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Les dérivés amylacés dans le traitement des eaux

30 mars 1981 Paru dans le N°53 à la page 90 ( mots)
Rédigé par : Henri MANGUIN et Michel ANSART

L'eau est depuis longtemps considérée comme la matière première la plus importante dont puisse disposer l'homme. Indispensable dans tous les processus biologiques, elle l'est également dans la plupart des procédés indus- triels.

Henri MANGUIN et Michel ANSART,

Etablissements Paul DOITTAU

L'eau est depuis longtemps considérée comme la matière première la plus importante dont puisse disposer l'homme.

Indispensable dans tous les processus biologiques, elle l'est également dans la plupart des procédés indus- triels.

Les différentes utilisations de l'eau nécessitent le plus souvent des qualités d’eau bien déterminées. Or, il est rare que les prélèvements d’eau brute effectués sur le milieu ambiant en surface puissent être utilisés en l'état. Il est de ce fait nécessaire de faire subir à ces prélèvements des traitements appropriés.

Les techniques classiques de séparation physique solide — liquide, telles que le dégrillage, le désablage et la décantation permettent d’éliminer les particules dont la taille dépasse environ 100 microns. Lorsque l'eau contient des particules plus fines, souvent de caractère colloïdal, il est nécessaire de recourir à des techniques physico-chimiques bien adaptées.

Les traitements par coagulation et floculation sont probablement les plus anciennement pratiqués et les moins coûteux.

La coagulation consiste à introduire dans l'eau un produit capable :

  • — de décharger les colloïdes généralement électro- négatifs présents dans l'eau ;
  • — de donner naissance à un précipité (1).

Les produits coagulants sont le plus souvent des cations polyvalents tels que les sels solubles d’aluminium et de fer.

La floculation vient compléter l'action du coagulant en favorisant la formation de flocs dont la tendance à la sédimentation est accélérée. Elle est initiée par des agents de floculation.

Les floculants sont des agents à caractère macro­ moléculaire ; ils sont susceptibles de provoquer la rupture des dispersions par le rassemblement des particules colloïdales en agrégats beaucoup plus gros.

La floculation se manifeste ainsi par la formation de flocs capables de ramasser les matières en suspension tout en laissant un liquide clair alentour (2).

Le mécanisme de la floculation, au demeurant fort complexe, est lié au caractère colloïdal du floculant et à l'interaction électrocinétique des diverses particules en présence.

On admet aujourd’hui que la stabilité d’un système colloïdal en dispersion est assurée grâce à l'existence entre les particules dispersées d’une certaine différence de potentiel dont les effets se manifestent par la répulsion des particules les unes par les autres.

Ce sont Helmholtz et Stern qui les premiers ont introduit la notion de « double couche » : on considère que les particules — généralement à tendance négative pour ce qui concerne celles qui se trouvent dans les eaux brutes — s'entourent d'une couche ionique adsorbée, fixe à proxi­ mité immédiate de la surface de la particule, dite couche de Stern, mobile et diffuse au fur et à mesure que l’on s’en écarte. (Figure 1 et Figure 2).

On comprend que l'asymétrie de la disposition des ions puisse créer une différence de potentiel.

La différence de potentiel entre la partie mobile de la couche et le liquide est appelée Potentiel Zêta.

[Figure : Représentation d'une particule de KAOLIN dans les eaux blanches.]
[Photo : Exemple de variation de l'énergie d'interaction entre deux surfaces en fonction de leur distance]

Si ce potentiel est élevé les forces de répulsion sont élevées ; au contraire si ce potentiel tend vers 0 les forces de répulsion sont faibles et les particules ont la possibilité de se rapprocher et de s’agglomérer.

L’addition d’un polyélectrolyte macromoléculaire convenable a pour effet d’une part d’abaisser ce potentiel Zêta et d’autre part de favoriser la cohésion des flocs.

1. — Nature et propriétés des floculants amylacés

L’amidon fait partie des polysaccharides ou polyosides. Il s’agit d'un haut polymère naturel que l’on trouve dans tout le règne végétal.

L'expérience montre que c'est l'amidon issu de la pomme de terre, appelé fécule, qui donne les meilleurs effets de floculation. Ceci s’explique comme nous le verrons plus loin par les propriétés colloïdales particulières de la fécule de pomme de terre.

À l'état natif, c’est-à-dire telle qu'elle est issue du processus d’extraction, la fécule de pomme de terre se présente sous forme de poudre blanche fine, insoluble dans l'eau froide. L’examen au microscope et aux rayons X montre des granules dont la taille varie de 20 à 80 microns et dont chacun présente l'organisation cristalline et la forme spécifique de son espèce.

Insolubles à froid dans l'eau, ces granules gonflent et s’hydratent dès qu’on chauffe une dispersion aqueuse à 60-65 °C ; on obtient un empois qui est en fait une solution colloïdale. On sait aujourd’hui que la fécule de pomme de terre est constituée de deux types de macromolécules qui sont tous deux de hauts polymères de l’α-D-glucose. D’une part nous avons l’Amylose formée

[Photo : Variations du potentiel Zêta en fonction du pH]

de chaînes linéaires — ou en V — dans laquelle les cycles anhydroglucosidiques sont assemblés par des liaisons α 1-4 ; d’autre part l’Amylopectine formée de macromolécules très fortement branchées, les segments linéaires étant également assemblés par des liaisons α 1-4 alors que les branchements sont obtenus par des liaisons α 1-6.

La fécule de pomme de terre contient 76 % d’Amylopectine dont le degré de polycondensation — c’est-à-dire le nombre de maillons anhydroglucose par macromolécule — est d’environ 5 000, et 24 % d’Amylose dont le degré de polycondensation est d’environ 800. Il s‘agit là très probablement de la forme de matière amylacée native présentant la masse moléculaire moyenne la plus élevée.

Une autre particularité de la fécule de pomme de terre est qu’il s’agit d’un polyélectrolyte naturel.

[Photo : Structure moléculaire de l'amylose et de l'amylopectine]

est dû à la présence de groupements phosphoriques naturellement présents dans la macromolécule : il s’agit ainsi d'un véritable phosphate d’amidon (3) capable de participer à des réactions d’échanges d’ions.

H—C—OH OK  
|  
H—C—OH OK  
|  
H—C—OH  
|  
+Ca++ H—C—O—P=O Ca  
|  \  
H—C—OH  O +2K+

2. — Les dérivés amylacés

La fécule de pomme de terre étant comme nous venons de le voir naturellement insoluble dans l’eau froide il y a lieu de la transformer pour faciliter d'une part sa mise en œuvre, et, pour adapter d’autre part ses caractéristiques aux applications prévues.

La transformation en amidon gonflant peut répondre en grande partie à ces exigences. Elle consiste à provoquer l’éclatement des grains sur des cylindres rotatifs chauffés à température élevée. Cette opération désorganise les zones cristallines et régularise leur mise en solution.

Produit Caractère ionique Formule
Fécule de pomme de terre légèrement anionique Fécule
Carboxyméthyl-amidon anionique Am—O—CH₂—COO⁻ Na⁺
Phosphate d’amidon anionique Am—O—P=O O⁻ Na⁺
Aminoéthers cationique Am—O—CH₂—CH—N—R
Ammonium éthers très cationique Am—O—CH₂—CH₂—N⁺—R

Tableau 1

Ce traitement purement physique est particulièrement indiqué lorsqu’on veut conférer au dérivé la solubilité dans l’eau froide tout en conservant le caractère alimentaire de la fécule. Les produits obtenus sont appelés amidons gonflants ou prégélatinisés.

Il est possible aussi d’accentuer ou de modifier le caractère ionique de la fécule de pomme de terre. Les réactions d’estérification ou d’éthérification avec des réactifs convenables permettent d’obtenir des macromolécules à caractère anionique, cationique ou éventuellement amphotère. Le caractère ionique est d’autant plus prononcé que le degré de substitution est plus élevé.

Les dérivés les plus couramment utilisés dans le traitement des eaux sont : — les carboxyméthylamidons et phosphates d’amidon qui sont anioniques ; — les éthers aminotertiaires et ammonium quaternaires qui sont cationiques. (Voir le tableau 1).

APPLICATIONS INDUSTRIELLES

Toutes les industries qui mettent en œuvre des procédés faisant intervenir des séparations liquides-solides d’allure colloïdale sont susceptibles d’utiliser des floculants. Ceux-ci doivent être bien adaptés quant à leur nature et leur dosage.

Parmi les applications les plus importantes on peut citer la fabrication du papier. Selon le procédé choisi on utilise des amidons anioniques ou cationiques. Ces derniers sont plus particulièrement mis en œuvre pour améliorer la rétention des fibres fines et des charges minérales, ce qui est particulièrement utile dans le cas des circuits fermés. On peut ainsi réaliser d’importantes économies d’eau et d’énergie, tout en diminuant considérablement les rejets d’effluents de l’usine.

La sédimentation accélérée des « schlamms » de charbon par floculation est un autre cas intéressant. Les eaux de lavage du charbon brut d’extraction contiennent en effet une certaine quantité de poussières de charbon et de schistes qui sont récupérés par sédimentation. L’adjonction d’une très petite quantité de floculant colloïdal amylacé permet d’accélérer considérablement la vitesse de sédimentation. La formation de flocs de bonne dimension permet d’adsorber et de ramasser les fractions les plus fines du milieu, qui naturellement n’ont qu'une très faible tendance à déposer. L’accélération de la sédimentation permet de réduire très fortement les volumes instantanés ; en même temps on atteint une clarification beaucoup plus poussée tout en réalisant des économies d’eau.

Dans le traitement des minerais la floculation est un des moyens auxquels on a recours notamment lorsqu’il s'agit de séparer les stériles ou les boues des liqueurs contenant le métal sous une forme soluble. La fabrication d’alumine selon le procédé Bayer constitue un exemple type de cette application. En effet le minerai d’aluminium est attaqué et solubilisé par une liqueur alcaline à température élevée. Les constituants insolubles, ou partiellement...

…ment solubles, essentiellement des oxydes de fer et de silicium appelés boues rouges, sont alors séparés de la solution d’aluminate par floculation au moyen d’un adjuvant amylacé. L’efficacité de la clarification conditionne la pureté finale de l’alumine et, partant, du métal.

En sucrerie, certains procédés de clarification des jus de première carbonatation font également appel à des floculants obtenus à partir de fécule de pomme de terre.

Dans certains procédés de réduction de la dureté de l’eau par traitement à la chaux, le carbonate de calcium formé est floculé au moyen de fécule de pomme de terre prégélatinisée pour accélérer la sédimentation et améliorer la clarification (4).

TRAITEMENT DES EAUX POTABLES

La production d’eau potable à partir d’eaux brutes de surface nécessite souvent une opération de clarification. En effet, il arrive souvent que la présence de particules colloïdales non retenues par le traitement habituel de coagulation empêche d’atteindre les résultats souhaités au test de turbidité.

On a alors à recourir à une floculation à l’aide de polyélectrolytes. La fécule de pomme de terre convient parfaitement grâce à ses caractéristiques colloïdales naturelles et aussi à son caractère alimentaire, les produits synthétiques n’étant pas autorisés en France pour cet usage.

Le floculant devant être utilisé après mise en solution dans l’eau froide, on utilise la fécule de pomme de terre sous forme « amidon gonflant », dérivé obtenu par traitement purement physique dans des conditions garantissant le caractère alimentaire et exaltant ses propriétés colloïdales et ioniques.

Exemple des caractéristiques d’un agent floculant à base de fécule de pomme de terre, destiné au traitement des eaux potables.

Aspect : paillettes fines, blanches ; Densité apparente : 400 — 450. pH : 6,5 — 7,5. Viscosité Brookfield à 20 °C sur une solution à 5 %.

T/mnmPa
10500 — 700
20400 — 600
50300 — 450
100250 — 400
[Photo : Viscosigramme Brabender d’un floculant amylacé. Conc. 5 % t = 20 °C. Ordonnées : unités Brabender. Abscisses : temps en minutes.]

1. — Mise en solution du floculant amylacé (Figure 5, graphique Brabender).

Un point important concernant les produits floculants est leur mise en solution. Celle-ci conditionne en effet les bons résultats de la floculation. L’expérience montre qu’un même produit floculant peut, selon sa mise en solution, donner des résultats différents.

L’examen au laboratoire de la mise en solution de l’amidon gonflant mentionné ci-dessus à l’aide d’un Amylographe Brabender nous donne, pour une concentration de 5 %, une courbe dont l’allure est reproduite sur le graphique de la figure 5.

L’enregistrement représente l’évolution de la viscosité en fonction du temps sous une agitation d’intensité moyenne et constante à 20 °C. On observe dans un premier temps une augmentation relativement rapide de la viscosité durant 5 à 6 minutes (point A) ; c’est l’hydratation, l’association micellaire étant très prononcée jusqu’en A.

Ensuite la viscosité décroît ; en effet, les micelles se dissocient sous l'action de l'agitation, les macromolécules se libèrent de l'état micellaire et se mettent en solution chacune pour leur compte (environ 30 minutes). À partir du point B on peut estimer que la mise en solution est terminée.

2. — Mise en solution industrielle

Différents appareils sont proposés pour réaliser la mise en solution et le dosage du produit floculant. Les figures 6 et 7 représentent de telles installations.

[Photo : Schéma d'un appareil de dissolution et dosage de fécule soluble à froid.]
[Photo : Appareil de dissolution et de dosage de fécule soluble à froid.]

En ce qui concerne les dosages pratiques, il est difficile de donner des règles absolues, puisqu’il s'agit presque toujours de problèmes particuliers liés aux conditions locales. Signalons cependant à ce titre que des essais de laboratoire effectués avec un matériel relativement simple peuvent donner des renseignements très précieux. On pourra ainsi dresser un tableau avec des résultats comparatifs tels que l'exemple suivant :

RÉACTIFS (mg/l) NUMÉRO DE L'ESSAI
1 2 3 4 5
Sulfate d'Alumine 60 60 60 60 60
Charbon actif 40 40 40 40 40
Chlore 3 3 3 3 3
Amidon gonflant 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0
Décantation lente lente rapide rapide rapide
Turbidité en gouttes de mastic 26 20 14 10 12

Tableau 2 — Détermination de la dose optimale de floculant

CONCLUSION

Parmi les polyélectrolytes intervenant comme agents de floculation dans le traitement des eaux, la fécule de pomme de terre occupe une place de choix en raison de son caractère très hautement macromoléculaire et aussi de la présence de phosphore chimiquement lié à l'état de phosphate, qui lui confère des propriétés anioniques marquées. Des greffes de substituants appropriés permettent d’exalter ces propriétés pour des utilisations industrielles multiples.

Pour le traitement des eaux potables, la fécule trouve tout naturellement son emploi, à condition de lui conférer la solubilité dans l'eau froide tout en conservant son caractère alimentaire ; la transformation par voie physique en amidon gonflant permet de répondre à ces exigences et aussi d’accroître les propriétés colloïdales recherchées.

BIBLIOGRAPHIE

1. Mémento technique de l'eau. 8e édition. Degrémont 1978, p. 136.

2. M. Ansart et H. Manguin. — Amidons cationiques et polyélectrolytes. Leur rôle dans la fabrication du papier. Revue A.T.I.P. 1970, 24, n° 2, p. 61-66.

3. H. Wegner. — Die ionenaustauschenden Eigenschaften der Kartoffelstärke. Die Stärke 1957, 9, n° 10, p. 196-203.

4. R. P. Vogh, J. E. Warrington et A. P. Black. — Potato starch as a sludge conditioner. Journal Am. Wat. Works Ass. 1969, 61, n° 6, p. 276-284.

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