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Les applications industrielles de l'ultrafiltration dans l'industrie textile: dépollution et économies

30 septembre 1988 Paru dans le N°121 à la page 48 ( mots)
Rédigé par : Pierre RIVET

Le traitement des pollutions industrielles voit son intérêt considérablement augmenté lorsqu’il permet la récupération de matières de valeur : le textile est un exemple type d’une telle situation. Cette industrie se trouve de plus en plus confrontée à la nécessité de traiter ses rejets du fait des pollutions liées à deux opérations différentes : l'encollage des fils de chaîne avant tissage et la teinture à l'indigo.

L'ultrafiltration permet de se débarrasser de ces pollutions et de récupérer les produits destinés à l’encollage et à la teinture, car c'est un procédé purement physique qui n’altère en rien la structure chimique des matières traitées.

Récupération des produits d’encollage

On sait qu'un tissu est formé par l'entrecroisement dans le métier à tisser, de deux sortes de fils : fils de chaîne et fils de trame. Lors du tissage, les fils de chaîne subissent des efforts mécaniques importants et se briseraient souvent si l'on ne prenait pas la précaution de les soumettre à un traitement préalable appelé encollage. Ce traitement consiste à tremper les fils dans une solution aqueuse chaude d’un produit qui les imprègne, les rend lisses et plus élastiques. Les produits d’encollage sont divers : amidon, amidons modifiés (tels que le carboxyméthylamidon (CMA) et la carboxyméthylcellulose (CMC)), alcool polyvinylique (PVA). Après encollage, les fils sont séchés puis passent au tissage. Ensuite, il est indispensable d’enlever la colle avant d'effectuer les opérations ultérieures dites d’ennoblissement : teinture, impression, apprêts divers. Cette élimination, le désencollage, s'opère en trempant le tissu dans une laveuse contenant de l’eau à 80 °C. La colle passe alors dans l'eau, dans une proportion comprise entre 90 et 95 %. Cette eau constitue de ce fait un effluent chargé d'une pollution importante.

Dépenses liées à l’encollage et au désencollage

Considérons une usine de textile produisant chaque année 5 000 t de tissu dont 3 000 t sont constituées de fils de chaîne. La quantité de colle utilisée est de 300 t ; si le taux de désencollage est de 92,5 %, 278 t de colle, en suspension dans 20 000 m³ d'eau, vont à l’égout ; s'il s’agit de PVA, la DCO engendrée est de 1,8 g par gramme de PVA et la redevance de pollution correspondante se monte à 4,6 F par kilogramme de PVA. La redevance annuelle s’élève donc à 1,3 MF environ.

Le PVA coûte environ 18 F le kilogramme ; il part donc à l’égout 5 MF de ce produit. Il convient d’y ajouter environ 0,6 MF de charges diverses : eau, énergie thermique, maintenance, main-d’œuvre, etc.

Action de l’ultrafiltration

L’ultrafiltration permet de supprimer la majeure partie de ces dépenses. À cet effet, l'effluent de la laveuse est traité par ultrafiltration (figure 1) ; le débit à traiter, dans l’exemple cité, est de 4 m³/h (en supposant que la concentration du PVA dans l'effluent est de 1 % et que l’usine fonctionne 7 400 heures par an). Le PVA est récupéré à 90 % dans le rétentat, lequel, contenant 10 % de PVA, est directement réutilisé à l'encollage. Le perméat renferme 1 % de PVA et il s’utilise au désencollage, dans la laveuse, à concurrence de 80 %, à la place d'eau neuve.

[Photo : Fig. 1.]

L’ultrafiltration s'opère sur membranes tubulaires (de diamètre 10 mm) ou spirales, en un ou deux étages suivant la taille de l’installation. Le seuil de coupure est de 20 000 daltons. Le flux de perméat varie suivant la nature de la colle et la concentration du rétentat entre 25 et 50 l/h·m².

L'investissement engagé dans une telle installation d'ultrafiltration (comportant 100 m² de surface de membrane) s’élève à 4,4 MF ; ce montant comprend les cuves, les tuyauteries et vannes, pompes, échangeurs de chaleur, équipements de mesure et de régulation (la concentration de la colle est surveillée par des réfractomètres), les équipements de lavage des membranes, l'automate programmable. Le total des charges annuelles se monte à 1,3 MF, comprenant : le coût du capital (0,6 MF), l'énergie électrique (60 kW, soit 0,3 MF), le remplacement des membranes (80 kF, les membranes durant deux ans), la main-d’œuvre, les produits d’entretien, la maintenance, etc. Le coût des modules d'ultrafiltration seuls, avec leurs supports, représente 30 % du coût total. L'installation est entièrement automatisée.

Bilan économique

Au regard de ces charges, quelles sont les économies possibles ? Il faut distinguer suivant que l'usine emploie de l'amidon ou un produit soluble dans l’eau (CMA, CMC, PVA). L'amidon est insoluble dans l'eau et il faut, pour désencoller, faire agir dans la laveuse, une enzyme décomposant l’amidon, lequel n'est alors évidemment plus récupérable… Le recours à l'ultrafiltration suppose ici le changement préalable du produit d’encollage. Si l’on utilise du PVA, on économise de 90 à 95 % du PVA mis en œuvre (soit environ 4,5 MF) ainsi que de la redevance de pollution (1,2 MF), plus des frais divers : eau, énergie thermique (la température est partout maintenue à 80 °C dans l’installation). L'économie totale atteint 6,7 MF par an, dont il faut déduire 1,3 MF de frais de récupération ; l'économie résultante s’élève à 5,4 MF ; comme l'installation coûte 4,4 MF, on voit que l'investissement s’amortit en 10 mois.

Dans le cas de l’amidon, la durée d’amortissement est un peu plus longue ; en effet, l'amidon est moins

* Les coûts indiqués sont ceux enregistrés actuellement en R.F.A. Ils peuvent naturellement varier de pays à pays et d'une époque à une autre, sans que cela affecte sensiblement les durées d’amortissement indiquées.

coûteux que le PVA (2,6 MF pour l'installation considérée au lieu de 5,5 MF) et la redevance de pollution ne dépasse pas 85 kF (contre 1,3 MF). Par contre, on économise le traitement enzymatique (1,8 MF) ; au total, on calcule que l'installation s'amortit en quinze mois.

Deux questions se sont posées à propos de l'ultrafiltration :

— certains tisseurs utilisent des mélanges de produits d’encollage ; seront-ils récupérés dans la même proportion dans le rétentat ? — la colle récupérée donnera-t-elle aux fils de chaîne d’aussi bonnes propriétés mécaniques que la colle neuve ?

L'expérience de plusieurs installations industrielles a permis de lever tous les doutes : l'ultrafiltration est parfaitement apte à traiter des mélanges de produits d'encollage ; le produit d’encollage récupéré donne aux fils de chaîne une résistance mécanique meilleure que le produit neuf car il contient plus de grosses molécules, plus efficaces, les petites molécules étant passées en grande proportion dans le perméat.

Teinture à l'indigo

L'indigo, tel qu'il est fourni aux utilisateurs, ne peut être utilisé sans une préparation préalable. Ce colorant existe en effet sous deux formes : réduite (incolore, soluble dans l'eau) et oxydée (bleue, insoluble dans l'eau). L'indigo du commerce est d'abord réduit par le bisulfite de sodium en présence de soude caustique. Le tissu est trempé dans une cuve contenant la solution d'indigo blanc (indigo incolore) à 6-8 g/l. Cette substance est très sensible à l'action de l’oxygène de l’air qui la transforme en indigo bleu. Une fois le tissu exposé à l'air, la couleur se développe, l'indigo bleu précipite dans les fibres du tissu et s’y fixe. Puis le tissu est lavé pour enlever l'excédent d’indigo, lequel se monte à une fraction comprise entre 15 et 20 % de la quantité entrante.

Action de l’ultrafiltration

L'ultrafiltration doit être conduite sur la suspension d’indigo oxydé. En effet, l’indigo blanc, soluble dans l'eau, traverse les membranes ; si une oxydation se produit alors, l'indigo bleu précipite à l'intérieur de la membrane qui se colmate aussitôt.

La récupération de l’indigo s'opère en général en deux étapes :

— au fil de la production, l'effluent de la laveuse, à 0,4-1 g/l d'indigo, est envoyé à l'installation d'ultrafiltration qui le concentre à 15 g/l environ ; le rétentat est pompé dans une cuve de dimensions appropriées pour pouvoir loger toute la production du lundi au vendredi inclus ; — en fin de semaine, le concentrat à 15 g/l est ultrafiltré pour faire passer la concentration d'indigo à 50 g/l.

Les membranes sont de type tubulaire, en polyamide ou en polysulfone, avec un seuil de coupure de 20 000 daltons. Le débit de perméat — qui varie naturellement avec la concentration en indigo et la température — est de deux à trois fois plus élevé que dans le cas des produits d’encollage. C'est que l'indigo bleu se présente, non sous forme de molécules dissoutes, mais de petits grains solides ; la polarisation des membranes, qui limite le flux de perméat, est donc réduite. Il faut éviter d’ultrafiltrer de l'indigo insuffisamment oxydé — risque de colmatage des membranes — et son degré d’oxydation est surveillé en permanence par mesure du potentiel redox. La couleur est contrôlée par spectrophotométrie.

Certaines installations traitent tout l'effluent et concentrent l'indigo au fil de la production, à la concentration finale, sans stockage intermédiaire, dans des installations à deux ou trois étages, selon l'importance du débit à assurer.

Bilan économique

Les avantages de la récupération de l'indigo sont au nombre de trois :

— réutilisation de 15 à 20 % de la quantité entrant dans l'installation, — réduction importante de la redevance de pollution, — l'indigo étant totalement arrêté par les membranes, élimination complète dans les effluents de l'usine d'un colorant qui est un témoin gênant, car bien visible, de l'existence d'une pollution.

Prenons le cas d'une usine teignant annuellement 5 000 t de tissu : la quantité d’indigo utilisée est de 60 t ; l’indigo passant dans la laveuse, normalement perdu, représente 15 à 20 % du colorant entrant, soit 9 à 12 t. Le coût de l’indigo s'élève à 120 F/kg.

L'investissement nécessaire pour équiper une usine de cette capacité, tournant 7 400 heures par an, s’élève à 1,8 MF. Les dépenses annuelles de fonctionnement de l'installation d'ultrafiltration-récupération se montent à 0,6 MF (dont environ 270 kF pour le coût du capital, 150 kF pour l’énergie — 30 kW —, 23 kF pour le remplacement des membranes, 35 m² à 1 500 F/m², longévité deux ans ; les autres dépenses sont les charges de main-d'œuvre, maintenance et produits chimiques).

Si l'on récupère 20 % d’indigo, l'économie représente environ 1,5 MF. La redevance de pollution (environ 70 kF) est également économisée. Le gain total s'élève donc à 1,6 MF environ et l'investissement est amorti en un peu plus d'un an. Si la récupération d'indigo n’est que de 15 %, la durée d'amortissement avoisine trois ans, ce qui reste malgré tout une valeur attirante.

Mais, outre le bénéfice économique, l’ultrafiltration présente un autre intérêt : elle décolore complètement l'effluent de l'usine et le rend donc invisible. D’ailleurs, dans de nombreux pays, le législateur est en passe d’exiger la décoloration complète de tous les effluents industriels.

Conclusion

L'ultrafiltration a fait ses preuves dans le traitement des rejets des usines textiles et il existe de par le monde plusieurs installations de récupération de produits d'encollage et d’indigo qui fonctionnent parfaitement, avec une excellente fiabilité et qui sont source de profit pour les industriels qui ont consenti l'investissement nécessaire.

Une précaution est à prendre toutefois : pour qu'une telle unité soit bien conçue, bien dimensionnée, et fiable, qu'elle réponde en un mot aux espoirs placés en elle, une étroite collaboration est nécessaire entre spécialistes du textile, des membranes et de l'ingénierie d'installation. L'industriel qui envisage une telle opération de récupération de produits d’encollage ou d’indigo devra donc s’adresser à une entreprise disposant des services de tous les spécialistes énumérés ci-dessus et d'une expérience acquise dans la mise en œuvre de procédés de récupération ; une telle entreprise saura prendre en compte les particularités de l'ensemble existant, la nature des matières utilisées, proposer éventuellement quelques changements des conditions opératoires, puis, enfin, assister l'industriel lors de la mise en service des installations.

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