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Les dépôts de fer dans les forages d'eau pour pompes à chaleur

28 février 1989 Paru dans le N°125 à la page 24 ( mots)
Rédigé par : G. OUZOUNIAN et B. GAUTHIER

L’eau souterraine représente un stock de chaleur important auquel on a eu recours dès les crises énergétiques de la dernière décennie. Souvent diffuse dans les aquifères superficiels, la quantité de chaleur totale est directement proportionnelle à la quantité d’eau emmagasinée. Sur le territoire français, la température de ces eaux est comprise entre 11 et 15 °C ; elle devient beaucoup plus élevée dans le cas d’aquifères profonds de plusieurs centaines de mètres. La mise en circulation de l’eau depuis la nappe jusqu’à la surface, associée au développement de machines susceptibles d’extraire la chaleur qu’elle véhicule, a donné naissance au système d’exploitation par pompe à chaleur (PAC) sur nappe. Dans un tel système, l’eau remplit une double fonction : celle du stockage naturel de chaleur et celle de son transport. Un schéma-type d’ouvrage d’exploitation est présenté sur la figure 1.

Un puits de production, cuvelé en acier noir, en acier semi-inox ou inox, parfois en matériau inerte tel que PVC ou résine époxy renforcée de fibre de verre assure l’accès à l’aquifère. L’eau est généralement exploitée à travers des crépines dont le rôle est de retenir des particules solides, tout en assurant un écoulement suffisant ainsi que la tenue et la cohésion de l’ouvrage de captage. Une pompe de production immergée reprend l’eau et l’envoie vers la surface à travers une colonne d’exhaure, puis vers la machine thermique par l’intermédiaire d’un réseau. Les matériaux de transport sont également variés, de l’acier noir (éventuellement galvanisé) au refoulement de la pompe, jusqu’aux matériaux totalement inertes en surface. Après extraction de la chaleur au niveau de l’échangeur de la pompe à chaleur, l’eau est rejetée soit en surface, soit dans un second puits réalisé à cet effet.

La mise en exploitation de nombreux ouvrages s’est trouvée confrontée à des difficultés liées à la réactivité chimique des eaux naturelles avec le milieu solide environnant. Cette réactivité se traduit soit par des percements d’appareils ou de canalisations, soit par leur colmatage. Elle s’exprime en termes chimiques par un double jeu de dissolution représentée sous le générique de corrosion, et de précipitation de matière solide, ou dépôts. Dans certains cas critiques, les perturbations engendrées par ces réactions sont susceptibles de remettre en question la pérennité de l’exploitation, certains maîtres d’ouvrages envisageant même un arrêt définitif des installations peu de temps après leur mise en service.

Une analyse de la structure et du comportement des ouvrages, ainsi que de l’historique du fonctionnement, permettent alors l’élaboration d’un programme de mesures destiné à identifier l’origine et les causes des anomalies constatées. L’étude des paramètres physico-chimiques du fluide et de sa réactivité vis-à-vis du milieu solide, permet de décrypter les mécanismes réactionnels en jeu et d’en déduire les dispositions propres à éviter les perturbations. Une telle démarche s’avère chaque jour efficace sur de nombreux sujets. À travers deux cas différents, nous nous proposons de l’illustrer ci-dessous.

Opération de pompe à chaleur sur nappe à Mulhouse

L’ouvrage, de conception traditionnelle, est constitué d’un puits de captage foré à 23 m de profondeur, tubé en acier semi-inox à 4 % de chrome. L’eau est produite à l’aide d’une électropompe submersible, à travers une colonne en acier galvanisé. Le circuit de surface comprend un réseau et la machine thermique. Après épuisement des calories, l’eau est rejetée dans un puits de rejet. L’installation a été mise en service en novembre 1982 ; dès février 1983, des dépôts d’hydroxyde ferrique en ont perturbé le fonctionnement, d’une part au niveau de la pompe de production et d’autre part dans le puits de rejet, par colmatage. L’exploitant chargé de la maintenance de l’ouvrage et de son bon fonctionnement a procédé, durant près de deux ans, à des actions curatives ponctuelles ; à l’issue de chaque nettoyage, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les phénomènes de colmatage se reproduisaient. Il a alors été décidé de rechercher des solutions permettant d’assurer une exploitation régulière qui ne souffre plus d’arrêts pour nettoyage parfois prolongés, et de plus en plus coûteux, leur fréquence augmentant régulièrement. Une analyse de la structure des ouvrages et de l’historique de fonctionnement nous a conduits alors à élaborer un programme d’étude dont le premier objectif était de rechercher les causes des dépôts responsables des perturbations. En second lieu, partant de la compréhension du phénomène, il devenait plus aisé de définir les solutions propres à éviter les perturbations.

[Photo : Schéma-type d’ouvrage d’exploitation d’eau de nappe par pompe à chaleur.]

Le programme d’étude prévoyait en particulier :

  • — un profil vertical de composition chimique de l'eau dans le puits, celui-ci étant alors en production,
  • — après arrêt de la pompe, une série d'analyses sur de l'eau prélevée régulièrement dans le temps à une cote constante de –14 m,
  • — une analyse de l'évolution de certains paramètres chimiques lors de la remise en production.
[Photo : Fig. 2 : Profil chimique dans le forage de Mulhouse en production, d’après les analyses in situ.]

Le profil vertical présenté sur la figure 2 montre une augmentation de la teneur en fer et du pH depuis le fond jusqu'en surface. À l'inverse, la teneur en oxygène dissous et le potentiel d'oxydoréduction Eh décroissent du fond vers la surface. La zone crépinée du captage est le siège des variations les plus importantes.

Les prélèvements réalisés durant la période d'arrêt au sommet de la zone crépinée, à –14 m, montrent une augmentation régulière dans le temps de la concentration en fer dissous, de 1,7 à 4 ppm, de la teneur en zinc et du pH de 7,06 à 7,43 en quelques heures. Le potentiel Eh décroît dans le même temps de –31 à –93 mV. Les teneurs en nitrates, carbonates, calcium, magnésium et sulfates décroissent également, mais faiblement. À la remise en production, la teneur de fer dissous décroît brutalement, celui-ci se retrouvant sous forme floculée d’hydroxyde ferrique. Les autres paramètres évoluent régulièrement jusqu’à retrouver leur niveau d'origine après 20 heures de pompage à 30 m³/h.

Afin d'expliquer les évolutions auxquelles était soumis le fluide au cours de ces différents essais, nous avons procédé à une évaluation de son comportement à l'aide des outils de thermodynamique chimique, en considérant que le fluide le plus profond était le plus représentatif du milieu naturel, avant tout contact avec les équipements de captage. L'acquisition de fer en solution au cours de la production correspond à une réaction d’oxydation du fer de l'acier des tubages. Or, le seul oxydant susceptible de réagir dans ce milieu est représenté par les nitrates qui diminuent au fur et à mesure que le fer augmente. La réaction couplée d'oxydation du fer et de réduction des nitrates s'écrit :

4 Fe° + NO₃⁻ + 10 H⁺ → 4 Fe²⁺ + NH₄⁺ + 3 H₂O   (1)

réaction dans laquelle Fe° correspond au fer de l'acier du tubage.

La formation de dépôt d’hydroxyde ferrique nécessite que l’oxydation soit poussée au stade supérieur :

Fe²⁺ + 3 H₂O → Fe(OH)₃ + 3 H⁺ + e⁻   (2)

En introduisant la réduction des nitrates dans la réaction (2), on obtient une relation permettant d’établir un bilan de matière :

8 Fe²⁺ + 21 H₂O + NO₃⁻ → 8 Fe(OH)₃ + NH₄⁺ + 14 H⁺   (3)

Cette réaction se poursuit jusqu'à consommation totale des nitrates ; lorsqu'une mole de fer est produite par la réaction (1), il y a consommation de 10/4 de H⁺, tandis que pour une mole de fer Fe²⁺ consommée par la réaction (3), 7/4 de H⁺ sont produits. Le bilan en H⁺ est par conséquent négatif, ce qui revient à dire que le pH augmente au fur et à mesure que le processus évolue ; le déficit en ions H⁺ est dans un premier temps compensé par une redistribution des espèces carbonatées selon l'équilibre :

H₂CO₃ ↔ HCO₃⁻ + H⁺   (4)

Cette redistribution s’observe entre le fond du puits et le niveau de la pompe. Au-delà, l'eau devient sursaturée vis-à-vis des minéraux carbonatés qui se déposent, de manière toutefois moins spectaculaire que l'hydroxyde ferrique :

Ca²⁺ + HCO₃⁻ → CaCO₃ + H⁺   (5a)
Fe²⁺ + HCO₃⁻ ↔ FeCO₃ + H⁺   (5b)

L’ensemble des réactions décrites ci-dessus permet d’établir un bilan de matière illustrant les variations observées au cours des essais. Une campagne de certification du modèle a permis d'une part de mesurer une relation inverse entre nitrate et ammoniaque et d'autre part d’observer les dépôts minéraux secondaires.

Ces réactions expliquent l'évolution de la composition de l'eau durant les phases d’arrêt du pompage. Les bilans chimiques réalisés sur l'azote, les carbonates, le fer et H⁺ confirment les mécanismes conduisant à la formation des dépôts, ceux-ci gênant l’exploitation.

Les dépôts, dont l’hydroxyde ferrique a haut pouvoir colmatant, se forment à la faveur des arrêts nocturnes du pompage. Ils sont mis en mouvement et entraînés dans les ouvrages lors de chaque remise en service de la pompe de production.

Un fonctionnement continu de l’installation constitue dans ce cas une solution simple aux difficultés d’exploitation rencontrées.

Opération de pompe à chaleur sur nappe au Mans

Trois sondages de faible profondeur, 20 à 25 m, captent l'eau du Cénomanien afin d’alimenter une pompe à chaleur utilisée pour le chauffage de l’eau de la piscine du Mans ; or, l'installation est régulièrement colmatée au niveau de l'échangeur de chaleur par des dépôts d'hydroxyde ferrique, bien que les équipements des forages, tubages et crépines soient, dans ce cas, réalisés en PVC.

Un programme d’étude géochimique a été mis au point afin d'identifier l’origine de la difficulté rencontrée et d’en déduire les recommandations permettant un bon fonctionnement des ouvrages. Outre l'analyse des fluides des trois puits, l'étude prévoyait un profil vertical dans un forage voisin non exploité afin de vérifier le risque de mélange entre l'eau des niveaux superficiels aérés et celle du Cénomanien. L'influence de la rivière l'Huisne, située à quelques mètres des captages, a également été mesurée en cours de production. Enfin, un sondage situé en amont, exploité pour une autre PAC, et ne présentant aucune anomalie de fonctionnement, a servi de référence.

Toutes les eaux de nappe étudiées sont peu minéralisées (100 mg/l), acides (pH = 5,4) et de compositions très voisines ; seules les teneurs en fer varient, de 1,40 à 2,38 mg/l pour le fer dissous et de 1,60 à 15 mg/l pour le fer total. Le potentiel d’oxydoréduction varie de 320 à 480 mV, mais seul le fluide du puits P3 contient de l’oxygène en quantité importante (5,1 mg/l) ; cette eau présente également la différence la plus marquée entre fer total et fer dissous et transporte donc davantage de particules. Sur le plan bactériologique, seules des ferrobactéries ont été détectées dans chacun des fluides.

L’étude géochimique montre que les eaux météoriques, chargées en oxygène, s’infiltrent et acquièrent une minéralisation faible en percolant à travers les sols. L'oxygène initial est peu à peu consommé par l’oxydation de la matière organique ; les gaz dissous dans les eaux sont, en effet, à l'exception du puits P3, appauvris en oxygène et enrichis en CO₂ et CH₄ par rapport à l’atmosphère. Une partie de l’oxygène initial est également consommée par des réactions minérales, essentiellement représentées dans ce cas par l’oxydation de la pyrite du Cénomanien ; ceci explique le caractère acide des eaux, ainsi qu'une légère déviation des teneurs en sulfates (30 mg/l) par rapport à l'eau de l'Huisne (21 mg/l). Dans le cas du puits P3, on met en évidence une influence rapide de l'Huisne ne permettant pas la réduction totale de l’oxygène dissous. La teneur importante en fer des eaux captées par rapport aux eaux superficielles est reliée à l’oxydation des pyrites omniprésentes au Cénomanien.

À partir de l’ensemble de ces données, un modèle hydrogéochimique d’alimentation des puits a été élaboré ; si l'on confronte l'analyse de l'eau de l'Huisne à celle des puits, on remarque une chimie comparable à certains égards : la teneur en éléments mobiles peu réactifs, tels que Na, K ou Cl, est sensiblement constante dans les deux types d’eaux ; en revanche, la teneur en bicarbonate (HCO₃⁻) est beaucoup plus élevée dans l’Huisne. L’acidification de l’eau lors de l’oxydation de la pyrite a pour effet de déplacer l'équilibre carbonique vers un dégazage de CO₂ et donc un appauvrissement en HCO₃⁻. De la même manière, la teneur en calcium diminue entre l’Huisne et les puits ; un bilan de masse représenté à travers l'équation stœchiométrique (6) explique le phénomène :

Ca²⁺ + 2 HCO₃⁻ → CaCO₃ + CO₂ + H₂O (6)

La consommation d’un cation calcium et de deux anions bicarbonate conduit à la précipitation d'une mole de carbonate de calcium, au dégazage d’une mole de CO₂ et à la formation d'une mole d'eau. Les résultats d’analyses exprimés en mmol/litre d’eau fournissent les données du tableau ci-après :

Éléments Huisne Puits Diff.
HCO₃⁻ 4,42 0,11 4,31
Ca²⁺ 2,37 0,32 2,05

La différence entre Huisne et puits traduit la consommation de matière dans un rapport voisin de 2, valeur obtenue en intégrant le magnésium à ce modèle, ce composé étant souvent associé au comportement de Ca et HCO₃⁻. Le modèle global montre ainsi une alimentation des puits à partir de l’Huisne, sans pour autant rendre compte de vitesses de circulation ; l'eau subit des modifications chimiques directement liées à la nature des terrains percolés.

Une approche thermodynamique, focalisée sur les composés du fer, montre que les différentes eaux sont sursaturées vis-à-vis des oxydes et oxyhydroxydes cristallisés tels que maghémite et goethite ; une légère sursaturation est observée vis-à-vis de l’hydroxyde de fer amorphe. Des considérations cinétiques et de catalyse par les colloïdes présents expliquent qu'un simple apport d’oxygène suffit à faire précipiter massivement cette phase. Les différents résultats ont montré que l’apport en oxygène était réalisé par l'eau du forage P3 dans le mélange final.

La solution préconisée a été dans un premier temps d'isoler le puits P3 du circuit d’alimentation de la PAC.

CONCLUSION

Les opérations de captage d'eau souterraine pour une exploitation par pompe à chaleur sont réalisées pour produire des quantités souvent importantes d’eau. Cette dernière, n'étant pas destinée à la consommation, n’est généralement pas traitée ; très souvent, une simple analyse, parfois hermétique, est réalisée à titre de référence.

En phase d'exploitation, lorsque des comportements anormaux sont observés, il apparaît à travers ces deux exemples que le fluide a le comportement d'un réactif, porteur de messages que l'étude géochimique permet de décrypter ; il devient alors aisé de préconiser et d'entreprendre les actions correctives afin que les phénomènes indésirables tels que dépôts et colmatage ne se reproduisent pas.

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