Dans le passé, la réalisation des ouvrages de drainage et de filtration était souvent délicate, car elle impliquait la mise en ?uvre d'un filtre granulaire, éventuellement formé de plusieurs couches de matériaux de granulométrie différente. L'utilisation des géotextiles, produits manufacturés, permet de simplifier la mise en ?uvre et la structure du dispositif filtrant. Elle donne également l'assurance de l'homogénéité des caractéristiques du filtre sur toute sa surface. Le suivi des ouvrages, ainsi que des prélèvements effectués sur les sites les plus anciens, apportent des informations intéressantes sur la durabilité des produits et sur la pérennité des systèmes de filtration intégrant les géotextiles.
Description du site
L’ouvrage de Valcros constitue un barrage homogène réalisé en sable silteux provenant de l’altération du massif schisteux constituant la fondation et les rives. Il présente une hauteur de 20 m et une longueur en crête de 140 m. Les parements amont et aval comportent des pentes identiques de 3/1 (figure 1).
Le parement amont avait été divisé en trois zones de largeur égale (figure 2), afin de tester trois types de protection. Dans la partie gauche (zone 1), figure un filtre traditionnel granulaire constitué de 15 cm de graviers de 6 à 40 mm. Au centre (zone 2), un géotextile d’un poids de 400 g/m² (grammes par mètre carré) avait été placé seul, fixé au sol par des épingles métalliques. La troisième zone (zone 3) est constituée d’une protection de 25 cm en enrochements posée sur un filtre géotextile non-tissé de 400 g/m² également (figure 2).
À l’aval, le drainage du barrage est assuré par 16 tranchées drainantes de 0,25 m² de section, reliées à un collecteur principal de 45 m de long et à un collecteur secondaire de 20 m. Le filtre qui protège les collecteurs et les tranchées est constitué d’un géotextile non-tissé aiguilleté de 300 g/m² (figure 3).
Campagne de 1976
En 1976, à l'initiative du concepteur Jean-Pierre Giroud, une visite du barrage a été décidée pour observer le comportement des géotextiles dans les différentes zones.
La partie centrale (zone 2) s’était rapidement détériorée ce qui démontrait que le géotextile ne peut être utilisé seul et qu'il se dégrade à la lumière. Cette partie a été reconstruite en 1977 en adop-
Mécanisme de la filtration par géotextile
Le géotextile utilisé en filtration remplit une double fonction : • retenir les particules fines du sol en contact avec le filtre • laisser passer l’eau
Or, un géotextile trop ouvert ne retient pas le sol et un géotextile trop fermé risque, au contraire, de se colmater. Des études menées à l’IRIGM montrent que ce colmatage se produit d’autant plus facilement que le géotextile est mince ; en effet, dans ce cas (épaisseur < 1 mm, type thermolié ou tissé), il se produit une accumulation de particules fines en surface, ce qui forme une croûte appelée “gâteau” à très faible perméabilité. Avec les non-tissés aiguilletés, plus souples et plus épais, les particules sont retenues dans leur épaisseur, ce qui n’entraîne pas de réduction significative de leur perméabilité (figure 5). L’eau peut ainsi circuler librement.
Pour fonctionner correctement, le filtre géotextile doit en outre retenir le squelette du sol (diamètre > d85). Pour cela, une grande souplesse lui est indispensable afin de permettre une parfaite conformation au sol. Les non-tissés aiguilletés présentent sur ce point un avantage évident par rapport aux tissés et thermoliés, en évitant la création de zones non comprimées qui facilitent la mise en suspension des particules fines et la formation d’un “cake” colmatant.
Tant le système utilisé dans la zone 3. Par contre, aucun désordre n’a été constaté sur les autres zones. Des échantillons ont été prélevés sous les enrochements du parement amont de la zone 3 et à l’aval autour du drain. Les caractéristiques des géotextiles prélevés furent comparées à celles du produit neuf.
À la suite de cette campagne, des informations importantes ont été tirées : • le géotextile ne doit pas rester durablement exposé au rayonnement ultraviolet, car il perd peu à peu toute sa résistance. Par contre, dans le sol, il conserve ses propriétés mécaniques. Les pertes éventuelles sont dues aux agressions subies lors de la mise en œuvre ; • le géotextile utilisé autour du drain aval présentait une perméabilité pratiquement identique à celle du géotextile propre ; • le géotextile situé à l’amont avait vu sa perméabilité divisée par dix, mais elle restait toujours cent fois plus perméable que le sol. Cela ne mettait pas en cause le bon fonctionnement de l’ouvrage.
Campagne de 1992
En 1992, une nouvelle campagne a été menée conjointement par le producteur de géotextile et l’IRIGM, Laboratoire de Géologie et de Mécanique de l’Université de Grenoble. Comme en 1976, des échantillons ont été prélevés à l’amont sous les enrochements et à l’aval au niveau du drain principal.
À l’amont, le géotextile a été prélevé dans la zone 3 du parement. À l’aval, une fouille de 4 m de profondeur et d’une surface de 4 m sur 3 m a été réalisée pour atteindre le collecteur. Des échantillons ont été prélevés à la partie supérieure du drain, dans une zone de recouvrement et, en partie basse, sous le gravier drainant. On remarque des empreintes importantes des graviers du drain (graviers concassés) sur le géotextile (figure 3). Lors de la rédaction du cahier des charges, il est donc nécessaire de tenir compte de l’endommagement que peut subir le géotextile, en imposant des caractéristiques mécaniques minimales qui lui permettent de résister aux contraintes de mise en œuvre et d’assurer correctement sa fonction de filtration.
Mesures et analyses
Deux types d’analyses ont été effectuées en laboratoire sur la base d’essais mécaniques ou hydrauliques.
Les essais de traction ont montré que la résistance n’a pas ou peu évolué depuis 1976 (figure 4).
Les essais hydrauliques ont porté en particulier sur la perméabilité (permittivité), l’ouverture de filtration et le taux de pollution.
En ce qui concerne les prélèvements sur le drain aval, on a constaté que le taux de pollution est très faible (poids de sol dans le géotextile / poids de l’échantillon < 4,5 %). Les débits mesurés à l’aval du ...
Tableau I
Sol | Caractérisation | C2 |
---|---|---|
cohérent | d ≥ 95 % de dOPN | 1,25 |
d < 95 % de dOPN | 0,80 | |
non cohérents sables et graviers propres | ID ≥ 50 % | 1,25 |
ID < 50 % | 0,80 |
Les débits mesurés à la sortie du drain en 1992 sont analogues à ceux enregistrés en 1976. L’eau sortant du drain est également claire et aucun suintement n’a été observé sur la partie aval du barrage, ce qui indique un fonctionnement correct du système de drainage.
À l’amont, on distingue une différence de comportement suivant que le géotextile était placé sous un bloc ou entre les blocs. La masse de sol retenue est plus forte, en raison du dépôt progressif de terre végétale entre les enrochements. Par contre la perméabilité varie assez peu selon l’emplacement considéré et n’a pratiquement pas non plus évolué dans le temps. On obtient une valeur moyenne de 3 mm/s alors que la perméabilité mesurée en 1976 était de 1,7 mm/s sous 10 kPa.
L’ouverture de filtration, mesurant la taille des particules les plus fines retenues par le géotextile, est comparable à celle du produit neuf fabriqué en 1992 : 73 µm contre 95 µm.
Bilan des expérimentations
Cette campagne a donc confirmé les observations de 1976 malgré plus de vingt ans de fonctionnement du dispositif en tant que filtre.
La comparaison des caractéristiques des échantillons prélevés en 1992 avec celles mesurées en 1976 montre que le géotextile n’a pas subi de changement de comportement depuis sa mise en place. Un géotextile placé à l’abri des UV conserve donc ses propriétés mécaniques et hydrauliques.
En protection à l’amont, aucune forme d’érosion n’a été constatée, prouvant par là même l’efficacité du géotextile en matière de filtration.
Grâce à ces différentes observations, on peut conclure que le comportement dans le temps des géotextiles utilisés comme éléments filtrants peut être désormais bien maîtrisé, sous réserve qu’un dimensionnement correct soit effectué.
Références bibliographiques
Farkouh B. (1994) : « Le filtre géosynthétique dans les ouvrages de drainage : essais de laboratoires et observations in situ », thèse de l’Université de Grenoble.
Delmas Ph., Nancey A., Faure Y.H., Farkouh B. (1992) : « Comportement à long terme d’un géotextile non-tissé dans un barrage de plus de 21 ans », Colloque « Rencontres 93 », Tours, pp. 305-309.