La loi du 16 juillet 1975 qui réglemente les rejets industriels, a fait se multiplier les installations de traitement des déchets industriels. Ces dernières génèrent soit des boues, soit des déchets solides, lesquels doivent faire l'objet d'un traitement ultime avant rejet dans le milieu naturel. C’est ainsi que les résidus de traitement de surface produisent, après traitement et neutralisation, des boues qui, pour être admissibles en décharge, nécessitent une déshydratation complémentaire et (ou) une stabilisation des toxiques neutralisés.
De même, l’ère des stations d’épuration avec traitement physico-chimique ou biologique a engendré des boues que la valorisation agricole ne permet pas toujours d’éliminer totalement sans danger pour l’écosystème, en raison de la présence de certains éléments toxiques notamment dans le cas des papeteries ou des tanneries dont les boues ont donné lieu à une intervention typique par le procédé de solidification que nous développerons dans cet exposé.
Par ailleurs, l'incinération des ordures ménagères et la filtration à sec des gaz de combustion ont donné naissance à un nouveau déchet constitué de cendres volantes chargées en chaux, métaux lourds et de plus ou moins d'imbrûlés. Ces résidus sont apparentés aux cendres volantes quant à leur aspect physique, et leur mise en décharge nécessite un traitement ultime. Enfin, l'arrêté du 9 juin 1986 et la directive de la CEE n° 86-280 du 12 juin 1986 qui réglementent l'obligation de réduction des émissions de soufre, de chlore et de M.E.S.T. ont fait augmenter le nombre des installations de traitement à la chaux des rejets atmosphériques. Le traitement des matières qui en résulte a fait l'objet d'une étude de faisabilité de la part de notre laboratoire, étude qui n'est pas encore rendue au stade de l'application.
Le procédé Pétrifix
La méthode utilisée est issue d'un procédé de traitement des effluents radioactifs dont l'originalité consiste à utiliser comme matériau de base des déchets hydrauliquement actifs de l'industrie tels que laitiers de hauts fourneaux, pouzzolanes naturelles, cendres volantes des centrales thermiques. Grâce à l'intervention de l'hydroxyde de calcium, ils réagissent avec l'eau pour donner des composés hydratés appelés réactifs, comparables à ceux du clinker, et donc doués de propriétés liantes.
Ces composés se forment par réaction en solution des ions provenant de l'attaque de l'ajout sur la liqueur interstitielle basique. Leur nature est déterminée par les relations d'équilibre dans le système chaux-alumine-silice-eau et est indépendante de l'identité des ions produits par l'attaque alcaline.
La cinétique de leur formation est liée à la vitesse de solubilisation dans le milieu, ce qui dépend de la température, de la finesse de broyage et de la composition chimique de l'ajout. L'utilisation conjointe des caractéristiques des réactions pouzzolaniques et celles des liants hydrauliques permet la réalisation de structures particulièrement stables, comme celle du pont du Gard, qui ont franchi sans dommage l'usure des siècles et dont les éléments sont liés avec un ciment pouzzolanique qui n'a rien perdu de ses propriétés.
C'est la connaissance scientifique de ces matériaux et de ces structures qui ont bien supporté les siècles (les bétons romains sont basés sur une réaction pouzzolanique), qui a permis de mettre au point un procédé d'une fiabilité remarquable, le « Pétrifix ».
Dans ce procédé, on mélange à la boue un ensemble de réactifs mettant en jeu, en particulier, une réaction pouzzolanique qui produit des silicates de calcium d'une composition particulièrement stable. La tobermorite ou l'ettringite, pour ne citer que deux composés formés lors de la prise, sont des composés que l'on trouve dans la nature et qui sont particulièrement résistants.
La formation de ces composés (silicates, aluminates...) provoque une consommation importante d'eau (32 molécules d'eau pour la formation d'ettringite par exemple) qui est prélevée dans la boue, laquelle est transformée en produit solide.
Par ailleurs, lors de la réaction des composés stables, il y a formation de produits de substitution (un atome d'aluminium peut être remplacé par un atome de chrome hexavalent) ; ces phénomènes entraînent des réactions de fixation au niveau moléculaire. On trouve là les raisons de l'insolubilisation des toxiques (métaux lourds en particulier) bloqués par le procédé.
Nous examinerons ci-après les processus physiques et chimiques mis en jeu au cours des opérations.
Traitement physique
Le procédé consiste à mélanger, grâce à un malaxeur approprié, la boue et les réactifs dont les dosages respectifs ont fait l'objet d'une formulation préalable au laboratoire. Les diverses opérations sont portées au schéma de principe de la figure 1.
Action chimique
Elle est caractérisée par quatre actions différentes :
La neutralisation
Pour les chimistes, les liants hydrauliques font appel à des composants essentiels tels que la chaux (CaO) comme base forte et des acides faibles tels que silice, alumine, oxyde de fer. En présence d'acides forts, nous pouvons donc utiliser le pouvoir neutralisant de la chaux, tout en libérant des acides faibles peu solubles, très divisés et doués de capacités d’adsorption physiques ou chimiques importantes.
La précipitation
La présence des ions calcium permet d’obtenir des composés calciques insolubles ou très peu solubles. La précipitation des anions dans les boues tels que phosphates, sulfates, arséniates, borates, fluorures, zincates, chromates, plombates, tungstate, etc. renforce l’action de solidification lors de la cristallisation des composés.
L’adsorption
Les matériaux employés présentent des surfaces spécifiques de l’ordre de 0,5 à 0,8 m²/g ; ces surfaces sont augmentées jusqu’à 100 ou 200 m²/g lors de l’hydratation. Ces caractéristiques expliquent le grand pouvoir d’adsorption physique et chimique, en particulier pour un certain nombre de molécules organiques très odorantes.
* Abréviations utilisées en langage cimentier : C = CaO ; S = SiO₂ ; A = Al₂O₃ ; H = H₂O
La complexation
Les produits de réaction sont caractérisés par des pH élevés (10 à 12). Dans ces conditions, l’ion aluminate est à l’origine de la formation de très nombreux complexes dont l’un des plus fréquents est le sulfo-aluminate de calcium, sous sa forme minérale « ettringite » que l’on rencontre dans les prises de ciment. Mais de nombreux anions sont à l’origine de complexes aluminés dont les sels de calcium sont très peu solubles tels que :
Cl⁻, Br⁻, S, NO₃⁻, NO₂⁻, MnO₄⁻, CrO₄²⁻, CO₃²⁻.
Ces différentes actions sont résumées dans le tableau périodique comme suite à une étude sur les ciments (tableau I).
Les autres complexes formés peuvent se résumer à des composés des types :
— C S H : silicate de calcium hydraté (sous forme de gel) — C₄AH₁₃ : aluminate hydraté — C₂A S H₈ : ghélénite hydratée accompagnée d’ettringite
Ces composés sont caractéristiques de l’effet pouzzolanique qui correspond à une certaine capacité de fixer la chaux. Cet effet est caractérisé entre autres par le rapport :
(Al₂O₃ + Fe₂O₃ + TiO₂ + SO₃) (CaO + MgO + Na₂O + K₂O)
Ce rapport évolue avec la température.
Les réactions précitées aboutissent à la construction de structures insolubles et stables ; l'un des toxiques redoutés, le chrome VI, se combine avec les aluminates tricalciques (C₃A) du même type que les sulfo-aluminates (ettringites). Si la concentration en C₃A est suffisante,
Tableau I
CLASSIFICATION PÉRIODIQUE DES ÉLÉMENTS
gr. I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | gr. O | |||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
0 | Né | ||||||||||
1 | H | He | |||||||||
2 | Li | Be | B | C | N | O | F | Ne | |||
3 | Na | Mg | Al | Si | P | S | Cl* | Ar | |||
4 | K | Ca | Sc | Ti | V | Cr | Mn | Fe | Co | Ni | |
Cu | Zn | Ga | Ge | As | Se | Br* | Kr | ||||
5 | Rb | Sr | Y | Zr | Nb | Mo | Tc | Ru | Rh | Pd | |
Ag | Cd | In | Sn | Sb | I* | Xe | |||||
6 | Cs | Ba | La n | Hf | Ta | W | Re | Os | Ir | Pt | Au* |
Pb* | Bi | Po | At | Rn | |||||||
7 | Fr | Ra | Ac | Th | Pa | U* |
* Précipitation — + Complexation — * Adsorption
tout le chrome VI est précipité sous forme de chromo-aluminate insoluble. De même, le zinc et le silicate tricalcique (C3S) forment un hydroxyzincate de calcium peu soluble. La connaissance et la maîtrise de ces réactions permettent de prévoir l'action des liants, de conduire celle-ci et d’obtenir une excellente fixation. Ces propriétés sont mises en évidence par les résultats obtenus sur les tests de lixiviation.
Performances mécaniques
Les boues traitées sont rendues manipulables (pelletables) et au terme d’un délai plus ou moins long prennent en masse pour donner un matériau semblable à une pierre (figure 2).
Les perméabilités atteintes sont de 10⁻⁷ à 10⁻⁸, assez inférieures à celles des argiles. Suivant les objectifs, les résistances mécaniques varient de 20 à 100 kg/cm² (parfois plus suivant la charge utilisée) ; ces résistances en font un excellent matériau de remblai analogue à la grave-ciment.
Pour en faire des matériaux de construction, il faut choisir le constituant qui apporte le meilleur compromis de fixation et de résistance mécanique.
Les tests de lixiviation Lorec
Pour obtenir les résultats indiqués ci-après, nous avons utilisé le test Lorec déjà employé en 1976 par le Cerilh pour le compte de l’Agence de bassin Seine-Normandie afin d’effectuer une étude comparative de procédés de solidification.
L’échantillon est broyé après 28 jours de prise (norme cimentière avec contrôle à l’aiguille de Vicat) et il est soumis à extractions successives (environ trente). Ce test, très efficace, utilise les flux et reflux de l’eau distillée et son action solvante.
Premier exemple : le traitement des chaux de filtres
Ce traitement en est au stade d’étude de faisabilité. Les chaux de « filtres à manche » sont des matériaux dont l’évacuation pose un problème à cause de la volatilité de ses composants ; la difficulté est décalée dans le temps lorsque les cendres subissent un lavage à l’eau (pour éliminer les composés solubles tels que chlorures et nitrates) comme c’est le cas dans certains procédés dits par voie « semi-humide ». Les cendres sont alors hydratées, donc plus lourdes et plus ou moins agglomérées, mais non stabilisées.
Sur le tableau II on peut comparer trois essais effectués sur quatre types de chaux d’origines différentes :
— deux en provenance de centres d'incinération d’ordures ménagères, — une en provenance d’une usine d’incinération mixte d’ordures ménagères et déchets industriels, — une en provenance d'un centre d’incinération de déchets industriels divers.
Dans tous les essais de solidification effectués, la prise en masse a été satisfaisante, générant un solide qui présente une bonne résistance à l'enfoncement (test à l’aiguille de Vicat). Différents contrôles permettent de tabler sur des résistances à l’écrasement variant de 7 à 18 bars selon la richesse de la formulation utilisée.
Les différentes formulations employées sont caractérisées par une lettre et par le pourcentage total des réactifs par rapport à la masse de chaux à traiter. Les essais ont été prolongés, sur le constat que les métaux lourds étaient parfaitement piégés sans incidence particulière du phénomène de dilution par l'apport des réactifs. Pour les DCO résultantes, les éléments « départ » et « arrivée » n’ont pas toujours pu être réunis.
Pour obtenir des comparaisons chiffrées, nous avons fait subir à la chaux initiale le même test de lixiviation que le matériau obtenu après solidification, puis broyage. Les résultats et nos remarques nous laissent à penser que la mise en œuvre de cette technique peut être une solution ultime du traitement des chaux de filtres pour gaz de combustion en mettant ainsi le point final à l’élimination des déchets et ordures ménagères par incinération (voir tableau II).
Deuxième exemple : le traitement de boues de tanneries
Les boues, qui proviennent d'une station de traitement d’effluents de tanneries, correspondent à la composition ci-après :
Résidus sec ............... 123 g/kg |
Matières minérales ..... 55,2 g/kg |
Sulfures en S²⁻ .......... 0,475 g/kg |
Sulfates en SO₄²⁻ ....... 0,589 g/kg |
Phosphates en PO₄³⁻ .. 0,033 g/kg |
Calcium en Ca ........... 17,6 g/kg |
Chrome en Cr³⁺ ........ 8,7 g/kg |
Azote total en N ........ 0,35 % |
Azote ammoniacal en N .. 0,02 % |
9 000 T de ces boues ont été traitées par ce procédé, à raison de 700 à 800 T de boues par jour. La mise en œuvre en a été effectuée grâce à une unité mobile de malaxage (figure 3) ; on peut aussi utiliser une autre technologie pour les quantités plus faibles : le kit mobile.
Les résultats obtenus par lixiviation sont les suivants :
Zn = ND Fe = ND Cu = ND Ni = ND
* Non détectable avec la méthode utilisée (ND)
Tableau II : ESSAIS EFFECTUÉS SUR TROIS TYPES DE CHAUX
ORIGINE | ||||||||
ANALYSE LIXIVIATS LOREC mg/l | ||||||||
D.C.O. | pH | CN | Cr6+ | Cd | Pb | Cu | Fe | Zn |
AUTRES | FORMULATIONS RETENUES | REMARQUES | ||||||
Incinération ordures ménagères + déchets industriels | ||||||||
Brut : 600 | 11,6 | 0,01 | ND | ND | 0,1 | 0,05 | 0,1 | 7,0 |
C.O.T. 19,5 | C 70 % | Mise en décharge classe II | ||||||
Solidifié : — | 12,6 | 0,01 | ND | ND | 0,03 | <0,05 | 0,1 | 0,05 |
— | 18 | — | ||||||
Incinération ordures ménagères | ||||||||
Brut : — | 10 | — | — | 0,06 | — | 7 | — | 2,5 |
A 20 % | Mise en décharge classe I | |||||||
Solidifié : 43 | 10 | — | — | 0,03 | — | ND | — | 0,03 |
— | — | — | ||||||
Incinération ordures ménagères | ||||||||
Brut : 300 | 6,3 | <0,01 | 0 | ND | 11,8 | 0,0 | 0,1 | 420 |
B 47 % | Mise en décharge classe II | |||||||
Solidifié : 300 | 13,0 | <0,01 | 0,1 | — | 1,2 | 0,1 | 0,1 | 0,09 |
— | — | — | ||||||
Incinération déchets industriels | ||||||||
Brut : 1110 | 12,5 | — | 0,02 | 0,5 | — | — | 0,11 | |
D 45 % | Mise en décharge classe II | |||||||
Solidifié : 680 | 12,6 | — | 0,02 | 0,4 | — | — | 0,05 | |
— | — | — |
Cr = 0,1 mg/l
Cr6+ = ND
Cd = ND
DCO = 900 mg/l
pH = 10,5
SO4 = 0,5 mg/l
PO4 = 0,2 mg/l
Les eaux sont claires et inodores. Le matériau produit est stable et dur, ce qui permet la remise in situ sans difficultés.
Conclusion
Les caractéristiques du procédé, les résultats qu’il permet d’obtenir et ses applications pratiques en font effectivement l’un des procédés ultimes de traitement des « déchets de déchets ».
La technique mise au point en laboratoire devrait dégager des solutions d’utilisation de ces chaux résiduaires (dont le coût est de l’ordre de 200 à 400 F/t). Leur préparation peut d’ailleurs être assurée par des kits adaptés en fonction des quantités à traiter et du devenir du résidu ultime (décharge ou remise in situ selon les cas).
Finies les craintes de pollution par concentration des métaux lourds dans les fumées (Pb, Zn, Cd) : ils sont bloqués et résistent à la lixiviation. On peut même envisager la formation d’un matériau de substitution (routier, par exemple : granulés, pellets, graves artificielles, etc.) dont le potentiel est important sur le territoire français.
Le traitement des boues de tannerie est plus spectaculaire : d’un produit très odorant et fortement coloré contenant encore du chrome trivalent, on aboutit à un matériau inodore, gris, résistant mécaniquement et d’une bonne lixiviation naturelle. En 1987, le procédé Pétrifix mis en œuvre dans différentes unités (en centre collecteur ou en unités mobiles) a permis de traiter 150 000 tonnes de déchets industriels, ce qui en fait l’un des procédés de solidification des déchets le plus utilisé au monde.