Polybio S.A.
La biomasse, responsable de l'épuration dans les systèmes de traitement biologique, est une association complexe de nombreuses bactéries, levures, champignons et protozoaires. La répartition des espèces au sein de cette communauté est en perpétuel changement, par suite de la variation des conditions du milieu qui engendre une sélection de la population. En dépit de l'aptitude de la biomasse à réagir aux variations des pressions de la sélection, il y a de nombreux cas où le traitement d'épuration qu'elle assure n’est pas satisfaisant.
Jusqu’à présent, la recherche d’un meilleur équilibre passait par la modification de l'environnement des micro-organismes : réglage de l'aération, recirculation des boues, complémentation en azote et phosphore, régulation du pH... Toutefois, cette approche, si elle permet de résoudre des cas simples, n'apporte pas d’amélioration sensible dans la majorité des cas. Heureusement, il existe maintenant des techniques plus élaborées qui consistent à modifier directement les propriétés des micro-organismes, pour les rendre plus efficaces. C’est ainsi que la biotechnologie, grâce aux progrès constants des procédés d’adaptation, de sélection et de mutations accélérées, permet aujourd'hui d’obtenir des micro-organismes mutés possédant des performances épuratoires considérablement améliorées. Ces techniques sont bien connues et largement utilisées dans les industries pharmaceutiques et agro-alimentaires, pour la production d’antibiotiques, de fromages, de boissons alcoolisées, d’acides aminés... Elles sont cependant encore peu utilisées et mal perçues dans le domaine du traitement des eaux usées. Nous donnons ci-après quelques détails concernant leur production et les résultats obtenus dans les stations d’épuration.
Production des bactéries mutées
À partir de prélèvements effectués dans le milieu naturel, on isole les micro-organismes donnant les meilleurs résultats en fonction de différents paramètres : taux de croissance, production d’enzymes, résistance à des concentrations élevées en produits toxiques.
Ces bactéries sont soumises à des conditions de culture de plus en plus difficiles et les souches qui s’adaptent le mieux sont alors mutées afin d’accroître encore leur taux de croissance et de fixer leur adaptation pour la rendre permanente.
La figure suivante illustre, de manière simplifiée, la façon dont est réalisée cette amélioration sélective des souches.
Pour dégrader les polluants, les bactéries produisent des enzymes qui agissent comme des catalyseurs permettant aux réactions chimiques de s'effectuer dans des conditions compatibles avec le milieu. Ces enzymes de dégradation sont inductibles, c’est-à-dire qu’elles ne sont produites qu’en présence de leur substrat. Un des buts recherchés par les mutations sera d’augmenter leur production en éliminant toute régulation ou contrôle de leur fabrication par la bactérie.
Ces souches sont ensuite produites en grande quantité par fermentation industrielle et conservées par des techniques particulières de séchage. Un mélange de plusieurs souches est alors effectué afin de constituer un inoculum spécifique pour un problème donné.
L’action des bactéries mutées se traduit par des résultats probants dans les domaines ci-après.
Dégradation des toxiques
C’est l'étude de ces problèmes qui est à l'origine du développement de l'utilisation de mélanges bactériens sélectionnés pour l'épuration des eaux. En effet, la plupart des stations d’épuration industrielles, et certaines stations municipales, reçoivent bien souvent dans leurs effluents des composés chimiques d’une grande diversité, qui provoquent un empoisonnement, ou une inhibition des bactéries et de leurs systèmes enzymatiques. Dans certains cas, l'incidence de ces polluants sur le rendement de l'épuration et la qualité du rejet peut être très importante.
Après introduction d'un nouveau composé organique toxique, ou difficilement biodégradable, le temps nécessaire pour recouvrer une population bactérienne appropriée par le mécanisme de la sélection naturelle est toujours trop long par rapport au temps de réponse requis pour protéger le milieu naturel d'une contamination. L’apport de bactéries mutées spécialisées permet d’accélérer la réponse dynamique de la population naturelle (voir tableau), ce qui se traduit par une plus grande stabilité dans les rendements d’épuration, mais aussi par la réduction,
voire même l’élimination, de l’impact des chocs toxiques sur la biomasse.
Les bactéries mutées sont également d’un grand secours pour l’établissement rapide d’une biomasse adaptée dans de nouvelles installations destinées à traiter des effluents industriels.
Gonflement filamenteux
De nombreuses stations d’épuration municipales ou de l’industrie agro-alimentaire, sont sujettes à un développement exagéré de bactéries filamenteuses qui forment des réseaux entre les flocs, diminuant considérablement la décantation des boues.
Ce phénomène devient préoccupant pour l’exploitant en cas d’augmentation de la charge hydraulique, car le clarificateur ne peut plus assurer sa fonction de séparation entre les boues biologiques et l’eau épurée ; on assiste alors à des départs de boues dans le rejet.
Les causes de ce gonflement filamenteux sont généralement dues à des conditions limitantes (déficit en oxygène dissous, azote, phosphore) qui engendrent des perturbations dans le métabolisme cellulaire (blocage du cycle de Krebs), et entraînent la formation d’acide lactique par les bactéries non filamenteuses. Ce processus, qui est gros consommateur d’énergie, défavorise ces bactéries par rapport aux souches filamenteuses qui, elles, synthétisent des substances de réserve (polyβéta-hydroxy-butyrate) en conditions limitantes.
La population filamenteuse peut être considérablement réduite par un apport de bactéries mutées spécialisées, de trois types différents :
- — bactéries produisant des enzymes capables de dégrader les gaines des filaments ;
- — bactéries dont le métabolisme a été modifié afin d’être très compétitives en conditions limitantes ;
- — bactéries capables de fixer l’azote gazeux (N₂).
L’action combinée de ces différentes souches déplace l’équilibre biologique en défavorisant le développement des formes filamenteuses. Le coût d’un tel traitement est souvent moins onéreux et, en tout cas, moins dangereux que les traitements chimiques utilisés généralement, tels que : eau de javel, chlore, eau oxygénée, etc.
De plus, des économies importantes peuvent être réalisées dans la filière du traitement des boues (floculants, rendement des filtres...).
Mousses biologiques
C’est un phénomène qui concerne un nombre croissant de stations fonctionnant en aération prolongée : des mousses stables se développent sur les bassins d’aération et sur les clarificateurs où elles se déversent par la cloison siphoïde centrale.
Leur apparition constitue un problème extrêmement complexe pour l’exploitant, car la modification des paramètres du fonctionnement de la station (temps d’aération, recirculation, taux des boues...), ne suffit pas, dans la plupart des cas, à faire disparaître ce phénomène.
On constate généralement que leur formation est liée à l’apparition de bactéries filamenteuses appartenant aux genres Microthrix et Nocardia, bactéries qui possèdent la propriété de synthétiser certaines molécules de graisses qu’elles accumulent dans leur paroi. En raison de leur structure filamenteuse, elles forment des réseaux augmentant la surface spécifique des flocs formés. La présence de graisses et l’emprisonnement des bulles d’air ou d’azote gazeux (formé par dénitrification) rendent les flocs plus légers et entraînent leur remontée à la surface des bassins où ils s’accumulent pour former des mousses stables.
Ce phénomène est, de plus, accentué par l’apport important de graisses dans les eaux usées, dont la majeure partie est présente, soit sous forme d’émulsion, soit solubilisée par les détergents, sans avoir pu être éliminée au niveau des dégraisseurs.
Une autre explication de ce phénomène réside dans l’utilisation croissante de détergents biodégradables qui, après dégradation dans les bassins aérés, libèrent les graisses insolubles qui s’accumulent dans les boues biologiques.
L’apport de bactéries mutées spécialisées pour la dégradation des graisses et qui rentrent en compétition avec Microthrix et Nocardia pour l’utilisation de certains nutriments présents dans le milieu, combiné avec une modification des réglages de la station, permet, dans la plupart des cas, de résoudre ce délicat problème.
Dégradation des graisses
Toutes les stations d’épuration urbaines connaissent le problème de l’évacuation des graisses. Compte tenu de la diversité, et parfois de la toxicité des composés chimiques auxquels elles sont associées, aucune valorisation, industrielle ou agricole, n’est envisageable. Elles sont donc stockées en silos, et enlevées régulièrement par des vidangeurs, qui les emmènent généralement en décharge.
Un nouveau procédé en cours de développement, utilisant des bactéries lipolytiques mutées, permettra de les dégrader dans la station. Les graisses, recueillies au niveau du dégraisseur, sont liquéfiées dans un premier réacteur avec une correction soignée du pH, puis transférées dans une deuxième cuve où se poursuit la dégradation. Le produit est alors injecté directement dans le bassin d’aération pour être totalement dégradé. Ce procédé apparaît comme très prometteur car on a pu constater lors des premiers essais, une amélioration considérable de la décantabilité des boues et la disparition des mousses stables présentes sur le clarificateur.
Réduction de la production des boues
Grâce aux bactéries mutées, il devient maintenant possible de réduire la production des boues dans les systèmes à moyenne et forte charges (dans certains cas cette réduction peut atteindre 30 %).
Ce résultat peut être obtenu par deux types d’actions :
— une dégradation plus complète des matières organiques accumulées dans les flocs (graisse, amidon, cellulose, protéines), qui se comportent comme des agents de surface gênant considérablement le transfert d’oxygène. Leur élimination se traduit par un meilleur rendement du système d’aération ;
— l’apport de bactéries dont le métabolisme a été dirigé vers la production de gaz carbonique (catabolisme), plutôt que vers les synthèses cellulaires (anabolisme).
Dans les systèmes à faible charge, la diminution de la DBO soluble de la liqueur mixte permet l’augmentation de la vitesse de nitrification qui devient plus complète grâce au gain d’oxygène dégagé par le traitement.
Conclusion
Bien que très développée aux États-Unis et dans les autres pays européens, l’utilisation des bactéries mutées dans les stations d’épuration reste encore marginale en France. Ces produits n’apportent pas de solutions miracles à tous les problèmes d’épuration, mais l’utilisation régulière de mélanges bactériens adaptés aux problèmes posés améliore grandement le fonctionnement de la station, facilite la gestion de l’exploitation en en réduisant les coûts.
Dans tous les cas, la recommandation d’un traitement doit s’effectuer après une étude préalable du fonctionnement de la station et l’établissement d’un diagnostic sur l’état de la biomasse.
La composition des mélanges peut être adaptée à chaque situation, ce qui rend ces techniques très souples dans leur utilisation.