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Les boues activées : un centenaire en pleine forme !

31 mars 2014 Paru dans le N°370 à la page 108 ( mots)
Rédigé par : Bernard VEDRY et Sandrine PAROTIN

En 1912, Gilbert Fowler de l'Université de Manchester, a l'intuition d'une épuration des eaux usées par cultures libres, dont il avait emprunté l'idée aux États-Unis. De retour à Manchester il mène en 1913 des expériences pour confirmer son hypothèse avec l'aide des chimistes Ardern et Lockett. Ils publient leurs travaux en 1914, donnant naissance à un nouveau procédé, baptisé « boues activées ». Des variantes sont immédiatement testées et mises au point, d'abord en Angleterre et par la suite ailleurs. Des pilotes sont ensuite construits dans quelques grandes villes des États-Unis dès 1914. Ils sont rapidement suivis par la construction d'ouvrages gigantesques, qui seront cependant soumis à l'antériorité des brevets de Gilbert Fowler. En France, les premiers essais de boues activées sont réalisés en 1917 à la station de Colombes qui appartient alors à l'Assainissement de la Ville de Paris. Ils sont suivis par des pilotes industriels, puis par des ouvrages en dimensions réelles exploitant différents procédés. De sorte qu'en 1925, avec cinq installations fonctionnelles, la station de Colombes devient « La Mecque » française des boues activées.

Des pilotes sont ensuite construits dans quelques grandes villes des États-Unis dès 1914. Ils sont rapidement suivis par la construction d’ouvrages gigantesques, qui seront cependant soumis à l’antériorité des brevets de Gilbert Fowler.

En France, les premiers essais de boues activées sont réalisés en 1917 à la station de Colombes, qui appartient alors à l’Assainissement de la Ville de Paris. Ils sont suivis par des pilotes industriels, puis par des ouvrages en dimensions réelles exploitant différents procédés. De sorte qu’en 1925, avec cinq installations fonctionnelles, la station de Colombes devient « La Mecque » française des boues activées.

Avant 1914, les procédés biologiques d’épuration, alors en plein développement, sont constitués soit de lits bactériens immergés de contact de William Joseph Dibdin, avec ou sans fosse septique, soit de lits bactériens percolateurs non immergés à distribution de l’eau brute par bec, par pont baladeur ou par sprinkler. Les variantes de filtres à sable sont systématiquement explorées aux États-Unis, à la Lawrence Experimental Station (L.E.S.) par Hiram Mills et Allen Hazen.

Les décanteurs du type Dortmund, sans stockage des boues ou avec stockage et digestion dans les fosses Travis ou Imhoff, sont préférés dans les cas de rejet en mer ou dans de grands fleuves, là où l’auto-épuration est en mesure d’éliminer la pollution dissoute.

Parallèlement aux recherches sur ces procédés encore jeunes, la science de l’écologie des eaux prend son essor avec Richard Kolkwitz à Berlin, qui recense les microorganismes indicateurs d’eau polluée.

Les biomasses épuratrices fixées sont étudiées d’un point de vue utilitaire. La commercialisation des Collemboles pour décolmater biologiquement les lits bactériens percolateurs en est un exemple remarquable.

Une intuition fulgurante

Gilbert Fowler, expert anglais très estimé de Manchester, visite en 1912 la Lawrence Experimental Station près de New York. Harry Willard Clark, le directeur, lui présente ses dernières recherches.

[Photo : Premier pilote semi-industriel de boues activées en France (Colombes) en 1917, adaptation d'un ancien pilote de filtre à sable en cascade.]

en cours, notamment certains flacons contenant des eaux usées diluées, enrichies en algues et bouchés, qui épurent rapidement toute nouvelle eau brute mise en contact avec les sédiments verts des flacons.

Les résultats sont analogues à ceux d'un témoin d'expérience, un lit de contact à ardoises (type Dibdin). G. Fowler comprend que les sédiments du flacon de Clark à base de bactéries et d’algues amènent ces dernières à produire l’oxygène nécessaire aux bactéries.

Mais il ne dit rien et, de retour à Manchester, entreprend deux séries d’essais pour valider son intuition. Le premier essai, mené à l'Université de Manchester, est réalisé avec E. Mumford dans un tonneau aéré par injection d’air à travers un corps poreux et ensemencé de bactéries ferrugineuses, dont il pense qu’elles catalyseront l'oxydation de la pollution et qu’elles décant­eront facilement grâce à leur gaine d’oxyde de fer.

Le deuxième essai est réalisé à Davyhulme (Manchester) avec l'aide des deux chimistes de la station, Edward Arden et William Lockett. Il consiste en une série de flacons aérés par bullage, régulièrement mis en décantation, soutirés de l'eau surnageante épurée et remplis à nouveau d’eau brute, ancêtre de nos actuels SBR (sequential batch reactor).

Après un an d’expérimentation, le premier essai se révèle infructueux. Les hypothèses de Fowler ne sont pas confirmées. Mais il a gagné en savoir-faire, notamment sur la conception de pilotes aérés par corps poreux, base du premier brevet concernant ce nouveau procédé.

La deuxième série d'essais, en revanche, confirme ses intuitions : elles démontrent que les biomasses accumulées par décantations successives sont de plus en plus actives, devenant plus concentrées en bactéries épuratrices.

Dans le courant 1913, Gilbert Fowler, en relation avec William Jones de la société Jones & Attwood, obtient un brevet d'invention au seul nom de Jones pour l’épuration des eaux usées par aération au moyen de diffuseurs poreux. Son nom n'apparaît donc pas dans ce brevet. Le terme de « boues activées », qui n’est pas encore déterminé, non plus.

1914 : le premier bassin à taille industrielle à boues activées

Le 3 avril 1914 à Manchester, lors d'un congrès des industries chimiques, Ardern et Lockett exposent pour la première fois leurs résultats. Ils montrent que, sur des biomasses préparées en aération et accumulées, bref activées, l’épuration d'une eau brute est possible en six heures de contact entre l'eau brute et la biomasse. Ils baptisent cette biomasse active « boues activées ». Les professionnels comprennent immédiatement les avantages potentiels du nouveau procédé par rapport aux systèmes existants : volume de bassin pour six heures de temps de séjour, pas de garnissage en mâchefer si coûteux, pas de colmatage des ouvrages, pas de surface de filtre à décolmater, pas d’odeurs, pas d'insectes (Psychoda), pas de gel en hiver, pas de problèmes de répartition des eaux.

Une large diffusion du principe des boues activées est assurée par une série de parutions dans deux revues en 1914 et 1915, le « Journal of the Society of Chemical Industry » et « The Surveyor ».

Fowler étant connu comme universitaire et agent de la ville de Manchester à la tête de l'équipe de recherche avec Arden et Lockett, et non comme industriel, certains assainisseurs municipaux, dans le cadre de leurs travaux habituels de recherche, construisent des pilotes de boues activées. Ils ne soupçonnent pas le risque d’une protection industrielle de la part de Jones & Attwood, dont ils ignorent les liens avec Fowler.

C'est ainsi qu’en Angleterre plusieurs traiteurs d’eau mettent en œuvre le principe des boues activées dès 1914.

Mais, cruelle, l'histoire ne retiendra qu'un petit nombre d’entre eux. Le problème de ces pionniers est que les brevets déposés au nom la société Jones & Attwood

[Photo : Pilote semi-industriel système Lamy (1919).]
[Photo : Station de Mont-Mesly, système Sheffield à roue à aubes]

bloquent les initiatives. Seules les inventions réellement innovantes pourront franchir le barrage des brevets.

S. E. Melling, informé des essais menés par Ardern et Lockett dans un bassin désaffecté de la station voisine de Davyhulme, crée des boues activées fonctionnelles dès 1914. C’est probablement le premier bassin à taille industrielle à boues activées. Il publie ses résultats en 1915.

De multiples développements

John Haworth à Sheffield, après plusieurs années de développements, construit un bassin à longs canaux parallèles à boues activées, aéré mécaniquement par roues à aubes ; c’est un générateur de houle.

Joshua Bolton à Bury, après de longs développements, met au point un bassin compact de boues activées, cloisonné avec une zone de décantation. L’aération mécanique est assurée par une turbine de surface.

Sur le continent, le nouveau procédé fait aussi des émules. En Hollande, le Dr H.H. Kessener invente le bassin carrousel à aération par brosse, directement inspiré de l’hydraulique des piles hollandaises de l’industrie papetière.

En Allemagne, le très créatif Dr Karl Imhoff invente l’agitation mécanique des boues par des aubes immergées dans le bassin, censées faire circuler les boues, faciliter l’adsorption sur les flocs et imposer un trajet prolongé des bulles d’air insufflées, ce qui améliore la dissolution de l’oxygène et donc l’énergétique du système.

En France, Victor Lamy conçoit un système compact de bassin combiné, avec aération par bullage mais associé à un effet de recirculation dans une colonne centrale avec éjecteur d’air, ce qu’on appelle un béduwé.

Les États-Unis connaissent durant ces années folles une croissance industrielle inouïe, due à la création en quelques années d’une flotte et d’une armée financée par l’or des alliés. Ce dynamisme s’accompagne d’une créativité débridée autorisant toutes les audaces.

De grandes villes optent en faveur du système des boues activées qu’elles testent en pilotes industriels à partir d’anciens bassins, souvent d’anciennes fosses Imhoff. Puis, les essais s’avérant concluants, la construction d’ouvrages opérationnels commence. C’est typiquement le cas de la ville de Milwaukee qui édifie en quelques mois une gigantesque station de traitement des eaux usées.

Fowler, dans ces années de guerre et d’après-guerre, dépose quantité de brevets, notamment sur le point économique du procédé : l’aération à travers des dalles ou corps poreux.

Mais Jones & Attwood, devenu entre-temps Activated Sludge Ltd en Angleterre, crée une filiale aux États-Unis qui détient les droits des inventions. Dès les premiers travaux à Milwaukee, l’entreprise attaque la ville pour plagiat. Un conflit de propriété industrielle s’ensuit qui va durer jusqu’en 1933. Milwaukee sera finalement condamnée par la plus haute juridiction américaine et contrainte à payer des royalties à Activated Sludge Inc., comme d’ailleurs les autres villes ayant construit leurs propres stations parmi lesquelles Houston, Cleveland, Chicago ou San Marcos.

En France, le procédé se développe à Colombes

En France, le premier essai connu à l’échelle semi-industrielle a lieu en 1917 dans l’usine de relevage des eaux d’égout de la ville de Paris, à Colombes. À cet effet, un ancien pilote de traitement des

[Photo : Plan d'une unité Simplex, bassin combiné avec turbine de surface]

Bernard Vedry

APPAREIL “ACTIVATED SLUDGE.

[Photo : Plan d’une unité de boues Activated Sludge aux alentours de 1920.]

eaux par voie chimique, bénéficiant d'un système d'insufflation d’air est facilement converti en pilote de boues activées.

En 1919, toujours à Colombes, une unité pilote à boues activées, dite système Lamy, est construite et étudiée.

En 1921 à Mont-Mesly, près de Créteil, une station système Sheffield est construite et mise à l'essai.

À Colombes, deux unités industrielles sont construites en 1925 pour poursuivre les recherches : un système Simplex, avec aération par turbine de surface et bassin combiné, puis un système Activated Sludge construit par S.G.E.A., le licencié de l’entreprise anglaise qui fusionnera bien plus tard avec un fleuron nommé Degrémont.

Les années qui suivent seront marquées par le développement de nombreuses variantes techniques. Mais de grandes villes américaines adoptent très tôt le procédé, valident ainsi son excellence et l'établissent universellement de sorte que cent ans après sa naissance, il reste le procédé le plus répandu. Les nombreuses variantes et les recherches dont il fera l'objet au cours des décennies suivantes entraîneront la création de nouvelles disciplines scientifiques parmi lesquelles l’analyse biologique des biomasses, l’analyse respirométrique, la déphosphatation biologique par cultures libres, la nitrification-dénitrification par cultures libres ou encore le contrôle des bactéries filamenteuses.

Il présente toutefois deux limites : la concentration en biomasse et, dans certains cas, une décantabilité insuffisante due à la présence de bactéries filamenteuses.

Cependant, le couplage récent et prometteur des boues activées avec la filtration membranaire, en palliant ces inconvénients, contribue à lui donner une nouvelle jeunesse.

Ironie de l’évolution technologique ! Des procédés récents, eux-mêmes issus de procédés plus anciens à cultures fixées, jadis déplacés par les boues activées, qui réussissent à s’affranchir des limites de celles-ci, se présentent aujourd’hui comme leurs plus sérieux concurrents sous forme de biofiltres immergés.

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