via un filtre biologique à lit fixe. Pour la nouvelle installation, Air Products a remplacé les trois réacteurs par un réacteur unique de 20 m³, tout en conservant un niveau de rejet identique. L’équipement a été conçu sur la base d’une modélisation informatique des flux hydrauliques et d’essais sur sites réalisés à l’aide d’une unité mobile de démonstration. Cette mise au point a permis de réduire systématiquement la dose d’ozone nécessaire à l'abattement de DCO recherché, et ce, jusqu’à des valeurs de 1,8 kg d’ozone produit par kilogramme de DCO éliminée. Simultanément, le temps de rétention est ramené à 4 heures, contre 10,3 heures précédemment avec le système à injection par venturi. Pour augmenter la vitesse de circulation dans le réacteur, l’effluent parcourt une double boucle, avec un passage dans un réacteur UV. « Ceci permet de déstabiliser les molécules aromatiques », explique-t-on chez Air Products, « une fois la chaîne aromatique ouverte, les molécules sont oxydées par l’ozone et détruites. »
En tout, avec ce procédé, la consommation d’ozone a été réduite de 30 %, la taille du réacteur de 70 % et l’énergie nécessaire au transfert divisée par deux. Le prix de l’équipement est 5 à 10 fois moins élevé que celui d'une colonne à bulle... Des données qui portent à réfléchir.
En parallèle, au traitement physico-chimique, des solutions biologiques poursuivent leur percée.
L’apport des biotechnologies
Forte de son expérience en matière de traitement des effluents industriels, A.P.S.R. propose une filière de traitement combinant physico-chimique et biologique. Le procédé mis au point fait appel à des techniques réductrices des pollutions minérales et organiques des lixiviats. Plus précisément, l’entreprise s’est attachée à élaborer une installation simple, modulable et économiquement intéressante, minimisant la production des boues et limitant au maximum le transfert de pollution en vue d’atteindre l’objectif « Zéro Rejet ». Déjà plusieurs unités pilotes valident le procédé.
La filière mise au point comprend une étape de traitement physico-chimique permettant la détoxication et l’élimination des matières en suspension. Il s’agit de les précipiter par coagulation-floculation à l’aide de réactifs spécifiques adaptés à chaque application.
Dans ce traitement, la coagulation et la floculation ont pour rôle l’élimination des matières en suspension (MES) d’origine minérale et organique et des matières colloïdales. Ces dernières sont de même origine que les précédentes, mais de petite taille, donc de décantation plus lente. Ce sont elles qui provoquent la couleur et la turbidité des lixiviats. La coagulation consiste en la neutralisation des charges superficielles des colloïdes et des matières en suspension. Elle modifie les caractéristiques physico-chimiques des effluents à traiter (pH, conductivité) pour les décharger en micro-flocs, puis en flocs décantables. La séparation finale est assurée par décantation, flottation ou filtration.
Cette étape est suivie par plusieurs étages de traitement biologique aérobie et anaérobie destinés à abattre à la fois la pollution azotée (en général présente sous forme d’ammonium) et la pollution organique biodégradable.
Sur certaines installations de traitement biologique, le travail des bactéries peut être renforcé par un apport d’oxygène pur. Linde Gaz Industriels oxygène traite complètement les bassins de la décharge de Altenberge en Allemagne. C’est le procédé Solvox B qui a été mis en place en 1996. Il injecte 34 000 m³ d’oxygène pur par mois.
En général, ces traitements mettent en œuvre soit des souches microbiennes présentes dans les lixiviats (biomasse endogène), soit une augmentation du potentiel épuratoire de cette biomasse par des souches exogènes (bio-augmentation). Pour arriver à des résultats convenables encore faut-il correctement sélectionner les souches bactériennes.
Sélectionner les souches bactériennes
Dans le cadre de ses activités de recherches et développement, A.P.S.R. a sélectionné puis isolé à partir de prélèvements réalisés dans l’environnement, une culture mixte de souches bactériennes et fongiques afin de produire des boues en moindre quantité par rapport aux procédés classiques.
A.P.S.R. a équipé un CET de classe II acceptant des ordures ménagères et des DIB broyés. La filière mise en œuvre accepte un débit de 2 000 m³/semaine et permet de répondre aux normes de rejet en vigueur sur le site.
Résoudre le problème des boues
À l’issue du traitement biologique, mis au point par A.P.S.R., les boues sont envoyées dans un digesteur anaérobie pour être stabilisées et réduire leur volume. Il s’agit d’assurer le développement en l’absence d’oxygène de la biomasse présente dans les boues. Le processus s’effectue en trois étapes successives : fermentation, acétogenèse et méthanogenèse. En fin de cycle, le produit final est un mélange gazeux : méthane (environ 70 %), dioxyde de carbone (environ 30 %) et autres gaz en faibles proportions (CO, N₂, O₂, hydrocarbures, H₂S). La production de gaz représente le principal critère d’évaluation de la qualité de la digestion. Classiquement un kilogramme de matière organique introduite produit 400 à 500 l de gaz. Cette production est équivalente à une réduction de la teneur en matières organiques des boues de 40 à 50 %. L’étape finale du procédé mis au point par A.P.S.R. fait appel à l’évaporation. Elle permet de reconcentrer les polluants dissous par le lixiviat. La première étape consiste à chauffer le lixiviat dans une enceinte sous vide pour abaisser le point d’ébullition. Les vapeurs condensées sont retournées en tête de station et les concentrats incinérés dans des unités de pyro-incinération.
En collaboration avec les équipes de recherche du Laboratoire de Mycologie de la Faculté de Pharmacie de Lyon, ces souches s’avèrent présenter des capacités de destruction de la pollution organique des lixiviats très intéressantes.
Ces étapes de traitement sont mises en œuvre soit dans des lagunes préexistantes sur le site, soit dans des ouvrages spécialement conçus à cet effet.
En lagune, la dégradation des polluants présents, composés azotés et organiques, est assurée par une culture microbienne libre. Les bactéries sont initialement présentes dans les lixiviats et/ou complémentées par l’ajout de boues de stations d’épuration urbaine, à laquelle on fournit l’oxygène nécessaire à son métabolisme (accepteur d’électrons).
Dans les ouvrages spécifiques, l’élimination conjointe des pollutions organiques et azotées sous forme ammoniacale (NH₄⁺) suit deux étapes. D’abord une phase de nitrification menée en aérobiose. Elle consiste en une oxydation de l’ammonium en nitrites (NO₂⁻) puis en nitrates (NO₃⁻). Puis une étape de dénitrification qui est menée en anaérobiose. Elle aboutit à la réduction des nitrates en azote moléculaire (N₂).
Les procédés utilisés pour cette transformation mettent en œuvre des micro-organismes fixés sur un support en présence ou en l’absence d’oxygène. Le lixiviat ruisselle à travers un volume de matériau plastique alvéolé servant de support aux micro-organismes. L’oxygène nécessaire est amené par l’air qui circule à contre-courant par convection naturelle. Cette technique supporte assez bien les variations de charge, la réponse étant donnée par la variabilité de l’épaisseur des différentes couches qui constituent le biofilm. De plus, la partie inférieure de celui-ci peut être le siège de réactions de dénitrification.
Quant à la phase de dénitrification, elle est menée dans un réacteur à lit fluidisé. Là, la biomasse nitrifiante est fixée sur un matériau granulaire mis en expansion par le courant ascendant des lixiviats à traiter. Dans ces conditions, la surface d’accrochage du biofilm par unité de volume est maximale, ce qui autorise des charges volumiques élevées. Le lixiviat à traiter est ici maintenu à une température de 30 °C et complémenté, si besoin est, en carbone, énergie (éthanol, acide acétique…) et nutriments.
Cependant les rendements épuratoires de l’approche biologique ne sont pas toujours suffisants pour répondre aux normes de rejets. Pour Jean-Luc Appriou : « Les rendements demandés sur le DCO sont généralement voisins de 95 %, ceux sur l’azote, ammonium et nitrates, sont encore supérieurs avec des valeurs oscillantes entre 95 et 99 %. Pour atteindre ces objectifs, des techniques membranaires comme l’osmose inverse ou la nanofiltration présentent tout leur intérêt. D’où l’idée de fixer les cultures sur membranes pour pousser loin l’évaporation. »
Polluants | entrée | sortie |
---|---|---|
DBO | 500 mg/l | 30 mg/l |
DCO | 2000 mg/l | 90 mg/l |
MES | 200 mg/l | 30 mg/l |
Azote | 115 mg/l | 10 mg/l |
Les rejets de Bagnols-en-Forêt devront être conformes à l’arrêté préfectoral du 27 mai 1994 avec des normes proches du niveau E
Fixer la culture sur membrane
Le traitement adopté à Bagnols-en-Forêt, dans le Var, a retenu le BBM. La filière se décompose en quatre séquences distinctes. D’abord un prétraitement. Cette clarification consiste en un traitement physico-chimique qui assure la précipitation des métaux par la formation d’hydroxydes métalliques. L’effluent est ensuite aéré. Puis vient la phase de traitement biologique assurée par le Bioréacteur à membrane : le BBM. Les teneurs élevées en azote Kjeldahl et en ammonium de l’eau brute entraînent des dégagements d’azote importants à la sortie du bassin d’aération. Pour ne pas entraîner la boue par flottaison, la séparation est assu-
Réalisée par filtration tangentielle sur des membranes d’ultrafiltration en céramique. Cette technique permet une filtration complète de la biomasse. L’effluent est débarrassé de ses matières en suspension. Le fonctionnement en forte charge permet d’éliminer de la matière organique DBO5 et DCO avec un rendement nettement plus élevé qu’avec une boue activée classique. Le taux d’élimination de la DCO est voisin de 75 %, ce qui ramène la teneur de 2000 à 500 mg/l environ.
Pour assurer la filtration, deux modules sont installés en série. Un lavage à la soude et à l’acide se déclenche automatiquement une fois par semaine avec un retour des solutions de lavage en tête de station.
Pour compléter ce traitement, une étape d’ozonation est installée en sortie de BRM. Elle permet de ramener la DCO dite « dure » à environ 500 mg/l. Ce sont 2,5 g d’ozone pour 1 g de DCO qui sont injectés pour oxyder la DCO restante. Pour augmenter la cinétique, une injection de soude est réalisée. L’ozone est produite par un générateur d’ozone (5 kg/h maximum) alimenté par une tour d’oxygène liquide. L’injection est assurée avec un débit de 35 Nm³/h. Le rejet est effectué en milieu naturel.
Dès que la concentration de boues est trop élevée, celles-ci sont extraites puis envoyées sur un lit de séchage. Leur concentration est alors de 15 g/l. L’installation en produit 52 tonnes par an.
Sur le même principe, le procédé Novox d’OTV équipe l’installation industrielle d’épuration des lixiviats d’un centre d’enfouissement technique exploité par CGEA-Onyx, à Montreuil-sur-Barse, près de Troyes (10). La filière mise au point consiste en une épuration compacte alliant oxydation par bactéries fixées sur support filtrant et oxydation par ozonation catalysée, avant rejet dans le milieu naturel.