Les sources de déchets sont multiples :
- - déchets urbains : générés par les installations de traitement des eaux usées en stations d’épuration (boues résiduaires) ou des ordures ménagères (composts urbains),
- - déchets industriels : issus notamment du secteur para-agricole et agro-alimentaire (conserveries, distilleries vinicoles...),
- - déchets agricoles : effluents d’élevage, sous-produits de la vinification...
Un certain nombre de « clefs » conditionnent la réussite de telles opérations :
- 1. le produit doit être bien connu sur le plan de sa composition physico-chimique, à laquelle est subordonnée son utilisation agricole ;
- 2. un suivi technique rigoureux de l’opération doit être mis en œuvre ;
- 3. le producteur du déchet doit obtenir l’assurance que son produit sera régulièrement enlevé, et une telle opération doit lui apporter un « plus » sur les plans technique et économique par rapport aux solutions d’élimination traditionnelles ;
- 4. les utilisateurs doivent recevoir des garanties sur l’homogénéité de la composition des produits et sur la sécurité d’approvisionnement, surtout dans la mesure où la mise en œuvre de telles opérations nécessite des investissements (matériel d’épandage, de chargement, de transport — unités de stockage...).
Les points 1 et 2 sont du domaine des techniciens spécialisés et des conseillers agricoles. Il faut, à ce propos, signaler que l’A.N.R.E.D. et une vingtaine de Chambres d’agriculture réparties sur le territoire national ont mis conjointement en place des ingénieurs, spécialisés dans la valorisation des déchets, qui travaillent en étroite collaboration avec les Services d’utilité agricole de développement (SUAD) des Chambres d’agriculture.
Les points 3 et 4 concernent directement les professionnels et il apparaît clairement que de telles opérations, pour être parfaitement efficaces, doivent être, dans la majorité des cas, mises en œuvre dans le cadre de Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) :
- - les rapports entre le producteur du déchet et les utilisateurs doivent être contractualisés. De telles conventions peuvent difficilement être passées individuellement, au moins pour les opérations d’une certaine ampleur,
- - la gestion des livraisons ainsi que l’acquisition du matériel d’épandage, matériel assez spécifique dans la plupart des cas, doivent être pris en compte en CUMA.
UN EXEMPLE : LA CUMA D’ALBION
La naissance du projet
Au cours de la réalisation en 1980 d’un inventaire quantitatif et qualitatif de l’ensemble des déchets organiques produits en Vaucluse, un gisement important de boues résiduaires industrielles a été repéré.
En provenance d’une entreprise, située à l’Isle-sur-la-Sorgue, qui produit de la gélatine à partir d’os et génère des effluents traités dans une station d’épuration, 20 000 à 25 000 tonnes de boues résiduaires à 35-40 % de matière sèche sont ainsi produites annuellement, posant bien entendu de gros problèmes d’élimination ; fortement chaulées (voir tableau), elles présentent un intérêt en tant qu’amendement calcique et source de phosphore et d’azote.
Une zone de 5 000 ha de sols acides sise dans le nord-est du Vaucluse — le plateau d’Albion — a été repérée par le conseiller agricole du secteur. Les agriculteurs intéressés se trouvent, depuis quelques années, confrontés à la crise de la lavande et se tournent vers une diversification des productions (céréales, colza) ; les incertitudes liées au climat et aux sols difficiles incitent à réduire les coûts de production et notamment ceux de la fertilisation. Or les premiers essais d’utilisation de ces boues effectués en 1981 ont clairement démontré qu’il était possible de les substituer en quasi-totalité aux engrais minéraux azotés et phosphatés.
Composition des boues : résultats des analyses chimiques effectuées sur les boues en 1983 et 1984
Libellés des résultats |
Valeur moyenne des résultats 1983 |
Valeur moyenne des résultats 1984 |
Valeurs extrêmes mesurées en 1983 et 1984 |
Matière sèche (%) |
38,5 |
40,8 |
35,6-44 |
pH |
11,6 |
11,5 |
11,1-12,2 |
N total (% de MS) |
2,2 |
2,45 |
1,9-2,7 |
P₂O₅ total (% de MS) |
2,5 |
2,3 |
1,8-3,0 |
CaO (% de MS) |
3,76 |
3,42 |
3,15-4,54 |
Cl¯ (% du produit brut) |
0,9 |
0,8 |
0,5-1,1 |
C total (% de MS) |
16,5 |
16,5 |
14,2-18,7 |
MgO (% de MS) |
0,68 |
— |
— |
L’intérêt manifesté par les agriculteurs pour cette opération a permis, en décembre 1981, la création de la CUMA avec six adhérents. Aujourd’hui, elle en compte 46, et 60 000 tonnes de boues ont été épandues depuis 1981.
La CUMA. Pourquoi ?
Le matériel d’épandage
La composition physique des boues et leur texture pâteuse ont nécessité la recherche d’un matériel spécifique adapté à leur reprise et à leur épandage. La CUMA a ainsi acquis trois épandeurs (« RUR » — 5 tonnes) et un chargeur (FENDT — 64 cv — 4 RM) équipé d’une fourche Kverneland.
Les doses sont en moyenne de 30 tonnes par hectare et les chantiers (qui mobilisent le chargeur et deux épandeurs) permettent d’utiliser entre 250 et 300 tonnes de boues par jour sur 10 ha environ.
Pour conduire le chargeur et entretenir le matériel, la CUMA a embauché, depuis 1982, un ouvrier à plein temps.
La convention
Une convention a été signée entre la CUMA et l’industriel pour une période de cinq ans ; elle prévoit certaines garanties sur la qualité des boues, la régularité des apports et les prix et, bien entendu, engage la responsabilité des deux parties.
La CUMA. Comment ?
Les aspects financiers
Le financement du matériel
Le coût total du matériel s’est élevé à 335 000 francs H.T., dépense qui a été financée de la façon suivante :
– subventions : 25 % E.P.R. (aide à l’investissement), 20 % A.R.E.N.E. (agence régionale pour l’environnement) ;
– prêts bonifiés : 30 % A.N.R.E.D., 15 % Crédit Agricole ;
– autofinancement : 10 %.
Le coût pour les utilisateurs
Les coûts de transport sont en partie pris en charge par l’industriel ; pour l’agriculteur, il en coûte 12,50 F par tonne de produit « rendu racines », qui se répartissent comme suit :
– 4,50 F : participation aux frais de transport ;
– 8,00 F : amortissement du matériel et salaire de l’ouvrier.
L’intérêt semble évident pour les agriculteurs si l’on compare ce chiffre aux 100-120 F que représente la valeur de la boue, par référence au prix des unités fertilisantes.
Le fonctionnement
Le suivi technique de l’opération est assuré par le S.U.A.D. de la Chambre d’agriculture : notamment l’augmentation des pH est contrôlée sur toutes les parcelles réceptrices.
Le secrétariat, la gestion et la comptabilité de la CUMA, ainsi que l’organisation des livraisons, sont assurés par le G.D.A. de Sault.
CONCLUSION
Outre l’intérêt que présente une telle opération pour les agriculteurs de cette zone de montagne sèche, confrontés à de graves difficultés, cette action a permis de sensibiliser les agriculteurs aux problèmes des coûts de production, de travail du sol et de fertilisation.
La CUMA d’Albion s’est maintenant élargie en créant d’autres sections (pulvérisation, travail du sol), et une section « broyage de pierres » est en cours de mise en place (1 000 ha devraient être traités dans les cinq ans à venir).
La valorisation des déchets constitue désormais un atout pour diminuer les coûts et ainsi mieux faire face à la concurrence de plus en plus sévère à laquelle notre agriculture se trouve confrontée. D’autres CUMA du même type sont en cours de création, en Normandie notamment.