- les moyens les mieux adaptés à la sauvegarde des eaux captées et les délais d’intervention disponibles en cas de pollutions accidentelles,
- l’établissement ou le calage d'un modèle prévisionnel de transfert de substances solubles,
- l’impact de l’implantation d'une autoroute, d’un site industriel ou d’un site de stockage de produits toxiques.
Les applications de traceurs artificiels ont atteint le niveau de maturité qui conforte la méthode dans la spécialité, souvent sans équivalent parmi les techniques classiques d’investigation, permettant de décrire sur site réel des caractéristiques de transfert de l’eau ou de polluant.
Le colorant que le spéléologue déverse dans un cours d’eau et qu’il détecte visuellement dans une résurgence en aval est une image très représentative des traceurs. Ce cliché est néanmoins très restrictif, parce que l’expérience ne consiste qu’à identifier qualitativement une relation hydraulique. Convenablement implantée, en fonction du but recherché, et correctement interprétée, l’expérience de traceur permet d’analyser les caractéristiques d’un écoulement entre un point d’injection et un point de détection et d’accéder à des paramètres quantitatifs tels la vitesse, la dispersion, les modalités de cheminement, les horizons de perméabilité, le bilan de restitution, les courts-circuits éventuels, etc. La méthode s’est ainsi affinée, en s'enrichissant d’expériences et d'actions de recherche et développement, dans ce que l'on pourrait appeler la métrologie du transfert de matière. Elle requiert des compétences de chimie et géochimie pour la sélection du traceur le plus adapté, de physique et de technologie pour la maîtrise des conditions d’injection, d’échantillonnage et de détection, d’analyse et de mesure physique pour l’extraction de l’information traceur, de méthodologie et de modélisation pour en déduire les caractéristiques de l’écoulement principal. Autonome ou associée à d'autres techniques, utilisée de façon intrinsèque ou servant à caler des modèles de gestion ou de prévention, la méthode couvre un domaine d’application extrêmement large, de la localisation de fuites dans des digues et barrages au calage de modèles de migration de polluant en milieu naturel.
L’objet de cette courte présentation est de rappeler les caractéristiques principales de la méthode et de présenter quelques applications relatives à des études d’impact, de délimitation de périmètre de protection et d’optimisation de réseau de surveillance. Les éléments de réponse à apporter concernent la question : « Si une pollution arrive à tel endroit, où, quand, comment, pourquoi, à quelle vitesse va-t-elle atteindre la ressource à protéger ? »
On appelle traceur, d’une population dont on étudie l’évolution, tout élément ayant, dans les conditions de mise en œuvre, un comportement en tout point identique à celle-ci et possédant un caractère spécifique permettant son identification. Cet élément peut être naturellement présent dans la population ou ajouté à celle-ci. Le choix d’un bon traceur de l'eau, dans les conditions d’application données, résulte ainsi de l'étude du cas (échelle, nature et environnement des phénomènes à étudier) et de l’optimisation des critères de sélection du traceur. Le traceur idéal de l’eau est un de ses isotopes (²H, ³H, ¹⁷O, ¹⁸O). Si cela n’est pas réalisable pour des questions de coût, de disponibilité ou de facilité de mesure, on sélectionne une substance dont le comportement dynamique, chimique et physico-chimique est identique à celui de l'eau dans les conditions d’application données. La panoplie des traceurs disponible est maintenant très large et inclut les composés chimiques et fluorescents.
Le choix définitif du traceur reste soumis à d’autres critères, dont les plus importants sont :
- toxicité nulle, au moins à partir des points de prélèvement ;
- présence naturelle aussi faible que possible et détection de grande sensibilité permettant la mise en œuvre de faibles quantités ;
- mesure précise et simple, donc peu coûteuse ;
- faible prix de revient et approvisionnement aisé.
[Figure : Fonction typique de restitution d’un traceur obtenue par collecte d’échantillon avec :
• tₐ = temps d’apparition, temps minimal de transfert,
• tₘ = temps modal, correspondant à la date de fréquence maximale de passage,
• t̄ = temps moyen de séjour dans le système, abscisse du moment d’ordre 1, centre de gravité de la Distribution des Temps de Séjour,
• t_d = temps de disparition, fin de passage, temps maximal de transfert,
• t_p = t_d – tₐ, durée de passage à la sortie du système.]
La détection peut s’effectuer « in situ » (traceurs radioactifs ou fluorescents) ou en différé (traceurs chimiques) après prélèvement d’échantillons.
Le marquage devant être représentatif de la population étudiée, l’injection « idéale » est obtenue par introduction du traceur de telle façon qu’il soit réparti de manière homogène en concentration dans cette population.
Lorsque l’expérience de traceur est correctement mise en œuvre, tant à l’injection qu’à la détection, l’information recueillie est une fonction concentration/temps dont tous les paramètres sont extraits directement : temps d’arrivée, de disparition, temps de passage, temps moyen de transfert, concentration maximale, bilan de restitution, etc.
Ces données brutes (paramètres temporels, bilan de restitution, forme et allure de la courbe) sont en général exploitées pour obtenir une description plus phénoménologique du système étudié, par le biais de l’analyse-système, [1] et [2], avec la notion de Distribution de Temps de Séjour ou par la modélisation, en validant ou calant des modèles numériques permettant de décrire les caractéristiques hydrodispersives d’un système, quelles que soient les conditions aux limites.
Les études réalisées notamment en région Rhône-Alpes sur les champs captants en nappe alluviale de Chasse-sur-Rhône et de Crépieux-Charmy, en collaboration avec la Société Burgeap, sont à ce titre exemplaires. Les traceurs sont utilisés, en complément d’autres méthodes, pour caractériser sur site des transferts de matière et valider des solutions de prévention. On trouvera ainsi en [3] la présentation détaillée de l’étude relative au site de Chasse-sur-Rhône et l’apport des expériences de traçages (relation fleuve-nappe, transfert dans l’aquifère) pour étudier la vulnérabilité générale des captages, pour caler le modèle Mosaic développé par Burgeap en régime transitoire et permanent, pour envisager des scénarios concernant des augmentations du débit d’exploitation et des hypothèses de pollutions accidentelles ou chroniques.
L’analyse des résultats a permis de rendre opérationnelles des solutions de riposte, telle la mise en route de pompages sur des forages d’alerte. La qualification sur site d’un tel moyen de prévention a été réalisée là encore par une expérience de traceur, consistant à simuler le transfert d’une pollution avec et sans intervention.
Ces quelques points révèlent l’intérêt et les performances des méthodes mises en œuvre par la Section d’Application des Traceurs du CEA/Grenoble, pour caractériser des transferts d’eau et de pollution, à des fins de protection de ressources, pour le compte de commanditaires aussi variés que Burgeap, EDF, Cemagref, BRGM, Antea, SNCF, COURLY, DDE, DDAF, DRIRE, Services Municipaux. Les actions de recherche et développement sont entretenues, sur la base de l’expérience acquise et des réseaux de collaboration noués avec l’extérieur, par des activités de laboratoire et de terrain, notamment sur des sites expérimentaux, dont les objectifs sont le progrès méthodologique, le perfectionnement des outils, le développement de moyens d’interprétation et de modélisation.
Bibliographie
[1] GAILLARD, B. Méthode de traceur pour la détermination des paramètres de transfert de substances en solution dans l’eau des aquifères. Contribution à la délimitation des périmètres de protection des captages d’eau d’alimentation publique. Thèse Université de Grenoble, juin 1976.
[2] VILLERMAUX, J. Génie de la réaction chimique. TEC & DOC (Lavoisier) 1982.
[3] DURBEC, A. ; FRANCOIS, O. ; CALMELS, P. ; GETTO, D. Étude par traçage et modélisation numérique de la vulnérabilité à la pollution du champ captant de Chasse-sur-Rhône. ESRA’96. Université de Poitiers. 9-12 septembre 1996.