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Le traitement des boues urbaines : l'énergie en question

31 decembre 1984 Paru dans le N°88 à la page 21 ( mots)
Rédigé par : André HAUBRY

L’article présenté ci-après est une synthèse d’une précédente conférence prononcée, dans le cadre de l’IFAT, au dernier Congrès EWPCA-ISWA de mai 1984 à Munich. Nous étions, à cette occasion, également rapporteur de la manifestation IAWPRC-EWPCA tenue en septembre 1983 à Paris sur le thème « Energy savings in water pollution control ». Nous faisons donc de ce fait souvent référence à de nombreuses communications qui y ont été présentées et en remercions tous les auteurs.

Dans la conception d’une station d’épuration, les solutions adoptées ne répondent pas toujours à des considérations d’ordre écologique (nuisances pour l’environnement, recyclage des déchets dans le milieu naturel, etc.) ou d’ordre énergétique. Les coûts immédiats d’investissement et les coûts globaux d’exploitation (main-d’œuvre, entretien, produits consommables) paraissent être les plus décisifs.

Néanmoins, pour les pays dépourvus d’énergie fossile surabondante, les réductions des dépenses énergétiques sont devenues des préoccupations premières. Les filières de traitement de boues n’échappent pas à ce besoin d’économie qui peut être recherché :

  • — soit au moment de la conception de la station d’épuration, en élaborant des filières peu consommatrices d’énergie ou même productrices d’énergie réutilisable ;
  • — soit après réalisation, par une meilleure gestion d’ensemble de l’énergie, par des consommations moindres sur le terrain et par des récupérations maximales d’énergie perdue (au moyen d’investissements plus ou moins lourds).

Aborder un tel sujet : les économies d’énergie, sous forme de globales considérations n’est pas chose aisée. En effet, s’il se dégage quelques règles générales, les progrès réalisés le sont surtout à partir d’étude de cas concrets tenant compte de nombreuses modalités locales. C’est pourquoi nous ferons souvent référence à la dernière conférence IAWPRC-EWPCA « Energy savings in water pollution control » organisée à Paris en septembre 1983 par l’AGHTM et le CFRP, où des exemples ponctuels d’économies dans les installations de traitement de boues ont été donnés.

En analysant les nombreuses communications de cette manifestation, nous pouvons dégager d’emblée les principaux enseignements suivants :

  • — la station d’épuration doit être également un gros producteur d’énergie par valorisation (méthanisation) des matières organiques contenues dans les déchets qu’elle produit ;
  • — il faut utiliser, sur place si possible, l’ensemble du biogaz produit, sous forme d’énergie calorifique, d’énergie mécanique ou d’énergie électrique ; de ce fait, une bonne gestion énergétique doit associer étroitement les filières d’épuration des eaux et celles d’élimination des boues ;
  • — la priorité semble surtout donnée aux économies de coût d’énergie plutôt qu’aux économies de quantité d’énergie ; les soucis nationaux de moindre importation d’énergie primaire cèdent souvent la place à ceux de moindre coût global immédiat d’exploitation ; il y a donc parfois discordance entre économie d’énergie et économie d’exploitation ;
  • — un effort important est mené pour récupérer au maximum l’énergie calorifique perdue (moteurs à gaz, échangeurs après four d’incinération, pompe à chaleur) mais avec deux soucis majeurs : retour relativement court de l’investissement et fiabilité d’entretien de tous les systèmes d’échanges calorifiques.

Avant d’aborder les balances énergétiques des divers procédés élémentaires des filières de traitement des boues, il est très utile de situer les dépenses énergétiques de la filière boue dans l’ensemble des dépenses de la station d’épuration.

DÉPENSES ÉNERGÉTIQUES DES FILIÈRES BOUES : LEUR JUSTE ÉCHELLE

Les dépenses énergétiques dues au seul traitement des boues représentent une part assez modeste dans l’ensemble des coûts d’exploitation d’une station d’épuration (main-d’œuvre, entretien, renouvellement, réactifs, énergie). Elles sont mêmes infimes (moins de 1 %) avec certaines filières, mais peuvent dépasser 10 % en cas de conditionnement thermique de boues fraîches ou en cas d’incinération d’une boue insuffisamment déshydratée.

La figure 1 situe, à travers quelques exemples, la part énergétique de la filière boue par rapport au coût total énergétique de la station d’épuration : généralement entre 5 et 20 % sauf en cas d’incinération d’une boue trop humide, les coûts énergétiques de l’atelier des...

[Figure : Figure 1]

STATIONS

(1) 500 000 HE – Traitement primaire seul. Filière boue : bande + chaulage + agriculture.

(2) 320 000 HE – Traitement biologique. Filière boue : filtre à bande + chaulage + agriculture.

(3) 500 000 HE – Traitement biologique. Filière boue : épaississement + flottateur + digestion + lits de séchage + agriculture.

(4) 1 300 000 HE – Idem (3) mais avec centrale énergétique.

(5) 900 000 HE – Traitement biologique. Filière boue : épaississement + digestion (avec centrale) + filtre-presse (chimique) + four.

(6) 270 000 HE – Traitement biologique (nitrates bactériens). Filière boue : épaississement + digestion + filtre-presse (chimique) + décharge.

(7) 540 000 HE – Traitement biologique. Filière boue : épaississement + digestion + filtre-presse (chimique) + décharge.

* = Équivalent-habitant

[Figure : Figure 2]

EN SOUS CHARGE

EN PLEINE CHARGE

(1) 47 000 HE* – Filtre sous vide (chimique) + décharge.

(2) 60 000 HE – Digestion + centrifugation + décharge.

(3) 67 000 HE – Digestion + filtre à bande + agriculture.

(4) 71 500 HE – Filtre-presse (chimique) + décharge.

(5) 105 000 HE – Centrifugation + four.

(6) 300 000 HE – Conditionnement thermique + filtre sous vide + four.

(7) 300 000 HE – Digestion + conditionnement thermique + filtre-presse + décharge.

(8) 900 000 HE – Digestion + filtre-presse (chimique) + four (avec centrale énergétique).

(9) 350 000 HE – Filtre-presse (chimique) + décharge.

(10) 40 000 HE – Filtre bande + chaulage + agriculture.

* = Équivalent-habitant

Les boues peuvent alors dépasser 30 voire 40 % du coût énergétique global de la station.

La figure 2 représente, quant à elle, toujours avec quelques exemples concrets, la part énergétique (électricité et fioul) dans un coût d’exploitation de la seule filière de traitement de boue : selon les filières, l’énergie représente de 0,5 à 3 FF/HE.AN, avec deux exceptions qui sont l’incinération d’une boue fraîche simplement centrifugée et l’application d’un conditionnement thermique sur des boues non digérées.

À part deux ou trois lignes de traitement de boue grosses consommatrices d’énergie, nous pouvons donc dire que, dans l’ensemble, c’est l’épuration des eaux (avec traitement biologique) qui consomme 70 à 80 % de l’énergie (et même plus en cas d’aération prolongée). Il sera donc utile de récupérer de l’énergie pour l’aération par la mise en place d’une digestion anaérobie. En ce qui concerne le seul traitement des boues, les frais de main-d’œuvre, d’entretien, de matières consommables représentent dans la majorité des cas plus de 85 % du coût global d’exploitation de la filière boue.

Ces comparaisons de coût énergétique entre les filières eau et boue peuvent, en outre, être très dépendantes de la charge entrant sur la station. Kordes et Hahn (8) ont en effet très bien montré la relation existant entre la demande énergétique et la charge appliquée en traitement biologique :

Station d’épuration 50 000 HE – Biologique – Digestion – Filtre à bandes

Biologique moyenne/forte charge  
0,3-0,8 kg DBO₅/kg MS.J  
150-220 Wh/m³ Eau.

Aération prolongée  
0,05 kg DBO₅/kg MS.J  
300-450 Wh/m³ Eau.

Ratio kWh Boue / kWh station  

Ratio kWh Boue / kWh station  

CONSOMMATIONS D’ÉNERGIE DANS LES DIFFÉRENTES FILIÈRES DE TRAITEMENT DES BOUES

Après les coûts énergétiques globaux, il est intéressant d’analyser les différentes consommations d’énergie, secteur par secteur. Chaque procédé, étudié séparément, ne peut cependant être dissocié du fonctionnement de l’ensemble de la station. Nous verrons en particulier que certaines dépenses d’énergie supplémentaires peuvent apporter un gain appréciable en coût d’investissement et en coût global d’exploitation (main-d’œuvre, évacuation finale des boues, consommation de réactifs chimiques).

Filières épaississement

L’épaississeur statique, très peu consommateur d’énergie, a pourtant ses limites de performances dès que la quantité de boues biologiques (ou d’hydroxydes) devient importante. Il faut alors faire appel à des techniques d’épaississement dynamique poussé, plus grosses consommatrices d’énergie, mais permettant des gains appréciables en digestion et en déshydratation : gain en investissement pour une station nouvelle, gain en coût d’exploitation (moins de dépenses calorifiques pour le digesteur et plus de production de gaz ; moins de main-d’œuvre et de réactifs pour la déshydratation) pour une station déjà réalisée.

Épaississement statique

(avec soutirage)

Flottation (air dissous)

(atelier complet sans polymère)

17 kWh/t MS(13-27 kWh/t MSp)

60-120 kWh/t MS Bio (0,16-0,4 kWh/m³)soit environ 30-60 kWh/t MSp

Centrifugation 200-400 kWh/t MS Bio (1,3-1,6 kWh/m³)soit environ 100-200 kWh/t MSp

Tambour de drainage 30-60 kWh/t MS Bio(avec polymère et alimentation)

(*) MSp = boues urbaines mixtes(primaire + biologique)

A cela il faudrait ajouter le soutirage des boues des décanteurs primaires, parfois non négligeable : 20 à 50 kWh/t MS. Il y a d’ailleurs discordance ici entre les économies d’énergie et le bon fonctionnement des épaississeurs statiques qui réclament des alimentations de boues diluées et peu fermentées, et ce le plus souvent possible (ce qui améliore également de ce fait les rendements des décanteurs primaires).

A titre d’exemple, un pré-épaississement poussé (flottation sur boue biologique et épaississement des boues primaires) permettrait de gagner, dans une station urbaine à fort pourcentage de boue biologique (600 000 HE) :

• soit avant la réalisation de la station : – ~ 25 à 30 % sur le volume de la digestion ; – ~ 20 à 25 % sur la surface de filtration en déshydratation ; – économie de 1,8 à 1,9 × 10⁶ thermies/an en tenant compte des déperditions calorifiques et de l’énergie propre au système de flottation (soit l’équivalent de 400 000 à 600 000 m³ de gaz par an, si celui-ci était brûlé en chaudière).

• soit après réalisation de la station : – économie de 5,5 à 6,5 × 10⁶ thermies/an en tenant compte d’un surplus de gaz en digestion de l’ordre de 10 % ; – économie en réactifs en déshydratation (10 à 20 %) ou à dosage égal, économie en temps de fonctionnement (donc en main-d’œuvre et en énergie).

Filières déshydratation

Il faut ici clarifier quelques idées :

– les appareils de séparation solide/liquide produisant des sédiments à forte siccité ne sont pas toujours les plus gros consommateurs d’énergie ;– quelques appareils, destinés aux petites stations d’épuration et réputés peu consommateurs d’énergie, le sont en définitive suffisamment lorsque nous calculons les consommations spécifiques à la tonne de matière sèche déshydratée ;– le filtre à bande est l’appareil offrant le maximum d’attrait en ce qui concerne le rapport Capacité massique/Énergie consommée.

SÉPARATION SOLIDE-LIQUIDE

Filtre à bande (atelier complet avec lavage des toiles)

CONSOMMATION D’ÉNERGIE (*)

15-35 kWh/t MSp (moyenne 25)(Boues à fort pourcentage de primaires à moins de 16 kWh/t)

Filtre à bande + post-chaulage15-45 kWh/t MSp (moyenne 35)

Centrifugeuse (At. complet)50-80 kWh/t MS (moyenne 65)

Filtre sous vide à tambour (avec lavage toile et conditionnement)110-180 kWh/t MSp (moyenne 130)

Filtre-presse classique à chambre (avec conditionnement chimique – atelier complet)20-60 kWh/t MSp (moyenne 35)(Très dépendant des dosages appliqués)

Filtre-presse automatisé & membranes (avec conditionnement chimique – atelier complet)100-180 kWh/t MSp (moyenne 120)(cycles de filtration de quelques minutes)

Incinération (énergie électrique seule)80-150 kWh/t MSp (moyenne 120)

Appareils pour petites stations

~ Table d’égouttage (atelier complet)~ Tambour d’égouttage (atelier complet)~ Bennes filtrantes (atelier complet)

15-30 kWh/t MS

25-60 kWh/t MSp (selon concentration à l’entrée)Inférieure à 15 kWh/t MS

(*) Consommation d’énergie pour une station urbaine classique avec traitement biologique.

Il est certain que toutes ces consommations spécifiques sont très fluctuantes, d’une part en fonction de la qualité de la boue (plus ou moins de boue biologique par exemple) et d’autre part en fonction des coûts de réactifs permis (dont dépendent les capacités massiques de l’appareil).

L’énergie importante perdue avec le filtre sous vide a été, pour une bonne part, à l’origine du déclin de cet appareil (en tenant compte également des dosages importants de réactifs et des siccités modestes obtenues). Les filtres-presses automatisés à cycles courts de filtration ne trouvent leur justification que dans la réduction substantielle de main-d’œuvre, avec l’obtention de hautes siccités.

Filières de conditionnement

Le conditionnement par polyélectrolyte représente une consommation énergétique négligeable. Par contre, un parallèle peut être fait entre conditionnement chimique (FeCl₃ + CaO) et conditionnement thermique :

Énergie électrique conditionnementFeCl₃ 5 % sur MS 10-15 kWh/t MSCaO 20 % sur MS (avec transport des réactifs)

Énergie thermique (en énergie primaire)350 th/t MS

Conditionnement thermique (pré-épaississement poussé)50-80 kWh/t MS 1200-1900 th/t MS

Sur le seul plan énergétique, le conditionnement thermique ne peut donc se concevoir que dans le cas

TABLEAU 1

FLUX ÉNERGÉTIQUES DʼACHÈRES – J. Gauvent (6)

STATION DʼACHÈRES : 7 000 000 HE

Digestion (150 000 m³ gaz/j) et centrale énergétique avec production dʼénergie électrique, thermique et mécanique (soufflantes).

  • + Conditionnement thermique et filtre-presse (300-400 t MS/j)
  • + Vente des boues aux agriculteurs à 50 % de siccité.

BILAN ÉNERGÉTIQUE ACTUEL (61 000 TEP/an)

7 500 TEP : digesteurs – 4 000 TEP : récup. GMG

8 500 TEP : GMG soufflantes

GAZ PRODUIT 30 000 TEP/an

3 500 TEP : GMG alternateurs

10 000 TEP : conditionnement thermique

500 TEP : divers

Fuel domestique : 500 TEP/an – GMG

Fuel lourd : 7 000 TEP/an – Conditionnement thermique

Électricité (*) 15 500 TEP/an (importé) + 3 800 TEP alternateurs

8 800 TEP M.E. Soufflantes

600 TEP : conditionnement thermique

9 900 TEP : autres

(*) Énergie primaire 1 kWh = 2,6 th (selon E.D.F.)

HE : Habitant-équivalent

GMG : Groupe moteur à gaz

M.E. : Moteur électrique

TEP = 10 000 th : tonne équivalent pétrole

dʼautonomie énergétique du poste de traitement des boues (digestion sans centrale énergétique et épaississement poussé des boues). Toutefois, ce procédé cher en énergie offre des avantages non négligeables dans des stations urbaines de taille importante. J. Gauvent (6), dans son étude de gestion énergétique de la station dʼAchères (7 000 000 HE), montre que le conditionnement thermique, gros utilisateur de gaz, permet de gérer avec souplesse et avec soin lʼensemble des coûts énergétiques dʼexploitation de la station. Les meilleurs rendements de conversion du biogaz sont dʼailleurs obtenus avec des chaudières à vapeur et avec un minimum dʼentretien, ce qui nʼest pas le cas des moteurs à gaz. Le tableau 1 traduit les flux énergétiques actuels dʼAchères (61 000 TEP/an) — conditionnement thermique en fonctionnement stable depuis 12 ans pour la première tranche (150 m³/h) et depuis 5 ans pour la deuxième tranche (300 m³/h) ; lʼanalyse brute de ce tableau montre que le conditionnement thermique représente environ 30 % de la quantité globale dʼénergie consommée dans la station (soit en énergie primaire près des trois quarts de lʼénergie importée de lʼextérieur).

Ce bilan peu flatteur sur le plan quantitatif est cependant sérieusement contrebalancé par les coûts globaux dʼexploitation : en effet, un passage en conditionnement chimique obligerait à la mise en décharge coûteuse des boues chaulées, ce qui nʼest pas sans poser des problèmes dans une station qui produirait ainsi plus de 1 000 tonnes de gâteaux de boues par jour. En cas dʼadoption dʼun conditionnement chimique à Achères, les importations dʼénergie ne seraient plus que de lʼordre de 4 à 6 000 TEP/an en tenant compte des réactifs, dʼun investissement supplémentaire en GMG (groupes moteurs à gaz) et du non-retour de charge polluante à lʼentrée de la station (au lieu de 23 000 TEP/an actuellement). Par contre, les coûts dʼexploitation (fioul, kWh, entretien GMG, réactifs, frais de mise en décharge, hors amortissement et main-dʼœuvre) seraient en sensible augmentation (en tenant compte dʼune mise en décharge à 50 FF/tonne de gâteaux, du coût dʼentretien des GMG et du prix de revient, annoncé, du kWh produit par la station, de lʼordre de 0,28 FF/kWh). De plus, en cas dʼune incinération éventuelle des boues, les fortes siccités obtenues en conditionnement thermique permettent dʼatteindre facilement lʼautocombustion et de récupérer au mieux lʼénergie excédentaire.

Dans sa gestion monétaire énergétique dʼAchères, J. Gauvent montre bien les économies réalisables à lʼintérieur dʼune station, en jouant sur lʼévolution des tarifs électriques selon les saisons et en favorisant de ce fait lʼimportation soit de fioul lourd (en hiver), soit dʼélectricité (en été). Ceci nʼest rendu faisable que grâce aux multiples possibilités dʼutilisation du gaz dʼAchères (chaudières digestion, chaudières conditionnement, groupes moteurs à gaz GMG entraînant soit des soufflantes, soit des alternateurs).

Filières de stabilisation des boues

La digestion anaérobie, malgré un investissement supplémentaire non négligeable, offre de multiples et incontestables satisfactions :

  • – production dʼénergie : la digestion ne réutilisant en moyenne que le tiers de sa production ;
  • – stabilisation à long terme des boues : ce qui est un atout indéniable lors de lʼévacuation finale des déchets ;
  • – moins de boues à déshydrater : on rattrape ici partiellement le coût dʼinvestissement supplémentaire ;
  • – mais surtout, amélioration des coûts globaux dʼexploitation (réutilisation de lʼénergie, facilité et stabilité de lʼexploitation, moins de frais en réactifs et en évacuation finale des boues).

Lors de la conférence IAWPRC-EWPCA de Paris, la majorité des communications traitaient dʼailleurs ce thème : comment récupérer et gérer au mieux lʼénergie produite sur le site même de la station ? J. Gauvent (6) détermine pour Achères les consignes dʼexploitation suivantes, pour un moindre coût dʼexploitation :

1ʳᵉ priorité : chaudières de digestion au gaz (s’il y a manque de gaz on peut se permettre d’arrêter ces chaudières du fait de la bonne inertie thermique des grands digesteurs : perte de 1 °C en 24 h).

2ᵉ priorité :

  • en été et aux heures creuses d’hiver : importations maximales d’électricité du réseau national et envoi du gaz au conditionnement thermique ;
  • aux heures creuses de haute consommation hivernale : envoi du gaz sur les GMG (alternateurs et soufflantes) et importation de fioul lourd pour le traitement des boues.

Ceci résulte bien entendu des tarifs de kWh du réseau : 0,1 à 1,5 FF/kWh selon la saison et la prime forfaitaire sur la puissance souscrite, le tarif des pointes hivernales étant très dissuasif. Si l’on tient compte de la valeur énergétique primaire du kWh, cela ne va pas dans le sens d’une réduction quantitative d’énergie.

G. Bulliot et Y. Reynaud (4) passent en revue les différentes filières d’utilisation du biogaz. Les groupes moteurs Diesel-gaz permettent de récupérer un maximum d’énergie mécanique (38 %) et une quantité non négligeable d’énergie thermique (53 %), ces deux rendements tenant compte du fioul pilote rajouté au gaz à l’entrée du moteur. Dans la réalité, les rendements de récupération thermique sont d’ailleurs souvent moindres (40-45 % — récupération des calories sur les circuits de refroidissement et sur le gaz d’échappement).

L’eau chaude récupérée (70-80 °C) convient parfaitement à une réutilisation immédiate dans les échangeurs de digestion. L’énergie mécanique est souvent transformée en énergie électrique :

  • en ce qui concerne les petits moteurs dérivés de l’automobile (10-30 kW), l’accent est mis sur la durée de vie relativement limitée (12 000 h selon les auteurs, avec alors échange standard) ;
  • en ce qui concerne les gros moteurs (50 à 3 000 kW), l’accent est mis sur la discipline à respecter en matière d’entretien (qui s’effectue généralement sous forme de contrats avec des spécialistes).

Les coûts d’exploitation annoncés (hors amortissement et renouvellement) sont de 0,11 F/kWh pour un moteur à allumage électrique et 0,15 F pour un moteur Diesel-gaz.

Dans la plupart des pays, où les tarifs nationaux d’électricité sont variables, il s’avère que l’utilisation des moteurs à gaz n’est pas économique en été (tarifs très bas) et pendant les heures creuses d’hiver ; par contre, ils sont indispensables pendant les heures de pointe hivernales.

Quand les tarifs nationaux du kWh sont modulables, les retours de l’investissement peuvent donc être assez longs. Il faut parfois se contenter d’utiliser directement l’énergie mécanique engendrée (soufflante, dans le cas de traitement biologique à air surpressé), la mise en place des deux procédés créant bien sûr une grande souplesse d’exploitation.

Dans toutes les tentatives de revalorisation du biogaz, nous nous heurtons constamment aux productions variables de ce gaz selon les saisons, et ce surtout pour les petites et moyennes stations : le problème du stockage du gaz reste posé, peu d’exemples sont donnés sur ce sujet.

De Mol Van Otterloo et Van der Graaf (5) ont élaboré un programme concis de recherche sur la faisabilité économique d’une production d’énergie à partir du gaz de digestion et sur les résultats pratiques obtenus (enquête sur 13 stations hollandaises). Les rendements des moteurs à gaz ne sont pas toujours très bons (17,2 à 31,2 %) : la majorité de ces machines ne travaillent pas à la charge nominale du fait généralement des sous-charges des stations. Ici encore, les auteurs insistent sur une étude économique cas par cas à partir d’un « Cost Model » établi.

F. M. L. J. Oorthuys (7) insiste sur la nécessité d’une grande station d’épuration plutôt qu’une dispersion de petites : de meilleures récupérations énergétiques sont en effet possibles. Par l’exemple de Groningen (300 000 EH), malheureusement à 50 % de sa charge (GMG + soufflantes), l’auteur ravive le dilemme : importation d’énergie thermique (gaz de ville) l’hiver pendant 3 mois (15 % des besoins) et gaspillage de gaz 8 à 9 mois par an (absence de groupes alternateurs).

À travers tous ces exemples, il s’avère que l’énergie produite sur la station à partir de ses propres déchets organiques (30 à 50 thermies/EH par an) n’est absolument pas toujours facile à gérer et les investissements supplémentaires pour le faire doivent faire l’objet d’une étude précise. Néanmoins, il apparaît clairement que le souci majeur de tout exploitant est de profiter de ce potentiel énergétique.

La digestion anaérobie classique (mésophile) consomme pour son propre usage également de l’énergie électrique, mais assez peu en comparaison d’une station aérobie (tableau 2).

TABLEAU 2

FILIÈRE — CONSOMMATION D’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE

Filière Consommation d’énergie électrique
Digestion anaérobie mésophile 35 °C (haute charge – brassage au gaz) 45-65 kWh/t MS (à charge nominale)
Stabilisation chimique par chaulage (50-100 lb sur MS) 10-20 kWh/t MS (+ 500 à 1 000 th/t MS en énergie primaire équivalente pour la préparation de la chaux)
Stabilisation aérobie classique (15 jours) (40 W/m³) — Boue biologique 300-600 kWh/t MS
Stabilisation aérobie classique (15 jours) (40 W/m³) — Boue mixte 200-400 kWh/t MS (selon la fréquence d’aération)

S’il n’y a aucun réchauffage des boues fraîches par les boues sortant du digesteur, moitié moins de gaz utilisable qu’avec le mésophile ; l’équilibre des balances énergétiques est trouvé si un gain de 10 °C minimal est obtenu sur les boues fraîches.

Énergie élect. dig. thermoph. : 125-135 kWh/t MS

Digestion anaérobie thermophile (52 °C), selon Rimkus (13)

Stabilisation

Filières d’hygiénisation

Ces filières sont assez répandues dans certains pays dont la Suisse. L’hygiénisation, destinée à rendre les boues aptes sur le plan pathogène à une utilisation directe sur prairies d’élevage, s’effectue à des températures de 60-70 °C. Cette montée en température peut être établie par un apport calorifique extérieur ou par les propres réactions exothermiques d’oxydation du milieu (tableau 3).

TABLEAU 3

FILIÈRE CONSOMMATION D’ÉNERGIE
PASTEURISATION CLASSIQUE PAR ÉCHANGEURS AVANT DIGESTION ANAÉROBIE ET AVEC RÉCUPÉRATION DE CHALEUR — T = 70 °C 80-100 kWh/t MS (énergie électrique)800-1000 th/t MS (énergie consommée l’été)1200-1500 th/t MS (énergie consommée l’hiver)(Il n’y a plus d’énergie thermique consommée alors en digestion. Cette dernière fournit bien entendu le gaz.)En comparaison, la digestion, seule, sans pré-pasteurisation, demanderait 700 th/t MS en été et 1000 th/t MS en hiver.
STABILISATION AÉROBIE THERMOPHILE — 7 JOURS (SELON MORGAN (15)) 200-400 kWh/t MS (énergie électrique)Ou l’intérêt de la placer en pré-pasteurisation avant digestion (le chauffage de cette dernière est de ce fait assuré) et l’intérêt d’un pré-épaississement poussé.
COMPOSTAGE « STATIC PILE SYSTEM » 15-30 kWh/t MS (selon la siccité de la boue au départ)
COMPOSTAGE ACCÉLÉRÉ EN RÉACTEUR 80-120 kWh/t MS

Filières incinération

Dans ce domaine, les erreurs de dimensionnement sont à l’origine des plus grosses déconvenues dans le coût d’exploitation des stations d’épuration : la boue doit être suffisamment déshydratée avec une teneur encore acceptable en matières organiques (importance de la fiabilité de la filière déshydratation). Les récupérations d’énergie doivent être soignées dans tous les secteurs. En énergie électrique le four consomme en moyenne 80 à 150 kWh/t MS, mais ce n’est malheureusement pas sa seule dépense énergétique.

La conférence IAWPRC-EWPCA de Paris a apporté son lot d’exemples intéressants :

Fayoux, Thormeyer, Mauchien (1) décrivent une installation d’incinération-pyrolyse, par four à soles étagées, des boues et déchets d’une papeterie (Zanders à Bergisch-Gladbach). Cette réalisation (en fonctionnement continu depuis trois ans) est une solution élégante, car elle permet d’éliminer les déchets sous une forme saine pour l’environnement, tout en récupérant un maximum d’énergie sous forme de vapeur à 14 bars (ce qui est essentiel étant donné la non autothermicité des boues — physico-chimiques et biologiques — à traiter). Le bilan économique d’ensemble est très satisfaisant : le coût global d’exploitation (y compris l’amortissement du capital) revient à 190 DM/t MS, comparé à une mise en décharge, peu écologique, de 370 DM/t MS. Le bilan énergétique moyen s’établit comme suit pour 25 t MS/j (siccité 34 %, MV 45 %) :

  • — gaz de ville : 1 846 th/t MS ;
  • — kWh : 103 kWh/t MS ;
  • — vapeur récupérée : 2,3 t à 14 b/t MS (soit 1 354 th/t MS, compte tenu de la température de l’eau arrivant à la chaudière).

Les avantages principaux de ce procédé peuvent se résumer comme suit :

  • — taux d’air minimal (30 % et moins) ;
  • — fiabilité et efficacité des échangeurs de chaleur, car peu de poussières dans les fumées avec ce système (ceci est un point capital pour la longévité de ce type de filière) ; la vapeur récupérée est directement réutilisée dans la papeterie ;
  • — désodorisation complète, car post-combustion à 900 °C ;
  • — possibilité de brûler divers déchets.

B. Fischer (2) a présenté la future station de Valenton (digestion, filtre-presse et four à lit fluidisé) où tout est mis en place pour un maximum d’économie d’énergie. Des prévisions de dépenses sont faites en fonction des différentes hypothèses de fonctionnement du four, ce qui permettra de gérer au mieux les dépenses énergétiques. Le gaz sera utilisé selon les cas, sur le four ou sur les GMG alternateurs, selon l’autocombustibilité des boues et la modulation des tarifs de l’électricité.

CONCLUSION

Si les filières de traitement des boues consomment de l’énergie (50 à 350 kWh/t MS selon les procédés adoptés, pour les seules dépenses électriques), elles se doivent également d’en produire et cela généralement pour les propres besoins de la station. Beaucoup de stations pourraient de ce fait se rapprocher de l’autonomie énergétique. À travers tous les exemples donnés dans cet exposé, nous pouvons cependant nous apercevoir que la priorité première des exploitants reste évidemment de réduire les coûts globaux d’exploitation, même si c’est au détriment d’une importation supplémentaire d’énergie extérieure.

L’évacuation finale des boues peut imposer également l’adoption de certaines filières qui ne sont guère économes en énergie.

Les économies d’énergie nécessitent presque toujours des investissements supplémentaires qui ne sont malheureusement pas toujours rapidement amortis : un choix est à faire entre les dépenses à court terme et les gains à long terme dans ce domaine si l’on veut participer aux réductions d’importation nationale d’énergie primaire.

Une priorité absolue donnée aux économies d’énergie ne peut provenir que de règles nationales adoptées, dans le cadre d’une politique à long terme, pour aboutir à des objectifs stratégiques d’autonomie.

NOTA : la bibliographie sera fournie par l’auteur aux personnes intéressées.

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