S'il est notoirement reconnu aux Français la première place dans la consommation de vin, on sait moins qu’ils détiennent aussi le record mondial de production et de consommation d’eaux embouteillées.
Dans les hypermarchés, le chiffre d’affaires au mètre linéaire de rayonnage fait des eaux embouteillées plates le produit le plus rentable (environ 20 000 F de C.A. mensuel par m.l.). On trouve en moyenne de huit à dix marques proposées dans les grandes surfaces : le consommateur sait-il faire la différence ? Lorsqu’au restaurant nous souhaitons une eau embouteillée nous demandons « une eau minérale », mais toutes les eaux embouteillées ont-elles droit à ce titre ?
DEFINITIONS
La mise à disposition collective de l’eau de consommation peut se faire soit par réseaux publics ou privés soit par récipients, tels les citernes (en l'absence de réseau ou en cas d’urgence), ou encore les diverses formes (gobelets, boîtes, bouteilles) en métal, plastique, carton ou verre et de capacité plus ou moins importante. Dans ce cas la dénomination d’eaux conditionnées est mieux adaptée et moins restrictive que celle d'eau embouteillée ; tel devrait être le titre de cet exposé...
Afin de ne pas nous entraîner d’emblée dans une étude comparée des textes réglementaires, d’ailleurs en pleine révision, je me référerai dans un premier temps à la réglementation française antérieure aux Directives européennes du 15 juillet 1980 (80/777 et 778), laquelle distingue quatre catégories d’eaux conditionnées : de table, de source, minérale et gazéifiée.
Les eaux de table sont des eaux qui peuvent subir un traitement avant d’être mises en bouteille, après avis du conseil départemental d’Hygiène et autorisation du préfet du département qui en fait assurer la surveillance par le laboratoire départemental. Le traitement peut être une désinfection. Dans ce cas, l’eau de table ne sera rien de plus qu’une eau de robinet vendue en bouteille. Elle peut d’ailleurs provenir d’un réseau de distribution publique (Ar. du 10-8-1961).
Les eaux de source conditionnées proviennent d’une nappe souterraine. Elles doivent être potables à l’état naturel et mises en bouteilles directement, sans traitement préalable, ce qui implique une attention particulière sur l’origine, la fiabilité et la protection de la ressource. Ces aspects sont appréciés par l’Hydrogéologue agréé et le C.D.H. avant obtention de l'autorisation préfectorale d’embouteiller. La qualité de l'eau et les conditions d’embouteillage sont contrôlées par la D.D.A.S.S., les analyses étant effectuées par le laboratoire départemental agréé. L’étiquetage ne doit pas faire référence à un quelconque effet favorable sur la santé.
Les eaux minérales naturelles qui ne sont au plan réglementaire ni des médicaments ni des produits diététiques, (chacune de ces catégories ayant sa propre législation), sont douées de propriétés thérapeutiques ; leur exploitation relève du ministère de la Santé après avis de l'Académie de Médecine. Leur captage est contrôlé et surveillé par le Service des Mines, comme le sont les travaux d’adduction pour amener l’eau au point d’utilisation et d’embouteillage. Ces eaux sont bactériologiquement saines. Leur composition physicochimique est constante ; elles n'ont pas à répondre aux critères physicochimiques de potabilité, leur but n’étant pas d’être potables, mais d’avoir des effets thérapeutiques. Les eaux minérales ne peuvent subir d’autre traitement qu'une déferrisation et éventuellement une regazéification au gaz naturel de la source après déferrisation. L’incorporation de gaz ne provenant pas du gîte hydrominéral est en effet un traitement qui n’est pas autorisé par la réglementation française des eaux minérales. Les eaux minérales gazeuses le sont donc naturellement**.
Les dénominations contenant le mot « gazéifié » sont réservées aux eaux potables rendues gazeuses par addition de gaz purs et dont la fabrication ne peut avoir lieu sans autorisation du préfet (déc. 12-1-1922).
Telle est la terminologie française actuelle des eaux conditionnées.
LA REGLEMENTATION EUROPEENNE
Deux directives importantes ont été publiées le 15 juillet 1980 : la directive 80-777 relative aux eaux minérales naturelles et la directive 80-778 relative aux eaux destinées à la consommation humaine, dont relèvent les eaux conditionnées non minérales.
La Directive CEE 80-777
Les États membres de la Communauté Économique Européenne disposant de législations différentes pour les eaux minérales, il existait des entraves à la libre circulation de ces eaux entre les pays et des conditions de concurrence inégales. L’objectif de la directive était donc d’obliger les États membres à admettre sur leurs territoires la commercialisation d’eaux minérales reconnues comme telles par d’autres États membres. En conséquence elle édicte des règles communes applicables à ces eaux.
Cette directive sur les eaux minérales naturelles concerne exclusivement les eaux embouteillées destinées à la consommation courante et ne vise donc ni celles utilisées en cures dans les établissements thermaux, ni celles vendues comme produits pharmaceutiques. Elle a demandé une très longue préparation (la première proposition de la Commission des Communautés remonte à 1970) en raison, notamment, des différences entre les statuts juridiques, les critères de qualification ou les procédures de reconnaissance des eaux minérales dans les pays de tradition germanique et dans ceux de tradition latine.
Pour les premiers, les eaux minérales se caractérisent par une certaine teneur en sels ou en gaz (il s‘agit le plus souvent, en fait, d’eaux gazeuses) et elles suivent la réglementation des produits alimentaires. Mais ils autorisent parallèlement la libre commercialisation d’eaux définies par leurs propriétés favorables à la santé (Heilwasser). Les pays latins ne reconnaissent comme eaux minérales que les eaux de la dernière catégorie et les soumettent à une législation spécifique, distincte de celle des produits alimentaires. Ces disparités de statut ont naturellement des conséquences sur l’étiquetage. Enfin, certaines prescriptions bactériologiques n’ont pas la même valeur d’un pays à l’autre.
* Conférence donnée lors des “Journées Informations - Eaux 86” de Poitiers.
** Le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France s’est prononcé favorablement le 27-10-1986 sur la possibilité de regazéification au gaz industriel (décret à paraître).
même signification pour les eaux gazeuses que pour les eaux plates.
Cette directive tente de conjuguer dans une définition unique, assez complexe, les critères quantitatifs et qualitatifs de reconnaissance. Son dispositif principal et ses annexes énoncent, par ailleurs, de façon détaillée et précise, les prescriptions d’hygiène, de préservation de la qualité et d’étiquetage. Selon la nouvelle définition européenne, on entend ainsi par « eau minérale naturelle » une eau bactériologiquement saine, ayant pour origine une nappe ou un gisement souterrain. L’eau minérale naturelle se distingue nettement de l’eau de boisson ordinaire :
- par sa nature, caractérisée par sa teneur en minéraux, oligo-éléments ou autres constituants et, le cas échéant, par certains effets ;
- par sa pureté originelle.
Ses caractéristiques doivent être appréciées sur les plans :
- géologiques et hydrologiques,
- physiques, chimiques et physico-chimiques,
- microbiologiques,
- si nécessaire, pharmacologiques, physiologiques et cliniques.
Ces appréciations peuvent être facultatives lorsque l’eau présente des caractéristiques de composition en fonction desquelles une eau a été considérée comme eau minérale naturelle dans l’État membre d’origine antérieurement à l’entrée en application de la directive. Tel est le cas notamment lorsque l’eau considérée contient, par kilogramme à l’origine et après embouteillage, au minimum 1 000 mg de solides totaux en solution ou au minimum 250 mg de gaz carbonique libre.
Les États membres de la Communauté disposent d’un délai limite de deux ans pour admettre la libre commercialisation des eaux minérales conformes aux prescriptions de la directive, et de quatre ans pour interdire celles qui ne seraient pas conformes.
La Directive C.E.E. 80/778
Elle s’applique aux eaux conditionnées non minérales dont elle détermine, pour une série de paramètres, les concentrations maximales admissibles (C.M.A.) ou les niveaux guides (N.G.). Elle prévoit, dans son article 17, des dispositions concernant les mentions figurant sur les étiquettes ou dans la publicité.
Harmonisation de la réglementation en France
À l’heure actuelle, le ministère français de la Santé étudie des propositions pour la révision de la réglementation relative aux eaux conditionnées mais la nouvelle législation, dans son ensemble, n’est pas parue. Celle-ci doit tenir compte non seulement des directives européennes, mais aussi de la norme régionale européenne du Codex Alimentarius qui, entre autres, définit l’eau minérale sans faire état de propriétés thérapeutiques. Il est vrai que le Codex vise les eaux offertes à la vente comme denrées alimentaires. Le ministère de la Santé prévoit de maintenir la situation juridique actuelle qui considère différemment les eaux minérales et les autres eaux conditionnées.
LES MARCHÉS FRANÇAIS ET EUROPÉENS
En 1984, la production totale française d’eau conditionnée minérale (plate et gazeuse) et de source a été de 4 172 millions de litres dont 750 millions (soit 18 %) pour les eaux de source qui, en quasi-totalité, sont consommées dans le pays. Par contre, quelque 7 % des eaux minérales produites sont exportées : il faut souligner que les eaux gazeuses comptent pour près de la moitié dans le volume total des exportations. La consommation moyenne annuelle par Français est de 70 l, dont 56 l pour les seules eaux minérales.
Tableau 1 : Volume (en million de litres) de la production d’eaux embouteillées (origine G.E.S.E.M.-U.N.E.S.E.M. et Syndicat des eaux de sources)
Années | Plates | Gazeuses | Total | l/pers. | Eaux de source |
---|---|---|---|---|---|
1980 | 2 109 | 439 | 2 548 | 49 | 399 |
1981 | 2 093 | 445 | 2 538 | 48 | 451 |
1982 | 2 370 | 472 | 2 848 | 55 | 612 |
1983 | 3 230 | 513 | 2 933 | 56 | 620 |
1984 | 4 437 | 508 | 2 945 | 56 | 750 |
Les exportations d’eaux minérales embouteillées en 1982-1983-1984 se sont élevées respectivement à 411, 447 et 477 millions de litres.
La concentration de l’industrie des eaux minérales est plus importante en France que dans d’autres pays. De très grosses unités de production ont été constituées (Perrier et Evian, 3 millions de l/j chacun). Le marché des eaux minérales est organisé autour de trois grands groupes :
- B.S.N. — Gervais Danone qui commercialise les eaux d’Evian et Badoit ;
- Nestlé qui a racheté Vittel et Hépar ;
- Perrier qui commercialise Perrier, Vichy-État, Vichy-Saint-Yorre et Contrexeville ; Volvic et Charrier ont rejoint le groupe en 1984.
Tableau 2 : Répartition des ventes par grandes sources d’eaux minérales (1982) (en millions de litres)
Source | Volume |
---|---|
Contrexeville | 791 (24 %) |
Evian | 724 (22 %) |
Vittel | 222 (7 %) |
Perrier | 208 (6,4 %) |
Saint-Yorre | 104 (2,9 %) |
Badoit | 43 (1,3 %) |
Le chiffre d’affaires en 1982 de ces trois groupes dans le domaine des eaux minérales se décompose comme suit :
- groupe Perrier : 2 134 MdF ;
- groupe B.S.N. : 1 102 MdF ;
- groupe Vittel (Nestlé) : 937 MdF.
Pour le chiffre d’affaires et le nombre de litres vendus, Perrier est de loin le premier groupe français. Il détenait en 1982 36,7 % du marché français devant B.S.N. (26,9 %).
Cette concentration du marché en groupes est le propre des eaux minérales. Leurs eaux de source, vendues plus localement, sont commercialisées par de plus petites sociétés. Le coût du transport (0,15 F par bouteille P.V.C. de 1,5 l livrée dans un rayon de 200 km) limite le territoire de prospection commerciale. Dans la région parisienne, le prix au départ de la source est de 0,90 F.
À titre indicatif, le prix d’une bouteille d’eau minérale gazeuse de un litre sur la base des tarifs de 1982 pouvait se détailler comme indiqué sur le tableau 3.
Tableau 3 : Détail du coût d’une bouteille d’eau minérale d’un litre (sur la base des prix 1982)
Poste de coût | Pourcentage | Prix en F 1982 |
---|---|---|
Matières premières (P.V.C., emballages, palettes, installations techniques) | 18,5 % | 0,42 |
Frais de personnel | 16 % | 0,36 |
Frais généraux (publicité, logistique, administratifs) | 15 % | 0,35 |
Résultat brut (avant impôt) | 11,5 % | 0,27 |
Prix de revient sortie usine | 60 % | 1,40 |
Transport | 10 % | 0,23 |
Marge brute distributeur | 12,3 % | 0,28 |
Taxes diverses | 2,3 % | 0,06 |
T.V.A. 18,6 % | — | 0,37 |
Prix de vente consommateur final | 100 % | 2,30 |
La publicité, qui ressort à 5-7 centimes par litre, représente un budget non négligeable, comme l’indique le tableau 4.
Tableau 4 : Budget 1984 de la publicité des eaux minérales (d’après Stratégies, août 1985)
Annonceurs | Budget (en millions de F) | Médias |
---|---|---|
EVIAN | 41 522 | TV 31 % – Presse 25 % – Radio 23 % – Affichage 21 % |
GROUPE PERRIER CONTREX | 55 100 | TV – Radio – Presse – Affichage |
VICHY-SAINT-YORRE / VICHY CÉLESTINS | 26 000 | Radio – Presse – TV |
PERRIER | 52 000 | Cinéma – Presse – Radio – Affichage |
VOLVIC | 25 300 | Presse 34 % – Affichage 29 % – TV 23 % – Radio 14 % |
BADOIT | 12 933 | TV 82,5 % – Radio 24,7 % – Cinéma 22,5 % |
VITTEL | 34 200 | Radio – TV – Presse – Affichage |
HEPAR | 4 415 | Presse |
L’Europe est le champ privilégié de l’exploitation des eaux minérales naturelles. D’abord simple prolongement des cures thermales aux sources, le phénomène a pris une importance autonome considérable depuis la dernière guerre. La C.E.E., avant l’entrée de l’Espagne et du Portugal, produisait près de 10 milliards de litres d’eau minérale (tableau 5). Ces deux derniers arrivants représentent 10 % de ce total. Pour l’essentiel, la production est consommée à l’intérieur de chaque pays (la moyenne des exportations était de 6,5 % en 1982 dont les deux tiers dans le circuit intracommunautaire). La France, dont les ventes à l’étranger sont de l’ordre de 410 millions de litres, dont 285 millions dans la C.E.E., est la seule à tenir une place significative sur les marchés éloignés.
L’analyse comparée des consommations des boissons de toute nature dans chaque pays laisse penser que les consommations d’eaux embouteillées sont largement extensibles et dépendent surtout de l’évolution des habitudes des consommateurs et de leurs niveaux de vie.
CARACTÉRISTIQUES DES EAUX
Les eaux potables conditionnées
Cette catégorie est constituée par les eaux de source et de table, gazéifiées ou non. Malgré ses détracteurs, l’eau de table (donc traitée) continuera d’exister. L’information du consommateur par un étiquetage adéquat sera réglementée avec précision.
La qualité de ces eaux relève des normes de la directive C.E.E. 80/778 relative aux eaux potables ; dans le cas particulier des eaux embouteillées, l’article 17 de cette directive fait référence « au caractère approprié d’une eau pour l’alimentation des nourrissons » laissant aux États membres la possibilité d’arrêter des dispositions particulières. À ce sujet, le ministère français de la Santé propose que les mentions : « convient particulièrement pour la préparation des aliments de nourrissons » et « convient particulièrement pour l’alimentation des nourrissons » ne pourraient être portées que sur des étiquettes concernant des eaux de source dont la teneur en nitrates est inférieure à 15 mg NO₃/l et en nitrites à 0,05 mg NO₂/l.
D’une enquête du ministère de la Santé portant sur 61 usines, il résulte que 82,6 % de la production d’eaux conditionnées non minérales présente une teneur en nitrates inférieure à 15 mg/l. De son côté, la revue « 50 millions de consommateurs » a répertorié 21 eaux de source françaises à plus de 20 mg NO₃/l, notamment dans la région parisienne, le Nord, la Bretagne et le Poitou-Charentes. Aucune des 58 sources relevées par cette revue ne dépasse cependant 50 mg/l. Dans le même article les teneurs en sodium, en fluor et la minéralisation totale sont également examinées. Le sodium, dont le niveau guide est fixé à 175 mg/l à partir de 1984 et à 150 mg/l à partir de 1987, est parfois trouvé en quantité importante ; quelques eaux du Nord-Pas-de-Calais dépassent en effet ces valeurs, ce qui devrait être signalé aux personnes suivant un régime désodé.
La minéralisation totale ne doit pas dépasser 1 500 mg/l ; on trouve quelques cas à 960 et 1 265 mg/l.
Enfin, le fluor, limité à 1,5 mg/l par la C.E.E., est rencontré à 2,4 et 1,9 mg/l. Il est à noter que le Codex Alimentarius fixe une valeur de 2 mg/l pour les eaux « offertes à la vente comme denrée alimentaire ; elle ne s’applique donc pas aux eaux minérales vendues ou utilisées pour d’autres usages ». Rappelons au passage que les eaux du bassin de Vichy-Saint-Yorre se situent presque toutes entre 5 et 10 mg/l. Cela conduit donc à parler de la protection des consommateurs réguliers de certaines eaux minérales.
Tableau 5 : Production et consommation européennes d’eaux minérales (en millions de litres)
(d’après G.E.S.E.M.–U.N.E.S.E.M.)
Origine | Hab. (millions) | 1982 | 1983 | 1984 |
---|---|---|---|---|
France | 55 | 3 259 | 3 980 | 3 422 |
Allemagne | 61 | 2 610 | 3 150 | 3 050 |
Italie | 57 | 1 700 | 2 625 | 2 650 |
Belgique* | 10 | 469 | 504 | 479 |
TOTAL C.E.E. | 46 | 8 029 | 9 659 | 9 601 |
Autriche | 35 | 266 | 286 | 270 |
Espagne* | 25 | 870 | 880 | 857 |
Portugal | 9 | 196 | 202 | 200 |
Suisse | 11 | 251 | 271 | 271 |
Yougoslavie | 23,5 | 532 | 570 | 569 |
TOTAL GÉNÉRAL | 29,5 | 10 144 | 11 869 | 11 768 |
* dont eau de source.
Les eaux minérales naturelles
Certaines eaux minérales conditionnées comportent des éléments en concentration très supérieure aux normes de potabilité, ce qui peut être à l’origine de troubles de santé lors de consommations systématiques importantes.
Des cas de fluorose dus à certaines eaux minérales conditionnées ont ainsi été constatés. La question de savoir si l’on doit interdire de telles eaux à la vente ou prendre certaines mesures réglementaires restrictives doit donc être examinée.
Dans le cas des eaux très fluorées, on peut retenir le fait qu’elles peuvent offrir un intérêt préventif dans la lutte contre la carie, par exemple si elles sont données aux enfants en quantité telle que l’apport quotidien ne dépasse pas 1 mg (par exemple, un verre de 10 cl d’une eau contenant 10 mg/l de fluor). Une mesure d’interdiction de ces eaux serait donc en opposition avec la notion retenue jusqu’alors en France de l’eau minérale douée de « propriétés thérapeutiques ». Ainsi que le permet la directive 80/777, la réglementation française pourrait faire obligation de porter sur l’étiquette ou la publicité une mention de type : « ne pas consommer régulièrement sans avis médical » ou « déconseillée pour certains groupes de personnes » avec indication de la consommation limite quotidienne, voire du risque encouru. L’exemple est actuellement donné par une eau espagnole contenant 12,4 mg F⁻/l et dont l’étiquette précise : « en raison de sa haute teneur en fluor, cette eau ne doit pas être utilisée de façon permanente pour les enfants pendant les
périodes de dentition » (Aguas de Fontenova — Verin [Galice]). Ceci pourrait s'appliquer aux eaux fluorées, sodiques et sulfatées (plus de 600 mg/l de sulfate autre que le sulfate de calcium). Il y a lieu d'insister sur l'urgence de la mise en place d'une information précise du consommateur quant au fluor dans les eaux en raison de la mise sur le marché de sel de cuisine fluoré depuis le 1ᵉʳ octobre 1986. Le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique de France a bien souligné cette nécessité.
La radioactivité a longtemps été affichée par les stations thermales comme un élément thérapeutique remarquable ; ceci n'a, en fait, jamais été clairement établi. La tendance actuelle serait plutôt la crainte du risque radioactif. Ce risque, par consommation d'eau minérale embouteillée, est nul en France comme l'indique le tableau 6 d'après R.-L. Rémy. En effet, l'eau la plus radioactive en radium est celle de Châteauneuf-les-Bains avec 26 picocuries/l, alors que la C.M.A. est de 230. L'eau Badoit présente la teneur la plus forte en uranium naturel (79 µg/l) alors que la C.M.A. est plus de 20 fois supérieure.
Tableau 6 : Radioactivité des principales sources minérales françaises conditionnées (d'après M.-L. Rémy)
EVIAN (Cachat) | K 40 10 mg | U nat 48 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
CONTREXÉVILLE | K 40 26 mg | U nat 6 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
VITTEL (Hépar — Grande Source) | K 40 25 mg | U nat 1 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
PERRIER | K 40 34 mg | U nat 34 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
SAINT-YORRE (13 sources) | K 40 120 mg | U nat 20 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
SAINT-GALMIER (Badoit) | K 40 16 mg | U nat 79 µg | Ra 226 21 pCi/l | Th nat < 1 |
SAINT-SYLVESTRE | K 40 120 mg | U nat 14 µg | Ra 226 10 pCi/l | Th nat < 1 |
VICHY (3 sources) | K 40 100 mg | U nat 35 µg | Ra 226 17 pCi/l | Th nat < 1 |
PLANCOËT (Sassay) | K 40 26 mg | U nat < 6 µg | Ra 226 < 1 pCi/l | Th nat < 1 |
CHÂTEAUNEUF-LES-BAINS | K 40 44 mg | U nat < 6 µg | Ra 226 26 pCi/l | Th nat < 1 |
VALS (4 sources) | K 40 40 mg | U nat < 6 µg | Ra 226 22 pCi/l | Th nat < 1 |
* 1 picocurie (pCi) = 37 millibecquerels (mBq).
LES MATÉRIAUX DE CONDITIONNEMENT
Le principe fixé par la circulaire du ministre de la Santé du 15-7-1971, selon lequel les matériaux situés au contact d'une eau conditionnée ne doivent pas altérer ses caractéristiques organoleptiques, physiques, chimiques et microbiologiques serait repris dans la nouvelle réglementation.
Les récipients en verre sont considérés comme respectant a priori ce principe et leur emploi est et sera permis sans règles particulières. Par contre, les autres matériaux (y compris le métal) doivent être soumis à autorisation du ministère, après expertise du Laboratoire national de la Santé.
En France, à l'heure actuelle, les matières plastiques sont les plus employées dans le conditionnement des eaux, la première d'entre elles étant le P.V.C. (les bouteilles de P.V.C. sont apparues sur le marché en 1960). Le P.E.T. (polyéthylène-téréphtalate) sorti aux U.S.A. il y a 15 ans, s’y est fortement imposé et commence à s'implanter en Europe (3 000 t en 1979, 8 000 en 1980, 32 000 en 1982 et 90 000 en 1985). D'autres polymères pourraient être utilisés mais des problèmes d'ordre physique, chimique ou économique en limitent l'emploi : ainsi les polycarbonates (qui présentent de très grandes qualités) sont d'un prix de revient trop élevé ; le polyéthylène est opaque et perméable aux gaz et le polyacrylonitrile offre des risques de migration de dérivés nitrés.
Les deux grands matériaux plastiques du conditionnement sont donc le P.V.C. et le P.E.T.
Le P.V.C.
La bouteille de P.V.C. est en fait constituée d'un mélange P.V.C.-adjuvant appelé compound ou prémix. Les adjuvants sont des agents renforçants, des stabilisants, lubrifiants, des easy processing, des pigments. Le P.V.C. résulte de la polymérisation de chlorure de vinyle monomère, donnant des polymères de poids moléculaire compris entre 50 000 et 90 000. Des contrôles de qualité physico-chimique sont effectués sur chaque composant et sur le compound fini.
La fabrication de la bouteille s'effectue selon deux méthodes principales :
- — pour les eaux plates, on utilise le procédé extrusion-soufflage,
- — pour les eaux gazeuses, on emploie soit le même procédé (mais l'épaisseur de la paroi est augmentée) soit une technique de bi-étirage-soufflage (ou biorientation).
Les bouteilles extrudées-soufflées sont très répandues pour les eaux plates (Contrexéville-Evian-Vittel) et pour certaines eaux peu gazeuses (Vichy-Saint-Yorre). Leur résistance réduite à la pression et leur perméabilité aux gaz en limitent néanmoins l'emploi.
Les bouteilles en P.V.C. biorientées sont d'une haute transparence et offrent une surface brillante ; en outre, elles sont plus résistantes (jusqu'à 5 g de CO₂/l) et sont plus économiques en compound, donc plus légères (48 g pour la bouteille de 1,5 l en P.V.C. classique et 38,5 g pour celle en P.V.C. biorienté).
Le P.E.T.
Utilisé avec le procédé de biorientation, il donne des bouteilles particulièrement transparentes, brillantes et dont l'imperméabilité aux gaz est bien supérieure à celle des bouteilles en P.V.C. ; la différence se situe aussi au niveau économique si l'on examine les prix de revient suivants au kg :
- — résine P.V.C. : 5,5 à 6 F ;
- — compound pour biorientation : 8 à 9 F ;
- — compound pour extrusion-soufflage : 8,5 à 9,5 F ;
- — résine P.E.T. : 12 F.
LES RELATIONS CONTENANT-CONTENU
Toxicité éventuelle de la bouteille en P.V.C.
La recherche d'une éventuelle toxicité de la bouteille en P.V.C. sur l'eau doit tenir compte d'un grand nombre de facteurs. On envisagera la toxicité par « action directe » résultant d'une migration d'un ou de plusieurs composés de la bouteille vers l'eau ainsi que les possibles inconvénients du contact contenant-contenu (« action indirecte ») ; dans ce cas, la bouteille, de par ses caractéristiques physico-chimiques, est susceptible d'interférer avec l'eau (captation et échange d'ions en solution, perméabilité aux gaz et développement bactérien).
Le passage de substances du conditionnement dans l'eau a d'abord retenu l'attention. En effet, si une présence « résiduelle » de chlorure de vinyle monomère (C.V.M.) était détectée dans le compound P.V.C., puis dans la bouteille, ces traces de gaz pourraient en partie migrer dans le liquide conditionné et être ingérées par le consommateur. Cette possibilité a donné naissance au début des années 1970 à une campagne « anti-P.V.C. » dans laquelle bouteille en P.V.C. était synonyme de cancer. Devant l'émoi de l'opinion publique, de nombreuses études ont été menées dans le but d'établir l'action véritable du C.V.M. « résiduel » sur l'organisme humain. Les expériences de Maltoni en 1974 et 1975 utilisant des doses délibérément fortes de 50, 16,65 et 3,33 mg C.V.M./kg sur des rats ont confirmé l'existence d'une relation très nette entre la dose de monomère et la réponse tumorale.
Il fallait ensuite savoir si le C.V.M. migre dans l'eau et, dans l'affirmative, en quelle quantité. À l'heure actuelle, on fabrique des poudres de P.V.C. à moins de 0,1 ppm de C.V.M. Après le mélange en compound, les teneurs tombent à moins
de 0,01 ppm. À l'origine, tout le chlorure de vinyle se trouve dans la paroi ; au bout d’un certain temps une partie migre vers le liquide, une autre vers l’air et une troisième reste dans la paroi.
Par la comparaison de centaines d’analyses, une courbe théorique de migration a été établie. L’évaluation de l’absorption du C.V.M. par le consommateur a été calculée à partir de données théoriques et analytiques. L’ensemble de ces études a conduit à l’élaboration en 1984 d’une législation qui impose une teneur maximale de 1 ppm dans le P.V.C. en poudre et 50 ppb dans le compound, ainsi qu'une limite de 10 ppb pour le C.V.M. retrouvé dans l’eau. Ces valeurs limites sont celles adoptées par la C.E.E. Les seuils actuels de la méthode de dosage (C.P.G. — espace de tête) sont de 0,02 ppm pour la bouteille et 2 ppb pour l’eau. À ce jour, la teneur en C.V.M. trouvée dans l’eau a toujours été inférieure à 2 ppb.
Actuellement, de par l’obtention d’un P.V.C. très pur et en raison des contrôles très stricts du C.V.M. des bouteilles et de l’eau, on peut affirmer l’absence totale de risques d'intoxication voire de cancérogénicité du C.V.M. sur le consommateur ; les mêmes conclusions ont pu être données par rapport aux adjuvants du compound.
Autres inconvénients de la bouteille en P.V.C.
Modification de la minéralisation :
dans les conditions normales de stockage et d'utilisation, l'eau embouteillée en P.V.C. ne présente pas de variations significatives dans sa minéralisation et dans sa composition globale.
Influence de la bouteille en P.V.C. sur le développement bactérien :
on sait que l'eau des nappes les mieux protégées contient de façon constante une flore bactérienne banale, autochtone. La détection de ces bactéries banales rencontrées en nombre relativement élevé dans les eaux plates, en particulier dans des bouteilles en matière plastique, a posé il y a quelques années la question de la signification hygiénique pour le consommateur. Présentes à la source à moins de cinq germes par litre, ces bactéries psychrophiles se multiplient à partir de très faibles quantités de matières organiques, voire exclusivement à partir de minéraux : leur nombre peut atteindre 10⁴/ml après un mois et 10⁶/ml après 40 jours.
Tant que les eaux furent uniquement conditionnées en bouteilles de verre, le développement bactérien ne fut guère évoqué. Lors de l’apparition du P.V.C., de nombreuses polémiques ont surgi, notamment en Suisse et en Allemagne. On a prétendu alors que la qualité bactériologique s'y dégradait beaucoup plus rapidement. Pourtant deux expériences antérieures aux polémiques (1967) avaient démontré l’absence de contamination bactérienne venant de l’extérieur par passage à travers les parois.
L’Institut Pasteur de Paris, à l’aide de virus Coxsackie, a montré l’imperméabilité au virus du P.V.C., traumatisé ou non. La même année, la Faculté de Pharmacie de Paris, travaillant avec une culture de Myxovirus multiformis, concluait ainsi :
- — les flacons vierges présentaient une imperméabilité totale aux virus ;
- — les flacons percés de microtrous laissaient passer les virus ;
- — les bouteilles traumatisées conservaient une étanchéité identique à celle des bouteilles vierges, s’il n’y avait pas perforation de la paroi.
Les travaux de Del Vecchio et Fischetti en 1972, de Masson et Chauvin en 1973 ont porté sur l’influence de la bouteille sur le développement bactérien. Trois points ont été abordés :
Influence de la propreté de la bouteille vide
Il a été constaté que les bouteilles plastiques sont beaucoup moins contaminées que celles en verre, ce qui a deux causes :
- — les bouteilles plastiques, étant extrudées à chaud, sont certainement stériles au sortir de la machine et se contaminent à l’air avant d’arriver à la soutireuse lors de l’aspiration et du stockage. Les germes trouvés sont principalement des moisissures ;
- — les bouteilles en verre sortent des laveuses propres du point de vue hygiénique ; elles ne sont en aucun cas stériles et c'est pour cette raison que l’on y retrouve une multitude de bactéries chromogènes (blanches, jaunes, oranges, rouges) et quelques moisissures provenant également de l’air.
Il est donc étonnant de constater au cours des analyses d’eaux que celles provenant des bouteilles plastiques sont les plus chargées en germes alors que celles contenues dans des bouteilles en verre sont moins contaminées.
Influence des résidus de produits de nettoyage
Les résidus de produits de nettoyage ont une action bactériostatique sur le développement des germes dans les bouteilles lavées.
En effet, les bouteilles en verre subissent un lavage avant remplissage, contrairement aux bouteilles plastiques.
Les résultats des différentes analyses effectuées prouvent de façon indiscutable que les résidus des produits de nettoyage freinent le développement bactérien dans les bouteilles en verre.
Influence de la bouteille en tant qu’apport nutritif
L’expérience a consisté à suivre le développement standard de germes à la fois dans le plastique et dans le verre.
Les résultats ne montrant aucune différence dans le développement de l’inoculum standard dans les bouteilles en verre et en plastique, on ne peut parler de fonction nutritive du plastique par dissolution de certains de ses composants.
Il est indéniable qu’après embouteillage, une multiplication bactérienne se produit, suivie d'une phase de décroissance. Le nombre de germes est plus élevé dans le P.V.C. que dans le verre. Il s’agit de bactéries autochtones, non pathogènes et leur présence n’entraîne aucune signification défavorable du point de vue de l’hygiène. Dans l’hypothèse où l’analyse d’une eau embouteillée conduirait à mettre en doute la qualité bactériologique de cette dernière, cette constatation ne résulterait donc pas de l’existence des germes banals naturellement présents, mais de l’apport (pour une raison quelconque) de micro-organismes d’autres espèces que ces germes banals. Certains de ces germes inhabituels peuvent être pathogènes et leur introduction dans l’eau ne peut être due qu’à des manipulations incontrôlées et de mauvaises conditions d’hygiène. On conçoit donc que s’il se produisait éventuellement une contamination d’eau, elle pourrait affecter indifféremment le conditionnement en verre ou en plastique.
Les problèmes liés à l'emploi du P.E.T.
Le P.E.T. est susceptible de se dégrader en donnant de l’acétaldéhyde qui confère à l'eau une odeur et surtout un goût prononcé. Ce composé, naturel dans les fruits, est notablement inoffensif aux doses rencontrées mais présente donc un inconvénient d’ordre organoleptique. Une étude a été menée par D. Pépin et al. sur une expérience organoleptique subjective et une expérimentation analytique objective afin de prévoir la compatibilité d'une eau minérale et du P.E.T. Il en ressort que la migration de l’acétaldéhyde est fonction de sa concentration et des conditions de température et de durée de stockage.
seuil de perception dans l'eau est situé entre 10 et 20 ppb.
CONCLUSION
Je terminerai ce survol des eaux embouteillées en rapprochant deux chiffres. Dans le tableau 4, le coût global de la publicité est apparu relativement important et le tableau 3 fait ressortir une charge de 5 à 7 centimes par litre. Une étude faite en 1984 par M. Pelatan dans le cadre d’une thèse sur les contrôles de qualités au Laboratoire Central du groupe Perrier à Vergèze a conduit à une évaluation du coût du contrôle situé à la hauteur de 6 centimes par col, pour une production de 700 millions de cols en 1983.
L'image de qualité que représentent les eaux conditionnées pour le consommateur passe :
- — par une réglementation rigoureuse mais explicite : le rôle de l’étiquetage, informatif et non publicitaire au sens vulgaire du terme, est ici fondamental ;
- — par une technologie de pointe et donc par l'investissement dans la recherche ;
- — par des contrôles permanents de qualité organoleptiques, physicochimiques, bactériologiques et même physiologiques et pharmacologiques.
Dans une telle optique, il n'y a aucun doute que les eaux conditionnées sont promises à un bel avenir non seulement dans nos pays industrialisés mais encore dans les pays en voie de développement. Toutefois, l'aspect « Santé Publique » n'y est peut-être encore pas suffisamment perçu, étant partiellement masqué par les facteurs économiques. Il faut par ailleurs signaler que le recours aux eaux conditionnées fait désormais partie intégrante des plans d’intervention dans le cas de pollution accidentelle des réseaux de distribution publique ou de catastrophe. Les lieux d'approvisionnement en eaux embouteillées sont en particulier répertoriés dans les documents d’intervention des plans ORSEC.
Nota : Les références bibliographiques seront fournies par l’auteur aux lecteurs intéressés.
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