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Le traitement de l'eau, de l'air et des déchets : le défi des nouvelles techniques biologiques

30 octobre 1987 Paru dans le N°113 à la page 77 ( mots)
Rédigé par : C. CAMILLERI

Ce n’est pas d’aujourd’hui que date l'utilisation de la biologie dans le domaine de l'environnement, en particulier dans celui de l’épuration des eaux. En effet, depuis bien longtemps déjà, ce phénomène naturel de dégradation des matières organiques a été observé, puis utilisé avant d’être maîtrisé, récemment compris, et enfin aujourd’hui, provoqué.

Depuis des siècles, l'homme a utilisé à son profit les micro-organismes sans même en soupçonner l’existence dans un premier temps et ensuite, il n’y a pas si longtemps encore, sans en connaître les mécanismes fondamentaux. Jusqu’à une époque récente, les phénomènes biologiques, du fait de cette ignorance, n’ont été utilisés qu’avec de faibles rendements et lorsqu’il n’existait pas d’autre procédé physique ou chimique à leur opposer. Ils étaient considérés comme peu fiables du fait de l'utilisation de matière vivante dont le comportement était, sinon erratique, du moins trop dépendant de facteurs extérieurs imprévisibles et difficilement maîtrisables. Malgré tout, et compte tenu de sa bonne adaptation au traitement des eaux résiduaires urbaines, l’épuration biologique n’a pas été fondamentalement contestée sauf dans certains domaines où son application s’avérait plus difficile, comme le traitement des eaux usées des villes à population variable, ou des industries alimentaires saisonnières, mais, en dehors des eaux résiduaires, les procédés biologiques étaient ignorés des autres domaines de l’environnement (eaux potables, déchets, air...).

Ce n’est que récemment que l’on a cherché à optimiser les performances étonnantes dont sont capables les micro-organismes, lesquelles résultent d’un ensemble de caractéristiques qui sont complémentaires.

[Photo : Amas de polyphosphates dans un micro-organisme.]

La division cellulaire extrêmement rapide explique à elle seule une grande partie de ces performances. Avec une division en moyenne toutes les heures, une bactérie dont le poids ne dépasse guère 10⁻¹² gramme va donner naissance, en 24 heures, à 2²⁴ descendants, soit 16 millions d'individus, et à 2⁴⁸, soit 280 000 milliards de descendants en 48 heures, ce qui représente déjà 280 grammes de matière. En 72 heures, cet unique ancêtre de 10⁻¹² gramme aura donné — si l’on a fourni au milieu les substrats nécessaires — 4 700 tonnes de matière ! Bien sûr, ceci n'est que théorique, et de multiples facteurs viennent modérer ces chiffres explosifs, mais comment ne pas les comparer à la production de protéine d’un bétail à l’engraissement qui en 24 heures ne produit que le millième de son poids ?

Le deuxième avantage des micro-organismes résulte de cette même vitesse de reproduction qui permet des mutations naturelles ou provoquées, relativement rapides, et, par conséquent, une adaptation aux milieux dans lesquels ils sont plongés. Cette adaptation aux milieux s’avère d’autant plus intéressante que ceux-ci sont souvent variables et mal définis. Avec une mutation toutes les 10⁷ divisions, une seule bactérie aérobie doit donner naissance à un mutant en quelques heures et une bactérie anaérobie au bout de quelques semaines.

Le troisième avantage est la grande surface d’échange que représente la membrane bactérienne, due à la petite taille des micro-organismes. 10¹² bactéries au gramme représentent une surface de 4,5 m², soit 4 500 m² par kilogramme... De ce fait, le rapport surface/poids d’une bactérie représente 400 000 fois celui d’un homme ; de cette surface dépendent les débits de matière au travers des parois et la faculté d’absorption de celles-ci, propriétés fondamentales qui sont à la base de tous les mécanismes cellulaires.

Le quatrième avantage résulte de la rusticité de ces micro-organismes capables, non seulement de se nourrir de produits divers et de déchets, mais, pour certains également, de rechercher l’oxygène moléculaire en l'absence d’oxygène dissous dans l'eau (nécessaire à leurs besoins énergétiques comme accepteur d’électrons), même s’il est solidement lié dans la molécule.

Enfin, certaines bactéries sont capables — à l’instar des plantes ou des algues — d’utiliser l’énergie lumineuse pour leurs besoins énergétiques et, ainsi, de transformer, même en l’absence de matière organique, certains composés polluants en produits plus inoffensifs, voire valorisables.

De plus, depuis l’avènement de la biologie moléculaire que l’on peut faire remonter à la découverte par Watson et Crick, en 1953, de la structure de l’A.D.N., on voit apparaître, de plus en plus, la possibilité d’intervenir dans le patrimoine génétique des cellules (qui commande leur métabolisme) et d’ouvrir ainsi un champ immense de possibilités d’utilisation des micro-organismes comme machinerie cellulaire à tout faire, pour peu que l’on connaisse et que l’on sache introduire dans leurs gènes la ou les protéines qui codent cette machinerie pour la fonction que l’on recherche. Il ne reste plus alors qu’à cloner ce micro-organisme modifié et à en produire la quantité suffisante.

Ces techniques sont encore aujourd’hui longues et coûteuses, mais elles sont facilitées par la simplicité des cellules des micro-organismes, simplicité relative puisqu’une telle cellule représente encore 3 000 gènes, soit un million de protéines et trois millions de nucléotides base. Mais, rappelons à cet effet qu’une cellule humaine en contient 1 000 fois plus. C’est probablement dans cette recombinaison génétique que l’on trouvera de multiples applications biologiques pour l’environnement. Mais n’oublions pas qu’il existe là une difficulté que l’on ne rencontre pas dans d’autres domaines, comme l’industrie agro-alimentaire ou l’industrie pharmaceutique. Cette différence concerne essentiellement le substrat utilisé qui est généralement à faible concentration et, surtout, variable. C’est cette variabilité et cette complexité qui imposent l’utilisation — le plus souvent — non pas d’une souche définie, mais d’une population composée de plusieurs espèces. Ces populations sont constituées, en général, de bactéries, mais également de levures, d’algues et même de protozoaires. Le fait d’utiliser des populations mixtes vivant les unes des métabolites excrétés par les autres présente, de fait, l’indéniable avantage d’une meilleure stabilité et d’une meilleure résistance aux infections dont sont souvent victimes les souches uniques et, enfin surtout, de repousser les limites de l’inhibition par certains métabolites.

[Photo : Dégradation des PCB par voie biologique : mécanisme théorique de l’attaque des PCB selon Furukawa.]
[Photo : Une application des procédés biologiques de valorisation des déchets : l’installation de méthanisation des effluents de distillerie de Cognac.]

Dans les techniques liées à l’environnement on demande aux procédés biologiques :

— de détruire la matière organique, — de la valoriser en la transformant en matière ou en énergie, — de stocker certains éléments pour permettre leur extraction ou les éliminer, — de transformer des toxiques en produits plus inoffensifs.

En fait, les procédés biologiques utilisés dans l’environnement font appel à tous les mécanismes cellulaires :

• synthèse cellulaire qui consomme la matière organique sous forme d’hydrogène, de carbone et d’azote, les cellules formées étant ensuite éliminées sous forme de boues concentrées qui constituent le résidu de l’épuration. Cette synthèse nécessite la présence d’oligo-éléments qu’il faut apporter s’ils n’existent pas dans le milieu (industrie chimique) ;

• réactions enzymatiques d’oxydation permettant de générer, à partir du carbone et de l’hydrogène de la matière organique, l’énergie nécessaire à la biosynthèse et à la maintenance des micro-organismes par les systèmes de transfert d’électron (N.A.D. et F.A.D.), et de la stocker par un système commun aux espèces animales et végétales (adénosine mono-, bi- et triphosphate). Ces réactions sont utilisées pour l’élimination des nitrates et des phosphates ;

• réactions enzymatiques extra-cellulaires (exo-enzymes) permettant la dépolymérisation, l’hydrolyse et la solubilisation de molécules complexes en produits assimilables, ou la dégradation de molécules toxiques en produits inoffensifs (destruction des cyanures) ;

• utilisation de la lumière comme source d’énergie réalisant la photosynthèse par les algues et certaines bactéries, en permettant, par exemple, la déshydrogénation de l’H₂S ou la synthèse de polysaccharides ou d’hydrocarbures à partir de CO₂.

Aujourd’hui, toutes ces techniques, mieux connues et, par conséquent, mieux maîtrisées, permettent d’ores et déjà de compléter la panoplie des procédés mis à la disposition des spécialistes et d’élargir les domaines d’application des procédés biologiques, notamment au traitement des gaz et des toxiques et à la préparation des eaux potables (dénitrification).

Quant aux techniques, maintenant classiques, utilisées en particulier pour l’épuration des eaux résiduaires, elles ont été l’objet, depuis la dernière décennie, de progrès spectaculaires que l’on peut rappeler brièvement par quelques chiffres : il y a 15 ans, un traitement à boues activées à moyenne charge, employé pour épurer à 90 % une tonne/jour de DCO, nécessitait un volume de réacteur de 1 000 m³ et consommait de 0,6 à 1 kWh par kg de DCO éliminée ; il y a dix ans, une technologie plus moderne, comme celle du puits profond, ne correspondait plus qu’à 125 m³ de réacteur et 0,4 à 0,6 kWh par kg de DCO éliminée. Aujourd’hui, un méthaniseur de deuxième génération n’utilise, pour la même pollution,

[Photo : L’usine Valorga de méthanisation des ordures ménagères de la Buisse.]

que 70 m³ de réacteur et, de plus, produit — s'il existe une source de chaleur à basse température pour chauffer le substrat — plus de 3 kWh thermiques par kg de DCO éliminée. Dans peu de temps, le volume du réacteur, pour une telle capacité, descendra à moins de 40 m³, soit une diminution de près de 2,5 fois... En fait, l’activité biologique du micro-organisme n’a pas augmenté, on sait seulement mieux l’employer !

Peut-on dire pour autant que les techniques biologiques sont en train d’éliminer toutes les autres ? Certainement pas, car ces dernières ne sont pas restées immobiles. Ainsi l’évaporation, que l’on croyait à jamais écartée de ce domaine par suite de l’augmentation des prix de l’énergie a non seulement profité de la baisse, mais également bénéficié des progrès de la technologie. Un évaporateur à quatre effets, comme certains installés il y a une quinzaine d’années pour le traitement d’effluents concentrés, consommait 21 kg de fioul par tonne d’eau évaporée, soit 230 kWh thermiques ; aujourd’hui, un évaporateur double effet, à recompression mécanique de vapeur, consomme moins de 15 kWh électriques (soit 44 kWh thermiques par tonne d’eau évaporée), ce qui représente un gain de consommation de plus de 80 %. Malgré ces progrès, la distillation ne pourrait être aujourd’hui concurrente de la méthanisation que pour traiter des substrats très concentrés en matière organique et à condition de valoriser le concentrat.

Les membranes progressent également à grands pas, mais elles trouveront probablement leur place comme technique complémentaire, et non plus concurrente, des voies biologiques.

L’échange d’ions et l’extraction par solvants sont également utilisés lorsque l’on cherche à récupérer les matières valorisables, mais ces techniques ne sont pas très perfectibles et ne s’appliquent qu’à des cas restreints.

La seule grande concurrente de la voie biologique pourrait être la voie chimique, dans la mesure où elle saurait mettre au point des procédés aussi efficaces et rapides pour la destruction de certains polluants, en utilisant des catalyseurs qui devraient être aussi performants que les enzymes... Ce n’est apparemment pas pour demain !

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Conclusion

Dans le domaine de la destruction des matières organiques, la voie biologique paraît donc aujourd’hui irremplaçable ; certes, sa grande faiblesse est la sensibilité des procédés biologiques aux produits toxiques déversés accidentellement, mais en dehors de cet aspect qui doit être maîtrisé cas par cas, on peut constater aujourd’hui que la voie biologique, non seulement se conforte par une amélioration continue de la performance de ses procédés, mais qu’elle conquiert également de nouveaux domaines, notamment dans le traitement de l’air et des déchets. Avec la destruction biologique de certains composés toxiques, la notion même de biodégradabilité doit être étendue...

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