À une ou deux exceptions près, c’est depuis l’accident du TORREY CANYON, survenu en 1967, que se sont vraiment commercialisés les barrages. Les transformateurs de matières caoutchoutées ont alors uni leurs efforts afin de présenter aux pouvoirs publics des matériels susceptibles d’être homologués. Depuis, la technologie a progressé et l’on observe une grande diversité de matériels aux objectifs différents (outre les barrages classiques qui sont les plus nombreux, sont apparues les barrières antifeu, les barrages absorbants, les barrages en béton…).
Un dernier recensement signale la présence sur le marché mondial de 128 modèles fabriqués par 64 constructeurs et, malgré cette prolifération, aucun modèle présenté ne satisfait complètement à la tâche qui lui est demandée. C’est peut-être qu’au-delà du matériel réalisé, il y a la manière de l’utiliser et l’environnement auquel il est soumis. À cet égard, c’est à travers des essais de mise en œuvre dans des situations proches de la réalité que l’on se prépare le mieux à lutter contre des accidents, et c’est un des rôles principaux que les pouvoirs publics ont confié au CEDRE (Centre de Documentation, de Recherches et d’Expérimentations sur les pollutions accidentelles des Eaux). Créé pour améliorer les moyens de lutte contre les pollutions accidentelles, le CEDRE s’intéresse donc tout particulièrement à l’expérimentation des matériels existants et à l’évaluation des nouveaux barrages.
P. BELLIERDirecteur du CEDRE
Les barrages flottants que l’on trouve actuellement sur le marché se distinguent en deux types.
Les barrages de type « BARRIÈRE » sont constitués par un écran rigide ou semi-rigide maintenu en position verticale par des flotteurs latéraux remplis d’air ou de mousse expansée. Ils sont résistants. Certains sont employés comme barrières antifeu.
Les barrages de type « RIDEAU » se présentent sous la forme de cylindres gonflés ou remplis de mousse expansée sous lesquels se trouve une jupe lestée. Leur plus grande souplesse leur permet de mieux suivre le mouvement des vagues et d’avoir une meilleure aptitude à l’échouement.
TYPE RIDEAU
TYPE BARRIÈRE
DESCRIPTION D’UN BARRAGE
Un barrage se compose d’éléments de flottabilité sous la forme de volumes gonflables ou remplis de mousse expansée, d'une jupe lestée et d’une chaîne ou d’un câble de tension (Fig. 2). Sa position sur le plan d’eau détermine le franc-bord et le tirant d'eau qui sont délimités par la ligne de flottaison. La longueur des éléments peut varier de 5 à 50 m raccordables par des systèmes jusqu’à présent non normalisés. Nous trouvons des fermetures souples à lacet, à fermeture à glissière ou des liaisons semi-rigides sous forme d’engoujures ou d’articulations de type charnière. Quand ils sont souples, les barrages sont le plus souvent fabriqués en matériaux plastiques enduits de PVC. Leur structure ne reprend pas les efforts de tension qui passent par une ou plusieurs lignes suivant les modèles.
LIMITES D’EFFICACITÉ
Il n’existe pas de dispositif parfait pour arrêter une nappe. L'influence du courant en rivière, auquel s’ajoute le vent et les vagues en exposition marine, sont des forces qui, agissant seules ou combinées, limitent l’action du barrage. Placé dans le courant, un barrage a tendance à s’incliner et s’enfoncer plus ou moins suivant sa position par rapport au courant. Ce dernier peut atteindre et dépasser la « vitesse critique » où apparaissent les phénomènes d’échappement laminaire.
Cette vitesse varie avec :
- — les conditions d’environnement,
- — la hauteur du tirant d’eau du barrage,
- — la nature de la nappe et son épaisseur.
On admet généralement qu’elle est de l’ordre de 0,7 à 1 nœud face à un barrage placé perpendiculairement au courant. Quand la hauteur d’eau est trop faible (5 fois le tirant d’eau du barrage), l’accélération du courant dans la veine d’eau plus réduite peut provoquer des fuites bien avant ce seuil. Les fuites se traduisent par des échappements par vortex à axe vertical qui se forment devant le barrage, et d’un arrachement de gouttelettes provenant de la formation d’un bourrelet en amont de la nappe (Fig. 3).
Ce phénomène est lié à la quantité d’hydrocarbures retenue. Si la nappe est grande, le bourrelet est plus éloigné et les gouttelettes ont le temps de remonter avant le franchissement du barrage. L'action du vent ajoutée au courant provoque un débordement des hydrocarbures sur le franc-bord (Fig. 4). L'effet des vagues n’est pas négligeable. Il peut avoir pour conséquences la submersion ou le chavirement du barrage, surtout dans des mers « courtes » où la cambrure de la houle est faible.
Ses limites étant connues, le barrage doit être utilisé au mieux en fonction des paramètres rencontrés et des moyens de lutte associés. Si c'est le premier équipement qui est mis en place, il ne faut pas oublier que les éléments de récupération, les pompes de transfert et les moyens de stockage doivent suivre aussitôt. Cela demande la disponibilité d’un matériel toujours bien entretenu et un encadrement averti, apte à prendre de rapides décisions.
Les barrages s’emploient différemment suivant les sites d’intervention.
Eaux intérieures.
Sur un plan d’eau calme, le barrage est surtout sollicité par l'action du vent. En cas de déversement accidentel, son rôle est de confiner la nappe en l’épaississant pour faciliter la récupération.
En utilisation permanente (protection d’installations piscicoles ou aires de loisirs), il peut être amarré sur la berge ou maintenu par des corps morts disposés sur le fond.
La protection des sites à courant demande une stratégie différente car la vitesse critique est très souvent dépassée. Il faut alors utiliser plusieurs barrages et déflecteurs pour détourner la nappe vers les parties du cours d’eau où la vitesse est plus réduite ou vers les rives où s’organise la récupération. La méthode la plus courante consiste à les placer en épi ou en chevron, que l'on fermera si la voie est non navigable. Une seconde méthode consiste à les placer en cascade, les barrages en aval recueillant les fuites des précédents (Fig. 5).
Il faut donc choisir un angle au barrage de telle sorte qu'il conserve son efficacité. La courbe plus loin indique la valeur de l’angle que doit prendre le barrage en fonction de la vitesse du courant.
L’angle maximum d'emploi se limite à 75° si l'on ne veut pas mettre en œuvre de trop grandes longueurs (voir le schéma de la page suivante).
Ces barrages sont maintenus dans le courant par de solides amarrages sur la berge et par des ancres ou des corps morts suivant la nature du fond sous-marin. L'emploi de plusieurs petites ancres est préconisé quand les efforts de retenue sont importants. Chaque ligne d’amarrage reprend plusieurs points des barrages. Ceci permet notamment de réduire leur concavité, car quelle que soit la position choisie, les barrages forment des poches successives.
Les Canadiens ont expérimenté des déflecteurs spéciaux placés en appendice sur les barrages, qui permettent notamment de n‘utiliser qu‘un seul point d’ancrage.
Sur voies navigables plus importantes, une autre méthode — non encore expérimentée — pourrait consister à contrôler la dérive du barrage, ce qui aurait pour conséquence de réduire la vitesse relative du courant et d’amener les fragments de nappe vers le site de récupération le mieux adapté.
En zone portuaire.
Les lieux où les risques de déversement sont les plus grands sont en général bien connus, et un port peut se préparer à cette éventualité en plaçant sur l'eau des barrages permanents, ou en stockant sur des appontements des barrages « prêts à l’emploi » pouvant facilement être transportés vers le lieu du sinistre.
Les ports sont en général des zones à faible courant. Le placement et l'utilisation des barrages se feront en fonction des conditions de surface et des possibilités de récupération. Les barrages de type « barrière ou rideau » de taille moyenne seront suffisants pour une utilisation occasionnelle où la manœuvrabilité sera recherchée (encerclement de nappes à l'aide de petites embarcations). Pour une utilisation permanente, une solution plus riche — mais plus durable — consiste à employer des barrages en béton ou des rideaux à bulles si l'installation est fixe. Les barrages métalliques antifeu ont également leur emploi dans des zones portuaires ou à proximité des raffineries côtières. Dans un avant-port où le barrage peut être soumis au clapot, le type barrière sera plus efficace. Si la houle est de faible cambrure c'est le type rideau qui suivra le mieux la vague.
Estuaires et sites côtiers.
Ces zones sont plus exposées aux vents, au courant et au déferlement des vagues. Les barrages doivent avoir des caractéristiques mécaniques de « survie » pour résister aux tempêtes et être à nouveau utilisables.
La maîtrise des ancrages n’est pas totalement résolue. Il n’est pas rare de voir des lignes de mouillage se déplacer malgré la présence de corps morts pesant plusieurs tonnes. Quand un site à protéger est considéré comme prioritaire, il est préférable de placer à l’avance des ancrages fixes. Dans les estuaires, les barrages sont toujours placés en dérivation pour dévier la nappe vers un lieu de récupération accessible par des moyens terrestres. Dans les zones intercôtières, les barrages doivent avoir une bonne aptitude à l'échouement et reprendre ensuite leur configuration initiale. Les mouvements de marée engendrent des variations de vitesse du courant qui peuvent dépasser 4 nœuds. L'emploi de deux barrages successifs est alors préconisé.
Le nettoyage des sites pollués requiert aussi l'emploi de barrages, mais de plus petites dimensions. Ces barrages légers et manœuvrables sont placés en lisière du plan d’eau pour recueillir les écoulements provenant du lavage de rochers ou du brassage de plages polluées, les empêchant ainsi de retourner au large. L’emploi de produits absorbants sur ces zones nettoyées permet au barrage de contenir un hydrocarbure mieux conditionné qui est ensuite dirigé vers un moyen de récupération.
Les estuaires et sites côtiers les plus sensibles ont fait l'objet de plans de pose et de maintenance de barrage, étudiés par les départements littoraux, à la demande de l'Instruction POLMAR du 12 octobre 1978. Ces plans tiennent compte de l'influence des courants et marées et des possibilités d'accès pour la récupération des produits polluants.
Les barrages de protection sont la propriété du Ministère des Transports qui confie à la direction des Ports et de la Navigation Maritimes le soin de les choisir et de les approvisionner. L'ensemble des barrages disponibles est géré par le service technique des Phares et Balises, qui est chargé également d'animer des sessions de formations à leur mise en œuvre. Le parc national comprend environ 30 km de barrages répartis — en temps de paix — dans les huit ports suivants :
DUNKERQUE – LE HAVRE – BREST – ST-NAZAIRE – LE VERDON – SÈTE – MARSEILLE et AJACCIO.
En haute mer.
Après un déversement accidentel en mer, les moyens de récupération doivent être rapidement mis en œuvre afin de limiter l'importance des rejets qui arriveront inéluctablement à la côte, souillant maintes fois par le jeu des marées des endroits inaccessibles. Le barrage peut être utilisé en association avec les moyens de récupération et de stockage adaptés (filets, écrémeurs, intégrés ou non).
Il peut être employé en mode statique, étant alors retenu par des ancres flottantes et placé face au courant en position de chaînette afin de recueillir en fond de poche les polluants qui dérivent en surface. Il est plus couramment utilisé en mode dynamique, relié alors à deux bateaux tracteurs qui opèrent en chalutage. Les bateaux doivent avoir une grande manœuvrabilité à faible vitesse, car la vitesse relative du barrage par rapport aux nappes dérivantes doit rester inférieure à la vitesse limite d'efficacité du barrage.
La forme plus communément employée est en U dans le fond duquel se trouve l'engin de récupération (Fig. 7). Si ce dernier se situe à l'extérieur de la poche, la forme aura tendance à ressembler à un V.
[Figure 7 : Chalutage en forme de U]Ces deux configurations nécessitent l'emploi de trois bateaux. La tendance actuelle s'oriente vers une diminution des moyens de surface et les Scandinaves préconisent le chalutage en forme de J où le second bateau sert de support au récupérateur et peut stocker les produits recueillis (Fig. 8).
[Figure 8 : Chalutage en forme de J]AUTRES MOYENS DE CONFINEMENT
Barrages absorbants.
Ces barrages sont constitués de matériaux naturels ou synthétiques conditionnés sous forme de boudins flottants dont le rôle est d'absorber les hydrocarbures. Leur valeur intrinsèque ne leur confère pas un rôle de premier plan. Ils sont utilisés pour l'élimination des dernières traces d'hydrocarbures ou pour nettoyer les zones inaccessibles aux écrémeurs. D'une résistance mécanique peu élevée, il n'est pas conseillé de les utiliser seuls, dans une zone à
… courant, mais ils peuvent bien doubler un barrage classique jusqu’à complète imprégnation. Leur pouvoir d’absorption peut atteindre trois à six fois leur propre poids.
La température de l’air et de l’eau, l’épaisseur et l’état physique (émulsification, vieillissement) de la nappe d’huile ont une influence sur l’efficacité des produits absorbants. Ces barrages ne sont pas toujours recyclables. Leur destruction se fait le plus souvent par incinération.
Barrages à bulles.
Ce procédé consiste à créer en surface de l’eau un courant qui s’oppose à l’avancement de la nappe. Une tuyauterie placée sur le sol marin libère un rideau de bulles d’air dont le volume augmente en remontant en surface (Fig. 9). L’agitation ainsi formée crée un obstacle qui peut limiter l’étalement d’une nappe.
L’efficacité de ce système se limite à des déversements minimes. Il s’applique essentiellement sur des postes fixes (terminaux pétroliers, installations aquacoles, etc.). Son installation est onéreuse mais il est d’une mise en œuvre rapide et ne se présente pas en obstacle au passage des navires.
Les produits repousseurs.
Il s’agit de tensio-actifs peu solubles dans l’eau. Leur vitesse et leur pression d’étalement sont supérieures à celles de la plupart des hydrocarbures. En les pulvérisant sur le pourtour d’une nappe flottante on peut donc en réduire l’étalement.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
— Prevention, abatement and control pollution from ships, IMCO, 1979.
— Document préparé par OPEFORM pour la Direction des Ports et de la Navigation Maritimes (DPMN) — Service des Phares et Balises.
— Conférence de M. LEROUX, Service des phares et balises, au stage INFOPOL 1979.
— Principes fondamentaux du nettoyage des déversements d’hydrocarbures par le Service de la Protection de l’Environnement du Canada, 1979.