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Le verdissement des cimes 1ere partie : implications écologiques

30 juillet 1991 Paru dans le N°147 à la page 34 ( mots)
Rédigé par : Michel MAES

1re partie : Implications écologiques dans les objectifs de production

Could all this be viewed as the first fruits, finally, of a "word to the wise"?

You go it?

« Comment concilier développement économique et préservation de l'environnement ? » (1).

Enjeu majeur de notre société du 3ᵉ millénaire, qui interpelle à la fois l'homme politique, l'élu, l'entrepreneur, le professionnel et, en fin de compte, le consommateur. Cette question ne trouble pas toutes les consciences. « You got it » pensent certains, qui affichent à ce propos un optimisme désinvolte. « Faisons confiance à l'Homme : s'il a été capable d'inventer le moyen de détruire le monde en deux coups de cuillère à pot, comment imaginer qu'il soit impuissant à réparer cette planète percée » (B. Frappat, « Le Monde », juillet 1989). « La communauté scientifique internationale travaille activement pour trouver une solution à ce problème, et il ne fait pas de doute qu'elle parviendra à le résoudre » (BIP, mai 1990).

D'autres s'insurgent contre le pouvoir rédempteur accordé à l'Homme. « L'idée que l'homme peut tout faire, qu'il peut s'adapter à n'importe quoi, que la technologie vaincra tous les obstacles, trouvera les solutions, est la plus néfaste, la plus pernicieuse qui ait jamais germé dans l'esprit humain. » Cette foi absolue en l'industrialisme repose sur un mythe, « celui d'un paradis matériel créé par la science et la technologie, où tous les biens existeraient en abondance, où l'on mènerait une vie de loisirs, sans pauvreté, sans chômage, sans maladie » (E. Goldsmith, « L'Express », mai 1977).

Entre catastrophisme et béatitude, il y a place pour une sérénité réfléchie. Et, comme aime à citer Michel Rocard : « Il nous faut le pessimisme de l'intelligence et l'optimisme de la volonté » (Romain Rolland). Avec l'ENGREF, nous analyserons rapidement les implications écologiques dans les objectifs de production sur trois créneaux : secteur énergétique, secteur agro-alimentaire et secteur industriel de base.

[Photo : sans légende]

Énergie non-stop

Il ne peut y avoir, semble-t-il, d'émergence pour un pays sous-développé sans disposition d'énergie. L'énergie est un fluide vital pour l'économie, bien que sa production et sa consommation ne représentent de but en soi (M. Pecqueur, président du CNPF, revue « APAVE », 1990). Le recours au pétrole restera la source d'énergie prépondérante pendant encore plusieurs décennies (J. Verre, PDG d'Esso-France, 1990) (figure 1). La récente crise du Moyen-Orient aura mis une nouvelle fois en évidence la fragilité des approvisionnements pétroliers à partir d'une région dont le climat géopolitique restera encore longtemps des plus instables (G. Fridman, revue GPL, juillet-août 1990). La Guerre du Golfe a souligné notre vulnérabilité en pétrole (près de 50 % des réserves prouvées sont situées au Moyen-Orient, et en l'an 2000 ce ratio passera à 75 %), alors que c'est pour s'assurer une certaine indépendance énergétique que notre pays fit le choix, au début des années 70, du « presque tout nucléaire » pour sa production d'électricité. De fait, la position énergétique française est jugée plutôt satisfaisante :

  • taux d'indépendance passé de 22 % à 48 % en 15 ans,
  • maîtrise de la consommation, puisque sur la même période le PIB a crû de 38 % et la consommation d'énergie seulement de 12 %,
  • suprématie de l'industrie nucléaire, permettant de pratiquer des prix d'électricité les

(1) Congrès ENGREF (École Nationale du Génie Rural des Eaux et Forêts) du 18 juin 1990 pour son 25ᵉ anniversaire, ayant pour thème : « Une société sous tension face au dérèglement de la planète » (« You go it : c'est dans la poche ! », argot anglo-américain).

Le pétrole restera vraisemblablement la source d’énergie la plus importante pour au moins un demi-siècle. Dans les pays développés, la consommation de pétrole va augmenter lentement, le pétrole sera moins utilisé comme combustible, mais la demande en carburants compensera cet impact : il n’existe pas de produits compétitifs pouvant remplacer l'essence, le gas-oil, le turbo fuel ou même les soutes, et il est bien improbable qu’on puisse en mettre au point sur une grande échelle avant 2010.

Quant aux pays en voie de développement, outre l'évolution ci-dessus, leur consommation de pétrole comme énergie de combustion va probablement progresser pendant encore longtemps.

En 1988, l’équilibre entre les différentes sources d’énergie s’établit ainsi :

ENERGIESMonde libreEuropePays en voie de développement
Mtep%Mtep%Mtep%
PETROLE2350455104666049
GAZ950181901820015
CHARBON1200232302132024
TOTAL ENERGIE FOSSILE45008593085118088
NUCLEAIRE380712011252
HYDRO & DIVERS420845414510
TOTAL ENERGIE530010010951001350100
[Photo : Primauté du pétrole parmi les sources énergétiques (d’après J. Verre, PDG ESSO-France, Colloque Engref, juin 1990).]

plus bas d'Europe, et de limiter les rejets à 1,9 part/unité de PIB, taux de déchets le plus faible d'Europe (RFA : 3,1 ; USA : 5) (revue « Pétrole Informations », mai 1990).

Jusqu'à présent, le choix d’une politique énergétique est resté plutôt timoré entre les énergies à effet de serre climatique et celles à effet « Tchernobyl », point d’autre alternative pour les décideurs. La maîtrise de l'Environnement, à la fois au niveau planétaire (effet de serre dû au CO₂, réduction de la couche d’O₃) et au niveau régional (pluies acides, poussières, radioactivité, risques d’accidents nucléaires) est pourtant une priorité internationale. Deux conceptions manichéennes s’affrontent sur les promesses des énergies solaire, éolienne, hydraulique et biomassique : pour les écologistes anti-nucléaires, elles représentent à court et moyen terme une solution majeure, tandis que pour les producteurs actuels, les énergies renouvelables ne peuvent être considérées au mieux qu'en tant qu’assurance à très long terme, vers la fin du XXIᵉ siècle, quand les énergies fossiles et l’uranium viendront à manquer. Cependant les combustibles fossiles carbonés sont responsables à 80 % des émissions de SO₂ — NOₓ — CO₂, et les combustibles fissiles radioactifs, qui ne peuvent être suspectés de tels rejets, ne sont pas exempts de tout reproche : la gestion des déchets, les risques d’accidents et de prolifération des armes non conventionnelles d'une part, les difficultés liées aux capacités technologiques et financières des éventuels acquéreurs de l’électro-nucléaire d’autre part, viennent en effet jeter une ombre sur les perspectives de développement de cette filière (B. Dessus, PIRSEM-CNRS, revue « La Recherche », octobre 1989).

Gazole de légume

Devant ces réticences, quel est l’état de la technique ? En ce qui concerne la production du courant électrique et de chaleur, il y a donc la voie écologique des énergies renouvelables, que certains pays industrialisés jugent encore marginale. Pourtant, ces énergies renouvelables font l'objet, depuis les années 70, de recherches et de démonstrations de fiabilité comme de rentabilité : énergie solaire (figure 2) (capteurs thermiques, électricité photovoltaïque, photopile à combustible biomassique, systèmes de stockage...), énergie éolienne, énergie micro-hydraulique, énergie de culture et conversion de biomasse, en utilisation directe ou en cogénération (3).

[Photo : Premier four solaire mis au point en 1746 par Lavoisier (doc. Bibliothèque Nationale).]

En ce qui concerne les carburants, le récent Salon de l’Agriculture (4) affichait une belle verdeur d'intentions. Les options françaises, basées sur l'emploi d’hydrocarbures oxygénés extraits de plantes cultivées, font état d'une réduction sensible des émissions de CO, CO₂, hydrocarbures imbrûlés et suies, ainsi que du respect du cycle biogénique du carbone (qui ne se trouverait pas perturbé du CO₂ excédentaire du fait de son absorption rapide par photosynthèse). Deux types de carburants sont présentés, en substitution progressive :

« pour l’essence, il s’agit de l’éthanol et de son dérivé ETBE, produit à partir de céréales ou de plantes saccharifères (figure 3), dont l’ajout à 5 %, ou 10 % respectivement, à l’essence sans plomb correspondrait à une couverture végétale de 575 000 ha (2/3 blé, 1/3 betteraves pour un fonctionnement continu), soit 3,2 % des terres arables françaises, (économie de 0,95 MTep sur 19 MTep consommés en 1989),

(3) À la différence du solaire thermique où seule la chaleur est captée, le photovoltaïque convertit directement la lumière en énergie électrique par des cellules de type GaAs-Si à 40 % de rendement. Cumulant les fonctions de centrale électrique d'un côté et de chaudière de l’autre, les systèmes de cogénération (ou à « énergie totale ») conjuguent la production simultanée de chaleur et d’électricité, d'où le nom de couplages chaleur-force. L’énergie mécanique du combustible fait tourner un alternateur tandis que la chaleur dégagée alimente un processus industriel ou un réseau de chaleur, au lieu d’être perdue dans les gaz d’échappement ou le circuit de réfrigération : la source de pollution thermique se trouve valorisée.

(4) 28ᵉ Salon de l'Agriculture ouvrant le 1ᵉʳ Envirexpo (Salon Européen de l’Environnement et de la Qualité de vie) et le 1ᵉʳ Mairigquip (Salon de l'Aménagement des Communes Rurales et des Collectivités Territoriales), du 3 au 10 mars 1991, Porte de Versailles à Paris (Parc des Expositions).

LES ALCOOLS ET LES ETHERS

En France, c’est l’alcool éthylique ou éthanol qu’il est envisagé d’utiliser, obtenu par fermentation de matières agricoles riches en sucres (plantes saccharifères : betteraves, topinambours) ou en amidon (plantes amylacées : les pommes de terre…). Il sera possible ultérieurement d’obtenir aussi de l’éthanol en utilisant la plante entière et en transformant la cellulose et l’hémicellulose en sucres simples (C6, C5), par hydrolyse enzymatique.

La réaction simple permettant d’obtenir l’éthanol est la fermentation des sucres par les levures :

sucre simple ⟶ alcool éthylique + gaz carbonique  
(1 molécule) (2 molécules) (2 molécules)  
(0,517) (0,491)

L’éther envisagé comme carburant, dérivé de l’éthanol, est l’ETBE (éthyltertiobutyléther) obtenu par réaction de l’isobutène avec l’éthanol, par craquage catalytique ou vapeur-cracking :

isobutène + alcool éthylique ⟶ ETBE + chaleur  
(1 molécule) (1 molécule) (1 molécule) < 100 °C

LES HUILES ET LEURS ESTERS

Des utilisations étendues à plus ou moins grande échelle ont déjà été réalisées avec de l’huile ou des esters méthyliques d’huile de colza, tournesol, coprah, palme, soja, arachide. Actuellement, en France, les essais s’orientent vers l’utilisation de l’huile de colza et de son ester méthylique. L’ester éthylique pourrait également être envisagé et fait actuellement l’objet d’essais.

La réaction permettant d’obtenir les esters est :

Huile + Alcool ⟶ Ester + Glycérine  
20 à 60 °C pression atmosphérique

Glycérides + Alcool ⟶ Esters + Glycérine

Fig. 3 : Les biocarburants français (d’après AFME notices 1304-1305, février 1991, Envitec, mars 1991).

Pour le gazole, il s’agit du « diester » (contraction des termes DIEsel et eSTER), ester méthylique produit à partir d’huiles végétales extraites en particulier du colza, dont l’ajout à 5 % au gazole correspondrait à une couverture végétale de 750 000 ha, soit 4,2 % des terres arables françaises (économie de 0,80 MTep importés sur les 16 MTep consommés en 1989). L’application principale de ce biocarburant concerne, outre les voitures particulières à moteur diesel, le ravitaillement des « flottes captives » de véhicules municipaux, tels que les autobus, les engins de nettoyage et de voirie, les taxis.

Le Salon Bioexpo 1991 (5) confirmait l’expression d’une révolution verte : le Conseil Régional de Bretagne nous invitait gastronomiquement à consommer les ressources naturelles ! Au menu : « choucroute aux algues Sata, salade aux algues Stalaven », arrosées d’une boisson Seatonic à l’eau de mer et aux algues (le signataire de cette rubrique avoue s’en être régalé !).

(5) Bioexpo 1991 (Salon des Biotechnologies et Industries Agro-alimentaires), du 9 au 12 avril 1991, Porte de Versailles à Paris, organisé par Biofutur (Ed. scientifiques Elsevier), qui fêtait son 100ᵉ numéro de revue. Simultanément, se tenait Europropre 1991, 2ᵉ Salon des Professionnels de la Propreté, qui s’intéresse aussi à la gestion des déchets.

[Photo : Fig. 4 : Prévision d’intensification de la demande européenne en produits agricoles de qualité technique pour la CEE à l’horizon 2000 (d’après B. Schmitz, SAST-CEE, revue « La Recherche » décembre 1990).]

Un mouvement de réforme est lancé. On tend partout à condamner les méfaits écologiques, économiques et sociaux de la pratique de l’agriculture intensive : coûts élevés de facture énergétique, baisse des rendements et des revenus fermiers, contamination des nappes phréatiques par abus d’engrais et pesticides, appauvrissement des réserves en combustibles fossiles, menaces diffuses pour notre santé et pour la nature. On prône l’agriculture biologique, fondée sur une utilisation « douce » du sol, milieu vivant, complexe et fragile. L’agriculture biologique exploite principalement les avantages de la rotation des cultures (la monoculture accentue l’érosion des sols et la pollution des eaux), de la régénération des sols (enfouissement-épandage d’engrais verts et de fumiers) et du contrôle naturel des parasites et ravageurs de récolte. Pour cela, elle s’appuie sur la mise en œuvre des énergies solaire et éolienne — plutôt que l’emploi de carburants pétroliers —, de la lutte biologique contre les ennemis des cultures — plutôt que la dissémination de phytosanitaires toxiques — et de l’incorporation de légumineuses fixatrices d’azote atmosphérique — plutôt que l’épandage d’engrais nitrés (J. Parr et coll., revue « Pour la Science », août 1990).

Stratégies agro-industrielles

L’engouement pour la biomasse trouve sa justification dans le secteur bois-pâte à papier, le secteur polymères et le secteur de la chimie de base.

La CEE est le premier importateur de produits du bois, la France important 30 % de ses besoins de pâte à papier (2,2 kt de production pour 3,5 kt de consommation). Cependant, pour une meilleure valorisation des coproduits forestiers, et à plus long terme des cultures de taillis à courte révolution, pourraient répondre aux besoins du marché, tout en contribuant à une gestion plus saine de la forêt (Association Française pour la Biomasse, APCA, mars 1991). D’ailleurs, les haies de bocage, ces « tas de terre, de haies et de fossés » tant décriés par le remembrement, les haies de bocage sont en voie de réhabilitation. Composantes essentielles d’un agro-écosystème millénaire, on leur reconnaît des mérites : actions écologiques multiples modulant le microclimat et le régime hydrique local, gisement de biomasse ligneuse très important. La productivité de la forêt linéaire que constituent les haies est légèrement supérieure à celle de la forêt en massif, d’où le regain d’intérêt pour

le bois de haie, le coût de cette source d’énergie renouvelable sous forme de bûches ou de plaquettes étant très compétitif par rapport à celui des autres sources d’énergie.

La recherche obstinée d’un plastique biodégradable a conduit certains industriels à mettre au point des biomatériaux élaborés à partir d’amidon (polymère naturel, polyoside de réserve de nombreux végétaux, de formule globale (C6H10O5)n à longues chaînes d’unité glucose). Les amidons thermoplastiques Fertec-Ferruzzi contiennent ainsi plus de 60 % d’amidon de céréales et moins de 40 % d’un polymère d’origine pétrochimique non toxique, hydrophile et insoluble. « L’euro-agro-business » exulte : en incorporant 10 % seulement d’amidon au quart de la production européenne de plastiques PE et PP de 12 Mt, cela représente un marché potentiel de 300 kt/an d’amidon, soit 10 % de la consommation européenne.

L’agrochimie est en passe de fournir des molécules à haute valeur ajoutée (figure 4). La gazéification par combustion partielle du charbon, du bois, de la paille, de la biomasse libère le gaz de synthèse CO + H2 qui conduit au méthanol, intermédiaire de synthèse ou carburant, ainsi qu’aux engrais azotés via l’ammoniac. La pyrolyse de la paille hachée fournit des hydrocarbures de cracking des goudrons. L’hydrolyse acide de cette même paille hachée délivre du furfural (synthèse du polyamide 6-6, des polyesters et résines furaniques) et du glucose débouchant par fermentation sur l’éthanol (monomères de synthèse : éthylène, propylène, butadiène et acétaldéhyde, puis acrylonitrile, etc.). Quand on sait que la proportion de terres agricoles européennes réservée à la production de matières premières pour les industries non alimentaires n’est que de 0,8 %, le taux de dépendance de la Communauté Européenne vis-à-vis des produits agricoles étant de l’ordre de 70 à 90 %, on peut estimer satisfaisant le potentiel de développement de la filière agrochimique. Toute une série de facteurs conduisent à penser que ces débouchés devraient se développer dans les années à venir, avec les possibilités nouvelles qu’offrent les biotechnologies dans l’exploitation de la diversité et de la spécificité des biomolécules (B. Schmitz, SAST-CCE, revue « La Recherche » décembre 1990).

Ainsi, le renouveau « vert » est dans l’air. Il flotte comme un joli printemps sur la conjoncture industrielle.

« Aucune force au monde n’a autant de pouvoir qu’une idée dont le temps est venu » (Victor Hugo).

La fin de cet article, intitulée Initiatives locales, paraîtra dans le prochain numéro.

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