Depuis une quinzaine d'années, les professionnels de la dépollution des sols ont affiné leurs techniques. L?éventail est large aujourd'hui. Mais la dépollution des sites n?est pas seulement affaire de technique : elle est d'abord question d'argent et d'urgence sanitaire. À ce titre, l'ingénierie, après un diagnostic sérieux, est un facteur déterminant pour réduire les coûts de réhabilitation et redonner de la valeur à un site.
En France, la politique affichée par le ministère de l’Environnement pour le traitement d’un site pollué répond avant tout au souci de réduire, voire éliminer l’impact des pollutions sur l’homme, sur la ressource en eau, sur l’écosystème et les biens par ordre de priorité. Un site ou un terrain potentiellement pollué est donc classé, suite à une évaluation simplifiée des risques (ESR), en trois catégories : ne nécessitant pas d’intervention, à surveiller, et troisièmement nécessitant des investigations approfondies. Ceci en fonction de l’usage qui est fait et qui sera fait à l’avenir des terrains. Pour apprécier réellement les risques, il faut pousser la démarche, réaliser des diagnostics approfondis, voire une étude détaillée des risques (EDR). Cette approche très réaliste permet donc de ne pas s’engager dans des travaux systématiques et coûteux. Un site sera traité avec un objectif de niveau de dépollution, pour un usage donné : il ne s’agit pas de tout
Atténuation naturelle : un moyen de finition
On a longtemps cru aux capacités d'épuration de la nature. L'idée n'est pas fausse, mais doit tenir compte des capacités effectives d'épuration qui sont en fait assez limitées. L'important est de pouvoir quantifier ces capacités et de vérifier la disparition des polluants. Il n'y a pas en France de définition réglementaire de la technique d'atténuation naturelle, à la différence d'autres pays comme les États-Unis ou l'Allemagne, qui prennent en considération ce phénomène. D'ailleurs, le MATE ne considère pas que l'atténuation naturelle soit un procédé de dépollution, tout au plus un moyen de finition. Son avantage essentiel est de laisser les sols en place (pas d'excavation ni autres procédés), éventuellement d'intervenir de manière très légère en stimulant des dégradations naturelles. La contrepartie de cette non-intervention est la surveillance. Or les analyses coûtent cher, particulièrement à faible concentration. Des dizaines d'analyses complexes, à répéter plusieurs fois par an pour une durée indéterminée (20 à 30 ans), coûteraient cher par rapport à du pompage ou à des barrières réactives (si ces techniques conviennent).
À Pau, fin janvier, l'APESA (Association pôle environnement du Sud-Aquitain) a réuni les spécialistes français. Des études existent en France : l'Ademe, le CNRSSP et le BRGM s'y intéressent. Un colloque Planreal est prévu pour valider ce concept.
Tant que la pollution des sols n’a pas été traitée, des sites industriels obsolètes demeurent inexploités, même s’ils constituent des gisements fonciers intéressants.
La pression immobilière a stimulé le nombre d’opérations depuis deux ans. En 2000, onze régions ont cofinancé avec l'Ademe des programmes de réhabilitation à hauteur de 3 millions d’euros. L'UPDS (Union professionnelle des entreprises de dépollution des sites) estime le marché (étude à paraître) à environ 300 millions d’euros en 2000 et pense qu'il atteindra 460 millions d’euros en 2005. Vu par les donneurs d’ordre, ce marché est presque doublé (prise en compte de frais au-delà des travaux).
Peut-on dégager des tendances ? Éliminer immédiatement jusqu’à la dernière trace. Ceci donne un rôle essentiel à l'ingénierie, qui est tout aussi importante que les méthodes mises en œuvre face à un site pollué.
Tant que la pollution des sols n’a pas été traitée, des sites industriels obsolètes demeurent inexploités, même s’ils constituent des gisements fonciers intéressants. Le marché actuel peut être réparti en deux catégories : les opérations urgentes, dues à des accidents, des menaces sanitaires ou dictées par des transactions commerciales, et les autres. Aux dires des professionnels, la pression immobilière a stimulé le nombre d’opérations depuis deux ans.
Dans l'utilisation de telle ou telle méthode de dépollution ? Pas vraiment. « Il faut conserver tout notre arsenal de méthodes » déclare Franck Karg, dirigeant d’HPC Environnement qui a présidé l'UPDS ces deux dernières années. Les sites complexes nécessitent un ensemble de techniques. Ainsi à Grand-Quevilly (76) sur une ancienne cokerie le terrain était pollué par des HAP, BTEX, des métaux lourds de l’essence, des solvants et des cyanures. La quasi-totalité des techniques de traitement ont été employées : confinement avec drainage de surveillance pour les sols pollués aux cyanures (26 000 t), excavation des sols et traitement par procédés thermiques et dégradation microbiologique pour les sols pollués aux HAP et BTEX, envoi en CET 1 pour les métaux lourds, venting de certaines zones, pompage et strippage (360 000 m³) pour les volatils, lavage au solvant de certaines terres et gravats. À Valenciennes (59) le site d'une ancienne usine chimique a été traité par excavations locales, venting et utilisation de l'atténuation naturelle dynamisée par injection d’un ORC (oxygen release compound).
Pour Jérôme Costil, directeur des activités Environnement industriel à Burgéap, et nouveau président de l'UPDS, l’important est de « mettre en œuvre une stratégie et des méthodes qui rendent possibles le traitement du site dans de bonnes conditions pour la sécurité et pour l’économie, dans des délais raisonnables. Notre rôle d’ingénierie s’est renforcé ; une approche trop systématique rendrait impossible toute intervention ; une approche fine et ciblée rend possibles plus de choses et évitera de geler inutilement des terres ».
L'exemple du CET de Fouju-Moisenay à l'est de Melun est caractéristique. Il s'agit d'une décharge d’ordures ménagères située dans une ancienne carrière. Lorsque la société REP rachète le site, la pollution de la nappe de Brie est constatée. « Très vite nous avons vu que les opérations seraient lourdes et coûteuses pour traiter ce site contenant 1,5 Mt d’ordures et couvrant 40 hectares » explique Jérôme Costil. « Faire seulement le traitement contre la pollution aurait été une perte économique. D’où l’idée avec notre client REP de faire d’une pierre deux coups : traiter la pollution de la nappe et en même temps agrandir le site en ouvrant un CET de classe 2 ; les travaux seront amortis par l’exploitation de ce nouveau CET dont le département de Seine-et-Marne avait besoin ». Le site était difficile sur le plan géologique et a fait l'objet d’une simulation hydrogéologique. La nappe est détournée en amont du site par un drain : l'eau ne peut donc plus entrer dans les déchets. Les ordures en place ont été recouvertes d'une membrane étanche, et l'eau de pluie collectée est dirigée vers le drain. Pour être sûr de l'étanchéité, une paroi ancrée dans la marne verte ceinture tout le site. Cette paroi est moulée avec un coulis de bentonite-ciment dans lequel est placée une membrane en PEhd de 2 mm avec joints hydrogonflants. 1 500 panneaux de 2,5 m de large, d’une hauteur de 6 à 11 m ont été placés (25 000 m²) et 18 000 t de bentonite-ciment coulés. En termes de délais, les études ont débuté en 1996/97, les autorisations délivrées courant 2000 et les travaux se sont achevés fin 2001. Au total un coût de 60 MF qui ont permis de traiter le problème et d’ouvrir un CET aux normes.
Grs Valtech a traité entre septembre 1999 et mars 2001 six lagunes de goudrons acides (18 000 t et 12 000 t de terres contaminées) à
Ramat Hovav en Israël par son procédé Safestab. Les goudrons ont été mélangés à des additifs qui détruisent les composés organiques et fixent les polluants minéraux. Les matériaux stabilisés sont utilisés comme remblai. Les barrières souterraines et les confinements sont pratiqués aussi par ATE-Geoclean (site pollué au chrome à Wattrelos, site industriel pollué par différents hydrocarbures et solvants chlorés, etc.). Sur certains sites d’usine à gaz, des confinements de terre sont réalisés comme l’indique Serpol (usine de Rouen, par exemple).
Le confinement en place est une réponse intelligente sur un plan économique et sanitaire. Mais confiner la pollution n’est pas l’éliminer. La contrepartie de cette réduction des coûts est l’établissement, après traitement d’un site, de servitudes d’utilité publique. Son usage restera cantonné à l’utilisation prévue par la réhabilitation. On peut ainsi prévoir des voies de circulation ou des parkings sur ce genre de zone, installer des espaces verts ou des bassins d’agrément. La servitude peut porter aussi sur l’interdiction de fouillage du sol, de mise en culture (jardins et potagers privés), de puisage d’eau, etc.
À chaque cas ses servitudes appropriées.
À Bassens, par exemple, l’usine Everitube a été traitée sur la période 1998-2000 : 122 000 m² de terrain ont été nettoyés et 34 000 m² couverts pour confiner l’amiante résiduelle avec du goudron, du béton ou des terres végétales (0,66 M €) ; la fouille est interdite.
Sur le site FBI France Bois Imprégnation d’Andrézieux-Bouthéon, près de 15 000 t de terres polluées par des métaux (chrome, cuivre, arsenic) ont été stabilisées sur place (chaux et adjuvants) puis placées dans une alvéole étanche, elle-même sous une dalle. Cette surface est évidemment sous servitude. L’aménageur l’a d’ailleurs transformée en espace vert avec un petit plan d’eau. Ce cas est exemplaire de ce que l’on peut faire lorsque tous les partenaires travaillent en bonne intelligence : industriel FBI, aménageur Société d’Équipement du Département de la Loire (SEDL), commune, bureau d’études Sogreah (maître d’œuvre) et entreprise de travaux GRS Valtech.
FBI ne souhaitait pas payer plus qu’une réhabilitation pour un usage industriel alors que la commune souhaitait absolument récupérer ce terrain de 10 hectares, bien placé pour installer des équipements publics. « Un montage original a été trouvé. FBI a cédé le terrain à dépolluer, estimé à 6 MF après dépollution pour un usage industriel, et a rajouté 4 MF. La dépollution complémentaire pour pouvoir installer des bâtiments publics a été payée par la municipalité soit…
« Environ 10 MF. Devant l'exemplarité du dossier ces travaux ont été subventionnés à 50 % par un fonds Feder attribué par la préfecture », explique Hervé Rabillaud, responsable de projet à SEDL. Côté travaux, la tâche était complexe : des bâtiments, une zone très polluée par les HAP et les métaux et des zones moins polluées. Hubert Bonin, dirigeant de GRS Valtech, explique : « Les terres les plus polluées, environ 30 000 t, ont été excavées et traitées par désorption thermique sur site (la machine est actuellement en service en Italie). La machine a été installée dans les bâtiments en place (déconstruits ensuite). L’excavation a été utilisée pour placer en confinement environ 15 000 t de terres polluées à l'arsenic et stabilisées ».
Hubert Bonin souligne l'importance de la bonne évaluation des travaux. À Issy-les-Moulineaux, pour la construction de l’immeuble du journal l’Équipe, il fallait traiter rapidement ; de plus, en zone urbaine dense, pas question de faire de la désorption thermique sur place, les terres ont été envoyées en biocentre. L’estimation portait sur 20 000 t de terres polluées par des goudrons (HAP) à traiter et au final il y en a eu 80 000 t. « Nous avons réalisé un maillage fin (10 m × 10 m) et un tri de terre très serré pour réduire au maximum les volumes à traiter ». À Billancourt, GRS Valtech démarre les travaux sur la zone du Trapèze face à l’Île Seguin ; il est prévu un maillage serré de 10 × 10 m sur 5 m de profondeur. Le maillage peut devenir très fin comme à Drap (06) où ATE Geoclean a réalisé des prélèvements par zone élémentaire de 2,5 m³ sur un site pollué au PCB : 1 300 m³ ont été excavés. Pour les teneurs supérieures à 50 mg/kg les terres (1 350 t) ont été traitées par extraction au solvant (procédé Solvis).
Véronique Croze d’ICF Environnement confirme la tendance à l’excavation et au traitement hors site, d’où le besoin d'une extrême vigilance sur le tri des terres et l'utilité de méthodes rapides d’analyses pour réaliser un maillage fin. « Il faut bien identifier le paramètre pénalisant de la dépollution qui imposera le traitement. Tout l'art est d'adapter le maillage pour n’expédier hors site que les terres les plus polluées ; la première investigation permet de délimiter les problèmes, mais lors du chantier il faut agir plus finement car les pollutions sont parfois très hétérogènes ». Il faut savoir profiter des conditions locales pour gérer les terres. Sur un chantier en région parisienne, des terres faiblement polluées ont été utilisées en remblai de contre-voile et confinées. Des pratiques confirmées par Nicolas Ferlet de Serpol, société qui a réalisé de nombreux chantiers sur d’anciennes usines à gaz. Le problème est assez répétitif dans sa nature bien que chaque site soit spécifique. Un des moyens utilisés pour éviter d'évacuer trop de gravats est le lavage à sec dans des cribles rotatifs (Greenpol). Les gravats propres sont réutilisables sur place comme remblai.
Attention à la sécurité
Hubert Bonin souligne, tout comme Henri Molleron de Colas Environnement ou Franck Leclercq d’ATE Geoclean et d'autres, l'importance des mesures de sécurité au niveau des chantiers. « Si nous dépolluons, c’est qu’il y a un risque, et il faut être logique jusqu'au bout : ce n'est pas une entreprise ordinaire qui réalise ce genre de chantier. Il y a urgence en France pour que ce métier devienne sérieux et l'on peut s’inquiéter des conditions dans lesquelles certains chantiers sont réalisés » affirme Hubert Bonin. Le matériel doit être adapté (cabines pressurisées, appareils respiratoires etc.) et les personnels formés à être vigilants à chaque instant, y compris face à des risques d’explosion (de nombreux sites pollués ont été bombardés).
Ces mesures concernent le chantier et ses riverains qui ne doivent pas être exposés à des vapeurs, des poussières (abattage) ou des odeurs. Ce qui conduit parfois à confiner le site sous une tente comme l’indique Charles Ponce de Léon, directeur exploitation de Colas Environnement. La société s'est spécialisée en désorption thermique, une méthode qui permet d’abaisser la teneur en hydrocarbures à moins de 20 ppm (le traitement est en cours de développement sur les composés chlorés peu volatils). Un chantier important vient de se terminer sur un ancien site industriel de la Quinoléine. 60 000 t de terre, soit 30 000 m³ ont été excavés (jusqu’à 8 m de profondeur) en raison de
L’importance de la pollution et triés par lot de 100 m³, soit 300 lots. 37 000 t ont été traitées par désorption thermique, 900 t incinérées comme des déchets spéciaux et 15 000 t évacuées en CET classe 1. Au total 1 500 t de pesticides ont été détruits. « Sur de telles affaires, où l'on travaille en continu (18 mois de travaux de dépollution) le budget d'analyses est important : chaque lot de terre est analysé (par Antéa et Laboratoires Crépin) sur plusieurs paramètres avant et après, il faut vérifier le fond de fouille, analyser l'air et également les fumées de la désorption thermique (Inéris). Le chantier a mobilisé une vingtaine de personnes de Colas, autant pour l'encadrement (URS, Novartis) et autant en laboratoire. Bien qu'il n'y ait pas obligation, nous constituons un dossier comme pour une installation classée pour ce type de chantier », déclare Charles Ponce de Léon.
L'obligation d’aller vite lors des chantiers a favorisé l’excavation, d’où le développement des plateformes de traitement multiprocédés mises en place par les grands groupes.
Comme ATE Geoclean qui dispose de trois plateformes multimodales avec les sites de France Déchets à Jeandelaincourt (54), Bellegarde (30) et Villeparisis (77) et devrait en ouvrir deux autres prochainement. L'intérêt au niveau d'un chantier est d’avoir un unique lieu d’expédition, deux au plus s'il faut un traitement particulier. Certains se spécialisent dans une technique comme Biogénie qui déclare avoir déjà traité plus de 100 000 t en France par des procédés biologiques sur son biocentre d'Echarcon.
Certains terrains pollués mal traités, sur lesquels des bâtiments ont été construits, sont inaccessibles. Certes, la couverture évite les eaux pluviales, mais si une nappe circule elle entraîne les polluants. C’est le cas à Louvres où l'Ademe traite un site à responsable défaillant. Plusieurs captages sont pollués par des cyanures. « De la source de pollution située sous un supermarché construit en 1989, jusqu'aux puits de captage d'eau potable, il y a quatre kilomètres que les polluants ont parcourus en cinq ans », explique Thierry Baig de l'Ademe. La mesure d'urgence a
été de fermer ces puits. Ensuite un piège hydraulique a été installé en amont des captages pour les protéger.
Puis un pompage a été mis en place au droit de la source de pollution. Ce débit de 5 m³/h est traité sur résine échangeuse d'ions pour concentrer les polluants qui sont détruits par action du peroxyde d’hydrogène et des ultraviolets. D’après le modèle mathématique élaboré, il faudra cinq à dix ans de traitement !
L'excavation est malgré tout une méthode radicale coûteuse. Si l'on dispose de temps ou qu'il y a impossibilité d’excaver, les traitements in situ sont une réponse très adaptée pour tout ce qui est volatil et biodégradable lorsque le terrain s’y prête. Venting, Bioventing, pompages double phase et multiphase, lavage forcé, plus récemment barrières réactives sont autant de procédés qui arrivent à maturité.
Pour Roland Ponchon, directeur délégué de Pollution Service (groupe Colas), les accidents de Chavanay (accident ferroviaire avec déversement d’essence en 1990) et de La Ravoire (rupture de pipe en 1997) ont marqué des tournants : la démonstration était faite que les méthodes in situ sont capables de traiter avec succès de grandes zones. À La Ravoire, la zone polluée mesurait 150 m sur 250 m sur une profondeur de 15 à 20 m. Pompages et biolavage ont prouvé leur efficacité. À une moindre échelle, les nombreux sites de stations-services ou de petits dépôts d’hydrocarbures sont généralement traités sans excavation, parfois même lorsque le site est en service. Rémi Muth, directeur technique de Pollution Service, souligne que depuis trois ans ces sites bénéficient de plus en plus d’automatisme et même de télésurveillance. « Ceci permet de mieux surveiller l’installation, son efficacité, sa sécurité et de montrer au client l’avancée du traitement. En outre, les frais de maintenance sont abaissés du fait de déplacements moins nombreux. Nous télécontrôlons depuis Lyon des chantiers un peu partout en France ».