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Les lixiviats de décharge

30 avril 1990 Paru dans le N°136 à la page 55 ( mots)
Rédigé par : Jean-bernard LEROY

Quelle que soit la filière adoptée pour éliminer des déchets, c’est-à-dire pour en diminuer les nuisances potentielles, la décharge joue un rôle primordial : qu’il s’agisse des déchets eux-mêmes ou du résultat de leur traitement, une partie notable du volume, du poids, sera dirigée vers la décharge, c’est-à-dire dans le sol. Il n’est heureusement plus question de jeter pêle-mêle les déchets dans une excavation quelconque, ce qu’on appellerait plutôt un dépotoir… Une décharge moderne est une installation d’élimination complète, comportant un laboratoire et tous les équipements nécessaires pour placer les déchets de manière conforme aux exigences techniques actuelles, notamment en ce qui concerne l’évacuation des gaz et des eaux de percolation. C’est pourquoi on l’appelle parfois « Centre d’enfouissement technique », appellation un peu longue mais qui met bien l’accent sur l’aspect industriel d’une exploitation actuelle.

Les dangers de pollution d’une décharge se situent à trois niveaux : le sol, l’air et l’eau. La pollution par le sol n’est pas très importante tant que le sol reste sur place : on ne pourrait parler de risques que si le résultat de la décharge (qui ressemble souvent à une terre), était utilisé comme « crible de décharge » dans une agriculture en principe non alimentaire. Mais tant que le matériau mis en décharge reste sur place, il n’y a pas de risques de contamination. La pollution de l’air est le fait de gaz, sources de mauvaises odeurs, parfois toxiques pour les végétaux. Il faut en analyser les origines avec précision car ces pollutions peuvent subsister pendant des périodes assez longues ; de plus, elles sont particulièrement mal supportées par les riverains. Toutefois ces gaz se diluent peu à peu dans l’atmosphère, sans aucun risque d’accumulation.

Il n’en est pas de même de la pollution des eaux. En premier lieu, parce que l’eau est un solvant puissant, qui peut véhiculer des substances nocives sur des distances très importantes et suivant des trajets souterrains qui sont loin d’être toujours parfaitement connus ; en second lieu, parce que certains de ces trajets aboutissent dans des nappes d’eau plus ou moins profondes dans lesquelles l’effluent souillé ne subit plus aucune évolution, mais où, par contre, métaux lourds et ions toxiques ont tout le temps de se concentrer jusqu’à des seuils mesurables, puis gênants. C’est donc pour l’eau qu’une décharge risque d’être à terme une source de nuisance, ce qui explique toute l’attention apportée à ce problème à l’heure actuelle.

QU’EST-CE QU’UN LIXIVIAT ?

Genèse des lixiviats

On appelle lixiviat, ou lessivat ou percolat (variantes qui se retrouvent dans les traductions en diverses langues étrangères) ou, familièrement, « jus de décharge », le liquide qui s’écoule d’un site de décharge — ou d’enfouissement si l’on préfère — soit vers l’extérieur, soit directement du fond de la décharge.

Bien qu’étant parfois très chargé, ce liquide est en fait une eau sale. Le lixiviat est le résultat de transformations multiples, d’ordre biologique et physique.

— Phénomènes biologiques :

Dès qu’on est en présence d’une partie organique (c’est-à-dire comprenant du carbone et de l’azote) et d’une humidité convenable, on observe une prolifération bactérienne qui entraîne des changements profonds des déchets intéressés. Ces transformations sont souvent anaérobies car les déchets sont tassés à refus pour des raisons économiques. Ce caractère anaérobie présente de nombreux inconvénients : les transformations sont plus lentes, elles ne sont pas complètes et les produits intermédiaires, insuffisamment oxydés, sont souvent malodorants : pour simplifier on a pu dire que là où il y a du phosphore, de l’azote et surtout du soufre, et pas assez d’oxygène, il y a une quasi-certitude de mauvaise odeur ! Par contre, les transformations anaérobies sont seules capables d’attaquer, dans les conditions ordinaires, des chaînes organiques assez longues, comme la lignine. En simplifiant à l’extrême, on a distingué quatre phases (thèse de Millot à l’INSA de Lyon 1986) :

  • * Une phase d’hydrolyse au cours de laquelle les longues chaînes organiques sont cassées par les enzymes bactériennes.
  • * Une phase d’acidogénèse : transformation de ces fragments en alcools ou acides simples.
  • * Une phase d’acétogénèse : transformation anaérobie des alcools et acides précédents en acétates, gaz carbonique et hydrogène, phase très importante car l’accumulation des acides engendrés dans la deuxième phase pourrait entraîner le blocage de l’ensemble des réactions.
  • * Une phase de méthanogénèse également anaérobie qui se traduit par une production de gaz carbonique et de méthane. Ce gaz qui se dégage d’une décharge classique, que l’on désigne souvent par le terme de « biogaz », contient entre 45 et 60 % de méthane et 35 à 50 % de gaz carbonique, plus de nombreuses impuretés en général soufrées et malodorantes.

L’eau présente dans la décharge joue un rôle très important, ne serait-ce que parce qu’elle est indispensable à la vie bactérienne. Par contre, l’eau en excès a tendance à s’accumuler en entraînant les produits finals ou intermédiaires des réactions précédentes. La phase de méthanogénèse s’achève sur une phase de stabilisation, à la fin de laquelle cesse toute transformation.

— Phénomènes physiques :

De par ses propriétés ionisantes, l’eau a ainsi une action purement physique sur les déchets eux-mêmes : d’abord par dissolution de minéraux, surtout en milieu acide, puis par réaction de ces minéraux entre eux dans la mesure où elle a permis de les mettre en contact les uns avec les autres. Ces réactions peuvent revêtir de multiples aspects : précipitation de certains métaux sous forme de sels, comme les sulfures ou les carbonates, stabilisation de certains ions métalliques sous forme d’hydroxydes, complexation d’autres ions, etc.

L’une des raisons de la complexité du problème est la présence de substances organiques, notamment de celles qui proviennent des ordures ménagères : leur évolution entraîne en effet la production d’acides faibles très variés qui, avec le temps, peuvent modifier profondément l’évolution des minéraux apportés d’autre part. C’est pourquoi la méthode du dépôt commun des ordures ménagères et des déchets industriels est déconseillée en Europe continentale. Certes, elle permet de profiter d’une certaine complémentarité de structure et de la relative capacité d’absorption de liquides par des ordures ménagères parfois assez sèches, mais les dangers sont trop grands du côté chimique pour préconiser cette pratique.

On comprend que des phénomènes aussi complexes soient difficiles à appréhender, même en se situant à un point de vue très général.

Caractéristiques des lixiviats

Une littérature très abondante traite de cette question... les résultats en étant fort discordants comme le montre le tableau I, dû à Chian et Dewalle et mentionné dans la vaste étude bibliographique que l’ANRED a consacrée à ce sujet (2). Il semble bien qu’à première vue, il soit difficile de conclure quoi que ce soit d’un ensemble de valeurs aussi dispersées.

De fait, la composition d’un lixiviat dépend principalement de deux éléments :

  • — les déchets qu’on a mis dans la décharge et la manière dont on les a mis : en particulier a-t-on pris quelques précautions pour éviter des réactions parasites dommageables à l’ensemble ?
  • — l’âge de la décharge : on a vu en effet qu’il y avait plusieurs stades dans l’évolution des déchets.

La durée complète du cycle est variable et peut s’étendre sur plusieurs années. De plus la décharge continue à être exploitée et il y a sur le même site des déchets « frais » et d’autres qui sont pratiquement stabilisés, ce qui complique une analyse de la marche de la décharge qui, par hypothèse, ne peut être que globale. On peut néanmoins reprendre les grandes conclusions de la thèse, précitée, de Millot et distinguer :

  • — les lixiviats jeunes, très légèrement acides, à la charge organique élevée (DCO > 20 000 g/m³) mais ayant une biodégradabilité certaine, puisque le rapport DBO₅/DCO est en général supérieur à 0,3. La teneur en métaux de ces lixiviats est en général assez élevée, on y a observé jusqu’à 2 000 g/m³ ;
  • — les lixiviats vieux, ou stabilisés, plus voisins de la neutralité que les précédents parfois très légèrement basiques, dont la DCO atteint rarement 2 000 g/m³, mais avec une DBO₅ très faible, ce qui dénote une biodégradabilité quasi nulle. Le pH étant légèrement basique, la majeure partie des métaux a précipité et la teneur totale en métaux ne dépasse pas en général 50 g/m³ ;
  • — les lixiviats intermédiaires dont les caractéristiques se situent entre les deux et qui offrent la particularité de comporter une charge organique constituée en grande partie par des acides carboxyliques.

Un simple regard sur les lignes qui précèdent confirme que les lixiviats jeunes sont plus faciles à traiter que les vieux, et que rien n’est plus dangereux pour l’environnement que de laisser les déchets barboter indéfiniment dans leur jus. C’est dans ce but que les dernières circulaires ministérielles interdisent les décharges « les pieds dans l'eau » ou plus exactement limitent à un mètre la hauteur d’eau que l’on peut tolérer au fond, ce qui oblige pratiquement à soutirer le jus en permanence, donc à le renouveler ; dans ces conditions on dispose toujours de lixiviats jeunes.

[Photo : Creusement d’un piézomètre de contrôle : pose du tubage (photo Onyx-CGEA)]

Quantification des lixiviats

L’origine des lixiviats est évidemment à rechercher dans l’eau qui se trouve dans la décharge. Cette eau peut être d’origines très différentes :

  • — l’eau de pluie,

Tableau I

pH 3,7 - 8,0
DCO 40 - 90 000
DBO₅ 81 - 33 400
COT 350 - 28 000
Azote (NH₃) 0 - 1 100
Phosphore total 0 - 130
Chlore 45 - 2 500
Sodium 60 - 7 700
Potassium 28 - 3 770
Calcium 60 - 7 200
Cadmium 0,03 - 17
Chrome 0 - 0,14
Cuivre 0 - 10
Fer 0 - 2 820
Plomb < 0,1 - 2,0
Manganèse 0,09 - 125
Nickel 0 - 0,16
Zinc 0 - 370
Potentiel d’oxydo-réduction (- 220) - (+ 163)

Caractéristiques physico-chimiques des lixiviats

(Fourchettes d’après Chian et Dewalle)

Toutes les valeurs sont exprimées en mg/l sauf le pH (en unité pH) et le potentiel d’oxydo-réduction (en millivolts)

  • — l’eau qui s’écoule dans la décharge par suite du suintement des parois dès que le terrain est humide,
  • — l’eau contenue dans les déchets.

D’autre part, une certaine quantité d’eau peut s’infiltrer par le fond de la décharge, une autre peut ruisseler directement du site vers l’extérieur quand on dispose d’une couverture étanche, une partie s’évapore soit directement, ce qui est le cas général, soit par l’intermédiaire des végétaux qui y sont plantés quand une partie de la décharge est déjà munie d’une couverture végétale. On peut alors dresser un « bilan hydrique » qui prend l’expression :

P + E₀ + R₀ = I + E + Rₑ + ETR,

dans lequel :

  • P est la quantité d’eau de pluie,
  • E₀ l’eau apportée par les déchets,
  • R₀ les eaux de ruissellement arrivant sur le site,
  • I l’infiltration par le fond de décharge,
  • E le volume de lixiviats produits,
  • Rₑ le ruissellement s’échappant du site,
  • ETR l’eau transpirée ou évaporée.

Dans une décharge bien exploitée, les quantités R₀, Rₑ et I sont négligeables ou nulles, et il vient :

E = P + E₀ - ETR,

compte non tenu des variations du « stock » d’eau contenu dans la décharge.

Il reste à évaluer ces divers paramètres, ce qui n’est guère facile ; par exemple :

  • — l’eau apportée par les déchets : bien souvent un bon nombre d’entre eux sont constitués de boues déshydratées plus ou moins efficacement et surtout de manière irrégulière,
  • — l’évaporation : la surface d’échange des déchets avec l’atmosphère est difficile à déterminer avec précision et une grande partie de l’eau se trouve « enterrée » donc n’arrivera pas à s’évaporer même en cas de sécheresse relative de l’atmosphère.

Pour fixer un ordre d’idée il faut donc avoir recours à des données statistiques qui recoupent d’ailleurs assez bien les données théoriques, compte tenu de l’imprécision inhérente à ce genre de phénomène. On considère que la quantité de lixiviats à évacuer représente environ 1 500 m³/ha/an, la pluie figurant dans cette quantité pour un quart. On peut ajouter que cette quantité reste relativement modeste. Même en considérant une décharge de 100 ha, soit 1 km², on n’arrive qu’à un volume de 150 000 m³/an, soit environ 400 m³/j, ou, si on préfère, le volume d’effluents d’une bourgade de 2 000 à 3 000 habitants. Cela dit, il s’agit de liquides nettement plus chargés qui doivent être traités.

[Photo : Bassin de stockage de lixiviats : étanchéité réalisée par une géomembrane (photo Onyx-CGEA).]

avec une grande attention. La valeur précédente a été indiquée pour montrer que les volumes sont suffisamment faibles pour que des méthodes efficaces, bien que d’un prix de revient au mètre cube relativement élevé, puissent être envisagées dans certains cas.

LE TRAITEMENT DES LIXIVIATS

Qualité requise

Les percolats constituent indubitablement un danger potentiel pour l’environnement. On a vu néanmoins que si leur charge est élevée, leur volume journalier est relativement peu important. Dans cette optique, l’administration a pris la sage décision de ne fixer les normes de rejet que cas par cas, compte tenu :

  • des dangers présentés par les déchets effectivement placés dans la décharge,
  • du rapport entre le volume des lixiviats rejetés et le débit du cours d’eau qui les recevra,
  • des possibilités de traitement.

Les normes de rejet tiennent également compte de l’importance des cours d’eau et des nappes menacés. Elles figurent dans l’arrêté d’autorisation d’ouverture de la décharge, que nous évoquerons plus loin. Tout en tenant compte des circonstances locales, les normes de rejet tournent néanmoins — sauf exception — autour de valeurs moyennes. Le tableau II donne un exemple des conditions imposées pour un site recevant des déchets industriels.

Il peut arriver que d’autres paramètres soient imposés. Pour parvenir à une telle qualité, un traitement est toujours indispensable.

La préhistoire :

Pendant longtemps, les exploitants de décharge n’ont eu le choix qu’entre trois solutions :

  • Le rejet en rivière, ou plus exactement le choix de la rivière qui recevra les percolats. Les décharges se trouvent souvent dans des endroits isolés d’où ne partent que de petits ruisseaux. Canaliser les percolats pour les diriger dans un cours d’eau suffisamment important vaut beaucoup mieux que ne rien faire du tout ! Force est toutefois de reconnaître que c’est vraiment le minimum que l’on puisse envisager, le seul avantage réel étant d’éviter l’eutrophisation de ruisseaux trop petits.
  • Une aspersion sur le site même de la décharge des lixiviats récoltés, lorsque les conditions atmosphériques le permettaient. Le but était d’empêcher toute sortie des jus en dehors du site et de se servir du pouvoir absorbant de certains déchets, notamment des ordures ménagères. De fait, il ne s’agit pas d’un traitement puisque la pollution retourne sans changement sur le site ; il y a même un risque d’enrichissement des lixiviats en matière dissoute puisque c’est la partie « eau pure » qui s’évapore à l’exclusion de la partie dissoute. Le seul avantage de cette méthode est de limiter la hauteur de la partie noyée de la décharge.
  • Le lagunage à la sortie de la décharge. Il s’agit là d’un véritable traitement qui a donné de bons résultats dans plusieurs cas. Il faut prévoir une durée de séjour assez longue (20 jours environ) de manière à assurer une faible charge. Les résultats sont bons dans la mesure où le lessivat est biodégradable, c’est-à-dire suffisamment jeune et ne contenant pas de matière inhibitrice.

Les techniques simples

De nombreux centres de recherche ont étudié des traitements plus ou moins compliqués. Il est certain qu’on peut obtenir d’excellents résultats avec une chaîne complète, mais que le prix atteint assez vite des niveaux jugés insupportables. D’un autre côté, si un traitement simple permet d’atteindre un bon niveau d’épuration sans aller jusqu’à l’eau de source, cela peut être intéressant pour des sites peu importants, isolés, où une station complète ne peut être envisagée.

Utilisation des mâchefers

Commençons donc par l’une de ces techniques, longuement décrite dans la thèse précitée (1) : il s’agit de la percolation des lixiviats sur des mâchefers d’incinération d’ordures ménagères. Le caractère basique des mâchefers favorise la précipitation des ions métalliques, les oxydes de métaux pouvant contribuer à oxyder certaines matières. On ajoute que la combustion lente des imbrûlés maintient une température relativement élevée qui favorise l’évaporation d’une partie desdits lixiviats… il est alors intéressant d’avoir beaucoup d’imbrûlés, ce qui n’est guère recommandé en amont ! Il s’agit du type d’un traitement certes partiel, mais simple et pouvant rendre grand service dans bien des cas.

Épandage agricole

Il ne s’agit évidemment pas d’arroser des cultures légumières avec des lixiviats… mais de profiter du pouvoir épurateur des sols ayant un couvert végétal du type lande ou forêt. Les végétaux ont une capacité importante d’absorption d’eau cependant que le sol est le siège de phénomènes complexes de filtration qui favorisent la prolifération des bactéries en zone poreuse, d’échanges d’ions, de précipitation, etc. Naturellement, une analyse complète de chaque lixiviat doit être effectuée avant chaque opération de ce type qui ne peut être envisagée qu’avec l’accord de l’administration.

Ces deux techniques sont actuellement en cours d’exploitation dans plusieurs décharges.

[Photo : Compacteur en action sur une décharge traitée selon une méthode aérobie (photo Onyx-CGEA).]

Tableau II

Température :< 30 °C
6,5 < pH < 8,5
MES :< 30 mg/l
O₂ dissous :> 3 mg/l
DBO₅ :< 40 mg/l
DCO :< 120 mg/l
Métaux totaux :< 15 mg/l
Cu :< 0,1 mg/l
Hg :< 0,01 mg/l
Pb :< 0,1 mg/l
Cd :< 0,01 mg/l
Fe :< 1 mg/l
Cr :< 0,5 mg/l
Phénols :< 0,5 mg/l
Sulfates :< 250 mg/l
Nitrates :< 24 mg/l

Les traitements élaborés

Dans le paragraphe précédent sur la qualité des lessivats, on a pu remarquer que ce mot peut recouvrir des réalités très différentes selon les cas. En simplifiant les choses on peut dire qu’un lixiviat comporte une partie organique et une partie minérale, cette dernière contenant éventuellement des toxiques, et que la partie minérale devient prédominante avec l’âge. Comme cette partie minérale est assez spécifique de chaque décharge, il peut arriver qu'elle demande un traitement également spécifique. De plus, la présence de matières toxiques ou pour le moins inhibitrices peut entraîner la nécessité de prévoir ce traitement en tête de phase. On distinguera donc trois grandes familles :

  • le traitement biologique classique. Il faut pour le prévoir que le lixiviat non seulement soit biodégradable (c'est une évidence) mais présente un équilibre suffisant en azote et phosphore et contienne des oligo-éléments en proportion raisonnable sans substance inhibitrice. On peut prévoir un simple lagunage (comme ci-dessus) mais aussi une station à boues activées à faible charge, avec des concentrations en boues de l'ordre de 3 ou 4 g/l et même des cultures fixées, qui présentent toutefois le danger d'être rapidement encrassées par des oxydes métalliques. On a procédé à quelques essais de traitement anaérobie avec récupération de méthane ;

  • les traitements physico-chimiques. Dans tous les cas, on prévoit une précipitation chimique par augmentation rapide du pH puisque les métaux sont abondants dans ces jus. On peut procéder ensuite à une floculation pour agir sur les colloïdes, souvent à l'aide de sels de fer ou d'aluminium. L’efficacité de la floculation est d’autant plus grande que le lixiviat est plus vieux ; on observe souvent une diminution sensible de la couleur. Si l'oxydation chimique a été décevante, probablement en raison de la complexité des molécules en cause, le traitement sur charbon actif a donné d'excellents résultats… il reste qu'il s'agit d'un traitement onéreux que certains n’hésiteront pas à qualifier de luxueux !

  • les filières de traitement. Si la qualité requise pour le lixiviat l'exige et moyennant un coût d'exploitation en rapport avec les installations, on prévoit une chaîne complète de traitement qui peut comprendre :

    • en tête un poste physico-chimique pour la précipitation des ions métalliques et une détoxication éventuelle,
    • une station biologique pour prendre en charge l'ensemble des matières organiques,
    • un affinage au charbon actif,
    • un dispositif de solidification des boues, de manière à ne remettre en décharge que des déchets parfaitement inertes (une telle filière a été essayée en Italie il y a quelques années) (3).

Les autres solutions

Il convient de mentionner la possibilité de traiter les lixiviats dans une station d'épuration prenant en charge d'autres effluents. Pour cela, il faut préalablement s’assurer de la compatibilité des effluents avec la station, surtout s'il s'agit d'une station d'effluents domestiques, et prévoir des dispositifs d'injection de ce jus par petites quantités, de manière à ne pas mettre la station en surcharge momentanée, ce qui pourrait être désastreux si le fait se reproduit trop souvent. Dans certains cas il est possible de diriger les lixiviats vers un centre de traitement de déchets toxiques ; pour cela deux conditions doivent être remplies, outre l'adaptation du centre aux effluents :

  • la quantité journalière d'effluents doit être limitée : 5 à 10 mètres cubes,
  • la distance doit rester courte : dix kilomètres semble un maximum.

Sous ces conditions, cette solution est très élégante car elle donne entière satisfaction au moindre prix… mais on ne peut ériger cette méthode en règle générale.

LES LIXIVIATS ET L’EXPLOITATION D’UNE DÉCHARGE

Avant le début de l’exploitation

Le site. Une décharge ne peut être ouverte que moyennant une autorisation officielle, ce qui suppose l’établissement d’un dossier dans lequel figurent en bonne place les caractéristiques hydrogéologiques du site. Selon la circulaire ministérielle du 22 janvier 1980, on distingue trois catégories de sites :

  • site imperméable ou de classe I, dont le coefficient de perméabilité est inférieur à 10⁻⁹ m/s sur une épaisseur minimale de 5 mètres,
  • site semi-perméable ou de classe II, dont le coefficient de perméabilité est compris entre 10⁻⁹ et 10⁻⁷ m/s,
  • site perméable ou de classe III, dont le coefficient de perméabilité est supérieur à 10⁻⁷ m/s.

L'administration peut exiger que des mesures complémentaires d’imperméabilisation soient prises : membranes géotextiles, revêtement en bentonite etc. La mesure des faibles perméabilités a fait de grands progrès ces derniers temps (4).

Liste des déchets admis. Pour chaque décharge, les autorités arrêtent la liste des déchets admis, compte tenu des caractéristiques du site, de la méthode d’exploitation, etc. Une attention particulière est accordée au cas des boues car il s'agit d'un déchet qui dans la majorité des cas contient de 50 % à 80 % d'eau.

Équipement du site. L’arrêté d’autorisation mentionne également certains équipements obligatoires parmi lesquels il faut citer :

  • l'installation de puits de contrôle (appelés couramment piézomètres) qui permettent de vérifier la qualité des eaux souterraines à différentes distances du site,
  • la construction de caniveaux de dérivation qui empêcheront les eaux de ruissellement de pénétrer sur le site,
  • dans le cas d'un exutoire, un dispositif de vérification et de possibilité de prise d'échantillons.

Avant l’exploitation de la décharge un ensemble de mesures des composants de l'eau des nappes souterraines permet de faire un « point zéro », grâce auquel on pourra juger de l'évolution effective de la nappe.

Pendant l’exploitation

Mise en place des déchets. Au risque de se répéter, précisons encore qu'une décharge n’est pas un lieu où les déchets sont jetés n'importe comment (une poubelle diraient certains journalistes) mais un site où ils sont placés selon des règles précises. La règle est maintenant de placer les déchets, surtout les déchets dangereux, dans des alvéoles bien séparés les uns des autres par une cloison étanche, qu'elle soit en argile ou qu'une couche imperméable y soit insérée. Un alvéole doit avoir une surface inférieure à 5 000 m² (1 000 ou 2 000 m² en général) ; on considère qu'il doit être plein en 3 ou 4 mois.

Les avantages de ce mode d’exploitation sont nombreux :

  • chaque alvéole peut être équipé de drains pour recueillir les lixiviats et le biogaz éventuellement formé. Leur taille relativement réduite permet un meilleur fonctionnement de ces ouvrages ;
  • les quantités de lessivats recueillies restent modestes et, en même temps, on peut les extraire au fur et à mesure de leur formation,
  • les alvéoles étant recouverts dès leur fin d’exploitation, on évite d’exposer de grandes surfaces libres à la pluie,
  • si un événement imprévu vient perturber l'évolution normale des déchets, on peut aller jusqu’à envisager de vider complètement un alvéole, ce qui serait impensable pour une décharge.

Il n’en reste pas moins que ce mode d’exploitation demande à être suivi avec soin et compétence par un personnel qualifié. Il existe bien d’autres recommandations, comme celle de réserver une certaine pente, même en cours de traitement, de façon à favoriser le ruissellement de l’eau de pluie plutôt que sa pénétration.

Préparation des déchets.

Il est certain que le meilleur traitement possible des lixiviats est de ne pas en produire... C’est pourquoi le problème des boues doit être examiné de très près. Une boue simplement déshydratée par pressage garde en effet la moitié de son poids en eau de constitution, eau qui, avec le temps, finira inexorablement dans le fond de l’alvéole. On cherche donc de plus en plus à éviter ce phénomène par des opérations de solidification ou « d’inertage » qui consistent à mélanger les boues avec des réactifs qui les transforment en terre inerte (analogue aux minerais) en ce sens que les atomes piégés ne peuvent plus en être libérés par les eaux de pluie. Cette technique connaît actuellement un grand essor, toutefois son prix est tel qu’on la réserve encore aux boues de déchets industriels. L’inertage présente aussi un grand intérêt pour certains matériaux pulvérulents comme les cendres d’incinération, qui sont de plus en plus souvent considérées comme des déchets toxiques.

Ces techniques sont très utiles pour améliorer le bilan hydrique de la décharge, qui est très délicat à établir et à surveiller, mais sur lequel on dispose dès maintenant d’études très intéressantes (5).

Faut-il ajouter que la mise en décharge de déchets liquides est totalement prohibée et celle des déchets mal séchés fortement déconseillée (6). Il ne faut toutefois pas se leurrer : interdire une décharge à un déchet revient souvent à le diriger vers une destination clandestine… il convient donc d’être strict tout en restant intelligent, c’est là le rôle de sagesse dévolu à l’Administration.

Autres techniques.

En allant au fond des choses, on s’aperçoit que les lixiviats sont d’autant plus abondants et nocifs que les déchets sont tassés et évoluent en situation anaérobie. Pourquoi donc ne pas revenir à la technique ancienne et éprouvée de la « décharge contrôlée » qui consiste à étaler les déchets en couches minces (donc aérées en totalité) de façon à ce qu’ils puissent évoluer en aérobiose, ce qui élimine les plus désagréables des mauvaises odeurs et, en raison de l’élévation de température consécutive à cette évolution, permet de faire évaporer une bonne partie de l’eau des déchets ? On sait le faire maintenant tout en compactant les déchets au maximum : il s’agit d’utiliser un engin lourd assurant un certain broyage des ordures in situ, et de disposer de suffisamment de surface pour ne couvrir une couche d’ordures en fermentation que six ou sept jours après.

Cette technique d’exploitation dite « décharge aérobie » s’applique essentiellement aux ordures ménagères (7). Mise en œuvre par un personnel compétent, c’est l’une des solutions les moins onéreuses puisque, alors, il n’y a plus de lixiviat à éliminer !

Après l’exploitation

On ne considère plus, maintenant, que le rôle de l’exploitant d’un site de décharge est achevé avec l’arrivée de la dernière tonne de déchets.

Il y a d’abord la fermeture de la décharge qui inclut la remise en état du terrain et la couverture végétale définitive du site. Des études complètes ont été entreprises, sur le choix des espèces végétales et leur succession pour arriver à un véritable couvert forestier (8).

Il y a ensuite la surveillance de la composition des eaux de nappe extraites des puits de contrôle car, aux termes de la loi, il n’y a pas de cessation d’activité pour une décharge, puisque les déchets continuent d’y être présents… Des contrôles réguliers sont donc prévus par l’arrêté préfectoral d’exploitation qui en arrête la périodicité et qui fixe la période de contrôle. La tendance est de considérer que si aucun désordre n’a été constaté dans les eaux souterraines pendant une période d’une dizaine d’années, il est logique que soit délivré quitus à l’exploitant. Cette question est actuellement en cours de négociation.

CONCLUSION

Si le traitement des lixiviats est, à juste titre, une préoccupation importante tant pour l’administration que pour les exploitants, les possibilités techniques existent, même si leur mise en œuvre suppose des dépenses non négligeables d’investissement et d’exploitation. Qu’il soit permis de rappeler qu’il est faux voire calomnieux, de parler de « poubelle » lorsqu’il s’agit d’une décharge, a fortiori d’un centre de traitement : s’il est exact qu’on ne « traite » pas les déchets dans une décharge, on ne se contente pas de les jeter dans un trou, mais on les range soigneusement en pleine connaissance de cause, c’est-à-dire après analyse et sous le contrôle de l’administration gardienne du bien public.

Un dernier mot sur les décharges dites de classe I (la dénomination exacte serait : décharge installée sur un site de classe I) seules habilitées à recevoir certaines classes de déchets. Les sites géologiquement possibles ne sont pas légion et les sites politiquement acceptables sont rares, pour des raisons qui n’ont rien de technique mais qui sont souvent jugées impératives par les autorités locales. Il importe donc de les réserver aux déchets qui ne peuvent connaître d’autre destination et de ne pas les remplir avec des déchets dits « banals » qui peuvent être traités selon des méthodes analogues à celles qui sont utilisées pour les ordures ménagères.

Quant à l’avenir — et sans vouloir jouer les pythonisses — on peut avancer que dans quelque temps nul déchet ne sera admis sur une décharge sans traitement préalable sauf cas particuliers, comme les ordures ménagères des communautés petites et moyennes. Un déchet mis en décharge l’est pour très longtemps (on connaît des décharges qui datent de plusieurs millénaires pour la plus grande joie des archéologues), c’est pourquoi on a tout intérêt à le traiter convenablement en vue de cette destination finale. Somme toute, les décharges de classe I devraient être réservées aux déchets des traitements de déchets… activité qui devient de plus en plus technique, donc réservée à des professionnels alliant compétence et sens des responsabilités.

BIBLIOGRAPHIE

  1. 1. M. Millot, Les lixiviats de décharge contrôlée. Caractérisation analytique. Étude des filières de traitement. Thèse de doctorat INSA, Lyon 1986.
  2. 2. Étude bibliographique sur les lixiviats produits par la mise en décharge des déchets industriels, 4 volumes. CEE — Ministère de l’Environnement — France, juin 1986.
  3. 3. J.-B. Leroy, R. Sidometti, Le lessivage contrôlé des décharges de déchets spéciaux. Une solution originale. TSM-L’Eau, janvier 1987.
  4. 4. M. Barres, G. Brossier, M. Sauter, Expérimentation et mise au point d’une méthodologie de mesure in situ des faibles perméabilités. Colloque international AIH à Karlovy-Vary et Environmental Geology and Water Sciences — Vol. 13, n° 11/89, 1986.
  5. 5. A. Lallemand, M. Barres, M. Sauter, Étude du bilan hydrique de décharges industrielles. Calcul du bilan hydrique — Rapport BRGM 86 — SGN 624 EAU par l’ANREP, 1986.
  6. 6. A. Navarro, M. Bernard, N. Millot, Les problèmes de pollution par les lixiviats de décharge. TSM-L’Eau, novembre 1988.
  7. 7. J.-L. Garrido, J.-B. Leroy, Un nouveau mode d’exploitation des décharges. Le dépôt à haute densité ou compostage in situ. TSM-L’Eau, janvier 1986.
  8. 8. La décharge contrôlée de résidus urbains — Ministère de l’Environnement et du Cadre de Vie — Direction de la Prévention des Pollutions et ANRED, 1987.
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