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Les légionelles et l'eau potable

30 janvier 2007 Paru dans le N°298 à la page 43 ( mots)
Rédigé par : Frédérique NAKACHE-DANGLOT et Francis BOURGINE

Les légionelles, bactéries hydro-telluriques sont présentes en eaux douces naturelles, comme les eaux superficielles, et en moindre quantité en eaux souterraines. Abondantes en eau chaude, leur présence en quantité significative en eau froide est anecdotique, 37 °C étant leur température optimale de développement. Une étude menée en 2005 a permis d'aborder la métrologie et l'écologie de ces bactéries, dans un système d'adduction d'eau potable. Une usine alimentée par des eaux superficielle et souterraine, et son réseau de distribution, ont été suivis. Legionella spp et la forme pathogène L. pneumophila ont été étudiées, sous leurs formes cultivables par mise en culture, et génomiques par PCR. L?absence de légionelles cultivables dans les eaux étudiées a été vérifiée, qu'il s'agisse d'eau brute, traitée ou distribuée. Seule, des unités génomiques de Legionella spp et non de L. pneumophila ont été détectées dans les ressources, leurs niveaux diminuant peu le long de la filière de traitement pour atteindre des valeurs aléatoires et parfois élevées en eau traitée ou distribuée. La présence de génomes bactériens de Legionella spp en eau potable ne signifie cependant pas qu'un risque quelconque est associé à cette situation.

[Encart : Frédérique Nakache-Danglot, Expert Eau Potable et Microbiologie, et Francis Bourgine, Directeur Technique, SAUR Direction Métiers]

Les légionelles, bactéries hydro-telluriques, sont présentes en eaux douces naturelles, comme les eaux superficielles, et en moindre quantité en eaux souterraines. Abondantes en eau chaude, leur présence en quantité significative en eau froide est anecdotique, 37 °C étant leur température optimale de développement. Une étude menée en 2005 a permis d’aborder la métrologie et l’écologie de ces bactéries, dans un système d’adduction d’eau potable. Une usine alimentée par des eaux superficielle et souterraine, et son réseau de distribution, ont été suivis. Legionella spp. et la forme pathogène L. pneumophila, ont été étudiées, sous leurs formes cultivables par mise en culture, et génomiques par PCR. L’absence de légionelles cultivables dans les eaux étudiées a été vérifiée, qu’il s’agisse d’eau brute, traitée ou distribuée. Seules, des unités génomiques de Legionella spp, et non de L. pneumophila ont été détectées dans les ressources, leurs niveaux diminuant peu le long de la filière de traitement pour atteindre des valeurs aléatoires et parfois élevées en eau traitée ou distribuée. La présence de génomes bactériens de Legionella spp en eau potable ne signifie cependant pas qu’un risque quelconque est associé à cette situation.

Les légionelles, bactéries ubiquistes, font partie de la flore banale des milieux hydriques comme les eaux douces de surface, mais aussi et dans une moindre mesure, dans les eaux souterraines. Leur température optimale de développement se situe entre 25 °C et 45 °C. En deçà de 25 °C, leur multiplication est limitée. C’est pourquoi on les retrouve dans les installations contenant de l'eau chaude ou tiède, comme les réseaux d'eau chaude sanitaire (ECS), de centrales de traitement d’air, de tours aéro-réfrigérantes (TAR), les bains à remous, jacuzzi, fontaines décoratives et en particulier dans les biofilms qui se forment sur les parois des canalisations véhiculant ces eaux.

Les amibes libres peuvent également assurer leur transport et leur protection, le long de circulations d’eau chaude, comme des études réalisées dans les réseaux parisiens d’ECS l’ont confirmé. Pour ce type d'eau, en région parisienne, différentes enquêtes écologiques réalisées dès les années 1980-1990 avaient permis de démontrer que près de 70 % des équipements collectifs de distribution d’ECS contenaient des Legionella, à une concentration variant de 50 à un million d’UFC (unités formant colonies) par litre d’eau (CSHPF, 2001).

Les légionelles pathogènes les plus rencontrées dans les cas de légionelloses et le plus souvent retrouvées dans les contaminations de réseaux intérieurs d’ECS ou les TAR, sont les espèces L. pneumophila et plus rarement L. anisa. Les nombreuses autres espèces de légionelles ne constituent néanmoins pas de danger pour l'homme. La transmission à l’être humain de cette maladie, affection respiratoire grave capable d’entraîner la mort, se fait par inhalation d’aérosols ou de micro-gouttelettes contaminés et non par ingestion d’eau contaminée.

Par manque d’information sur la dose infectieuse et la relation dose-effet, il n’existe pas de seuil sanitaire concernant la présence de Legionella spp. ou L. pneumophila dans l'eau.

Aucune limite, ni référence de qualité, relative à la présence des légionelles dans les eaux destinées à la consommation humaine n’existe donc, selon le Code de la Santé Publique (CSP).

Néanmoins, comme le rappelle cette législation, ces eaux ne doivent pas contenir « un nombre ou une concentration de micro-organismes, de parasites ou de toutes autres substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes », d’où une attention à apporter à cette bactérie.

Dans le cas particulier de l'ECS, l’OMS indique qu’en deçà de la concentration en L. pneumophila de 1 000 UFC par litre, le risque d'apparition de légionellose par inhalation d’aérosols formés à partir de cette eau est très faible pour la population générale.

Des recommandations, sous forme de seuils d’alerte ou d'action existent donc pour les Etablissements de Santé (ES) (circulaire du 22/04/2002), les eaux thermales (arrêté du 19/06/2000), les Etablissements Recevant du

Tableau 1 : Détail du nombre d’échantillons analysés et leurs résultats en Legionella spp par PCR, pour tout type d’eau

Nb. échantillons positifs / Nb. total échantillons (UG/L)
- EB : 17 / 17 min 4 max 6,7 moyenne 5,3
- EFCAG : 3 / 3 min 3,3 max 4,5 moyenne 3,8
- EFSO2 : 9 / 9 min 3,1 max 4,9 moyenne 3,8
- Eaux distribuées : 49 / 49 min LD = 2,2 max 5 moyenne 3,6

Public (ERP) (circulaire du 31/12/1998, Avis du Conseil supérieur d’Hygiène Publique de France, 2001) ou les TAR (circulaire du 23/04/1999). Ainsi, des valeurs limites à respecter sont faibles, comme 1 000 L. pneumophila par litre pour les ECS, voire 250 UFC par litre pour les services à risque en milieu hospitalier ou les eaux thermales. Cette dernière valeur est d’ailleurs la limite de détection (LD) des légionelles pour la méthode d’analyse normalisée, par mise en culture, révisée en septembre 2003 (AFNOR T90 431).

Rappelons que 2 méthodes sont utilisées pour détecter et quantifier les légionelles :

  • cette méthode classique de mise en culture, officiellement reconnue et recommandée par les autorités sanitaires,
  • et plus récemment (en mai 2006) une méthode basée sur la biologie moléculaire et notamment la PCR (Polymerase Chain Reaction), par détection spécifique de l’ADN des légionelles (AFNOR XP T90 471).

Autant la première méthode basée sur la détection de viabilité (plus ou moins atténuée, selon les cas) a tendance à sous-estimer le contenu en légionelles, autant la seconde tend à le sur-estimer. Par PCR, peu de discrimination n’est faite des légionelles libres : vivantes, mortes et intégrées, mais aussi des légionelles intra-amibiennes ou intra-biofilm.

Dans les faits, il en résulte généralement que lorsque des légionelles sont détectées dans un échantillon d’eau par culture, elles le sont aussi par la méthode PCR, l’inverse n’étant pas vrai systématiquement.

Chacune de ces 2 méthodes a donc des particularités à considérer, lors de l’interprétation des résultats rendus.

Légionelles et eau potable

La relation entre la contamination de réseaux de distribution publique avant compteur et l’apparition de cas groupés de légionellose est connue pour être tout à fait exceptionnelle. L’épisode apparu à Soulac-sur-Mer en 2004 (Charron et al., 2005) dont la caractéristique est la production de l’eau potable à partir d’une ressource souterraine chaude refroidie a toutefois démontré cette possibilité. Une contamination du réseau d’eau avant compteur par Legionella spp. et L. pneumophila a pu être mise en évidence, à des concentrations variant de 480 à 160 000 UFC/L.

Bien qu’extrêmement rares, ces situations atypiques incitent à une surveillance particulière du risque de contamination des réseaux par les légionelles et à la mise en œuvre de mesures de maîtrise de ce risque.

Ces actions sont notamment menées, régulièrement, lors d’inventaires nationaux de la qualité des eaux distribuées avant compteur (démontrant l’absence quasi systématique de contamination). Elles le sont systématiquement, lorsque certaines installations de production sont jugées à risque (ressources souterraines chaudes) ou encore chaque fois que des cas de légionelloses sont déclarés dans une zone particulière.

Bien que les légionelles soient particulièrement résistantes aux désinfections classiques (Jacangelo et al., 2002, Gerba et al., 2003), de par leur capacité à se protéger dans le biofilm ou les amibes, des traitements spécifiques comme l’ozonation ou l’irradiation UV sont efficaces (Saby et al., 2003).

Cadre de l’étude

Une étude a été entreprise en 2005 sur la métrologie et l’écologie des légionelles en eau potable. L’objectif était d’évaluer l’intérêt du signal génomique obtenu par PCR pour tenter d’expliquer l’écologie des légionelles (Legionella spp et Legionella pneumophila), dans un système de production-distribution d’eau froide destinée à la consommation humaine, avant compteur. Leur contenu en légionelles a été mesuré par les 2 méthodes normalisées : AFNOR T90 431 par « culture » (unité : UFC/L) et AFNOR XP T90 471 par « PCR » (unités génomiques ou UG/L).

D’autres analyses biologiques : flores revivifiables à 36 °C, 22 °C, et à 15 jours, ont par ailleurs été réalisées en laboratoire. La flore revivifiable dénombrée sur gélose R2A après 15 jours d’incubation, appelée « N15J », a été la plus intéressante à suivre en réseau, cette mesure étant un paramètre classique utilisé pour qualifier la stabilité biologique de l’eau distribuée. La présence éventuelle d’une corrélation entre ce paramètre et les légionelles a été vérifiée.

L’ensemble des analyses biologiques (flores revivifiables et légionelles) a été réalisé par le Laboratoire Central de SAUR à Maurepas (78). Les analyses de légionelles par « PCR » ont, pour partie, été également effectuées par Bouisson Bertrand Laboratoire (BBL) de Montpellier (34).

En parallèle, des mesures physico-chimiques (température, pH, résiduel désinfectant, conductivité, turbidité) ont été réalisées sur le terrain, lors des campagnes de prélèvements. L’eau brute provenant principalement de la ressource superficielle, la filière de traitement est complète. Elle comprend les étapes suivantes : dégrillage-tamisage, pré-ozonation, coagulation-floculation, décantation, filtration sur sable, inter-ozonation (EFSO2), filtration sur charbon actif en grains (EFCAG), remise à l’équilibre suivie d’une désinfection au dioxyde de chlore (ClO2).

Le réseau de distribution reçoit un débit journalier de quelques dizaines de milliers de m3, afin de fournir en eau des consommateurs, sur une étendue de 16 km de conduites, pour un temps de séjour hydraulique global dans le réseau de 40 à 55 h selon les saisons.

Les résultats

Les résultats des mesures physico-chimiques et biologiques ont confirmé une bonne qualité d’eau, quelle que soit la saison, avec en eau traitée et distribuée, un résiduel désinfectant toujours présent et des numérations en flore revivifiable (à 36 et 22 °C) toujours faibles et sans variation notable.

Pour l’ensemble du périmètre de l’étude, c’est-à-dire quelle que soient l’origine de l’eau, l’étape du traitement, les caractéristiques du réseau (âge de l’eau, …) et la date (août à décembre), les analyses officielles par mise en culture de Legionella ont toujours été négatives.

Les analyses par PCR des L. pneumophila pathogènes ont également été négatives, quels que soient l’échantillon et la campagne de mesure. Par contre, les analyses de Legionella spp par PCR ont toujours été positives.

Le détail du nombre d’échantillons et leurs résultats d’analyses, en usine et sur le réseau est présenté dans le tableau 1 et les figures 1 et 2. Sur ces dernières, figurent également les évolutions du contenu en flore « N15J », pour comparaison à un contenu en bactéries viables.

Sur ces figures, sont également représentées les évolutions du contenu en flore « N15J ».

Pour comparaison à un contenu en bactéries viables. Les unités génomiques de Legionella spp par PCR sont toujours présentes et plutôt élevées, quelles que soient la qualité de l’eau et la saison. Il est confirmé que l’eau brute d’origine superficielle contient bien plus d’unités génomiques que l’eau de forage. L’apport en germes revivifiables « N15J » et en unités génomiques de Legionella spp provient donc de la ressource superficielle et cet apport n’est pas influencé par le filtre biologique CAG. Alors que le traitement permet l’abattement de la flore revivifiable (N15J), les unités génomiques ne semblent pas impactées, puisqu’un niveau reste élevé en eau traitée (figure 1) et peut atteindre jusqu’à 5 ULog UG/L, soit 100 000 UG/L.

Par contre son évolution sur le réseau reste à un niveau élevé et fluctue de façon aléatoire et non marquée, entre 200 et 100 000 UG/L, comme l’indique la figure 2.

Quant au paramètre « N15J », les niveaux restent plutôt faibles sur le réseau et augmentent légèrement, au plus de 2 à 3 ULog, soit 100 à 1 000 UFC/L, ces valeurs étant tout à fait acceptables. Compte tenu des évolutions présentées en figures 1 et 2, on ne peut pas conclure qu’une corrélation existe entre le signal génomique des Legionella spp et la flore « N15J ».

[Photo : Figure 1 : Évolutions sur l’usine, de Legionella spp par PCR et de N15J. NB : LD = Limite de Détection ≈ 200 UG/L = 2,2 ULog UG/L – LQ = Limite de Quantification = 900 UG/L = 3 ULog UG/L]

Conclusions

Cette étude a mis en évidence la présence systématique et en quantités plus ou moins élevées, de 200 à plus d’1 million UG/L de Legionella spp détectables par PCR, quel que soit le type d’eau (brute, en cours de traitement, traitée et distribuée).

Ces résultats corroborent les observations relatées dans la littérature, notamment lors d’une étude écologique menée aux Pays-Bas sur 1 997 systèmes de production d’eau potable (Van Der Kooij, 2004).

Par contre et conformément aux observations du même auteur, la technique PCR n’a pas permis, au cours de cette étude, de mettre en évidence des unités génomiques de L. pneumophila.

De surcroît, aucune légionelle cultivable n’a été détectée, quels que soient le type d’eau et la saison considérée.

L’intensité du signal génomique de Legionella spp enregistré au cours de cette étude n’a, par ailleurs, pu être reliée à aucune anomalie ou variation des conditions de traitement ou de distribution (température, étape « biologique » du traitement, temps de résidence hydraulique, autres paramètres bactériologiques ou physico-chimiques de la qualité de l’eau).

Ces observations confirment donc que les légionelles sont des bactéries communes de l’environnement hydrique, y compris des eaux froides. Elles sont donc susceptibles de coloniser tous les milieux : eaux souterraines, eaux de surface, eaux en cours de traitement et eaux distribuées.

Pour autant, la signification sanitaire correspondant à la détection d’un signal génomique en PCR pour Legionella spp, quelle qu’en soit l’intensité, demeure inconnue pour deux raisons principales :

  • la méthode PCR détecte l’ADN des légionelles vivantes, à l’état libre, des légionelles intra-amibiennes ou du biofilm, mais aussi des légionelles mortes ayant conservé leur intégrité physique ;
  • une faible proportion seulement des Legionella spp (dont L. pneumophila) présente un pouvoir potentiel pathogène.

La méthode PCR peut donner une indication sur le degré de vulnérabilité d’un milieu à une contamination par les légionelles, sans relation directe avec un impact potentiel de santé publique associé à cette observation.

La détection d’unités génomiques de Legionella spp a donc été démontrée, sans relation avec des légionelles cultivables, mais avec des niveaux probablement comparables à ceux d’autres bactéries communes des environnements hydriques.

On ne peut donc considérer, en l’état des connaissances, que la détection des légionelles par PCR puisse constituer un outil pertinent pour le suivi de l’efficacité des filières de traitement à éliminer les microorganismes, ou pour le suivi de la stabilité biologique des eaux au cours de leur distribution avant compteur.

[Photo : Figure 2 : Évolutions sur le réseau de Legionella spp par PCR et de N15J]

Références bibliographiques

Arrêté du 19 juin 2000 du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, relatif « aux établissements thermaux ».

Charron M., Dejean G., Manetti A., Campese C., Jarraud S., Filleul L., 2005. « Investigation de cas groupés de légionelloses dans la commune de Soulac-sur-Mer, France, 2004 », BEH, n° 14/2005.

Circulaire DGS/VS4 n° 98-771 du 31 décembre 1998, relative « à la mise en œuvre de bonnes pratiques d’entretien des réseaux d’eau dans les établissements de santé et aux moyens de prévention du risque lié aux légionelles dans les installations à risque et dans celles des bâtiments recevant du public ».

Circulaire DPPR/SEI/BAMET/PG/NA du 23 avril 1999, relative « aux installations classées pour la protection de l’environnement : tours aéro-réfrigérantes visées par la rubrique 2920 (précédemment rubrique 361) et prévention de la légionellose ».

Circulaire DGS/SD7A/SD5C-DHOS n° 2002/243 du 22 avril 2002, relative « à la prévention du risque lié aux légionelles, dans les établissements de santé ».

Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France, CSHPF, 2001. Rapport « sur la gestion du risque lié aux légionelles ».

Gerba et al., 2003. Disinfection resistance of waterborne pathogens on the United States Environmental Protection Agency’s contaminant candidate list (CCL). J. of Water Supply: Research and Technology – Aqua, 52 (2): 81-84.

Jacangelo et al., 2002. Inactivation of waterborne emerging pathogens by selected disinfectants. Rapport de l’American Water Works Association Research Foundation, n° 90886.

Saby et al., 2003. Efficacité des traitements UV pour la désinfection des légionelles en eau potable. Second International Congress on Ultraviolet Technologies, Vienna, Austria, 9-11 July.

Van der Kooij D., 2004. Recent observations on presence and behaviour of Legionella in water installations. European Legionella Conference, Amsterdam, 28-29 September.

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