Cet échangeur en circuit ouvert est le siège du phénomène classique de « fouling » entraînant une dégradation du coefficient d’échange, et donc une baisse de l’allure de production jusqu’à l’arrêt pour nettoyage. Diverses solutions ont été essayées pour y remédier, sans donner entièrement satisfaction.
Le problème a été résolu par l’utilisation de galets d’acide trichlorocyanurique, producteur de chlore, oxydant largement employé comme désinfectant, notamment dans le domaine du traitement des eaux de piscines. À cet effet, un pot à percolation, contenant 75 kg de galets, a été mis en place en rétro-dérivation sur la pompe de circulation, le réglage du débit d’eau dans ce chloreur permettant d’ajuster le flux de chlore.
Ce système a permis l’ajustement d’un taux de chlore de 0,1 à 0,2 ppm dans le circuit, ce qui a évité les phénomènes de fouling, tout en respectant les problèmes de rejet. D’une grande souplesse, quasiment sans entretien, il permet une autonomie importante.
Le fouling est dû à la croissance d’algues et de coquillages qui se produit sur les parois en contact avec l’eau. En outre, ces organismes synthétisent des acides gras et des polysaccharides, appelés mucilages, qui font de l’ensemble une matière visqueuse.
Ce fouling entraîne des pertes de charge souvent importantes pouvant nuire au fonctionnement des pompes et peut conduire à une réduction importante des coefficients de transfert dans les échangeurs de chaleur. De plus, il favorise la corrosion « sous dépôts » par le phénomène d’aération différentielle, corrosion souvent aggravée par la présence d’H₂S libéré par des bactéries sulfato-réductrices piégées dans le film des matières planctoniques.
Évidemment, plus l’eau utilisée est polluée plus le phénomène est important.
L’action du chlore
Le chlore, sous sa forme oxydante, HOCl, est connu depuis longtemps pour son action sur le phénomène de fouling.
Dans une première étape HOCl réagit sur les constituants du mucilage, en transformant ceux-ci en éléments solubles qui ne s’accrocheront plus sur les parois en fonction des effets suivants :
- * cassage des polysaccharides en acides solubles,
- * réaction sur les acides gras en donnant des produits alpha-cétoniques solubles,
- * réaction sur les doubles liaisons donnant des produits solubles.
Toutes ces réactions se traduisent par une dissolution des matières visqueuses.
Dans une deuxième phase HOCl s’attaque aux cellules proprement dites :
- * réactions avec les composés organiques du cytoplasme,
- * destruction des chlorophylles et xanthophylles,
- * oxydation des liaisons SH au niveau des enzymes et de l’ADN.
La cellule s’atrophie par migration de ces éléments solubles et meurt.
La dose à mettre en œuvre dépend de l’eau utilisée, de l’état de l’échangeur et de la façon d’utiliser le « chlore ». En traitement curatif, les doses à employer s’échelonnent de 1 à 15 mg/l ; en trai-
Traitement d’entretien, les doses sont beaucoup plus faibles : 0,1 à 0,5 mg/l.
L’intérêt de l’opération, du point de vue de l’efficacité, est de réaliser un traitement continu, l’abattement des micro-organismes dépendant du produit RT (résiduel de chlore × temps), selon la loi log N/No = KRT. Pour une même action, le résiduel de chlore à mettre en œuvre sera alors petit, limitant les consommations de chlore (demande en chlore plus faible) et l’impact écologique.
Le problème de la Grande-Paroisse
La Grande-Paroisse constitue la filiale « engrais » d’Elf Atochem, dont l’une des principales usines de production se situe à Toulouse.
À l’atelier de Toulouse, l’ammoniac est condensé en deux étapes :
- • refroidissement dans un échangeur alimenté en eau brute,
- • condensation dans un échangeur équipé d’un circuit frigorifique.
Ce premier échangeur est un modèle horizontal de 13 m de long, équipé de 1 486 tubes. Il est alimenté en eau brute de la Garonne filtrée à 600 μ. L’eau passe à l’intérieur des tubes en circuit ouvert ; ceux-ci sont le siège d’un développement bactérien plus ou moins important selon la température de l’eau du fleuve. Ces incrustations produisent des boues et retiennent les limons (le phénomène est très important en période de crues).
Ce phénomène entraîne une dégradation du coefficient d’échange, compensée dans un premier temps par un surcroît de travail du compresseur (avec surconsommation électrique), jusqu’au moment où l’on est contraint à baisser la cadence de la production.
Pour pallier ce phénomène d’encrassement, diverses solutions ont été essayées à l’initiative de l’atelier ou des traiteurs d’eau : produits anti-boues, bactéricides de synthèse, eau de Javel.
Les deux premières solutions ont été rejetées car elles étaient chères et d’une efficacité toute relative.
L’eau de Javel a donné des résultats corrects mais elle a été éliminée pour les raisons suivantes :
- • doses importantes à mettre en œuvre, d’où rejet de chlore actif dans la Garonne,
- • caractère corrosif, compte tenu de la quantité importante de Cl- dans l’eau de Javel,
- • augmentation du pH de l’eau avec risque de précipitation de CaCO₃,
- • manque de souplesse, dû à l’évolution de la teneur en Cl- dans le temps, et à la nécessité d’entretenir les pompes doseuses.
L’acide trichloroisocyanurique : la solution
Elf Atochem, qui possède sur le site Grande-Paroisse de Toulouse la plus grosse unité européenne de production de dérivés chlorocyanuriques, a saisi l’opportunité de traiter le problème du fouling par deux de ces produits, qui font l’objet d’une exploitation industrielle : le dichloroisocyanurate de sodium et l’acide trichloroisocyanurique. Ce sont des donneurs de chlore actif, donc des oxydants et bactéricides puissants. Ces produits ont d’ailleurs été testés avec succès au « Laboratoire eau et corrosion » de Carling, où l’on a constaté que leur utilisation permet d’économiser une bonne partie des réactifs biocides sur les aéroréfrigérants.
Ils sont également utilisés avec succès par Elf Aquitaine pour l’injection d’eau dans les puits en vue de la récupération secondaire du pétrole (notamment au Gabon).
Pour équiper l’unité d’ammoniac de Toulouse nous avons choisi l’utilisation de l’acide trichloroisocyanurique (ATCC) sous forme de galets de 200 g, mis en œuvre dans un chloreur contenant 75 kg de galets (pot à percolation) monté en rétro-dérivation sur la pompe de circulation.
Le débit d’eau, réglable, passant dans le chloreur, permet d’ajuster le flux de chlore à la valeur désirée.
[Photo : L’échangeur.]
Ce système présente beaucoup d’avantages :
- • l’ATCC, étant un produit acide, empêche les incrustations de tartre ;
- • l’ATCC, libérant son chlore en milieu acide, une bonne partie (~ 60 %) du chlore se présente sous la forme HOCl, beaucoup plus bactéricide que ClO- (Javel), ce qui permet d’utiliser des doses très faibles en chlore libre (0,1 à 0,2 ppm) ;
- • les équilibres des différentes formes de chlore inhérentes à la molécule d’ATCC font que l’on forme deux à trois fois moins de chloramines et d’haloformes ;
- • les faibles doses mises en œuvre et la formation réduite de dérivés chlorés indésirables font que l’on rejette à la Garonne une eau plus propre et moins toxique, vis-à-vis de l’écosystème des eaux douces, que celle que l’on a pompée ;
- • l’utilisation du chloreur permet une bonne autonomie de marche sans rechargement ;
- • le système est purement statique, sans pièces en mouvement : il est donc très fiable et fonctionne sans entretien ;
- • l’ajustement du flux de chlore offre une grande souplesse.
Les résultats
L’essai ayant débuté en décembre 1989, le système est donc en place depuis plus de trois ans. L’échangeur concerné est toujours propre et n’a jamais dû être nettoyé. Depuis le début de l’essai, l’unité n’a jamais eu à réduire son régime (ou s’arrêter) par diminution du coefficient d’échange sur cet échangeur.
Les exploitants sont entièrement satisfaits du système mis en place, qui est très efficace, économique et d’une grande souplesse d’emploi.