Les algues d'eau douce importunent souvent les industriels de l'eau par leur prolifération intempestive. Par leur abondance elles rendent fréquemment la filtration difficile et même parfois impossible. D’autres fois elles donnent à l’eau potable des goûts et des odeurs désagréables : goût de concombre ou de poisson dus aux Chrysophyacées, odeurs de vase ou de moisi causées par des Cyanophycées.
Mais les algues ne sont pas que des ennemis : par leur production photosynthétique d’oxygène elles aident à l’élimination des bactéries. Elles sont également de précieux indicateurs biologiques de la pollution : elles renseignent ainsi rapidement et sûrement sur l'état sanitaire des collections d'eau, sur l’évolution de l'eutrophie, sur les modifications physico-chimiques du milieu aquatique.
Enfin, producteurs primaires essentiels, le phytoplancton et le phytobenthos sont les premiers maillons de la chaîne trophique : les algues utilisent l'énergie solaire, le gaz carbonique et les sels dissous du milieu aquatique pour produire grâce à la photosynthèse la matière organique dont se nourriront zooplancton et autres consommateurs herbivores. Ce réservoir inépuisable sans cesse renouvelé servira de nourriture aux poissons et, maillon ultime, aux pêcheurs.
Utiles ou gênantes, parfois même toxiques et dangereuses pour les animaux et pour l'homme, les algues microscopiques croissent partout dès qu'il y a un peu de lumière et d’humidité. Elles colonisent aussi bien les sources thermales que la surface des neiges et des glaciers qu’elles colorent en vert ou en rouge. Elles se développent sur les troncs d'arbres humides et dans les déserts les plus arides. Elles colorent en noir les rochers des hautes montagnes et en rouge l’eau de nos gouttières. Elles végètent même sur les feuilles des arbres des forêts humides, sur les poils des paresseux et sur les écailles des carapaces de tortues. Enfin, en association avec les champignons microscopiques elles donneront les lichens, ces pionniers que ne rebutent aucun milieu, aucun climat.
Amis ou ennemis, il est utile à tous ceux qui s'intéressent au milieu aquatique de connaître ces végétaux microscopiques. En eau douce on a décrit environ 1 100 genres d’algues qui groupent plus de 14 000 espèces, et ce nombre s’accroît chaque jour à mesure que progresse notre connaissance du monde aquatique.
La classification des algues est basée sur la chimie des pigments et des réserves.
LES ALGUES BLEUES, OU CYANOPHYCÉES
Il faut tout d’abord isoler les algues bleues ou Cyanophycées (1 500 espèces), organismes qui, seuls avec les bactéries, sont dépourvus de véritable noyau : ce sont des procaryotes. Elles possèdent de la chlorophylle a et des pigments bleus et rouges, phycocyanine et phycoérythrine. Leurs réserves sont constituées par un polysaccharide voisin du glycogène (exemples : Merismopedia, Anabaena, Oscillatoria, Nostoc).
Les autres algues ont un véritable noyau séparé du cytoplasme par une membrane : ce sont des eucaryotes :
A. — LES ALGUES VERTES, OU CHLOROPHYTES
Elles possèdent dans la cellule, à côté du bleu des phycocyanes et de l’orange des carotènes, la chlorophylle a et la chlorophylle b ; cette dernière n’existe que chez les Végétaux supérieurs. Les chloroplastes sont entourés d’une membrane cellulosique contenant aussi des composés pectiques. Les réserves sont surtout constituées par l’amidon. La multiplication végétative se fait, le plus souvent, par zoospores flagellées.
Dans les Chlorophytes nous distinguons quatre classes :
1° — Les Prasinophycées (60 espèces) qui possèdent 2 ou 4 flagelles (exemple : Pyramimonas).
2° — Les Chlorococcophycées dont les zoospores ont 2 ou 4 flagelles mais sont dépourvues de crochets.
3° — Les Chlorophycées, très nombreuses (3 000 espèces), présentant des types morphologiques variés :
- — forme flagellée unicellulaire (Chlamydomonas) ou coloniale (Volvox) ;
- — forme non flagellée unicellulaire (Chlorella) ou coloniale (Pediastrum) ;
- — forme filamenteuse simple (Ulothrix), rameuse (Stigeoclonium) ;
- — forme filamenteuse segmentée (Hydrodictyon) ;
- — forme lamelleuse organique (Oedogonium) ;
- — forme en tube ou en lame (Ulva, Enteromorpha).
4° — Les Zygnophycées (environ 5 000 espèces) se multipliant par conjugaison ; certains genres filamenteux solides, comme Cladophora et Staurastrum.
5° — Les Charophycées (80 espèces) à structures végétatives rappelant les Plantes supérieures.
B. — LES EUGLENOPHYTES
Les Euglenophytes sont des formes mobiles flagellées possédant, comme les Chlorophytes, des chlorophylles a et b, mais renferment un polysaccharide très différent de l’amidon : le paramylon. La plupart vivent en eau douce, s’insèrent par une racine du type Euglena, et peuvent devenir non chlorophylliennes (Euglena fusca). À l’inverse, en conditions défavorables, certaines forment des kystes riches en réserves organiques.
C. — LES CHRYSOPHYTES
Les Chrysophytes ne possèdent jamais de chlorophylle b. Celle-ci est parfois remplacée par la chlorophylle c caractérisée par une courbe d’absorption particulière. Les xanthophylles sont abondantes et, de ce fait, l’algue a une coloration jaune, brune ou vert-jaune. Les réserves sont constituées par un polysaccharide, la laminarine (contrairement à l’amidon ne colorant pas avec le lugol-iode de Lugol). Leur prosopore ou les gamètes ont en général deux flagelles de taille inégale.
On divise les Chrysophytes en 4 classes :
1° — Les Chrysophyceae (800 espèces) à plastes jaunes et formant des kystes de résistance à parois siliceuses (exemples : Mallomonas, Synura et Dinobryon).
2° — Les Diatomophycées ou Diatomées (20 000 espèces) unicellulaires enfermées dans une boîte siliceuse dont l’une des valves est plus grande (Navicula, Epithemi, Gomphonema). Les plastes sont de couleur brune.
3° — Les Xanthophycées (550 espèces) de couleur vert-jaune rappellent par leur aspect microscopique les chlorophycées ; elles sont toujours dépourvues d’amidon et possèdent des zoospores à deux flagelles inégaux.
Exemples : forme unicellulaire : Botrydiopsis, forme filamenteuse simple : Tribonema, forme filamenteuse ramifiée, sans cloison : Vaucheria.
4° — Les Phéophycées, avec 6 espèces en eau douce.
Ce groupe renferme surtout des algues brunes marines telles que Fucus ou Laminaria.
Ce sont souvent des algues de grande taille, à organisation plus ou moins complexe. Les zoospores végétatives et les gamètes naissent dans des sporocystes bien individualisés et de types différents.
— Les PYRROPHYTES :
— Les PYRROPHYTES possèdent de la chlorophylle a et de la chlorophylle c. Elles ont des plastes bruns ou jaunes, plus rarement bleus ou rouges. Dans ce cas elles ont en plus des xanthophylles, de la phycoérythrine et de la phycocyanine (comme les Cyanophycées ou les Rhodophytes). Le matériel de réserve est constitué par de l'amidon comparable à celui des Chlorophytes.
Deux classes très différentes se rencontrent ici :
1° — Les Cryptophycées (100 espèces) unicellulaires à deux flagelles subégaux sortant d’un profond cytopharynx ; exemple : Cryptomonas.
2° — Les Dinophycées (250 espèces) unicellulaires présentant deux flagelles : l'un dans un sillon équatorial, l'autre dans un sillon longitudinal perpendiculaire au premier. La cellule présente souvent une coque cellulosique formée d'un nombre défini de plaques. Exemples : Peridinium et Ceratium.
— Les ALGUES ROUGES, ou RHODOPHYTES :
— Les RHODOPHYTES ou Algues rouges renferment surtout des algues marines. En eau douce on ne connaît que 175 espèces.
Les plastes contiennent de la chlorophylle a et de la chlorophylle d et, de plus, des xanthophylles, de la phycoérythrine et de la phycocyanine. Les réserves sont constituées par de l’amidon floridéen (ou rhodamylon) proche du glycogène.
Il n'existe jamais de zoospore ou de gamète flagellé. Exemples : Hildenbrandia (thalle plat de couleur rouge, sur les cailloux) ; Bangia (filament simple, vert sale) ; Batrachospermum (filament ramifié, avec verticille).
Nous résumons cette introduction à la systématique par le tableau ci-contre, qui permettra la détermination pratique des diverses classes d'algues d'eau douce.
Ce rapide survol de la classification des algues suffira à en montrer à la fois la complexité, la logique, la difficulté et aussi l'intérêt. Les critères indiqués : couleur des plastes, nature des réserves, appareil flagellaire sont cependant relativement simples et faciles à déceler au microscope photonique.
Ainsi un chercheur entraîné pourra, à l'aide d’un simple examen microscopique, dresser la liste des algues qui croissent dans une collection d'eau à un moment donné.
La composition de ces populations donnera des renseignements de valeur sur l'état physico-chimique du milieu et permettra de suivre l'évolution saisonnière des organismes.
La présence de certaines Eugléniens, celle d'Oscillatoria rubescens dans un lac, ou l'apparition brutale d'une fleur d'eau à Cyanophycées sont des signes indéniables d'une eutrophisation du milieu naturel ou d'une pollution par des matières organiques. Ces exemples que l'on pourrait multiplier montrent tout l'intérêt à la fois scientifique et pratique de l'étude des algues d’eau douce.
Bibliographie :
BOURRELLY P. — Les Algues d’eau douce — Éditions Boubée, Paris. Tome 1 : Les Algues Vertes, 1966, 511 p. Tome 2 : Les Algues Jaunes et Brunes, 1968, 438 p. Tome 3 : Les Algues Bleues et Rouges, 1970, 512 p.
FREMY P. — Les Myxophycées de l’Afrique Équatoriale Française. Archives de Botanique, III (2), 1930, 508 p.
HUSTEDT F. — Die Süßwasser-Flora — Bacillariophyta — Heft 10, Verlag von G. Fischer, Iéna, 1930, 466 p.
SCHILLER J. — Dinoflagellatae — Rabenhorst’s Kryptogamen-Flora. Tome 1, 1933, 618 p. ; Tome 2, 1937, 589 p.
P. Bourrelly.