Your browser does not support JavaScript!

Le traitement des boues de stations de dépollution : vers des technologies propres

28 février 1992 Paru dans le N°152 à la page 42 ( mots)
Rédigé par : Malik DJAFER

Les boues constituent des sous-produits d’épuration dont l’existence doit être considérée comme un mal nécessaire, dès lors que leur production est l’aboutissement du processus de dépollution des eaux usées et que les quantités produites par la station sont directement proportionnelles à la qualité épuratoire des eaux.

La mise en application de la Directive Européenne sur les eaux usées se traduira par une augmentation de la production de boue dans les principaux pays de la Communauté Européenne [1] (figure 1), alors qu’aujourd’hui déjà, l’évacuation finale des boues constitue un problème.

Parmi les trois filières d’évacuation finale actuellement en usage (figure 2) : la valorisation agricole (50 %), la mise en décharge (32 %) et l’incinération (18 %), on peut d’ores et déjà penser que la mise en décharge est une voie condamnée à moyen terme, du fait d'une législation plus restrictive. Il devient donc essentiel de développer les autres voies existantes et de promouvoir parallèlement de nouvelles techniques de traitement des boues.

Les problèmes liés à la valorisation agricole

En dépit de leur valeur intrinsèque en oligo-éléments, en composés fertilisants (N, P) et en matières organiques (protéines, vitamines...), la valorisation des boues est tout de même difficile, en raison de la présence de micro-organismes pathogènes et de micropolluants tels que les métaux lourds.

Les métaux

De nombreuses analyses de boues résiduaires y ont révélé la présence de métaux, dont certains sont potentiellement toxiques : les plus fréquemment identifiés sont l’arsenic, le bore, le cadmium, le chrome, le cuivre, le manganèse, le molybdène, le mercure, le nickel, le plomb, le zinc.

Ces éléments métalliques proviennent essentiellement des eaux d’égouts et leurs principales origines sont les suivantes :

  • • apport par les eaux pluviales : la corrosion des conduites galvanisées des toitures conduit à la solubilisation du zinc, élément qui est de loin le plus abondant dans les boues. On peut aussi citer le plomb provenant des additifs anti-détonants des essences ;
  • • les eaux usées domestiques : produits ménagers et excreta humains qui contiennent du zinc ;
  • • les rejets industriels et artisanaux.

Les métaux lourds sont, au cours du processus d’épuration, éliminés avec des rendements compris entre 70 % et 80 %, pour être finalement concentrés dans les boues. Il en est de même pour les autres polluants d’origine chimique, tels que les détergents, les hydrocarbures, ... etc. Le principal risque à craindre, dans le cas de l’utilisation agricole de boues polluées, est l’assimilation par certains végétaux, puis un transfert possible dans la chaîne alimentaire. Pour prévenir ces risques, l'utilisation des boues en agriculture est soumise à une réglementation [2] qui régit à la fois la concentration maximum admissible de métaux lourds (tableau 1) et le type de culture pouvant être soumis à l’épandage de boues.

D’autre part, on peut dire que les risques de pollution des eaux souterraines, induits par l’utilisation agricole des boues, sont faibles. En effet, on constate qu'une fraction importante de la pollution chimique, dont l’apport par les boues reste limité, est partiellement dégradée et adsorbée aux différents constituants du sol. De même les métaux lourds sont rarement présents dans le sol sous forme d’ions libres (ce qui les rendrait très mobiles), mais sont mis en jeu dans diverses réactions physico-chimiques qui combinent absorption, précipitation, et complexation. C'est dans cette optique que la réglementation en vigueur indique que l'épandage des boues ne peut être envisagé uniquement que si le pH du sol reste supérieur à 6. Leur présence se limite donc aux premières dizaines de centimètres du sol. Il est ainsi plus à craindre une contamination des sols par un apport excessif de métaux,

qu'une pollution des eaux souterraines. C’est la raison pour laquelle la quantité annuelle de métaux apportés au sol est limitée.

La pollution chimique

La caractérisation de la pollution chimique contenue dans les boues est moins bien connue que celle produite par les métaux lourds. Un certain nombre de composés ont cependant été identifiés, parmi lesquels on peut citer les détergents, les insecticides, les hydrocarbures et dans certains cas des P.C.B. Les produits les plus abondants sont de loin les détergents anioniques, dont le caractère phytotoxique est peu connu.

Cependant, la nature biodégradable de ces produits réduit les risques potentiels de pollution.

La pollution biologique

Les boues peuvent contenir divers micro-organismes pathogènes (bactéries, virus, champignons), dont deux agents sont susceptibles de présenter des risques pour les hommes et les animaux :

* un groupe de bactéries, les salmonelles, * les œufs de parasites, comme le Tenia saginata.

En pratique, les risques de contamination humaine sont très limités en épandage agricole, à condition de respecter les précautions sanitaires d'utilisation dictées par la norme NF U 44-041 (tableau III), afin de préserver la qualité des eaux souterraines et de surface, ainsi que la qualité des produits agricoles.

L’incinération des boues

Lorsque l’alternative agricole n’est pas envisageable, ce qui est souvent le cas des exploitations situées dans les agglomérations urbaines, l’incinération constitue une solution particulièrement intéressante. L’utilisation de cette technique devrait se généraliser pour l’ensemble des pays de la Communauté Européenne [3], qui éprouvent tous des difficultés pour éliminer leurs boues : c’est le cas de l’Allemagne, qui avec une densité de population élevée, et donc un problème d’espace, a aussi une production annuelle de boue deux fois supérieure à celle de la France. L’Angleterre déverse actuellement 30 % de sa production de boue en mer et devra, comme suite à la réglementation Européenne sur les eaux usées, cesser tout rejet avant la fin de l'année 1998.

[Photo : Fig. 1 : Evolution anticipée de la production de boues dans divers pays de la CEE (en milliers de t).]

L’incinération est actuellement la seule technique qui réponde à l’objectif de réduction des volumes de déchets. Lorsqu’elle est menée correctement, l’opération de calcination des boues, qui s’effectue à des températures comprises entre 750 °C et 850 °C, aboutit à l’oxydation complète des matières organiques. Le produit final, avec moins de 1 % d’imbrûlés, est complètement neutre. En partant d'une siccité initiale de 30 % et d’une teneur en matières organiques de 60 %, la calcination permet une réduction de poids et de volume qui représente respectivement 85 % et 70 %.

Le traitement des gaz

Les risques de transfert de pollution dans l’atmosphère sont relativement limités (tableau III) et facilement contrôlables moyennant la mise en place de procédés de traitement des fumées (hydrocyclones, électrofiltres, laveurs humides…). D’autre part, la conduite automatisée des fours permet d’opérer dans des conditions optimales de combustion qui, si elles ne sont pas respectées, amènent une détérioration de la qualité des fumées. On peut aussi signaler que les boues ne contiennent pas ou très peu de composés organochlorés, contrairement aux ordures ménagères ; les possibilités de formation de molécules hautement toxiques au cours du cycle de la combustion, telles que les dioxines et furanes, sont donc quasi inexistantes. Il en est de même pour la formation de vapeurs acides. Par contre la présence de certains métaux lourds dans les fumées peut être constatée, compte tenu de la température de vaporisation de certaines de ces espèces, par exemple Cd (765 °C), Hg (357 °C), HgCl₂ (302 °C)…

Les cendres d’incinération

S’il existe des exemples d’utilisation agricole des cendres, c’est beaucoup plus généralement la mise en décharge qui est dévolue à ce type de déchets. Les cendres d’incinération contenant la quasi-totalité des métaux initialement présents dans les boues, la concentration finale se rapportant à la quantité de cendres est donc augmentée. De ce fait, les risques de dépassement des normes pour l’acceptation des cendres dans les décharges de classe III (pour les déchets dits « banaux ») doivent être pris en compte. Il sera alors nécessaire de rendre les cendres inertes. Pour cela diverses techniques sont actuellement en cours d’exploitation. Parmi celles-ci nous pouvons citer la vitrification des cendres, qui se pratique déjà au Japon. Ce procédé, basé sur la fusion des minéraux contenus dans les cendres (dont une composition moyenne est portée dans le tableau IV) à des températures comprises entre 1300 °C et 1500 °C, permet d’obtenir un matériau de densité et de dureté élevées, dans lequel les métaux sont piégés de manière irréversible.

Un autre procédé, la solidification, présente l’avantage d’être moins coûteux en énergie, à l'image de ce qui se pratique avec les déchets toxiques au centre de traitement de la SARP à Limay, qui exploite actuellement le procédé Chemfix. Le principe de ce procédé est de noyer les déchets au sein d’une matrice solide de très bonne tenue mécanique et physico-chimique, réduisant ainsi le plus possible les risques de relargage des produits toxiques vers le milieu naturel, à la suite de la percolation des eaux.

[Photo : Fig. 2 : Répartition des filières d’évacuation finale des boues.]

Tableau I

Valeurs limites de concentration en métaux lourds dans les boues destinées à l’utilisation en agriculture (en mg/kg de matières sèches)

Cadmium 20 à 40
Cuivre 1 000 à 1 750
Nickel 300 à 400
Plomb 750 à 1 200
Zinc 2 500 à 4 000
Mercure 15 à 25
Chrome 1 000 à 1 750
Cr + Cu + Ni + Zn 4 000

Tableau II

Conditions d’épandage des boues selon la norme NF U 44-041

Conditions climatiques

Interdiction d’épandage :

  • en période de gel (sauf pour des boues solides)
  • en période de fortes pluies
  • et plus généralement sur des sols dont la capacité d’absorption est déjà dépassée (sol saturé d’eau) ou le serait du fait de l’épandage.

Distances

85 m des puits, sources, aqueducs, stockages d’eau souterrains ou semi-enterrés, rivages et cours d’eau (et obligation de respect des prescriptions générales et particulières relatives aux périmètres de protection).

Distance portée à 200 m des cours d’eau si la pente du terrain est supérieure à 7 % dans le cas de boues liquides et en l’absence d’épandage approuvé par l’autorité sanitaire.

Des conditions spécifiques (notamment des distances plus importantes) peuvent être fixées par l’autorité sanitaire, après avis du Conseil Départemental d’Hygiène, pour la protection des zones agricoles et conchylicoles.

100 m des habitations, zones de loisirs et établissements recevant du public, distance pouvant être ramenée à 50 m si la boue est enfouie dans les meilleurs délais.

Délais

  • Sur des herbages ou des cultures fourragères, et en l’absence d’un plan d’épandage, un délai minimum de 30 jours entre l’épandage de boues et la remise à l’herbe des animaux ou la récolte du fourrage (ce délai ne devra, dans tous les cas, pas être inférieur à trois semaines).
  • Sur des sols destinés aux cultures maraîchères (fruits et légumes) et en l’absence d’un plan d’épandage, un délai minimum d’un an entre l’épandage et la récolte (ce délai ne devra dans tous les cas pas être inférieur à 10 mois).

Modalités

L’épandage par aéro-aspersion est interdit en l’absence de plan d’épandage. Pour des boues solides ou pâteuses, l’épandage doit être suivi d’un labour intervenant le lendemain au plus tard (sauf cas de force majeure).

Tableau III

Concentration des polluants dans les fumées des usines d’incinération (en mg/Nm³)

Facteurs pris en compte Poussières totales NOx SO₂ HCl HF CO
Fumée d’incinération de boues 96 13 29 < 1 < 1 85
Norme française [4] pour le traitement d’OM* 30 300 50 2 100

* Ordures ménagères.

Tableau IV

Composition moyenne des cendres d’incinération

Origine CaO SiO₂ Al₂O₃ Fe₂O₃
Boue conditionnée avec polymère 1-8 % 38-50 % 12-19 % 7-20 %

Conclusion

Il existe actuellement un besoin pour la mise en œuvre de technologies « propres » qui permettent un traitement efficace des déchets, afin d’en réduire le volume et la toxicité. L’incinération, qui répond à ces objectifs, n’en est pas moins difficile à imposer auprès de l’opinion publique, ceci en raison de la formation de fumées qui sont souvent rendues responsables du transfert de pollution dans l’atmosphère. L’incinération, qui est amenée à se développer, reste une solution coûteuse mais efficace, qui est à l’heure actuelle adaptée uniquement aux grosses stations d’épuration. Alors que la majorité de ces stations produisent des boues contenant peu, voire pas, de produits toxiques, il existe tout de même des contraintes de plus en plus fortes, qui tendent à rendre difficile l’acceptation des boues, soit pour la mise en décharge, soit pour l’épandage agricole.

La valorisation agricole des boues doit pouvoir être développée, afin de constituer encore la principale filière d’élimination des boues. La promotion de cette option passera probablement par la généralisation des procédés de stabilisation, qui devront être plus poussés, mais aussi par la réduction des risques de pollution liés à la présence de métaux lourds, réduction qui ne pourra être rendue possible que par un traitement à la source.

BIBLIOGRAPHIE

[1] Commission of the European Communities : Sewage sludge treatment and use. Edited by A.H. Dirkzwager and P. L’Hermite.

[2] Norme française NF U 44-041 de juillet 1985, relative à l’utilisation des boues des ouvrages de traitement des eaux usées urbaines comme matières fertilisantes.

[3] Directive du Conseil du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (91/271/CEE).

[4] Arrêté du 25/01/91 de la République Française relatif aux installations d’incinération de résidus urbains.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements