Caractères et distribution hydrique des Legionnella :
Les Legionnella ont pour particularité de contenir une forte proportion (60 à 75 %) d'acides gras ramifiés. Cette particularité, habituellement réservée aux espèces aquatiques thermophiles, explique très vraisemblablement la tolérance de ces bactéries aux variations de température : si la croissance optimale est obtenue à 35 °C, la multiplication bactérienne peut se faire à des températures inférieures et surtout supérieures, de l'ordre de 42 à 45 °C.
Cette thermotolérance des Legionnella leur permet d'être distribuées dans les milieux hydriques les plus divers : réserves d'eau naturelles ou artificielles, réchauffées ou non. Ainsi, elles ont été retrouvées dans des eaux de surface (3), dans des boues et des vases (4), dans des conduites d'adduction d'eau potable où elles persistent principalement dans les canalisations d'eau chaude, en particulier au niveau des robinets (10) et des mélangeurs de douches (12). Elles ont été également isolées de l'eau des tours de refroidissement et des condenseurs des systèmes d'air climatisé d'hôtel et d'hôpitaux (1). C'est d'ailleurs au système d'air climatisé de l'hôtel Bellevue-Stratford que l'on doit l'épidémie qui frappa les congressistes de l'American Legion. Cette large distribution hydrique fait actuellement des Legionnella des bactéries banales de l'eau.
Cependant, cette banalité de distribution contraste avec certains aspects de leur comportement : retrouvées si fréquemment dans l'eau, elles exigent pour leur culture au laboratoire des milieux synthétiques très complexes ; le chlore qui assure facilement leur destruction in vitro est très décevant dans son utilisation sur le terrain, notamment au niveau des climatiseurs. Ces contradictions, longtemps incomprises, ont trouvé une explication depuis que sont mieux connus les rapports étroits entretenus par la bactérie avec les milieux hydriques.
Rapports des Legionnella avec le milieu hydrique :
Les Legionnella ne sont pas libres dans l'eau mais elles sont associées à des organismes vivants tels que les algues bleues (11) et aussi les amibes libres. Des infestations expérimentales ont montré que les amibes des genres Naegleria et Acanthamoeba pouvaient phagocyter L. pneumophila (8), (9), (13). Des souches d'Acanthamoeba isolées d'un humidificateur de système de climatisation, infestées par des L. pneumophila, poussent plus vite et s'enkystent plus vite que des Acanthamoeba de laboratoire dans les mêmes conditions d'infestation et de culture. L'infestation d'Acanthamoeba polyphaga est si facile qu'après quatre jours de culture, il ne reste pratiquement plus de bactéries sur le milieu de culture (5) : elles sont réfugiées dans le cytoplasme de l'amibe, à l'intérieur d'une grande vacuole, s'y multiplient et finalement se retrouvent en grande quantité dans les kystes qui en assurent la conservation en les protégeant des aléas du milieu extérieur grâce à leur enveloppe. Il y a un mécanisme, pour le moment non connu, qui permet aux Legionnella de se soustraire aux actions lytiques des enzymes des lysosomes des amibes. Il semblerait néanmoins que les basses températures favoriseraient la digestion par les amibes alors que les hautes températures au contraire permettraient l'infestation de ces dernières. Ceci expliquerait le caractère saisonnier de la maladie du légionnaire et surtout sa plus grande fréquence d'apparition dans les régions et endroits chauds.
Les possibilités d'infestation facile des amibes par les Legionnella permettent d'expliquer non seulement l'origine des contaminations humaines, mais encore l'une des contradictions évoquées plus haut : ce n'est pas l'eau qui permet la multiplication de la bactérie, mais en fait le milieu complexe qu'est le cytoplasme amibien présent dans l'eau.
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Modalités de transmission à partir des milieux hydriques
Tout contact hydrique peut être à l'origine de la légionellose et en particulier s'il s'agit d'eau chaude. La contamination pulmonaire peut survenir à l'occasion de baignades, de douches et de séjours prolongés dans des atmosphères climatisées. Elle est assurée par l'inhalation d'aérosols chargés de kystes infectieux capables de véhiculer plusieurs centaines de bactéries vivantes. Certains auteurs pensent même (2) qu'une contamination par voie digestive, à la suite d'ingestion d'eau, est possible car on a décrit des localisations intestinales majeures avec péritonites et perforations dont il faut cependant apporter la preuve qu'elles sont primaires et non secondaires à une contamination pulmonaire.
Efficacité des méthodes de désinfection
Dans la mesure où ce sont les kystes qui véhiculent les Legionnella jusqu'à l'homme, l'élimination de ces bactéries du milieu hydrique devient en fait un problème de destruction des kystes. Il est important de préciser que ce sont les kystes d'Acanthamoeba (avec une prédominance de ceux d’A. polyphaga) qui sont le plus fréquemment retrouvés dans les eaux. Ils résistent à des doses élevées de chlore actif puisqu'ils arrivent à supporter pendant au moins une heure 40 p.p.m. aussi bien à 25 °C qu'à 35 °C (6) ; or, de telles concentrations dépassent largement celles qui sont utilisables dans la chloration courante des eaux. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant de retrouver les Legionnella dans l'eau des robinets, des douches et des climatiseurs, malgré la chloration (dont l'échec sur le terrain se trouve ainsi expliqué). L'ozonation en revanche, pratiquée dans des conditions bactéricides et virucides assure une inactivation satisfaisante des kystes du genre Acanthamoeba, y compris ceux qui sont résistants au chlore (7), (voir tableau).
Tableau : Activité comparée du chlore et de l'ozone sur les kystes d'Acanthamoeba polyphaga (d'après Perrine et coll. [6], [7])
Temps de contact et pourcentage de kystes inactivés
4 min. | 6 min. | 30 min. | 60 min. | 120 min. | 240 min. |
Désinfectant |
Chlore actif |
10 mg/l : 0 0 0 0 |
20 mg/l : 0 0 0 10 |
40 mg/l : 0 1 30 — |
Ozone dissous |
0,2 mg/l : 84 97 98 99 — — |
0,4 mg/l : 95 — — — — — |
— : non expérimenté |
Conclusion
La légionellose s'avère donc être une maladie bactérienne ayant pour origine les écosystèmes d'eau douce où, par leur présence quasi constante, les amibes libres jouent un rôle clé. Jusqu'alors, ces protozoaires étaient connus pour être à l'origine chez l'homme de méningo-encéphalites mortelles, d'affections oculaires ou pulmonaires diverses (14), (15). Il faut maintenant les considérer aussi comme des vecteurs potentiels des Legionnella. Il convient donc pour les traiteurs d'eau de tenir compte de ce nouveau risque au moment du choix des méthodes de désinfection des eaux. Il devient en effet impératif d'utiliser les méthodes qui, en plus des bactéries et des virus, sont aptes à éliminer les kystes d’amibes libres les plus résistants. L'ozonation permet d'atteindre cet objectif au cours des traitements d'eau potable et des eaux de loisirs (7). Il serait également souhaitable d’envisager ce mode de désinfection pour l’eau des climatiseurs. Elle viendrait dans ce cas au premier rang des méthodes de prophylaxie.
BIBLIOGRAPHIE
1. Dondero T.J., Rendtorff R.C., Mallison R.M., Levy J.S., Wong E.W., Schaffner W. — An outbreak of Legionnaires’ disease associated with a contaminated air-conditioning cooling tower. N. Engl. J. Med., 1980, 302, 365-370.
2. Fleurette J. — La maladie des légionnaires. La Recherche, 1983, 14, 146-155.
3. Fliermans C.B., Cherry W.B., Orrison L.H., Thacker L. — Isolation of Legionella pneumophila from nonepidemic-related aquatic habitats. Appl. Environ. Microbiol., 1979, 37, 1239-1242.
4. Morris G.K., Patton C.M., Freeley J.C., Johnson S.E., Gorman G., Martin W.T., Skaliy P., Mallison G.F., Politi B.D., Mackel D.C. — Isolation of the Legionnaires’ disease bacterium from environmental samples. Ann. Intern. Med., 1979, 90, 664-666.
5. Nagington J., Smith D.J. — Pontiac fever and amoeba. Lancet, 1980, ii, 1241.
6. Perrine D., Barbier D., Georges P. — Activité comparée in vitro du chlore et du brome sur les kystes d’amibes libres. C.R. Soc. Biol., 1980, 174, 297-303.
7. Perrine D., Barbier D., Georges P., Langlais B. — Efficacité du procédé d'ozonation des eaux recyclées de piscine dans la destruction des kystes d’amibes libres pathogènes ou non. Symposium I.O.A. Ozone et Biologie, 1984, Rennes, France.
8. Rowbotham T.J. — Preliminary report on the pathogenicity of Legionella pneumophila for freshwater and soil amoebae. J. Clin. Pathol., 1980, 33, 1179-1183.
9. Rowbotham T.J. — Pontiac fever, amoebae and legionellae. Lancet, 1981, i, 40-41.
10. Skaliy P., McEachern H.V. — Survival of the Legionnaires’ disease bacterium in water. Ann. Intern. Med., 1979, 90, 662-663.
11. Tison D.L., Pope D.H., Cherry B., Fliermans C.B. — Growth of Legionella pneumophila in association with blue-green algae (cyanobacteria). Appl. Environ. Microbiol., 1980, 39, 456-459.
12. Tobin J.O'H., Beare J., Dunnill M.S., Fisher-Hoch S., French M., Mitchell R.G., Morris P.J., Muers M.F. — Legionnaires’ disease in a transplant unit : isolation of the causative agent from shower baths. Lancet, 1980, ii, 118-121.
13. Tyndall R.L. and Domingue E.L. — Cocultivation of Legionella pneumophila and free-living amoebae. Appl. Environ. Microbiol., 1982, 44, 954-959.
14. Willaert E. — Primary amoebic meningoencephalitis. A selected bibliography and tabular survey of cases. Ann. Soc. Belge Med. Trop., 1974, 54, 205-216.
15. Willaert E., Juechter K.B., Stevens A.R. — A case of keratitis due to Acanthamoeba castellanii in New-York U.S.A. and features of 10 cases. J. Infect. Dis., 1981, 143, 662-667.