Jacques Cavard, Directeur adjoint des Services Techniques, Syndicat des Eaux d'Île-de-France (SEDIF)
Marc Lambert, Ingénieur INSA, Cifec
[Photo : L’ensemble du matériel prévu a été placé dans un nouveau bâtiment parfaitement intégré dans l'architecture existante]
Depuis quelques années, l’électrochloration réapparaît dans le traitement de l’eau potable ou de l’eau de piscine publique. Contrairement à ce que l’on peut penser, l’électrochloration nécessite la mise en œuvre de matériel confirmé de haute qualité. De nombreuses contre-performances techniques ont pendant longtemps freiné cette application à l’eau potable et aux piscines publiques. Même si le principe est simple, l’application industrielle demande beaucoup d’expérience. La fabrication du chlore ou de l’hypochlorite par électrolyse est probablement l’une des industries les plus performantes et les plus sophistiquées de l’industrie chimique.
L’amélioration de la qualité des technologies utilisées permet aujourd’hui d’envisager l’utilisation de l’électrochloration pour des utilisations aussi essentielles que les postes de chloration d'eau potable.
Le Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF) a choisi d’expérimenter ce procédé pour faire face à l’évolution réglementaire (décret du 7 juillet 1992, modifiant la nomenclature des Installations Classées pour la Protection de l'Environnement), qui soumet
[Photo : Une saumure concentrée obtenue par dissolution de sel alimentaire dans de l’eau adoucie à zéro degré français]
Les stockages de chlore gazeux de plus de 100 kg à déclaration, et ceux de plus de 500 kg à autorisation. L’électrochloration est en effet une alternative aux installations de chlore gazeux, pour lesquelles les équipements de sécurité, rendus nécessaires par la loi ou recommandés par les organismes de contrôle des Installations Classées en zones urbanisées, sont aujourd’hui draconiens. C'est aussi une alternative aux installations fonctionnant à l’eau de Javel concentrée, dont le titre diminue et la teneur de chlorates augmente avec le temps, dont la dilution dans l'eau entraîne fréquemment des problèmes d’entartrage et dont la manipulation présente un risque pour les utilisateurs.
Après appel d’offres sur performances, le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) a décidé la réalisation de quatre installations d’électrochloration pour la rechloration du réseau d'eau potable de la banlieue parisienne.
Les installations ont été réalisées sous le contrôle du Service Équipement de Vivendi Générale des Eaux, régisseur du SEDIF. L'une d'entre elles a été mise en service à l’usine de pompage de Clamart les Feuillants (92).
L’installation d’électrochloration est destinée à la rechloration en réseau par injection d'hypochlorite sur le refoulement de la station de pompage des Feuillants. Cette injection est asservie au débit d'eau à traiter (0 à 2400 m³/h) et à un point de consigne de chlore résiduel pouvant être réglé depuis le poste de commande de l'usine de Choisy-le-Roi.
Ne disposant pas de place dans l'usine de pompage, l’ensemble du matériel prévu a été placé dans un nouveau bâtiment parfaitement intégré dans l’architecture existante (figure 1).
Ce bâtiment comprend quatre pièces totalement séparées :
- - un local de production de saumure,
- - une salle où sont installés le stockage d’hypochlorite de sodium et l’électrolyseur, les deux sources possibles de libération d’hydrogène,
- - les pompes et les appareils de dosage et d’analyse sont placés dans un troisième compartiment,
- - enfin, les armoires électriques sont disposées dans le quatrième.
L’électrolyse est réalisée à partir d’une saumure concentrée obtenue par dissolution de sel alimentaire dans de l'eau adoucie à zéro degré français (figure 2).
[Schéma : Synoptique de l’installation d’électrochloration de Clamart les Feuillants]
[Photo : En partie haute de l’électrolyseur, l’hypochlorite de sodium et l’hydrogène gaz sont récupérés dans deux tuyauteries séparées.]
Le sel utilisé contient le minimum de bromure, de façon à éviter la formation de bromate dans l'eau traitée. L'utilisation d’eau totalement adoucie permet d’éviter la carbonatation des électrodes.
La saumure saturée est diluée avec de l'eau adoucie avant son introduction dans l’électrolyseur. La température de l'eau de service pouvant descendre très bas en hiver, un système de réchauffage maintient l'eau entre 15 et 25 °C pour éviter la formation de chlorate. Le débit de la saumure entrant dans l’électrolyseur est mesuré en permanence. L’exploitant est assuré du bon régime de marche de l’électrolyseur. La consommation de sel est suivie automatiquement, ce qui permet d’avoir un état de la réserve de sel.
Le stock de sel de 7 tonnes en solution dans le silo dissolveur permet de générer 2 tonnes de chlore, ce qui représente plus de deux ans d'autonomie, la consommation moyenne journalière étant de 2,9 kg de chlore. L’électrolyseur est alimenté en courant continu régulé sous faible tension (50 V environ) et haute intensité (100 A). La puissance électrique requise est de 4,6 kWh par kg de chlore produit. Le synoptique de l’installation est présenté sur le schéma 1.
L’électrolyseur est très convivial : sa façade avant est transparente. Il est possible d’observer le dégagement de l'hydrogène, témoignant d’un bon fonctionnement, ainsi que l'état des électrodes construites en titane protégées par un oxyde de ruthénium.
La saumure diluée pénètre en partie basse de l’électrolyseur.
Une détection d’hydrogène à deux sondes contrôle le local unique où sont placés l’électrolyseur et la cuve de stockage de l’hypochlorite. En cas de fuite d’hydrogène détectée par l'une des deux sondes, l’électrolyseur est arrêté, l'alarme est donnée, un gyrophare extérieur est activé.
La capacité de la cuve de stockage d’hypochlorite permet le fonctionnement de la chloration pendant plus de deux jours, l’électrolyseur étant arrêté. Bien qu’il n'y ait plus d'hydrogène à l’entrée de la cuve de stockage d’hypochlorite, elle est aussi équipée, par sécurité, de deux ventilateurs de dilution supplémentaires.
En partie haute de l’électrolyseur, l’hypochlorite de sodium et l’hydrogène gaz sont récupérés dans deux tuyauteries séparées. L’hydrogène est dilué dans l’air par ventilation forcée pour obtenir une concentration inférieure à 1 % avant d’être évacué à l’atmosphère par une cheminée en toiture.
[Encart : Circuit de saumure
NaCl + H₂O + 2 e ⇒ NaOCl + H₂
• NaCl : chlorure de sodium 3,5 kg/h
• H₂O : eau adoucie 110 Vn
• 2 e : courant continu 4,6 kWh
• NaOCl : hypochlorite de sodium 1 kg/h Cl₂
• H₂ : hydrogène gaz 300 Vn]
L’injection d’hypochlorite à 7,5 g/l est assurée par deux pompes doseuses, de capacité différente, fonctionnant en cascade pour pouvoir couvrir une plus grande plage de débit. Les deux pompes sont équipées de variateurs de fréquence.
[Photo : Deux pompes doseuses, de capacité différente fonctionnant en cascade, assurent l’injection d’hypochlorite à 7,5 g/l]
Un analyseur de chlore libre avec tampon pH et nettoyage automatique motorisé des électrodes contrôle le résiduel de chlore libre en aval du point d’injection. Cet analyseur est identique à ceux équipant actuellement les cinquante-deux postes de rechloration du réseau de la banlieue de Paris.
[Photo : Schéma 2 : Le résiduel de chlore ne s’écarte jamais de plus de ± 4 % de la consigne]
L'armoire électrique générale est placée dans le local électrique, séparé des locaux “chimiques”.
La distribution d’hypochlorite est gérée par un Micreau comme sur toutes les régulations du réseau du SEDIF.
Le graphique ci-dessus montre que le résiduel de chlore ne s’écarte jamais plus de ± 4 % de la consigne (voir Schéma 2).
Tous les éléments de sécurité et de régulation sont secourus pendant quatre heures en cas de panne de courant, en particulier les quatre ventilateurs de dilution d’hydrogène. Cette installation répond aux objectifs que s'était fixés le Syndicat, à savoir disposer d'un moyen de chloration fiable et performant, ne nécessitant pas le stockage de chlore gazeux et s’affranchissant des contraintes d’exploitation imposées par l'eau de Javel concentrée.
Les atouts de l’électrochloration
Elle permet d’assurer une autonomie importante vis-à-vis des livraisons de réactifs. Le chlorure de sodium se conserve indéfiniment, sans aucune dégradation, lorsqu’il est immergé dans une saumure saturée. On peut facilement prévoir une réserve de sel dans le bac saturateur pour deux ans de fonctionnement.
Le kilo “d’équivalent chlore” produit revient aux alentours de 6 F.
La maintenance est pratiquement nulle, l'installation étant automatique. Le remplacement des électrodes est envisagé tous les trois ans. L’opération, réalisée en deux heures, permet de produire un hypochlorite frais et stable dont la concentration de 7 à 8 g/l ne présente aucun danger pour les utilisateurs.
Le sel alimentaire utilisé contient 10 mg de bromure par kg de sel.
Une désinfection à 0,5 ppm de chlore dans l’eau du réseau induit une augmentation maximum de bromates de 0,03 mg, ce qui est loin des recommandations les plus draconiennes de 10 mg. Ce n’est pas toujours le cas avec des hypochlorites concentrés et vieillis. Dans tous les cas, les polluants induits par l’électrochloration seront inférieurs à ceux générés par l'utilisation d’hypochlorite commercial concentré.
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