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Le transfert des triazines vers l'eau

30 mars 1996 Paru dans le N°190 à la page 52 ( mots)
Rédigé par : Charles CANN

Le Cemagref a étudié le transfert de pesticides vers l'eau à l'échelle des petits bassins. L'analyse de sols montre que l'atrazine, la plus utilisée de ces molécules, n'est que lentement lessivée dans les sols de nos régions et que c'est la dégradation de la molécule qui joue le plus grand rôle dans sa disparition progressive au fil des mois. Dans les puits et les forages, il n'y a généralement pas d'atrazine. Dans les eaux de surface, en dehors des épisodes de crue, les teneurs restent modérées, bien qu'elles dépassent souvent les seuils réglementaires. Pendant les crues par contre, les teneurs augmentent beaucoup et dépassent souvent les seuils fixés par l'O.M.S. pour l'eau potable. Les flux mesurés dans les ruisseaux sont très faibles par rapport aux quantités utilisées. C'est donc en limitant les transferts d'eau rapides que l'on pourra réduire la pollution de l'eau par l'atrazine.

Dans le cadre de la C.O.R.PE.P., le Dr Ceresier a étudié les transferts de pesticides à l’échelle des bassins versants. Les objectifs sont d’identifier les principaux mécanismes de transfert et les facteurs qui les influencent de manière majeure et d’évaluer l’importance de ce type de pollution. Ces connaissances permettent de choisir les moyens de lutte les plus efficaces contre ces transferts et d’apprécier l’utilité de leur mise en œuvre au regard des contraintes qu’ils posent et de l’amélioration qui peut en être attendue.

Les travaux d’étude ont d’abord été conduits sur le bassin versant du Coët-Dan, à Naizin, dans le Morbihan. Les résultats ont ensuite été validés sur d’autres bassins. Ces bassins ont 5,5 à 12 km² de surface. Ils montrent donc ce qui peut se passer à l’échelle de petits bassins élémentaires en ce qui concerne le transfert de pesticides vers l’eau.

Sur les 480 matières actives dont l’utilisation est autorisée en France, 60 à 90 molécules différentes sont utilisées sur chacun de ces bassins. La grande diversité de ces molécules et de leurs comportements fait qu’il est impossible de les étudier tous. Nous avons donc choisi d’en recenser les usages et de suivre plus particulièrement quelques familles. Les résultats les plus probants portent sur les triazines. Cette famille comprend la simazine, utilisée en quantité notable, et, surtout, l’atrazine, l’herbicide le plus utilisé. Presque toutes les parcelles emblavées en maïs en reçoivent.

Ces molécules peuvent avoir des effets nocifs. C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la santé (W.H.O.) recommande que leur concentration dans l’eau potable ne dépasse pas 2 microgrammes par litre. Les réglementations française et communautaire, encore plus sévères, limitent cette concentration maximale à 100 nanogrammes par litre. Ces valeurs sont fréquemment dépassées, notamment en Bretagne, dans les eaux brutes qui servent de ressources pour l’eau potable. Les moyens de traitement efficaces sont encore peu installés, coûteux et ne sont pas efficaces pour les concentrations très élevées.

Matériel et méthodes

Les études sont réalisées sur de petits bassins versants où l’ensemble des facteurs qui conditionnent les transferts peuvent être observés et mesurés. Le Cemagref gère le bassin du Coët-Dan et l’étudie depuis 1971. Les données hydrologiques y sont récoltées depuis cette date : quantité de pluie, hauteur, vitesse de l’eau et débit dans le ruisseau, hauteur de la nappe, température, …

C’est un bassin sur lequel l’agriculture est l’unique activité. Elle est très intense et l’occupe entièrement, avec de nombreux élevages hors sol, des rotations culturales rapides, des surfertilisations importantes. Cela préfigure bien ce qui se passe ensuite pour l’ensemble de la Bretagne dont l’agriculture s’intensifie aussi, mais dont l’activité moyenne est encore moins dense que sur ce bassin.

Les relevés culturaux réalisés chaque année montrent l’évolution de la répartition des cultures sur le bassin. La progression de la culture du maïs au détriment des betteraves, choux et des prairies a accompagné cette intensification.

Des enquêtes auprès des agriculteurs du bassin ont fourni les renseignements concernant les élevages, les cultures, les pratiques agronomiques de 42 exploitations, représentant 84 % de la surface totale du bassin. Les autres exploitations ne semblent pas différer de celles enquêtées. L’usage des pesticides a notamment été recensé : produits utilisés, doses, quantités totales, dates et mode d’application, mode de remplissage et de rinçage de cuve, devenir des résidus et des emballages. Des échantillons de sol ont été prélevés dans six parcelles de culture, en surface et à 25-30 cm de profondeur, trois fois par an, depuis l’automne 1991. L’analyse de ces échantillons pour le dosage des triazines et des organo-chlorés a été confiée au laboratoire de Coopagri à Landerneau. Les résultats montrent l’évolution des teneurs en fonction de la profondeur, du temps et des dates d’épandage.

L’eau de cinq puits a été analysée à deux reprises ainsi que celle de forages en profondeur, pour connaître la contamination des eaux souterraines.

Pour connaître la concentration en pesticides des eaux de surface, des prélèvements d’eau sont effectués de deux manières différentes depuis 1991 au niveau de la station de jaugeage à la

sortie du bassin :

  • • en dehors des périodes de crue, des échantillons sont prélevés manuellement pour connaître la contamination des eaux de ressuyage des sols profonds et de la nappe superficielle qui alimentent les sources ;
  • • pendant les épisodes de crue, deux préleveurs automatiques asservis au niveau d'eau par une sonde, prélèvent huit échantillons, chacun selon un pas de temps variable programmé à l'avance pour observer les variations de concentration liées au mélange en proportions différentes d'eau ayant cheminé par des voies diverses : ruissellement de surface, écoulement hypodermique à plusieurs profondeurs et écoulement par la nappe.

Les analyses d'eau ont été confiées au laboratoire de l'École nationale de la santé publique à Rennes, qui procède par chromatographie en phase gazeuse.

Les résultats d'analyses ont été mis en relation avec les variables météorologiques et hydrologiques telles que la pluie, le débit, la température, … et les pratiques agricoles, comme la date d'épandage. Le traitement statistique de ces relations donne, par régression, la relation numérique entre chacune de ces variables et les variations de concentration en atrazine.

Prélever à la station de jaugeage permet de calculer les flux instantanés, produits du débit par la concentration. Il est ensuite possible de calculer les flux sur des périodes plus longues par interpolation de valeurs de flux instantanés.

[Photo : Variation des concentrations en atrazine. Année hydrologique 1993-1994.]

Ces résultats ont ensuite été comparés avec des données collectées sur d'autres bassins :

  • • le bassin du Kerouallon, dans le Finistère suivi depuis 1993 dans le cadre du programme « Rade de Brest », avec le concours de la communauté urbaine de Brest ;
  • • le bassin du Ruiné, en Charente, suivi par le groupement de Bordeaux du Cemagref.

Sur ces deux bassins les données ont été collectées de façon similaire : pluie, débit, usage de pesticides, concentrations en triazines.

Résultats

Usage des triazines

Selon les résultats de l'enquête, l'atrazine est épandue sur toutes les surfaces du bassin emblavées en maïs, généralement à la dose de 1,5 kg par ha. Un agriculteur en utilise plus et quelques-uns en utilisent moins. La valeur moyenne est de 1,52 kg par ha. La superficie concernée est passée de 242 ha en 1991 à 270 ha en 1992 et 318 ha en 1993.

La simazine a été utilisée par les employés communaux sur espaces publics et par les agriculteurs sur les cultures de pois.

Atrazine dans les sols

Après les épandages, au printemps, les teneurs en atrazine sont élevées dans les sols des parcelles emblavées en maïs. Elles décroissent ensuite au fil du temps. Il en reste néanmoins encore pendant plusieurs années après épandage.

Les teneurs en atrazine des sols sont généralement plus élevées en surface qu'à 20 cm de profondeur. C'est particulièrement net au printemps, après les épandages. La différence décroît ensuite de l'été au printemps suivant. L'atrazine n'est donc que lentement lessivée dans le sol.

En utilisant les 108 jeux de données ainsi obtenues, des essais de régressions simples ont conduit à l'équation optimale suivante :

[atrasol] = 0,148 e^(-0,052 t)

R² = 0,71 (1)

avec : [atrasol] = teneur en atrazine du sol (mg/kg) et t = temps écoulé depuis l'épandage exprimé en mois.

Ces coefficients trouvés par régressions sont cohérents avec les doses d'atrazine utilisées par les agriculteurs. Ils indiquent que la moitié environ de l'atrazine utilisée se retrouve dans le sol après épandage et que sa disparition progressive suit une cinétique de premier ordre avec une période de demi-présence de deux mois (Nicolas, 1994). Ces derniers résultats sont proches de ceux obtenus par les chimistes pour la dégradation de l'atrazine.

La simazine n'a été détectée qu'une seule fois dans les sols, en quantité minime.

Triazines dans l'eau

L'analyse de l'eau de cinq puits et de trois forages à deux reprises montre qu'il n'y a pas de triazine dans les eaux en profondeur. Dans le ruisseau, à l'exutoire du bassin, il y a toujours de l'atrazine dans l'eau au seuil de détection de 50 ng/l. En dehors des périodes de crue, la concentration a varié entre 70 et 360 ng/l sur 45 échantillons. Cela montre une pollution continue des eaux de faible profondeur, avec un niveau de contamination assez constant et modéré.

[Photo : Teneur en atrazine du sol (mg/kg).]
[Photo : Variation de la concentration en pesticides dans le ruisseau en crue.]
[Photo : Variation des concentrations en atrazine, crues des 11 et 12 juin 1993.]
[Photo : Variation des concentrations en atrazine, crues de janvier 1994.]
[Photo : Comparaison sur 25 crues. Concentrations calculées et mesurées.]
[Photo : Régression sur 24 crues. Comparaison des valeurs mesurées et calculées.]
[Photo : Variation de concentrations en atrazine dans la crue du 2 juin 1991, sur le bassin du Ruiné.]

La simazine n'est pas souvent détectée en dehors des crues, et cela n'arrive qu'au printemps, peu de temps après les épandages. Elle a été détectée au cours de nombreuses crues, mais jamais en hiver. En été et en automne, les concentrations ne se sont élevées lors des crues que jusqu'à des valeurs modestes, de 300 ng/l au plus. Au printemps, par contre, la concentration est montée jusqu'à près de 3 000 ng/l. La montée des concentrations s'effectue au début des crues pour cette molécule et leur niveau redescend assez vite.

À chaque crue, la concentration en atrazine augmente jusqu'à des niveaux très élevés, puis diminue plus lentement qu'elle n'est montée (Jonvel, 1992 ; Cann, 1993 ; Cann et Villebonnet, 1994 ; Matthiessen et al., 1994).

Généralement la concentration atteint son maximum quelques heures après le début de crue, alors que la diminution s'étale sur plusieurs jours. En mai et juin, il y a même deux augmentations de concentration à chaque crue. La première est rapide tout au début de la crue et porte la concentration à un très haut niveau. Des concentrations de 65 000 nanogrammes par litre ont même été atteintes en mai 1993,

Lors de la crue présentée dans la figure 3, la concentration diminue ensuite en quelques heures, puis elle remonte à un niveau élevé, alors que le débit diminue et la concentration reste élevée pendant plusieurs jours.

De l’été jusqu’au printemps, il n’y a qu’une seule concentration par crue, qui intervient après le maximum de débit semblable à la deuxième augmentation constatée lors des crues de printemps. Cela montre l’existence de deux voies de transfert de l’atrazine vers l’eau. Après les épandages, le ruissellement de surface apporte au ruisseau de l’eau très fortement contaminée par le rinçage du sol récemment enrichi. Cela provoque la première augmentation de concentration dans les crues de printemps. Tout au long de l’année, à chaque crue, l’écoulement hypodermique apporte aussi de l’eau fortement contaminée, ce qui provoque la deuxième augmentation lors des crues de printemps et la seule augmentation des autres crues.

Des essais de régressions avec diverses variables, diverses fonctions montrent l’effet prédominant de l’augmentation de débit au cours des crues sur toutes les concentrations mesurées à chaque crue, bien qu’il y ait une grande variation au cours de chaque crue. Il a ensuite été décidé de ne prendre en compte, pour les régressions suivantes, que la concentration maximale mesurée à chaque crue.

Sur 25 crues, cela donne l’équation suivante :

[atrazine] = 20,52 × (Qmax/Qbase)² – 251

R² = 0,98

avec [atrazine] = concentration maximale en atrazine lors de la crue (ng/l) ;
Qmax = débit maximal au cours de la crue (l/s) ;
Qbase = débit avant la crue.

La régression peut être légèrement améliorée par régression multiple, en ajoutant d’autres variables, mais cette amélioration n’est pas très significative. Les variables secondaires seraient, dans l’ordre, la teneur en atrazine du sol et l’intensité de pluie maximale (Nicolas, 1994).

La crue de mai 1993 a donné des valeurs exceptionnelles, qui pourraient forcer la corrélation. Des essais ont donc été réalisés, en enlevant le jeu de données correspondant. Les corrélations fournissent alors, pour 24 crues, les mêmes variables majeures sous la même forme, dans le même ordre d’importance suivant les mêmes fonctions mathématiques et avec des coefficients voisins. Le coefficient de corrélation diminue : R² = 0,91. La crue de juin 1993 forçait donc bien la corrélation, mais ne la déformait guère.

Si l’on ne peut encore utiliser ces équations pour réaliser des prédictions de concentration avec suffisamment de précision, elle montre néanmoins de façon incontestable l’effet de l’augmentation des débits due aux écoulements rapides sur l’augmentation des concentrations en atrazine.

Test sur le bassin du Ruiné

Sur ce bassin, l’atrazine est également présente en quantité modérée en permanence et augmente aussi lors de chaque crue. Les essais des équations du Coët-Dan avec les données du bassin du Ruiné donnent une bonne corrélation entre les valeurs mesurées et les valeurs calculées, mais la constante est différente et le coefficient de régression est loin de 1. Le choix des variables est donc pertinent pour expliquer les variations de concentration, mais l’équation nécessite une calibration pour tenir compte des caractéristiques du bassin.

Test sur le bassin du Kerouallon

Sur le bassin du Kerouallon, l’atrazine est aussi présente en permanence et sa concentration augmente aussi à chaque crue. L’essai mené avec les quelques crues disponibles ne donne pas de très bons résultats. Le calcul de corrélations simples montre que la teneur en atrazine des sols, modélisée par l’équation obtenue sur le Coët-Dan, est la variable la plus pertinente et que l’augmentation du débit n’intervient qu’en seconde variable. Là encore, les caractéristiques du bassin modifient l’importance relative des facteurs de transfert de l’atrazine.

Flux de triazines

Les flux d’atrazine calculés à partir d’un grand nombre d’analyses et de la mesure en continu des débits a été de 372 grammes la première année, de 2395 grammes la deuxième année et de 1913 grammes la troisième. Cela représente respectivement 0,1 %, 0,6 % et 0,4 % des quantités épandues.

Les flux de simazine ne peuvent être évalués aussi précisément en raison du nombre plus faible de détection. La concentration peut alors varier entre 0 et 49 ng/l. Quoi qu’il en soit, le coefficient de fuite reste inférieur à 1 % dans tous les cas, même en 1991-1992 où les flux ont été favorisés par la pluviosité.

Conclusion

En raison de la très grande variabilité des concentrations et de la vitesse de variation, les suivis de qualité des eaux doivent s’accompagner de mesures de débit ou de vitesse d’eau et les résultats des analyses chimiques doivent être assortis des données concernant les circonstances de prélèvement pour avoir une signification.

Une très petite partie seulement des triazines épandues sur les bassins versants est transférée des sols vers l’eau, mais cette petite partie suffit à porter les concentrations à des niveaux supérieurs à la tolérance réglementaire et même aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.

Le lessivage de l’atrazine dans les sols est très lent et la dégradation constitue le principal mode de disparition des triazines des sols. Pour cette raison, les eaux souterraines ne sont que peu contaminées.

Les écoulements rapides jouent le rôle majeur dans le transfert de l’atrazine et de la simazine des sols vers l’eau. L’atrazine constitue une menace pour la qualité de l’eau tout au long de l’année mais surtout au printemps. La simazine, moins utilisée et de durée de vie moindre, ne constitue une menace qu’au printemps après les épandages. Le ruissellement de surface apporte de la simazine et de l’atrazine aux cours d’eau au printemps en quantités importantes et c’est à l’occasion des pluies violentes de mai à juillet que le risque est le plus élevé car les débits de base deviennent faibles à cette époque et les ruissellements consécutifs aux orages provoquent de fortes augmentations de débit.

Les écoulements hypodermiques apportent de l’atrazine en forte quantité tout au long de l’année lors des crues et cela constitue une part majeure du flux total de cette molécule.

Pour préserver la qualité de l’eau, il sera donc plus important et plus efficace de se préoccuper de l’aménagement des bassins pour réduire les transferts de surface que de réduire les doses d’atrazine utilisées. En particulier, il faut contrecarrer le ruissellement de surface en maintenant des talus en travers des pentes, en maintenant un couvert végétal permanent, en travaillant les sols dans le sens perpendiculaire à la pente. Il sera particulièrement important de ne pas favoriser l’écoulement hypodermique en créant des semelles de labour ou par des drainages. Il faut bien sûr éviter prioritairement le transfert court qui s’opère lorsque les parcelles qui bordent le cours d’eau sont emblavées en maïs et traitées.

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