Jusqu’à présent, l’application de la technologie U.V. était limitée au traitement de l’eau potable pour les raisons suivantes :
- — mauvaise rentabilité, fiabilité inférieure à d’autres procédés, coût d’énergie élevé ;
- — faible dégagement d’énergie U.V. apparaissant insuffisant pour la stérilisation de liquides industriels chargés ayant des coefficients d’absorption élevés ;
- — connaissance limitée des constructeurs de matériel U.V. concernant les technologies d’hygiène usitées dans les industries alimentaires ;
- — matériel dont la géométrie de construction ne respectait guère les lois optimisant l’utilisation de l’énergie U.V. ;
- — maintenance lourde, surveillance obligatoire.
Cependant, l’irradiation U.V. est une technique intéressante car elle est complémentaire des techniques de désinfection connues et éprouvées à ce jour.
Le rayonnement ultraviolet, en détruisant spécifiquement les chaînes d’acide désoxyribonucléique (ADN) et d’acide ribonucléique (ARN) qui absorbent bien l’énergie dans ces longueurs d’onde (253,8 nm), permet en effet de lutter efficacement contre les bactéries et virus ; toutefois, le respect de certains paramètres est une condition nécessaire pour l’application de cette énergie à la chaîne technologique de production des industries alimentaires. Ainsi, lorsque aucune désinfection n’est possible ou lorsque la corrosion, les odeurs, le potentiel d’oxydation, la fabrication de dérivés chimiques sont à éviter, l’énergie U.V. utilisée seule ou en association avec des bactéricides à faibles doses, est en fait un nouvel outil au service de l’hygiéniste et des responsables « qualité ». Ses applications sont nombreuses et nécessitent, pour chaque utilisation, une adéquation des paramètres spécifiques ; en voici quelques-unes.
Stérilisation des eaux :
- — eaux de rinçage de contenants perdus : plastique ou verre ;
- — eau de rinçage tiède et de rinçage final des laveuses ;
- — eaux de rinçage en centrale de nettoyage, des solutions de nettoyage (afin d’éviter la recontamination par les micro-organismes) ;
- — solutions détergentes alcalines ;
- — eaux de procédé : lavage de fromages, traitement des saumures… (pour l’utilisation ou le stockage) ;
- — eaux de condensats de laiterie en vue d’un recyclage pour certaines applications (en utilisation directe ou stockage) ;
- — eaux de véhiculage ou de lavage pour légumes, fruits, lesquels sont très rapidement chargés en bactéries… ;
- — eaux de fabrication : propagation de levures, bière, jus de fruits, limonade, sirop de sucre… (en fabrication directe ou stockage).
Traitement local de l’air :
- — dans les locaux utilisés pour le stockage de denrées alimentaires ;
- — dans les chambres froides et les salles de travail climatisées ;
- — dans les unités de production : machines aseptiques de remplissage, soutireuses, casseries d’œufs, évents de cuverie…
Stérilisation des surfaces : emballages, suremballages, fermetures, opercules, capsules…
Avant d’exposer la nouvelle conception des réacteurs U.V. que nous mettons en œuvre, nous rappellerons les principes appliqués dans ce mode de stérilisation.
LE RAYONNEMENT U.V.
Principe de la couche mince
Les rayons ultraviolets font partie des ondes électromagnétiques (lumière solaire) dont le spectre se situe dans la gamme de 100 à 400 nm. Les rayons U.V., en tant que source d’énergie naturelle, sont trop faibles pour être utilisés car ils sont absorbés par les
couches supérieures de l’atmosphère terrestre (où ils transforment l’oxygène en ozone).
L’énergie U.V. artificielle est produite par décharge électrique dans la vapeur de certains métaux (notamment le mercure) ; elle peut se caractériser par des phénomènes spécifiques :
- déclenchement de réactions photo-chimiques : oxydation, polymérisation, synthèse… ;
- destruction de micro-organismes : bactéries, levures, algues, virus, spores.
Ces deux effets résultent de l’absorption d’énergie U.V., laquelle suit la loi de Lambert-Beer :
(1) I = I₀ e⁻ᶜᵈ (2) I = I₀ e⁻ᵏᵈ
I₀ : intensité initiale (mW/cm²) I : intensité à une distance d de la source (mW/cm²) d : épaisseur de la couche irradiée c : concentration ε : coefficient d’extinction (cm²·mol⁻¹) k : coefficient d’absorption (cm⁻¹)
Conformément aux équations (1) et (2), l’intensité U.V. est d’autant plus grande que le coefficient d’absorption (k) et l’épaisseur de la couche irradiée (d) sont plus petits. La dose U.V. (D) nécessaire pour l’inactivation des germes dépend directement de l’intensité (I) et du temps de séjour (t) selon :
D = I t
D : dose d’U.V. (mWs/cm²) t : temps de séjour (s)
Selon ces lois, l’intensité d’irradiation des U.V. augmente par unité de volume lorsque l’épaisseur de la couche irradiée diminue. Ainsi une intensité élevée augmente également le potentiel d’inactivation. C’est donc le principe de la couche mince, qui permet de traiter des milieux dont le coefficient d’absorption est largement supérieur à celui de l’eau potable. Voici quelques coefficients usuels :
- air sec : K = 10⁻⁴ cm⁻¹
- eau distillée : K = 0,007 à 0,01 cm⁻¹
- eau potable : K = 0,02 à 0,1 cm⁻¹
- bière : K = 2,9 cm⁻¹
- eau de nettoyage de pommes de terre : K = 2 cm⁻¹
- eau de circuit : K = 1 à 4 cm⁻¹
- petit lait : K = 5 à 20 cm⁻¹
L’effet germicide du rayonnement.
On a vu que l’inactivation de micro-organismes est directement fonction de l’absorption de l’énergie U.V. (dans la gamme de 254-260 nm) par les acides nucléiques (ADN et ARN) ; l’influence sur les radicaux hydroxy ou époxy est beaucoup moins importante.
L’absorption des rayons U.V. de certaines longueurs d’onde détériore la membrane des cellules et provoque de tels changements génétiques dans leurs acides nucléiques qu’elles perdent leur faculté de reproduction. La dose U.V. appropriée pour l’inactivation varie selon les types de micro-organismes (tableau) et le milieu, qui absorbe plus ou moins l’énergie U.V. La dose nécessaire est donc variable mais parfaitement définissable en fonction du taux d’abattement recherché, du coefficient d’absorption (K) du milieu à traiter et de l’épaisseur de la couche irradiée (d).
Les stérilisateurs conventionnels traitent, d’après nos connaissances, des couches de 45 mm et plus ; or, l’inactivation des micro-organismes dans l’eau potable (K = 0,02 à 0,1 cm⁻¹) n’est possible que jusque dans la limite d’une épaisseur de 25-30 mm. Ceci nous a donc contraints à reconsidérer fondamentalement la conception et les applications des U.V. sur le plan technique et économique, notamment pour les applications dans les industries alimentaires.
Micro-organismes | Doses pour inactivation de 90 % (µWs/cm²) | Doses pour inactivation de 99,9 % (µWs/cm²) |
---|---|---|
Virus | ||
Poliovirus | 6 500 | N/A |
Virus hepatitis (jaunisse infectieuse) | 8 000 | N/A |
Levures | ||
Levures de boulanger | 3 900 | 11 700 |
Levures de brasserie | 3 300 | 9 900 |
Bactéries | ||
Bacterium coli | 5 400 | 16 200 |
Bacillus anthracis | 4 520 | 13 700 |
B. megatherium (spores) | 2 730 | 8 000 |
S. lactis | 6 150 | 18 000 |
Tuberculose bacillus | 10 000 | 30 000 |
Vibrio comma (choléra) | 6 500 | N/A |
Moisissures | ||
Aspergillus amstelodami (viande) | 66 000 | 200 000 |
Aspergillus flavus | 60 000 | 180 000 |
Aspergillus glaucus | 44 000 | 132 000 |
Aspergillus niger | 132 000 | 396 000 |
Cladosporium herbarum | 60 000 | 180 000 |
Mucor mucedo (graisse, pain, fromage) | 65 000 | 195 000 |
Penicillium digitatum | 44 000 | 132 000 |
Penicillium roquefortii | 111 000 | 333 000 |
N/A : non analysé.
UNE NOUVELLE CONCEPTION DE RÉACTEURS U.V.
Dans le cadre de l'utilisation économique de la technologie U.V. dans l'industrie alimentaire, soit pour des réactions photochimiques (par exemple : oxydation totale de produits ou d’eaux usées), soit pour le traitement d'air, de fluides et de surfaces, il était indispensable de reconsidérer ou d’optimiser les paramètres suivants :
- — nature des lampes ;
- — conception des réacteurs ;
- — systèmes de nettoyage des lampes ;
- — contrôle d'intensité, ceci dans le cadre de l’intégration des connaissances concernant les techniques de l'industrie alimentaire et des aspects chimiques et micro-biologiques du procédé.
Nature des lampes
Il existe deux types de lampes à vapeur de mercure : haute pression et basse pression.
Notre choix s'est porté sur ces dernières. En effet, le rayonnement optimal, pour l'action « germicide » des U.V., se situe à la longueur d’onde de 253,7 nm. Or, les lampes à basse pression à vapeur de mercure permettent de produire 80 à 85 % du rayonnement U.V. dans cette longueur d’onde au lieu de 2 % (dans la bande de 100 à 400 nm) en général avec les lampes de haute pression. De plus, ces dernières nécessitent un temps d’allumage de 4 minutes au minimum pour atteindre 90 % de l'efficacité maximum, alors que 4 secondes seulement sont nécessaires pour les lampes à basse pression.
D’autre part, la durée des lampes à basse pression est au minimum de 9 000 h (au terme desquelles on a atteint une diminution de 10 % de l’intensité nominale) ; en haute pression, la durée envisageable varie de 2 000 à 4 000 h. De même, au niveau du rendement énergétique, celui d'une lampe à haute pression est nettement inférieur à celui d'une lampe à basse pression. Pour des milieux à coefficients identiques par exemple, une lampe à haute pression de 2 000 W permet d’assurer le traitement de 70 m³/h à la dose maximum de 25 mWs/cm², alors qu’un appareil de 16 lampes à basse pression de 100 W (1 600 W) assure 50 mWs/cm² pour 80 m³/h au débit nominal (soit une dose d’énergie deux fois plus importante). Pour des débits de 10 m³/h, par exemple, avec une dose garantie de 50 mWs/cm², 4 lampes à basse pression de 50 W (200 W) suffisent.
La lampe à haute pression (2 000 W) nécessite dans ce cas un dispositif de régulation électrique permettant de diminuer son intensité, ce qui présente en outre l’inconvénient de réduire l’énergie disponible dans la longueur d’onde de 253,7 nm.
De plus, l'utilisation de lampes à basse pression permet de réaliser des réacteurs traitant une épaisseur du film d'eau très faible (6 à 9 mm), condition indispensable pour obtenir la dose d'U.V. minimum sur l’ensemble du milieu à traiter. Dans l'autre cas, une lampe unique ne permet pas, pour un débit égal, d’obtenir un tel film de faible épaisseur.
Les réacteurs
Compte tenu de ce que nous venons de voir, nos réacteurs sont donc conçus sur le principe de la couche mince, l’épaisseur du film d’eau à traiter étant comprise entre 6 et 9 mm au maximum, ce qui permet donc de garantir des doses d’irradiation exceptionnellement élevées au sein du fluide à traiter. Il autorise également la stérilisation de milieux ayant un coefficient d’absorption important supérieur à 1 cm⁻¹ (eau potable : 0,02 cm⁻¹). Le taux d’abattement se situe alors largement au-dessus de 10¹³ germes par ml pour un coefficient d’absorption de 0,7 cm⁻¹.
Il faut noter que dans certains cas, il est possible de traiter des milieux opaques en réduisant l’épaisseur de la couche à 1 mm.
Les lampes sont protégées du milieu à traiter par un matelas d’air isolant et des tubes de quartz, ce qui réalise une excellente régulation thermique, aussi bien pour le milieu à traiter que pour les lampes.
Les réacteurs sont construits en Inox (304 ou 316). Il en existe deux types, de conception fondamentalement différente :
— les modèles de type « P », où le milieu à traiter s'écoule de manière turbulente, en couche mince, dans le sens longitudinal, parallèlement à l’axe des lampes. Les différents modèles d’appareils permettent de traiter des débits variant de 0,3 l/h à 80 m³/h en assurant une dose minimum de 50 mWs/cm² au débit nominal (pour un coefficient correspondant à celui de l’eau potable) ;
— les modèles de type « I », où le milieu s’écoule obligatoirement à travers un champ de lampe générant un film d’eau à couche mince, perpendiculairement à l’axe longitudinal des lampes. Cette disposition brevetée permet dans un volume extérieur réduit de traiter des débits de 7 à 300 m³/h selon les modèles, avec une dose d’U.V. minimum de 100 mWs/cm² (pour un coefficient K de l’eau potable).
Le système de nettoyage
Les tubes de quartz protecteurs des lampes doivent être régulièrement nettoyés afin d’éviter les dépôts minéraux ou organiques, lesquels absorbent l’énergie U.V. Dans les industries alimentaires, le respect des règles de productivité ne permet pas d’accorder des arrêts de production pour démontage et nettoyage des appareils. C’est pourquoi un système de raclage en place des tubes de quartz équipe systématiquement les réacteurs ; la manœuvre peut être manuelle ou automatique (par vérins pneumatiques).
Le contrôle d'intensité
Le contrôle de l’intensité du rayonnement se fait au moyen d’un capteur judicieusement placé au cœur du réacteur, déclenchant un moniteur de régulation qui lui assure la mise en marche du raclage, ou de l’alarme, ou bien encore la marche ou l’arrêt d’une électrovanne placée sur le réseau du fluide à traiter.
Le nettoyage et le contrôle automatique du rayonnement présentent une grande importance pour le praticien qui bénéficie ainsi de la sécurité de fonctionnement et de la facilité de mise en œuvre de l’installation.
CONCLUSION
La technologie U.V. offre de nombreuses applications intéressantes dans l’industrie alimentaire, directement ou en combinaison avec d’autres procédés, pour peu que les paramètres d’application soient pris en considération. La stérilisation de l’eau n’est qu'une de ces applications.
Le traitement de l’air, des fluides, des surfaces est désormais possible, grâce à l’exploitation des réactions photo-chimiques déclenchées par des stérilisateurs U.V. adaptés en association avec certains catalyseurs.
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