Cas de solutions adoptées sur la station de MOULLE (Service des Eaux de Dunkerque)
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Ingénieur
Service des Eaux de Dunkerque.
S.L.E.E.
INTRODUCTION
Les boues que l'on obtient comme sous-produit d’un traitement d’eau de surface dépendent de la nature des traitements appliqués et de la qualité de la matière première. En effet, sous ce terme sont regroupés des produits très dissemblables et cet article ne traitera qu'un cas très particulier : l'usine de Moulle.
La nécessité de traiter les boues produites par une station de production d’eau potable est liée à la protection de l'environnement et aux conditions géographiques particulières.
Le but du traitement est d’annuler tout rejet dans le milieu naturel en fournissant d'une part un surnageant clair recyclable et d’autre part un matériau pelletable que l'on pourra déposer en décharge ou valoriser.
L’USINE DE MOULLE
Ces installations ont été déjà largement décrites dans ces colonnes (1, 2, 3). Elles fournissent l’alimentation en eau potable de la région de Dunkerque (Nord). Elles sont originales à plusieurs titres : réalimentation de la nappe, gestion rationnelle de l'aquifère par modélisation mathématique, utilisation de la flottation comme technique de clarification, traitement de la totalité des boues et recyclage de la totalité des eaux de service.
L’usine de traitement a été construite en deux phases en 1973 et 1980 pour faire face à l’insuffisance des ressources naturelles. Elle traite l'eau d’un bras mort de l'Aa (la Houlle) et a une capacité nominale de 50 000 m³/j. La capacité du champ captant est, compte tenu des possibilités dues à la réalimentation, de 100 000 m³/j.
I — TRAITEMENT DES EAUX
Après dégrillage et tamisage l’eau brute est chlorée et passe dans une bâche de contact à l’extrémité de laquelle sont disposées les pompes d’exhaure. La totalité des recyclages arrivent au droit des pompes. L’eau passe ensuite dans une vasque de mise en charge où est injecté le coagulant (chlorosulfate ferrique commercialisé sous le nom de Clairtan).
Il existe d'autres points d'injection disponibles si cela est nécessaire en cas de changement de réactif. En hiver, quand la température de l'eau est très basse (figure 1) il est fait appel à un adjuvant de floculation, à savoir un amidon de pomme de terre : le flocgel.
L’économie annuelle de réactif est estimée, à qualité d'eau traitée égale, à 25 %. Les performances de la flottation ont déjà fait l'objet de publications (3, 4).
La vasque de mise en charge sert également d’ouvrage de répartition entre les deux filières. La première, construite en 1973, a un débit nominal de 800 m³/h et est constituée d'une décantation (PULSATOR) et d’une filtration sur charbon actif en grains dans trois filtres à grande hauteur d’eau (Aquazur V). La deuxième filière a un débit nominal de 1 200 m³/h et est constituée de quatre cellules de flottation précédant quatre filtres à charbon actif identiques à ceux de la première tranche.
Comme nous le verrons par la suite, le choix de la flottation comme procédé de clarification a en partie été déterminé par la nécessité de traiter les boues produites.
L’autre raison du choix de la flottation est la nature particulière de l'eau à traiter. Cette eau, peu chargée en colloïdes minéraux, riche en matières organiques et en algues, moyennement minéralisée, nécessite pour son traitement des doses considérables de réactifs. La flottation est un moyen de réduire ces taux de traitement.
II — TRAITEMENT DES BOUES
1. Choix du procédé de traitement.
Les premières solutions adoptées pour l’évacuation des boues : lagunage, épaississement statique après conditionnement aux polyélectrolytes et déshydratation sur lit de séchage se sont révélées peu performantes. Les surfaces nécessaires étaient considérables : 1 hectare de lagune. Par ailleurs, les boues, bien que peu chargées en matières organiques, pouvaient fermenter et entraîner des nuisances.
Pour l'extension, comme nous l'avons souligné précédemment, le critère du traitement des boues a été intégré dans le choix du procédé de traitement.
Différentes voies furent étudiées : épaississement statique, épaississement par flottation, centrifugation, déshydratation mécanique sur filtre-à-bande ou sur filtre-presse.
Le critère de choix était la nature du produit fini qui devait être pelletable et évacuable en décharge contrôlée.
Les essais réalisés par la S.L.E.E. et DEGREMONT avaient montré les limites de l'épaississement statique dans le cas du traitement des purges du décanteur.
Ces boues avaient une concentration de l’ordre de 2 g/l de matière sèche, le débit à traiter voisinait 50 m³/h (8 % du débit nominal) et l’épaississement réalisé permettait d’obtenir un produit titrant 8 g/l environ.
Dans le cas d’une déshydratation mécanique sur filtre-presse ou filtre-à-bande la concentration doit être à l'entrée aux environs de 20 à 30 g/l.
Pour cela il aurait fallu construire un épaississeur d’environ 500 m³.
Les essais d’épaississement de ces purges par flottation montraient que l'on pouvait obtenir cette concentration avec un flottateur de 16 m³ et un taux de recirculation d'eau pressurisée voisin de 100 %.
Le choix de l'épaississement par flottation acquis et celui du filtre-presse, justifié par la plus grande siccité du produit fini, explique que pour la deuxième filière de traitement la flottation a été choisie comme procédé de clarification. Cela permet, outre l'économie du réactif, de pouvoir déshydrater directement les boues après chaulage et donc de supprimer un maillon coûteux destiné à augmenter la concentration des boues.
2. Résultats d’exploitation.
a) Traitement des boues flottées.
Ces boues ont une concentration moyenne de 25 g/l de matières sèches. Après désaération, elles sont dirigées dans des stockeurs de 450 m³, ce qui assure une capacité de stockage de 3 jours. Cela évite de fonctionner les week-ends et la nuit.
Après chaulage à la chaux hydratée, la boue est reprise par une pompe à membrane et traitée sur le filtre-presse. Chaque pressée de 30 m³ produit 3,5 m³ d’un matériau dont la siccité est proche de 35 %. Parfaitement stables et inodores, elles sont évacuées en décharge. La quantité de chaux ajoutée est d’environ 250 kg par pressée. Le débâtissage du filtre-presse (96 plateaux de 1,20 m × 1,20 m) se fait automatiquement et le doublage de l'installation est prévu au niveau du génie civil (tableau 1).
TABLEAU 1
Performance de l'épaississement par flottation des boues décantées en fonction du conditionnement.
Polyélectrolyte C5 53 | Alginate ou (Aq. SA) Flocgel | |
---|---|---|
Charge admise : | 4 à 5,5 | 4 à 5 |
Vitesse ascensionnelle : | 3 à 4 | 3,5 |
% Recirculation : | 35 à 40 % | 20 à 25 % |
Concentration : | ||
— boues admises : | 2 – 3,5 g/l | 2 – 3,5 g/l |
— boues flottées : | 20 à 25 g/l | 25 à 30 g/l |
— eau flottée : | 100 mg/l | 100 à 300 mg/l |
Conditionnement : | 2 kg/t | 7 kg/t |
b) Traitement des boues de décanteur.
Après floculation, les boues sont envoyées dans un flottateur circulaire de type « SEDIFLOTTAZUR ». Cet ouvrage a un diamètre de 4,5 m pour un débit de boues à traiter de 40 m³/h. C’est une flottation à l’air dissous qui est adoptée. Le taux de recirculation, du fait de la charge massique importante, est voisin de 50 % du débit traité.
La boue produite titre 20 à 30 g/m³ de matières sèches, est envoyée dans les stockeurs et suit le traitement décrit précédemment.
L’atelier de traitement des boues est abrité dans un bâtiment qui a fait l'objet d'une étude architecturale particulière en vue de son intégration dans le site rural de la région audomaroise.
TABLEAU 2
Performances moyennes de la déshydratation mécanique des boues sur le filtre-presse sur environ 200 pressées.
Durée de filtration | 1 h 45 |
Dose de chaux | 25 % du taux de matières sèches |
Rendement | 1,8 à 2 kg MS/m³/h |
Siccité | 25 à 35 % |
Densité | 1,15 |
Les tableaux 1 et 2 résument les performances de la déshydratation des boues et de la flottation, le conditionnement étant réalisé grâce à l'utilisation de Flocgel.
3. Problèmes liés au recyclage des eaux de service.
L'usine de MOULLE est caractérisée par la nécessité de recycler la totalité des eaux de service à savoir : filtrats de pressées fortement alcalins, effluents du sédiflottaur, eaux de lavage de filtres.
Sur la première filière seul le problème des eaux de lavage se posait.
À cet effet une bâche fut construite et les recyclages se faisaient gravitairement. Cette bâche avait pour but de lisser le débit sans chercher à recycler un effluent clarifié. En effet, sur le Pulsator le recyclage des produits floculés n’entraînait pas de perturbation compte tenu de l’existence du lit de boue et des faibles débits d’eau concernés.
Sur le flottateur la floculation est diffuse et plus sensible aux variations de qualité d’eau. Il s’est avéré impossible de recycler les eaux de lavage en tête lors des périodes d'eau froide en raison notamment d'une augmentation brutale de la charge en matières en suspension.
À cet effet, la bâche a été modifiée pour fonctionner en décanteur statique, une pompe flottante recyclant un surnageant clarifié.
Tous les 25 lavages environ la bâche est nettoyée et les boues traitées sur le filtre-presse. La concentration de ces boues est supérieure à celle observée sur les flottateurs (45 g/l contre 15 à 30 g/l).
Le recyclage des filtrats alcalins (pH 11) du filtre-presse entraîne également une perturbation du traitement par flottation par suite d'une modification du pH de floculation et pourrait entraîner un phénomène de décarbonation au niveau des pompes d’exhaure.
La figure 3 définit le circuit qui a été adopté. Le mélange des filtrats alcalins avec les eaux de lavage permet de neutraliser la chaux résiduelle et améliore la décantation des eaux de lavage. La surverse recyclée à faible débit (50 m³/h) est limpide (3 à 4 UI) et a un pH voisin de celui de l’eau brute. Les boues de fond suivent le circuit normal de traitement.
III — VALORISATION DES BOUES
La valorisation des boues déshydratées est à l’heure actuelle, dans le cas de MOULLE, inexistante puisqu’elles sont envoyées en décharge.
Elles sont pauvres en matière organique (13 %) et contiennent environ 25 % du poids de matière sèche sous forme de chaux ; le reste est constitué d'hydroxyde de fer et de matières minérales (Tableau 3).
Des essais sont en cours pour trouver une utilisation à ce type de matériau : amendement en agriculture (chaux et oligo-éléments), charge minérale en briquetterie, adjuvant lors de la fabrication d’engrais, remblais...
Il est certain que ce thème constitue un axe de recherche privilégié et essentiel du traitement des boues.
TABLEAU 3
Résultat d’analyse d’un échantillon de boues déshydratées de l’usine de MOULLE (les résultats sont exprimés en pourcentage de matières sèches).
Matières sèches | 30 % |
Perte au feu à 1 100 °C | 32,5 % |
C.O.T. | 7,5 % |
Matières organiques | 13 % |
COT/Azote kjeldahl | 5,5 |
pH | 11,1 |
CaCO₃ | 19,1 % |
Acide phosphorique (Joret Hebert) 0,001 %
Calcium | 16 % * |
Magnésium | 0,38 % * |
Potassium | 0,08 % * |
Sodium | 0,09 % * |
Chlorures | 0,5 % * |
Fer | 25 % * |
Acide phosphorique | 0,7 % * |
Manganèse | 1 525 ppm* |
Cuivre | 9 ppm* |
Zinc | 97 ppm* |
Chrome | 97 ppm* |
Nickel | 7,7 ppm* |
Cobalt | 11,8 ppm* |
Plomb | 15 ppm* |
Cadmium | 0,39 ppm* |
Mercure | 1,1 ppm* |
Azote nitrique (NO₃) | 46 ppm |
Azote ammoniacal | 702 ppm |
* Total HF.
CONCLUSION
L’exemple de MOULLE décrit un cas particulier du problème lié au traitement des boues et des solutions adoptées. Cet exemple illustre les difficultés rencontrées, la plus importante étant sans doute la nature très dissemblable des produits appelés « boues d’eau potable ».
L’usine de MOULLE est un exemple concret de l’aboutissement d’une réflexion globale intégrant l’ensemble des paramètres qui conduisent à l’élaboration d’une station moderne de traitement d’eau de surface à savoir : nature de l’eau, traitement des boues produites, recyclage des eaux de service, absence de rejet de pollution dans le milieu naturel.
Elle constitue par ailleurs, du fait de la juxtaposition de deux filières de clarification différentes, décantation et flottation, un terrain d’expérience unique en son genre à l’heure actuelle.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1) F. MARTIN. — La Lyonnaise des Eaux à Dunkerque. L’EAU ET L’INDUSTRIE, n° 24, avril 1978.
2) J.-M. TRISTRAM, J.-C. COURNARIE. — L’alimentation en eau de Dunkerque. L’EAU ET L’INDUSTRIE, n° 25, mai 1978.
3) F. MARTIN, P. THÉBAULT. — Les nouvelles installations de Moulle : flotation et traitement des boues. L’EAU ET L’INDUSTRIE, n° 52, février 1981.
4) Y. RICHARD. — La flotation. Conférence présentée à l’AGHTM le 23 avril 1981.
5) A. HAUBRY, C. FAYOUX. — Boues d’eau potable : Problèmes posés par la diversité de leurs natures et leurs origines. L’EAU ET L’INDUSTRIE, n° 40, décembre 1979.