Cet article décrit les avantages de la chimie du brome par rapport à la chimie du chlore lorsqu'il est utilisé dans le traitement des rejets industriels et urbains. Une explication détaillée est fournie sur l'action des halogènes sur les matières organiques. Des tableaux de résultats et d'efficacité sont donnés et plusieurs exemples concrets de désinfection des eaux usées à l'aide de composés bromés sont détaillés. L'article se termine par une description sommaire des technologies d'utilisation possibles.
Des quantités sans cesse croissantes d’eaux usées urbaines ou industrielles sont rejetées dans l’environnement. Il est impératif de veiller à ce qu’elles ne contiennent pas d’organismes néfastes pour la flore, la faune et l'homme. La technique la plus couramment utilisée à ce jour consiste à faire subir aux effluents des traitements à base de chlore.
Ces traitements chlorés présentent de nombreux inconvénients :
- faible efficacité, notamment sur les virus, et interférence avec les milieux à forte teneur en ammoniaque réduisant encore leur efficacité ;
- formation de chloramines toxiques et persistantes dans le milieu ;
- formation d’AOX par réaction du chlore sur les matières organiques ;
- corrosion des équipements ;
- nécessité d’une déchloration pour satisfaire aux législations.
Le but de cette présentation est de proposer des traitements alternatifs qui éliminent la plupart de ces inconvénients.
La chimie du brome
Lorsque l’on introduit du brome dans l'eau, il se produit une réaction similaire à celle du chlore :
Cl₂ + H₂O → HOCl + H⁺ + Cl⁻ Br₂ + H₂O → HOBr + H⁺ + Br⁻,
mais le potentiel d’oxydo-réduction du couple E° HOCl/Cl⁻ étant de 1,49 volts, alors que celui du couple E° HOBr/Br⁻ est de 1,33 volts, donc, lorsque les deux espèces sont en présence, on observera toujours la réaction :
HOCl + Br⁻ → HOBr + Cl⁻
et jamais la suivante :
HOBr + Cl⁻ → HOCl + Br⁻
Une nouvelle conception de traitement des eaux usées va s’appuyer sur cette propriété.
En effet, en mettant en présence un générateur de bromures (Br⁻) et un oxydant à base de chlore (NaOCl, Cl₂, Ca(OCl)₂, ...), on va produire de l'acide hypobromeux et des chlorures. Il est également possible de produire de l'acide hypobromeux HOBr en utilisant une autre source d’oxydation, comme certains peroxydes, persulfates, perborates ou l'ozone.
Les avantages des dérivés bromés
Les dérivés bromés obtenus selon les processus décrits précédemment présentent de nombreux avantages sur l'utilisation du chlore seul.
Dépendance du pH
La substance active sur les bactéries et les virus est l’acide hypobromeux ou l'acide hypochloreux (HOBr ou HOCl). Or le pourcentage d’acide hypobromeux par rapport au brome introduit est beaucoup plus important que le pourcentage d’acide hypochloreux par rapport au chlore pour un même pH (tableau 1).
Il est donc évident que, pour la même quantité d’halogène introduite, les dérivés bromés seront beaucoup plus efficaces que les dérivés chlorés, ou que, pour obtenir la même efficacité, la quantité de brome à introduire sera beaucoup plus faible que la quantité de chlore.
Formation et efficacité des haloamines
Lorsque l’acide hypochloreux entre en contact avec des matières organiques
(contenant de l’azote), il se forme des chloramines :
NH₃ + HClO → NH₂Cl + H₂O monochloramine NH₂ + HClO → NHCl₂ + H₂O dichloramine NHCl₂ + HClO → NCl₃ + H₂O trichloramine
Ces chloramines sont totalement inefficaces comme bactéricides, biocides ou virulicides, très stables et persistantes, toxiques pour l’environnement et malodorantes.
Or, lorsque l'on introduit de l’acide hypochloreux dans une eau usée, il est impossible de doser celui-ci au-dessus du « break-point », qui est le point où toute la matière organique aura réagi avec l'acide hypochloreux. Ce « break-point » est obtenu pour une valeur stœchiométrique Cl₂/NH₃(N) = 7,6/1. Donc, pour chaque milligramme par litre d’azote présent dans le milieu, il faut théoriquement utiliser 7,6 mg/l de chlore (Cl₂), la réaction étant la suivante :
NH₄⁺ + 1,5 NOCl → 0,5 N₂ + 1,5 H₂O + 2,5 H⁺ + Cl⁻
Dans la pratique, il n’est donc pas possible de travailler au-dessus de ce « break-point » pour des raisons économiques.
On trouvera donc toujours présent dans le milieu un mélange d’acide hypochloreux, de monochloramines et de dichloramines. Il est prouvé qu’aux concentrations d’ammoniaque et de chlore présentes dans les eaux usées c’est la monochloramine qui prédomine.
Lorsque l’acide hypobromeux entre en contact avec la matière organique, il se forme également des bromamines :
NH₃ + HBrO → NH₂Br + H₂O NH₂Br + HBrO → NHBr₂ + H₂O NHBr₂ + HBrO → NBr₃ + H₂O
Mais, lorsque le brome est utilisé, l'énorme différence réside dans le fait que les bromamines sont instables. L'espèce prédominante est la dibromamine, qui réagit très rapidement pour donner de la tribromamine, qui elle-même se détruit immédiatement pour redonner de l’acide hypobromeux :
2 NBr₃ + 3 H₂O → N₂ + 3 HOBr + 3 Br⁻ + 3 H⁺
De plus, il est d'une importance capitale dans le traitement des eaux usées de savoir que les dibromamines (espèce majoritaire entre pH 7,0 et 8,5) possèdent une activité bactéricide égale à celle de l’acide hypobromeux ou du chlore libre. En outre, leur rapide décomposition suivant le processus ci-dessus limite considérablement la toxicité des effluents. En particulier, la teneur en AOX dans les rejets traités avec l’acide hypobromeux sera significativement plus faible que dans les rejets traités avec le chlore seul pour plusieurs raisons :
- - en se détruisant très rapidement les bromamines ne génèrent pas d’AOX ;
- - les dosages totaux en halogène devant être utilisés pour une efficacité égale sur les bactéries sont bien moindres lorsque l’acide hypobromeux est utilisé que lorsqu’on utilise du chlore seul ;
- - les bromamines sont non persistantes et non toxiques pour l’environnement.
Comme conséquence on constatera donc en moyenne une meilleure efficacité des dérivés bromés et surtout une action beaucoup plus rapide. Le temps de contact pourra être réduit, de 30 à 45 minutes pour les chlorations habituelles, à 15 à 20 minutes lorsque un mélange chlore-brome est effectué.
Enfin les bromamines se dégradant très rapidement, il n’est plus nécessaire de pratiquer une déchloration et les rejets sont beaucoup moins toxiques que lorsque le chlore est utilisé seul.
Activité virulicide
Les dérivés bromés sont plus efficaces que les dérivés chlorés sur les virus (figure 1).
Vitesse d'action
De même, l’acide hypobromeux et les bromamines offrent une vitesse de réaction très supérieure à la vitesse d’action de l’acide hypochloreux (figure 2).
Résiduel d’halogène
Les traitements à l’acide hypobromeux laissent une dose d’halogènes résiduels beaucoup plus basse que celle obtenue avec les traitements au chlore, ce qui est particulièrement utile lorsque l’on veut se conformer aux législations en vigueur (tableau II).
On peut tirer de ce qui précède les conclusions suivantes :
- - le traitement des eaux usées à base de brome activé nécessite des quantités d’halogènes très inférieures au traitement à base de chlore pour une efficacité égale ;
• l’efficacité bactéricide des traitements au brome activé est nettement supérieure et beaucoup plus rapide que les traitements au chlore employé seul ; • les rejets sont beaucoup moins toxiques et satisfont plus facilement aux réglementations lorsque l’on utilise des traitements au brome activé.
En outre, les émanations d’odeurs et les phénomènes de corrosion sont réduits de façon notable.
Étude de cas particuliers
Eaux usées de Détroit
Le premier exemple présenté ici concerne le traitement des eaux usées de la ville de Détroit (USA).
Le problème résidait dans le fait que la limitation américaine imposait à la fois un maximum de 0,1 ppm de Cl₂ résiduel aux rejets, car l’eau est déversée dans la rivière puis dans le lac, ainsi qu’un maximum de 200 colonies/100 ml.
Caractéristiques de l’effluent : Débit : 2 876 000 m³/j pH : 7,0 à 7,2 DBO : 200 Ammoniaque (NH₃) : 10 à 12,5 mg/l Traitement initial : chlore gazeux : 750 kg/j Dosage : 2,5 ppm (à partir d’une solution initiale à 2 %) Oxydant résiduel : 1,5 à 2,0 ppm (après 20 minutes de temps de contact).
Impératifs : 200 colonies/100 ml 0,1 ppm (après contact de 20 minutes)
Le résultat des essais figure sur le tableau III.
Eaux usées de la ville de New York (Newton Creek)
Ici le cas est différent : l’objectif n’était pas de réduire la teneur en oxydant résiduel mais uniquement de réduire les consommations et les coûts, tout en gardant une bonne efficacité.
Caractéristiques de l’effluent : Débit : 1 258 000 m³/j pH : 7,3 – 7,4 Traitement initial : hypochlorite de sodium à 12,5 % : 38,7 tonnes/j Dosage : 3 à 4 ppm en Cl₂ Impératifs : 200 cfu/100 ml
Coût inférieur à 25 500 F/j
Le résultat des essais figure sur le tableau IV.
Eaux usées de papeteries
Ce cas illustre le traitement des eaux contenant de fortes concentrations en matières organiques provenant du papier (cellulose).
Débit : 50 m³/h Traitement : hypochlorite de sodium (12,5 % solution) Dosage : 30 ppm Cl₂
Le résultat des essais figure sur le tableau V.
Eaux résiduaires d’une industrie de jus de fruits
Ces eaux usées sont issues du rinçage des appareils à concentrer les jus (évaporateurs).
Débit : 180 m³/h Temps de contact : 60 minutes Traitement initial : hypochlorite de sodium (solution à 12,5 %) Dosage : 20 ppm Cl₂
Le résultat de ces essais figure sur le tableau VI.
Eaux usées domestiques (sans traitement secondaire)
Ces eaux présentent la caractéristique de contenir une forte concentration en matières organiques ammoniacales.
Débit : 10 000 m³/h Dosage : 60 ppm en Cl₂ Traitement : Cl₂ gazeux Température : 27 °C Contact : 10 minutes
Le résultat de ces essais figure dans le tableau VII.
Technologie
Comme on vient de le voir, l’utilisation conjointe du brome et de dérivés oxydants (comme le chlore) apporte d’énormes avantages en efficacité, et ce pour des dosages moindres. Mais comment utiliser cette technique ?
Le brome liquide (Br₂) pourrait être un désinfectant idéal si son utilisation n’était pas si dangereuse et son emploi aussi difficile… Mais on peut générer de l’HOBr « in situ » en utilisant une addition simultanée de NaBr ou de NH₄Br et d’un oxydant. En 1973 Derreumaux (France) déposa un brevet pour un tel système (figure 7).
Le bromure de sodium en solution concentrée est injecté dans le dispositif de décharge d’un chlorinateur conventionnel. Le bromure de sodium est entièrement converti en HOBr au pH de la réaction (< 2,0). 0,656 kg de NaBr réagiront avec 0,453 kg de Cl₂ pour donner 1 kg de Br₂.
Il est également possible d’utiliser un système équivalent lorsque la source de chlore est l’hypochlorite de sodium.
Tableau I
pH | HOCl (%) | HOBr (%) |
---|---|---|
6,0 | 97 | 100 |
6,5 | 76 | 98 |
7,5 | 50 | 94 |
8,5 | 24 | 83 |
9,0 | 3 | 33 |
Tableau II
Analyse de l’eau résiduaire de Newton Creek (USA)
Date | Dosage PPM Bromide-Cl₂ (oxydant total) | TRO¹ | Dosage PPM Cl₂ (oxydant total) | TRO² |
---|---|---|---|---|
06-07 | 2,7 | 0,10 | 7,8 | 0,40 |
06-13 | 2,7 | 0,18 | 7,8 | 0,52 |
06-14 | 2,7 | 0,15 | 7,8 | 0,50 |
06-15 | 2,7 | 0,10 | 7,8 | 0,50 |
06-16 | 2,7 | 0,05 | 7,8 | 0,36 |
06-18 | 2,7 | 0,05 | 7,8 | 0,30 |
06-22 | 2,0 | 0,05 | 7,8 | 0,35 |
06-23 | 2,0 | 0,05 | 7,8 | 0,36 |
06-24 | 2,0 | 0,05 | 7,8 | 0,36 |
06-25 | 2,0 | 0,05 | 7,8 | 0,01 |
06-26 | 2,0 | 0,01 | 7,8 | 0,55 |
06-27 | 2,0 | 0,10 | 7,8 | 0,52 |
06-30 | 2,0 | 0,09 | 7,2 | 0,90 |
07-13 | 2,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
07-20 | 2,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
07-27 | 2,0 | 0,00 | 8,3 | 0,00 |
08-03 | 2,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
08-10 | 2,0 | 0,00 | 8,3 | 0,00 |
08-17 | 2,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
08-21 | 3,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
08-23 | 2,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
08-24 | 2,0 | 0,00 | 8,3 | 0,00 |
09-14 | 2,7 | 0,11 | 7,8 | 0,78 |
09-21 | 3,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
09-24 | 3,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
09-28 | 3,0 | 0,00 | 8,3 | 0,00 |
10-01 | 3,0 | 0,00 | 9,0 | 0,00 |
10-15 | 2,0 | 0,06 | 7,8 | 0,36 |
10-19 | 2,0 | 0,05 | 7,8 | 0,35 |
10-22 | (2) | (2) | 1,45 | |
11-06 | (2) | (2) | 1,76 | |
12-04 | 3,7 | 0,07 | 6,5 | 0,32 |
12-11 | 3,7 | 0,07 | 6,5 | 0,33 |
12-18 | 3,7 | 0,06 | 6,5 | 0,37 |
12-28 | 3,7 | 0,07 | 6,5 | 0,37 |
(1) Mesuré au cours du traitement de l’effluent.
(2) Absence de chlorines.
Tableau III
Dosage total Cl₂ (ppm) | Rapport molaire Cl/Br | Résiduels halogènes 15’ | Résiduels halogènes 20’ | Résiduels halogènes 25’ | Coliformes 15’ | Coliformes 20’ | Coliformes 25’ |
---|---|---|---|---|---|---|---|
2,5 | 1:0 | 0,6 | 0,2 | 0,16 | 6 | 3 | 1 |
2,5 | 1:1 | 0,6 | 0,4 | 0,5 | 6 | 9 | 4 |
1,75 | 1:0,9 | 0,2 | 0,1 | <0,1 | 14 | 3 | 9 |
1,2 | 1:0,7 | 0,004 | 0,04 | 0 | 50 | 70 | 0 |
Tableau IV
Dosage total Cl₂ (ppm) | Rapport molaire Cl/Br | Colonies survivantes | Résiduel libre Cl₂ (combiné) | Coût (F) |
---|---|---|---|---|
4 | 1/0 | 28 | 0,5 (4,2) | 25 000 |
2,8 | 1/0,3 | 700 | 0,1 (1,1) | 19 910 |
2,8 | 1/0,2 | 37 | 0,1 (1,8) | 24 084 |
2,8 | 1/0,1 | 30 | 0,2 (2,5) | 20 900 |
Tableau V
Biocide | Rapport Cl/Br | Colonies survivantes après 4 h | 24 h | 48 h | 72 h |
---|---|---|
Néant | 7,10⁵ | 8,10⁵ | 1,10⁶ | 1,7·10⁷ | |
MBT (1) | 9,10⁵ | 4,10⁵ | 2,10⁶ | 2,10⁶ | |
DBNPA (2) | 4,10⁵ | 6,10⁵ | 3,10⁶ | 3,10⁶ | |
NaOCl | 3,10⁵ | 2,10⁵ | 2,10⁶ | 10⁶ | |
NaOCl + NH₄Br | 20 | 5 | 0 | 0 | |
1/1 |
(1) MBT : méthylènebisthiocyanate
(2) DBNPA : dibromonitrilepropionamide
Tableau VI
Biocide | Rapport Cl/Br | Résiduel Cl₂ libre (combiné) | Bactéries survivantes – Totales | Anaérobies | Champignons-Moissures |
---|---|---|---|
Néant | 0 | 2,10⁷ | 2,10⁷ | 7,10⁵ | |
NaOCl | 0,2 (1,5) | 9,10³ | 3,10² | 20 | |
MBT (30 ppm) | 0 | 10³ | 10³ | 8,10 | |
NaOCl + NH₄Br | 3,0 (9,0) | 200 | 400 | 0 | |
NaOCl + NH₄Br | 3,0 (4,0) | 30 | 100 | 0 |
(NaOCl). Lorsque le bromure d’ammonium est utilisé comme source de brome, une légère modification du dispositif est nécessaire (figure 8).
Il est important que la solution de brome soit injectée après la solution de chlore lorsque l’on veut travailler avec un excès de chlore pour des questions budgétaires. Ainsi, le chlore injecté réagira avec la demande en halogène (3 à 5 minutes de temps de contact), puis le mélange brome/chlore sera injecté pour détruire les micro-organismes.
Compte tenu de ce qui précède, l’utilisation de telles technologies présente de nombreux avantages :
- – réduction significative de la quantité d’halogènes introduite ;
- – augmentation de l’efficacité de la désinfection ;
- – flexibilité disponible pour compenser les variations en DBO et en demande organique ;
- – adaptation aux installations existantes ;
- – utilisation d’équipements standards (pompes doseuses) ;
- – réduction des temps de contact nécessaires à la désinfection ;
- – obtention d’effluents à très faibles valeurs d’halogènes résiduels et réduction considérable de leur teneur en AOX.
Conclusion
Comme on vient de le voir, l’utilisation de dérivés bromés dans le processus de désinfection des eaux usées urbaines ou industrielles représente un gros progrès en ce qui concerne l’efficacité, l’économie et le respect de l’environnement.