La France est depuis longtemps convaincue que le droit à l'eau est un droit de l'homme. En 2007, la Commission nationale consultative sur les droits de l'homme plaidait pour ?une résolution par laquelle l'accès à l'eau potable et à l'assainissement serait reconnu comme un droit fondamental bénéficiant, au niveau international, de la même protection que les autres droits indispensables à la mise en ?uvre du ?droit à un niveau de vie suffisant'. Une Résolution a finalement été adoptée en juillet 2010 par l'Assemblée générale des Nations unies qui a reconnu que le droit à l'eau potable et à l'assainissement est un droit de l'homme. En septembre 2010, le Conseil des droits de l'homme confirmait cette évolution. L?objet de cet article est d'analyser les effets probables de cette Résolution de l'ONU au niveau international, au niveau européen et au niveau national. En effet, le droit à l'eau est devenu en France un droit de l'homme opposable.
L’objet de cet article est d’analyser les effets probables de cette Résolution de l’ONU au niveau international, au niveau européen et au niveau national. En effet, le droit à l’eau est devenu en France un droit de l’homme opposable.
Depuis une dizaine d’années, la reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement était un sujet de désaccord au plan international, les États-Unis et le Canada utilisant tous les procédés possibles pour empêcher que ce sujet ne figure dans des déclarations officielles, comme, par exemple, lors des sessions ministérielles du Forum mondial de l’eau. À Istanbul, en mars 2009, alors que les ministres en avaient longuement parlé, pas un mot sur le droit à l’eau dans leur déclaration finale, pas même pour le signaler. Cette censure imposée par une petite minorité d’États était devenue intolérable.
Il a fallu que la Bolivie et 36 pays en développement d’Afrique, d’Amérique, d’Asie et d’Océanie s’unissent pour rompre le silence imposé par la règle du consensus et décident d’inscrire le sujet à l’ordre du jour.
rel Leconte
De l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) pour que les masques tombent. Dorénavant, l’on sait quel État est pour ce droit et quel État ne veut pas le soutenir. Le 28 juillet 2010, les États se sont exprimés par un vote portant sur une Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies intitulée “Le droit fondamental à l'eau et à l’assainissement” qui « reconnaît que le droit à l'eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme » (le texte original anglais est légèrement différent et se réfère au « right to safe and clean drinking water and sanitation as a human right », A/RES/64/292, version du 3 août 2010).
Cette résolution particulièrement brève et claire a été adoptée par 122 États avec 41 abstentions et aucune opposition. Elle a été qualifiée “d’avancée historique” par Chantal Jouanno puisqu’aucun traité de portée mondiale ni même aucun texte de “soft law” voté par les États dans un cadre mondial ne s’était prononcé de manière aussi nette. Non seulement le droit à l’eau est un droit de l'homme mais il en est de même du droit à l’assainissement.
La portée “historique” de cette résolution est due au fait que pendant une dizaine d'années, les instances mondiales au niveau des États n’ont pas été en mesure de reconnaître le droit à l'eau alors qu’elles l'avaient reconnu au plan mondial en 1994 (Déclaration du Caire), 1996 (Habitat, Déclaration d'Istanbul) et 1999 (Résolution A/RES/54/175). Dès 1992, dans la Déclaration de Dublin sur l'eau et le développement durable, les experts des États s’étaient accordés sur « the basic right of all human beings to have access to clean water and sanitation at an affordable price ».
Malgré le vote de l'AGNU, certains États ont continué à marquer leur opposition à la reconnaissance du droit à l'eau et à l’assainissement mais, au final, le Conseil des droits de l'homme a adopté sans vote le 30 septembre 2010 une résolution intitulée “Les droits de l'homme et l'accès à l'eau potable et à l’assainissement” (A/HRC/15/L.14). L’événement le plus marquant a été le fait que les États-Unis ont cessé leur opposition systématique à ce droit. Il ne restait plus que le Royaume-Uni pour se dissocier du consensus car il ne reconnaît toujours pas le droit de l'homme à l’assainissement. Par ailleurs, on notera que le droit de l'homme à l'eau et à l’assainissement était déjà explicitement reconnu dans trois cadres régionaux (Afrique, Amérique, Ligue arabe). Pour la Cour interaméricaine des droits de l'homme, le droit à la vie inclut le droit à vivre dans la dignité, ce qui implique la satisfaction de certains besoins essentiels. Pour la Commission africaine, le droit à l'eau est rattaché au droit à la santé et au droit à un environnement satisfaisant. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme a abordé le droit à l'eau et à l’assainissement à travers la violation de divers articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, elle n’a pas encore reconnu explicitement le droit à l'eau qui ne figure d’ailleurs pas en tant que tel dans cette Convention de 1950.
Effets de la Résolution de l'ONU
La Résolution de l'ONU sur le droit fondamental à l’eau (A/RES/64/292) est une résolution importante appelée à une certaine notoriété. Son adoption a été saluée comme une avancée par les États, les milieux professionnels, les Églises, les ONG, etc. Elle répond à la déception générale enregistrée lors du Forum mondial de l'eau à Istanbul en 2009. Ce texte, qui n’a aucun caractère contraignant, ouvre la voie à de nouveaux progrès dans la lutte contre la pauvreté. Il encouragera les gouvernements à redoubler d’effort pour que le droit à l'eau et à l’assainissement devienne une réalité.
Lors du débat sur cette résolution en juillet 2010 à l'ONU, le représentant de la Bolivie a déclaré : « El agua potable y el saneamiento no son solamente elementos o componentes principales de otros derechos como “el derecho a un nivel de vida adecuado”. El derecho al agua potable y al saneamiento son derechos independientes que como tal deben ser reconocidos ». Pour la Bolivie, le droit à l'eau et à l’assainissement est un droit de l'homme sur le même pied que les autres droits de l'homme et non pas un droit dérivé d’un droit de l'homme particulier (comme le droit à un nivel de vida suffisant).
Le Conseil des droits de l'homme a adopté sans vote en septembre 2010 une nouvelle résolution sur “Les droits de l'homme et l’accès à l'eau potable et à l’assainissement” dans laquelle il a tenu compte des avancées de l’Assemblée générale des Nations unies. On notera que ce nouveau texte a réuni un consensus, ce qui constitue une nouvelle avancée dans ce domaine. De plus, selon le Conseil des droits de l'homme, le droit à l’eau et à l’assainissement découle du droit à un niveau de vie suffisant et doit donc être considéré comme un droit économique et social au même titre que le droit à l’alimentation.
Effets au plan international
a) Position des pays lors du vote à l'ONU
Aucun pays n’a pris position contre le droit
À l'eau et à l’assainissement en tant que droit de l'homme et une forte majorité de 122 pays s'est dégagée pour reconnaître explicitement ce droit. Parmi eux, on compte de très nombreux pays en développement dont la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie, le Brésil, l'Argentine, le Mexique, l'Afrique du Sud, des pays industrialisés comme l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, la Finlande, l'Italie, la Norvège, le Portugal, la Suisse et des pays de l'Est européen comme la Belarus et la Russie.
En revanche, il y a eu 41 pays « réticents » qui se sont réfugiés dans l'abstention. Le nombre d'abstentions aurait sûrement été plus faible si les initiateurs de la Résolution avaient pris plus de temps pour améliorer leur texte et si les opposants n'avaient pas pratiqué des tactiques dilatoires.
Se sont abstenus notamment les pays industrialisés de « common law » tels que les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l'Irlande, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, Chypre et Malte, des pays en développement de « common law » comme le Botswana, le Guyana, le Kenya, le Lesotho, la Tanzanie, Trinité-et-Tobago ainsi que la Zambie. D'autre part, 15 pays de l'Europe de l'Est dont 11 nouveaux pays membres de l'Union européenne sur 12, l'Autriche, le Danemark, la Grèce, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède, le Japon, la Corée et quelques pays en développement se sont abstenus. On constate que l'Union européenne n'est pas parvenue à défendre une position commune sur ce sujet car de nombreux pays de l'Union ont tenu à soutenir l'initiative bolivienne.
La différence essentielle entre les deux groupes de pays est que les abstentionnistes étaient généralement favorables à la reconnaissance d'obligations des États ou d'objectifs souhaitables pour les États mais surtout pas de droits dont les personnes pourraient se prévaloir contre les États. Ils admettent l'existence du droit à l'alimentation mais pas celui du droit à l'eau. Ils défendent le droit à l'eau au plan interne mais pas au plan international. Ils reconnaissent l'existence d'un besoin humain essentiel d'eau et d'assainissement mais refusent de reconnaître le moindre droit à ce sujet. Ils acceptent que la charité soit une obligation morale mais considèrent que l'indigence ou la misère n'ouvrent aucun droit. Ils craignent que la reconnaissance du droit à l'eau ne signifie la reconnaissance d'une obligation internationale nouvelle, par exemple de financer les points d'eau et les latrines des pays en développement.
Nul doute que certains États abstentionnistes se posent des questions sur la légitimité de leur position et l'incohérence entre la reconnaissance au plan international du droit à l'alimentation ou à la santé comme droit de l'homme et le refus de reconnaissance du droit à l'eau. Le Royaume-Uni, qui a joué un rôle important pour contrer l'adoption de la Résolution de l'ONU, a déclaré. Cette opinion est restée tout à fait minoritaire. Si elle était valable, il faudrait attendre très longtemps avant que le droit à l'eau ne soit finalement reconnu comme un droit de l'homme dans un accord international au niveau mondial, par exemple un Protocole mondial sur le droit à l'eau.
b) Portée de la Résolution
La Résolution de l'ONU a une grande importance au plan politique car elle reconnaît sans détour, ni restriction que le droit à l'eau potable et à l'assainissement est un droit de l'homme comme tous les autres droits de l'homme. Le texte adopté par des États précise que ce droit est essentiel pour le plein exercice de tous les droits de l'homme et ne crée pas un nouveau droit de l'homme ex nihilo. Il associe étroitement l'eau potable et l'assainissement, ces deux aspects étant mis sur un pied d'égalité. Finalement, il faut noter qu'il se réfère au droit à l'eau potable et pas au droit d'accès à l'eau potable, qui a parfois un sens plus restreint.
Grâce à ce vote de l'Assemblée générale des Nations unies (AGNU), il ne sera plus possible de mettre en doute que ce droit fait partie des droits de l'homme ou d'observer que ce droit n'a jamais été reconnu au niveau mondial par une instance représentative des États. Ce vote n'est pas une surprise car il avait été précédé au cours des dix dernières années par l'adoption de nombreuses déclarations ministérielles favorables au droit à l'eau. Presque tous les États avaient déjà soutenu ce droit dans plusieurs cadres où ne siégeaient ni les États-Unis, ni le Canada. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'il y ait eu une majorité aussi forte à l'ONU pour le soutenir. Sans l'action déterminée des pays en développement inspirée par la Bolivie, on en serait toujours à discutailler sur le contenu de ce droit au lieu de reconnaître son existence.
Le vote de la Résolution de l'ONU a eu pour premier effet de faciliter les débats au Conseil des droits de l'homme sur le droit à l'eau et à l'assainissement et de mettre l'accent sur les aspects concrets de sa mise en œuvre. Il aura aussi très probablement des effets positifs sur les décisions d'investissement des États dans le secteur de l'eau. Les municipalités sans accès à l'eau ou sans assainissement devraient pouvoir mieux défendre leurs dossiers auprès des autorités supérieures et celles-ci seront inci-
Les mesures prises à augmenter les crédits pour améliorer l'accès à l'eau et à l'assainissement sont désormais reconnues comme un droit de l'homme. Les arbitrages ne se feront plus autant en faveur du commerce (routes et communication) plutôt que de la santé et des intérêts économiques au détriment des intérêts humains. Comme le disait Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau, « l'eau potable doit passer avant le téléphone portable ».
Sur un plan juridique, la résolution de l'ONU n’est pas juridiquement obligatoire, même pour les États qui l’ont adoptée. Pour que le droit à l'eau ait un statut juridique tout à fait équivalent à celui, par exemple, du droit à la nourriture, il faudrait adopter un nouveau traité ou amender, compléter ou interpréter un traité en vigueur selon les procédures prévues à cette fin. La tâche risque d’être longue mais pourrait être engagée par l'adoption d'une nouvelle résolution en faveur de ce processus. L’interprétation donnée par le Conseil des droits de l’homme est très importante (et évidente pour tous les spécialistes des droits de l’homme) mais ne s'impose à aucun État car ce Conseil n’a pas reçu le mandat d’interpréter le Pacte.
L'adoption de la résolution de l’ONU renforcera la possibilité d’invoquer ce droit comme étant un droit de l’homme en cas de contentieux. Dans l'avenir, les tribunaux compétents pour mettre en œuvre les accords régionaux de droits de l’homme (Afrique, Amérique, Europe, Ligue arabe) ne manqueront pas de faire référence à cette résolution s’ils sont appelés à se prononcer sur une affaire de manque d’eau ou d’assainissement. Au plan national, les tribunaux n’auront plus d’hésitations à considérer que le droit à l'eau fait partie du droit à un niveau de vie satisfaisant inscrit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que 160 États sur 192 sont tenus d’appliquer. Les autres États, dont les États-Unis, ne sont pas tenus par une résolution interprétative d’un droit qu’ils ne reconnaissent même pas.
Par ailleurs, la reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement signifiera que, dans l'avenir, tous les pays examinés par le Comité des droits de l’homme risquent d’être critiqués s'ils ne respectent pas le droit à l'eau potable et à l’assainissement. Ainsi, en juillet 2010, Israël a été critiqué par ce Comité pour ne pas avoir autorisé la construction d’infrastructures pour l’accès à l'eau et à l’assainissement dans les territoires occupés et pour avoir relâché des eaux usées vers ces territoires. Le fondement juridique de cette critique est le non-respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans l'avenir, il en sera de même pour les pays qui n’auront pas mis en place un accès suffisant à l'eau potable ou à l’assainissement pour leurs populations autochtones ou marginalisées. Déjà, l’experte indépendante chargée des questions d’accès à l'eau, Mme C. de Albuquerque, a relevé des manquements en Slovénie et au Japon du fait d’une discrimination entre les services disponibles pour des groupes différents de population.
Sur le plan diplomatique, la résolution de l’ONU a permis de ne pas rouvrir le débat sur le fait que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme. Aussi le Conseil des droits de l’homme a-t-il affirmé dans une résolution adoptée par consensus le 30 septembre 2010 que « le droit fondamental à l'eau potable et à l’assainissement (en anglais : human right to safe drinking water and sanitation) découle du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est inextricablement lié au droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, ainsi qu’au droit à la vie et à la dignité (en anglais : human dignity) ». Comme le droit à un niveau de vie suffisant fait partie des droits économiques et sociaux inclus dans le Pacte international, il en résulte que le droit à l’eau et à l’assainissement est devenu un droit reconnu au même titre que les autres droits économiques et sociaux. Toutefois, il serait bon de confirmer cette évolution ou interprétation par l'adoption d’un instrument juridiquement obligatoire. L’adoption de cette résolution est une étape importante mais de nouveaux travaux sont nécessaires. En particulier, le Conseil des droits de l’homme a demandé à l'experte indépendante « de clarifier encore la teneur des obligations relatives aux droits de l'homme, y compris en matière de non-discrimination, qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ». Il faudra notamment préciser ce que ce droit implique concrètement et comment il doit être mis en œuvre. Ceci est particulièrement nécessaire puisque la délégation du Royaume-Uni a affirmé qu'il manquait une définition du droit à l'assainissement qui serait adoptée au niveau international. La position anglaise n’est pas sans fondement car le droit à l'assainissement, s'il est bien défini en Europe (droit communautaire et protocole de Londres), est particulièrement flou au plan mondial. À titre d’exemple, existe-t-il un droit de l’homme à des toilettes ou des latrines ?
Effets au plan européen
Le vote positif de l’AGNU concernant le droit à l’eau avait été précédé en mars 2010 par l’adoption au niveau européen d'une déclaration du Conseil des ministres de
L'Union européenne sur ce sujet.
Les 27 États membres avaient reconnu d'une certaine manière le droit à l'eau potable et à l'assainissement mais sans le dire expressément et surtout en ne déclarant pas qu'il s'agit d'un droit de l'homme. Ils ont seulement déclaré que « L'Union européenne estime que les obligations en matière de droits de l'homme relatives à l'accès à l'eau potable et à l'assainissement sont étroitement liées aux droits de l'homme tels que le droit au logement, à l'alimentation et à la santé ». En revanche, ils ont affirmé que l'accès à l'eau potable « fait partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant ».
Admettre que l'accès à l'eau fait « partie intégrante » de ce droit a eu pour effet de reconnaître au droit à l'eau le même statut que le droit à l'alimentation, un autre droit qui fait aussi partie intégrante de ce droit inscrit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié par tous les 27 États membres. Dorénavant, du fait de cette interprétation par les États eux-mêmes (et non par des experts élus), les États membres devront mettre en œuvre le droit à l'eau tout autant que les autres droits inclus dans ce Pacte (logement, alimentation, santé, etc.). Ceci est vrai même pour les États membres qui se sont abstenus à New York mais ne s'applique pas au droit à l'assainissement.
Pour ce qui est de l'assainissement, le texte de la Déclaration du Conseil des ministres fait seulement référence à des obligations et non à des droits. On ne s'étonnera donc pas que les 27 États membres se soient divisés lors du vote à l'ONU et que la plupart des pays de l'Est européen se soient abstenus de reconnaître le droit à l'assainissement. On pourrait toutefois s'interroger sur la question de savoir si l'obligation d'assainissement qui figure en droit communautaire n'implique pas aussi un droit à l'assainissement pour les citoyens des zones où l'assainissement est obligatoire. Les citoyens européens n'auraient-ils pas droit à bénéficier de la mise en œuvre des obligations du droit communautaire ? Selon une étude juridique récente portant sur 16 pays (voir Henri Smets, « L'accès à l'assainissement, un droit fondamental », Éditions Johanet, Paris, 2010), il existe bel et bien au plan national un droit à l'assainissement même si le terme est peu usité.
Au plan international, ce droit apparaissait déjà dans la Déclaration du Caire (1994) adoptée par 177 États selon laquelle « Les individus ont droit à un niveau de vie suffisant pour eux-mêmes et leur famille, y compris une alimentation, des vêtements, un logement, un approvisionnement en eau et un système d'assainissement adéquats ».
Le droit à l'eau et à l'assainissement sera sans doute un jour évoqué devant la Cour européenne des droits de l'homme, probablement dans des affaires concernant les pays de l'Europe de l'Est où ce droit n'est pas toujours en vigueur. Déjà, cette Cour a eu une attitude très positive dans des cas où l'environnement n'était pas protégé et où la dignité humaine n'était pas assurée (absence de toilettes). Si une violation grave du droit à l'eau ou du droit à l'assainissement faisait l'objet d'un arrêt de la Cour, il paraît vraisemblable que cette Cour tiendra compte de la Résolution de l'ONU ou de celle du Conseil des droits de l'homme.
Effets au plan national
Pour l'essentiel, c'est au niveau national que sera mis en œuvre le droit à l'eau et à l'assainissement. Le droit invoqué sera principalement le droit interne, ce qui devrait inciter les Parlements à prolonger la reconnaissance internationale du droit à l'eau par des mesures concrètes et des dispositions de droit interne. Certains pays ont choisi d'adopter de nouvelles lois, d'autres de modifier leur constitution. Ainsi le Kenya a introduit le droit à l'eau et à l'assainissement dans sa constitution de 2010. Au Sénégal, un code de l'assainissement a été adopté en 2009 en complément au code de l'eau. Au Niger, un code de l'eau a été adopté en 2010.
Les résolutions de l'ONU et du Conseil des droits de l'homme ouvrent la voie pour consacrer un véritable droit à l'eau potable et à l'assainissement et le transformer progressivement en un droit justiciable. En particulier, le Conseil des droits de l'homme a demandé aux États :
« a) D'élaborer les outils et mécanismes appropriés, qui peuvent consister en des mesures législatives, des stratégies et plans généraux pour ce secteur, y compris à caractère financier, pour atteindre progressivement le plein respect des obligations en matière de droits de l'homme qui concernent l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, notamment dans les régions actuellement non desservies ou mal desservies ;
b) D'assurer la totale transparence de la procédure de planification et de mise en œuvre dans la fourniture d'eau potable et de services d'assainissement ainsi que la participation active, libre et authentique des communautés locales concernées et des parties prenantes intéressées ».
En Europe, le Parlement européen et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ont demandé aux États européens de reconnaître le droit à l'eau au niveau international. Il appartient désormais aux mêmes parlementaires d'être cohérents avec leurs propres déclarations et de promouvoir l'adoption au plan national des dispositions législatives nécessaires à sa mise en œuvre.
Dans le cas de la France où le droit à l'eau et à l'assainissement est déjà mis en œuvre sur une vaste échelle, il reste encore à agir pour améliorer l'accès dans certaines situations marginales et pour renforcer la trans-
parence de l'information et la participation des parties prenantes intéressées. Le Parlement aura un rôle essentiel à jouer en adoptant de nouvelles mesures législatives et des mécanismes de financement associés. Au plan juridique, cette Résolution de l'ONU n’aura pas d’effets car les tribunaux français sont indifférents aux textes internationaux imprécis, surtout ceux qui n’ont pas de caractère contraignant.
Au plan diplomatique, la France « soutient la poursuite des travaux sur ce sujet, notamment au Conseil des droits de l'Homme, en vue de la mise en œuvre effective de ce droit par chaque État ». L'idéal consisterait à montrer la voie à suivre en la pratiquant soi-même au niveau interne. En particulier, il faudra adopter sans délai les dispositions législatives nécessaires à la mise en œuvre de la disposition législative sur le prix abordable de l’eau incluse dans la LEMA en 2006 (voir les propositions de loi présentées par le Sénateur Cambon et par le Député Flajolet). Le Parlement français sera invité prochainement à adopter des dispositions législatives destinées à corriger les inégalités sociales et territoriales en matière de droit à l'eau.
Sans attendre une nouvelle loi, des progrès pourront être accomplis au niveau des municipalités. Ainsi, la Ville de Paris a dégagé des aides pour que les dépenses des ménages pour l'eau restent d'un niveau acceptable même pour les plus démunis. Les réseaux de points d’eau gratuite ont été améliorés et des réseaux de toilettes publiques gratuites et modernisées ont été mis en place (l’étude de cas sur Paris vient d’être publiée par l’Académie de l'Eau). Dans d’autres cas, des municipalités ont instauré un tarif réduit pour les premiers mètres cubes ou pour certaines catégories d’usagers, d’autres ont créé un fonds de solidarité. Mais ces exemples sont encore trop peu nombreux et il faudra aussi penser à la mise en œuvre du droit à l'eau à l'outre-mer.
Conclusions
Les votes de la Résolution de l'ONU et de celle du Conseil des droits de l'homme constituent un grand pas en avant vers la consécration internationale du droit à l'eau potable et à l'assainissement comme droit de l’homme. Il reste cependant à confirmer ce premier pas en prenant au niveau national des mesures concrètes pour que ce droit devienne une réalité.
Tout d’abord, il conviendra de préciser qui décidera des mesures de mise en œuvre et qui aura à en supporter le coût. Les conseils généraux et municipaux auront probablement un grand rôle à jouer pour choisir les mesures à prendre et les mettre en œuvre en France.
Si le Parlement français considère véritablement que le droit à l’eau et à l'assainissement est un droit de l’homme, il pourrait adopter des dispositions générales représentatives d’un droit de l'homme et ne pas se contenter de définir quelques mesures particulières.
Ainsi, il pourrait préciser qu’en matière de débranchement de la distribution d’eau : « Nul ne peut être privé d’une quantité d’eau potable suffisante pour satisfaire ses besoins essentiels sauf dans les cas prévus par la loi et en exécution d'une sentence définitive prononcée par un tribunal ».
Une telle disposition n’a rien d’extraordinaire puisqu’elle est déjà en vigueur dans plusieurs pays européens. La loi française pourrait prévoir que les coupures d'eau (débranchements) en cas d’impayés sont permises dans les résidences secondaires ou inhabitées et les installations à des fins professionnelles mais qu’elles sont interdites pour une résidence principale si l'usager est titulaire de minima sociaux. Elle pourrait aussi autoriser les restrictions de débit en cas d’impayés.
Concernant le cas des personnes sans domicile fixe et les populations vulnérables, il pourrait préciser que : « Chaque municipalité de plus de 2000 habitants met gratuitement à disposition des personnes des distributeurs d’eau potable pour la boisson ».
Cette disposition répond aux vœux des associations caritatives et du Conseil d’État (L'eau et son droit, 2010) ; elle vise les bornes-fontaines et points d’eau de boisson qui devraient être maintenus et même généralisés. Le financement de ces points d’eau serait à charge des municipalités. Les distributeurs payants de bouteilles d’eau relèvent d'une autre logique.
En matière d’assainissement, il faudrait adopter une disposition qui instaure un droit d’accès alors que jusqu’ici il y avait surtout des obligations. On pourrait prévoir, par exemple, que : « Nul ne peut être privé de l'accès aux réseaux existants d’assainissement collectif ».
Ce texte vise à interdire les refus de branchement à des égouts existants ou les suppressions de branchement. Il faudra aussi débattre des subventions pour la mise aux normes de l'assainissement individuel qui risque d’être inabordable pour des personnes démunies.
On pourrait aussi envisager de traiter des toilettes publiques qui sont très rares dans certains quartiers et dont l’absence aboutit à des incivilités. On pourrait prévoir, par exemple, que : « Chaque municipalité de plus de 2000 habitants crée et gère des toilettes publiques dans les espaces où elles sont particulièrement nécessaires ». L'usage de telles toilettes pourrait, le cas échéant, être soumis au paiement d’une faible participation aux frais. Il n’est pas normal que dans certaines municipalités, les seules toilettes publiques soient situées sur les aires d'accueil des gens du voyage.
Au plan international, les débats sur le droit à l'eau et à l'assainissement ne sont pas terminés avec l'adoption de la Résolution de l'ONU et celle du Conseil des droits de l'homme.
Il manque une Observation générale ou un texte équivalent sur l’assainissement qui prenne en compte la diversité des situations locales. Il manque aussi un début de définition du contenu exact du droit à l’eau ainsi que du droit à l’assainissement, sous forme de quelques lignes utilisables dans une loi nationale sur le sujet.
Au plan politique, il manque une déclaration qui confirme la volonté des États de prendre rapidement dans leur juridiction des mesures concrètes pour améliorer l'accès à l'eau potable et à l’assainissement pour tous et qui détaille les mesures à prendre, y compris leurs aspects financiers, pour que l’accès à l'eau et à l'assainissement devienne un droit opposable et pas seulement un objectif politique.
Les débats qui auront lieu à Marseille lors du Sixième Forum mondial de l'eau devraient permettre de progresser dans la voie d'une mise en œuvre de ce droit qui reste à concrétiser dans de nombreux cas. Il sera nécessaire d'adapter les lois de chaque pays pour y inclure des dispositions qui précisent les droits dont les citoyens pourront se prévaloir.