L’ozone est utilisé depuis de nombreuses années dans le domaine du traitement des eaux pour son action bactéricide et virucide (1, 2) ainsi que pour son action sur les matières organiques (3, 4, 5, 6). Les dépenses énergétiques de l’ozonation dépendent du rendement de production des ozoneurs, mais aussi de l’efficacité du transfert du gaz ozoné dans l’eau. Il est donc important de transférer l’ozone de la façon la plus efficace possible.
Généralement l’ozone est transféré dans de grands contacteurs à travers des diffuseurs poreux. Mais cette technique présente des désavantages : volume important, zones mortes, passages préférentiels, ce qui se traduit par un mauvais fonctionnement hydraulique.
Il existe deux moyens pour augmenter le rendement d’une réaction d’ozonation : accroître le temps de contact ou la concentration en ozone dans le gaz. Si le temps de contact est important, le volume du contacteur devient grand et les investissements doivent être prévus en conséquence. Si, par contre, la concentration en ozone dans le gaz est augmentée, et comme les réacteurs classiques ont une efficacité de transfert limitée, les pertes aux évents sont accrues, ce qui n’est pas souhaitable.
Un nouveau réacteur, le tube en U, a été développé pour résoudre ces inconvénients. Ce réacteur travaille sous pression, ce qui augmente la concentration d’ozone à l’équilibre dans l’eau, et avec une grande turbulence, ce qui fractionne les bulles et augmente l’aire interfaciale d’échange (a). Par ailleurs, ce nouveau contacteur a un comportement hydraulique du type piston contrairement à une cuve d’ozonation classique qui, pratiquement, peut être considérée comme infiniment mélangée dans les conditions habituelles de fonctionnement. Le comportement piston se traduit également par une meilleure efficacité vis-à-vis du degré d’avancement des réactions (cinétiques d’ordre égal ou supérieur à 1), ce qui est généralement le cas des réactions d’ozonation (7).
L’élimination des bactéries et des virus au cours d’une ozonation a été étudiée sur quatre réacteurs différents (un système classique constitué de deux colonnes en série et trois tubes en U de hauteurs différentes). Deux types d’eau ont été testés : une eau de lac très riche en matières organiques (Cholet) et une eau souterraine ayant subi un traitement de coagulation, floculation, décantation.
I. – MATÉRIEL ET MÉTHODES
Trois pilotes d’ozonation ont été installés en parallèle sur le site du barrage du Ribou (Cholet, France). Sur l’usine de traitement des eaux d’Aubergenville (France), on a mis en place une série de colonnes classiques et un tube en U semi-industriel.
LES PILOTES
Les tubes en U de Cholet
La figure 1 représente les deux tubes en U pilotes. Ils ont été réalisés à l’aide de tubes en PVC de 53 mm de diamètre intérieur. Le premier a 8,40 m de hauteur, le second 12,40 m. Le gaz ozoné est injecté par un tube de 10 mm de diamètre et est entraîné par le liquide qui descend à une vitesse supérieure à 0,6 m/s, conduisant les bulles de gaz vers le bas et assurant un bon contact entre l’ozone et l’eau (7). Les temps de contact moyens dans ces deux réacteurs sont de l’ordre de 30 secondes.
Les colonnes d’ozonation classiques
Il s’agit de colonnes de 4 m de haut et 0,15 m de diamètre fonctionnant à contre-courant (figure 2) et placées en série. Ce système d’ozonation, utilisé à l’échelle pilote, est assez éloigné des réacteurs industriels car, vu son faible diamètre, il a un comportement piston.
Les temps de contact moyens dans ce système sont de l’ordre de 3 minutes.
Le tube en U semi-industriel d’Aubergenville
La figure 3 représente une coupe du tube en U semi-industriel installé dans un forage de l’usine de traitement des eaux d’Aubergenville. Il est constitué de deux tubes concentriques de 30 m de haut. Les tubes intérieurs et extérieurs ont respectivement des diamètres de 53 et 200 mm. Le gaz ozoné est injecté en partie haute et le mélange gaz-liquide est entraîné vers le bas dans le tube central pour remonter ensuite dans l’enceinte située entre les deux tubes. Les temps de contact dans ce réacteur sont compris entre 3 et 10 minutes.
Un système d’ozonation classique de mêmes caractéristiques que pour les essais de Cholet a été installé en parallèle avec le réacteur semi-industriel.
MÉTHODES EXPÉRIMENTALES
Généralités
L’eau de Cholet est une eau de lac. Cette eau très riche en matières organiques et contenant du fer et du manganèse, présente une demande en ozone qui a varié de 2 à 5 g/m³ durant la période des essais (février 1983).
L’eau d’Aubergenville est une eau souterraine décantée dont la demande en ozone est de l’ordre de 0,5 g/m³ (tableau 1).
TABLEAU 1
Caractéristiques des eaux de Cholet et d’Aubergenville
Eau de Cholet | Eau d’Aubergenville | |
---|---|---|
pH | 7,3 | 7,1 |
Résistivité (ohms) x cm à 20° | 3390 | 1500 |
COT (mg/l) | 7,5 | 1,2 |
TAC °F | 7 | 26 |
TH °F | 7,6 | 34 |
TCa °F | 4,4 | 26 |
Cl⁻ (mg/l) | 27 | 31 |
SO₄²⁻ (mg/l) | 23 | 8,4 |
NH₄⁺ (mg/l) | 0,56 | 1,7 |
NO₂⁻ (mg/l) | 0,10 | 0,05 |
NO₃⁻ (mg/l) | 1,9 | 2,8 |
Fer (mg/l) | 0,35 | 0,30 |
Manganèse (mg/l) | 0,20 | 0,08 |
Les concentrations d’ozone dans le gaz ont été mesurées par la méthode à l’iodure de potassium tandis que les résiduels ont été mesurés suivant la méthode à la D.P.D. (7).
Mesures bactériologiques
Tous les prélèvements ont été faits dans des flacons stériles et les cultures ont été ensemencées avant 24 heures.
Les bactéries revivifiables à 22 °C ou à 37 °C (mésophiles) ont été déterminées par incorporation à de la gélose (à environ 45°) d’une certaine quantité d’eau à analyser (maximum 1 ml) (Afnor T 9044401 et T 90402). La colimétrie sur membrane filtrante a été réalisée selon la norme Afnor T 90414. Les streptocoques fécaux et les clostridium sulfito-réducteurs ont été dénombrés respectivement selon les normes européennes et la méthode de P. Buttiaux et col. (8).
Mesures virologiques
Bien que présents en quantité infiniment plus faible que les bactéries d’origine fécale, les virus, organismes pathogènes, survivent généralement beaucoup plus longtemps mais ne prolifèrent pas dans l’eau. Leur recherche constitue un très bon indicateur de qualité d’eau, mais elle nécessite des méthodes de concentration sur des volumes d’eau importants. La concentration est basée sur le principe d’adsorption des particules virales à pH acide sur de la poudre de verre puis de récupération par élution à pH alcalin (9,10). Le volume d’éluat est ensuite partagé pour faire une recherche quantitative des bactériophages (11) et des entérovirus (12).
II. - DISSOLUTION DE L’OZONE DANS L’EAU
Le rendement de transfert constitue une caractéristique principale d’un réacteur d’ozonation. Il peut être défini de plusieurs manières :
— par rapport à la quantité d’ozone dissous :
CL n = ——— x 100 P
avec :
n : rendement de transfert par rapport à l’ozone dissous en %.
P : production d’ozone en g/h.
L : débit liquide en m³/h
C : concentration en ozone dans le gaz (g/m³)
Ce rendement donne généralement des valeurs par défaut puisqu'il ne tient pas compte de la quantité d’ozone consommée par le milieu (réaction et autodécomposition).
— par rapport à l'ozone aux évents :
\[ R = \frac{P - CG}{P} \times 100 \]
avec :
R : rendement de transfert par rapport aux évents en %.
P : production d’ozone en g/h.
C : concentration d'ozone dans les évents en g/Nm³.
G : débit gazeux en Nm³/h.
Ce rendement tient compte de la quantité d’ozone consommée et de celle présente sous forme de résiduel. Il donne généralement des valeurs par excès.
Dans le cas de l'eau de Cholet, pour les taux de traitement employés, la concentration en ozone dans la phase liquide a toujours été nulle en sortie des réacteurs, ce qui est dû à sa forte demande chimique en ozone. Le seul rendement de transfert que l'on puisse employer est celui calculé à partir de la concentration en ozone aux évents.
Influence de la concentration en ozone dans le gaz
La figure 4 représente, pour l'eau de Cholet, l’évolution du rendement de dissolution en fonction de la concentration en ozone dans le gaz pour tous les contacteurs travaillant dans des conditions équivalentes.
Le grand tube en U (12,4 m) donne les mêmes résultats que le système d’ozonation classique : rendements de consommation supérieurs à 99 %, tandis que ceux du petit tube en U (8,4 m) sont de l'ordre de 97 %. Dans le domaine étudié, la concentration d'ozone dans le gaz n’a aucune influence sur les rendements de transfert.
Influence du rapport des débits gaz-liquide (G/L)
Il n'y a pas d’influence du rapport gaz-liquide sur les rendements de transfert lorsque la concentration d’ozone est inférieure à 2,5 g/m³.
Influence du taux de traitement (TT)
La figure 5 représente, pour l'eau de Cholet et pour tous les contacteurs, l'évolution du rendement de dissolution en fonction du taux de traitement appliqué.
Le système d’ozonation classique donne des rendements supérieurs à 98 % jusqu’à un taux de 3,3 g/m³.
Le grand tube en U atteint les mêmes rendements jusqu’à un taux de 2,5 g/m³ ; à partir de là, ils diminuent jusqu’à 88 %, du fait d'un mauvais fonctionnement hydrodynamique.
dynamique (G/L > 15 %)(7). Le petit tube en U a un fonctionnement identique au grand tube en U avec une chute d’efficacité de l’ordre de 2 %.
Conclusion
L’eau de Cholet est une eau très particulière : elle est en effet très riche en matières organiques (COT de 5 à 10 mg/l). Elle présente donc une très forte demande en ozone (de 2 à 5 g/m³). La comparaison des réacteurs n’a pu donc se faire que sur les rendements de transfert de l’ozone par rapport aux évents.
Le tube en U de 12,40 m et le système classique d’ozonation ont les mêmes rendements jusqu’à 2,5 g d’ozone par m³. Le taux de 2 g/m³ correspond à un rapport gaz-liquide (G/L) de 13,3 % pour une concentration d’ozone dans le gaz de 15 g/Nm³ (dans le domaine des eaux potables, il est vraiment exceptionnel de dépasser 2 g/m³). Les deux réacteurs sont donc aussi efficaces quand l’eau à traiter est très riche en matières organiques. Il a été montré par contre qu’un tube en U de 25 m présente de meilleurs rendements de transfert (supérieurs à 95 %) qu’une colonne classique d’ozonation (50 %) quand l’eau à traiter avait une faible demande en ozone (7).
III. – EFFETS BACTÉRICIDES ET VIRULICIDES
Effets bactéricides
Dans une tour d’ozonation classique, un résiduel d’ozone de 0,4 g/m³ pendant 4 minutes est recommandé pour réaliser la désinfection (13). Le comportement piston du tube en U permettrait, en théorie, d’assurer cette inactivation en un temps beaucoup plus court. Le tableau 2 représente les résultats bactériologiques du traitement par l’ozone de l’eau de Cholet pour les différents contacteurs utilisés.
L’élimination des bactéries par le traitement d’ozonation est toute relative car la dose d’ozone injectée sert principalement à l’oxydation des matières organiques de l’eau, et ceci quel que soit le contacteur utilisé. Les coliformes, les clostridium sulfito-réducteurs et les bactéries mésophiles sont généralement très peu éliminés. Par contre, une élimination d’un logarithme des dénombrements à 20 °C et des streptocoques est constatée.
Dans le cas de l’eau d’Aubergenville, l’élimination des bactéries a été complète (deux logarithmes) pour les deux contacteurs.
TABLEAU n° 2 — Bactériologie (Cholet)
/100 ml Coliformes totaux | /100 ml Coliformes fécaux | /100 ml Streptocoques | /100 ml Clostridium | /ml à 20 °C |
---|---|---|---|---|
E. Brute : 650 | 300 | 130 | 1570 | 21900 |
Col. 1 : 150 | 700 | 92 | 230 | 3600 |
Petit U : 90 | 250 | 54 | 1400 | 1900 |
Grand U : 300 | 100 | 34 | 100 | 1200 |
[… autres séries de résultats analogues …] |
Rapport débit gaz/débit liquide (G/L en %) Concentration d’ozone dans le gaz (g/Nm³) Taux de traitement appliqué (g O₃/m³)
Effets virulicides
Les effets virulicides de l’ozone dans les différents contacteurs n’ont pu être vérifiés à Cholet du fait de l’absence de virus dans l’eau d’alimentation lors des trois campagnes d’essais.
L’eau décantée d’Aubergenville a été dopée en virus vaccinaux de la poliomyélite. La concentration à l’entrée des réacteurs était de 121,3 particules virales par litre. Le taux de traitement a été le
même pour les deux contacteurs (TT = 1,5 g/m³). L’élimination des virus par le traitement d’ozonation a été de trois logarithmes pour les deux systèmes d’ozonation. Les concentrations en sortie des réacteurs ont été de 0,23 particules virales par litre (tube en U) et 0,19 particules virales par litre (système d’ozonation classique).
Conclusion
Les différents contacteurs sont équivalents du point de vue de l’élimination des bactéries et des virus. Il convient de rappeler que :
— les temps de séjour de l’eau dans les tubes en U sont de l’ordre de quelques dizaines de secondes tandis qu’ils sont de plusieurs minutes dans le système d’ozonation classique ;
— dans ces essais, le système d’ozonation classique pilote a un comportement piston et non infiniment mélangé comme dans les réacteurs industriels.
IV. — CONCLUSION GÉNÉRALE
Un nouveau procédé de dissolution de l'ozone dans l'eau a donc été testé et comparé à un système d’ozonation classique constitué de deux colonnes placées en série.
Ce nouveau réacteur présente deux principaux avantages :
— il travaille sous pression et avec une forte turbulence ;
— il a un comportement hydraulique du type piston.
Ce réacteur a montré les mêmes rendements de consommation d’ozone et la même efficacité en désinfection qu’un système classique d’ozonation, et ceci avec des temps de séjour beaucoup plus faibles (de l’ordre de quelques dizaines de secondes).
Testé dans le domaine des eaux potables, ce réacteur semble à l'heure actuelle le contacteur d’avenir pour la dissolution de l’ozone dans un liquide.
RÉFÉRENCES
1. Roy D., R.S., Englebrecht, E.S.K., Chian. Jaww, p. 660-664, déc. 1982.
2. Farooq, S., R.S., Englebrecht, E.S.K., Chian. Prog. Wat. Tech. Vol. 9, p. 233-247, 1977.
3. Hoigne, J., H. Bader. Sciences and Engineering, Vol. 1, p. 73-85, 1979.
4. Roth, J.A., W.L., Moench, J.R., Kenneth. Devalak, A. JWPCF, Vol. 54, n° 1, p. 135-139, fév. 1982.
5. Elmghari-Tabib, M., A., Laplanche. Water Research, Vol. 16, p. 223-229, 1982.
6. Kuo, P.P.K., E.S.K., Chian, B.J. Chang. E.S.T., Vol. 11, p. 1177-1181, 1977.
7. Brodard, E., J.P., Duguet, J., Mallevialle, M., Roustan, C. Coste. Congrès 10 A Washington, mai 1983.
8. Butiaux, P. Manuel de techniques bactériologiques, p. 370.
9. Schwartzbrod, L., F., Lucena, Gutierrez. Microbia, tome 4, n° 1, 1978.
10. Dumoutier, N., M., Rizet. Techniques de l'eau (à paraître).
11. Glass, J.S., R.T., O’Brien. Water Research, Vol. 14, p. 887-892, 1980.
12. Block, J.C., L., Schwartzbrod. Analyse virologique des eaux : technique de mise en évidence des virus humains. Chapitre VII 3 2. Lib. Lavoisier, 1982.
13. Coin, L. La presse médicale, Vol. 72, n° 37, sept. 1964.