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Le symposium de Portland sur la restauration des lacs

30 juillet 1981 Paru dans le N°56 à la page 59 ( mots)
Rédigé par : G. BARROIN

Du 8 au 12 septembre 1980 s'est déroulé à Portland (Maine — U.S.A.) un Symposium International sur la restauration des eaux continentales et des lacs. Organisé par l’Agence pour la Protection de l'Environnement des États-Unis (EPA) sous le patronage de l'Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) ce symposium a réuni plus de 700 personnes auxquelles furent présentées une centaine de communications. Parmi les participants, pour la plupart nord-américains, figuraient des Scandinaves, des Allemands, des Suisses ainsi que trois Français dont deux conférenciers qui présentèrent en tout quatre communications*. Des emplacements étaient réservés à quelques exposants (bureaux d'ingénierie et fabricants de matériel). Les informations échangées à l'occasion de cette manifestation concernèrent les problèmes généraux liés à la pollution des lacs ainsi que les techniques les plus récentes de protection et de restauration.

  • * — « Organochlorinated compounds in drinking water as a result of eutrophication », G. DORIN (OCDE).
  • — « The Leman Commission », (I.N.R.A.).
  • — « Lake restoration by effluent diversion in France », G. BARROIN (I.N.R.A.).
  • — « Sediment treatment for phosphorus inactivation », G. BARROIN (I.N.R.A.).

LES PROBLÈMES GÉNÉRAUX

Au cours de ces dernières années l'OCDE a réuni huit pays autour d'un programme d'études concernant plus de deux cents lacs de la zone tempérée. Ces études montrèrent notamment que la charge en phosphore, corrigée pour la profondeur moyenne et le temps de séjour hydraulique, était statistiquement corrélée non seulement avec la chlorophylle et la transparence mais aussi avec la vitesse de désoxygénation hypolimnique et la production piscicole. Quel que soit l'intérêt des conclusions auxquelles ils conduisent, il ne faut pas oublier que de tels modèles ont des possibilités limitées. D'abord ils ne constituent qu'une interprétation statistique de la réalité et d'importantes déviations peuvent résulter de caractéristiques limnologiques particulières. C'est ainsi que les diverses modifications biologiques qui accompagnent l'eutrophisation contribuent à augmenter la rétention du phosphore de façon « anormale ». L’autre inconvénient majeur tient justement au fait que les techniques statistiques mises en œuvre sacrifient le qualitatif au quantitatif dans le traitement des données biologiques. Le meilleur moyen d'assurer une interprétation correcte des résultats est de la confier à des limnologues.

Ces modèles sont cependant très largement utilisés, faute de mieux, et surtout dans la mesure où les données nécessaires étant faciles à collecter l'effort financier peut être consacré à leur traitement. Ces mêmes considérations font abandonner les modèles de connaissance « totaux », très coûteux au niveau de l'acquisition des données, au profit de modèles limités à un nombre restreint de paramètres physico-chimiques pour l'essentiel. Utilisés pour optimiser techniquement les opérations de restauration et d’aménagement des lacs, ceux-ci servent également à des fins décisionnelles dans le cadre des analyses coût-bénéfice. On peut alors déplorer qu’aux inconvénients précédemment évoqués viennent s’ajouter ceux dus au mauvais choix des paramètres objectifs. En effet, il est tenu beaucoup trop compte d’éléments aisément quantifiables tels que la création d’emplois nouveaux ou la réalisation de bénéfices au niveau de produits intermédiaires (prix du terrain, coût du traitement de l'eau, nombre de places ouvertes au camping...) au détriment de produits finaux liés au cadre de vie et à la santé publique, beaucoup plus difficiles à quantifier. Ces techniques sont plus aptes à satisfaire les besoins d'une gestion archaïque et technocratique de l’eau que ceux d'une gestion moderne et environnementale.

Les atteintes portées à la santé de l'écosystème lacustre, et à celle de l'homme, se multiplient. Aux classiques pollutions par métaux lourds et produits organiques de synthèse* qui font courir le double danger de la dégradation de la biocénose et de la toxicité par bioaccumulation viennent s’ajouter celles des pluies acides. Ces dernières sont dues à la combustion des fuels fossiles qui contiennent du soufre et provoquent des chutes de pH spectaculaires dans les régions aux eaux faiblement tamponnées pour des raisons géologiques ou pédologiques (Scandinavie, Côte Est du Canada et des U.S.A.). Les diverses modifications physico-chimiques qui en résultent (mise en solution d’Al, de Zn, de Cu..., précipitation de composé Al-PO, diminution de la disponibilité du carbone...) ainsi que les perturbations du métabolisme de nombreux organismes contribuent à raréfier les espèces, à diminuer la biomasse et finalement à « stériliser » le milieu. Dans le cas d'eaux riches en carbonates, la diminution du pH est peu sensible mais serait cependant suffisante pour solubiliser l’apatite et augmenter ainsi la réserve de phosphore disponible.

De nouvelles nuisances plus directement liées à l'eutrophisation apparaissent ou du moins se précisent. La première concerne la Giardasis, maladie dysentérique dont la fréquence ne fait que croître aux U.S.A. depuis 1950 et qui a touché plus de 12 000 personnes au cours de ces quinze dernières années. La seconde est due à la présence dans l’eau potable de composés organochlorés cancérigènes du fait même du traitement par le chlore d’eaux riches en substances organiques résultant de l’eutrophisation.

Pourtant, dès 1972, les U.S.A. ont traduit sur le plan législatif tout l'intérêt qu'ils portaient à la qualité de leurs lacs par la section 314 du « Federal Water Pollution Control ». Cette disposition permet d'inciter financièrement un ensemble de mesures techniques dont la première consiste à aménager les bassins versants dans le but de réduire la charge en phosphore supportée par les lacs. L'E.P.A. estime que les opérations de protection et de restauration entreprises au cours de la dernière décade lui ont rapporté huit fois plus d'argent qu’elles ne lui en ont coûté, moyennant les réserves évoquées précédemment sur la façon d'évaluer les « bénéfices ».

LES TECHNIQUES DE PRÉVENTION ET DE RÉGÉNÉRATION

La prévention à la source reste la méthode la plus souhaitable, du moins en théorie. Dans la pratique, ce type d'action est considéré comme anti-économique car il s'oppose à la réalisation des profits qui accompagnent la mise en circulation de substances indésirables, ainsi que leur traitement en aval et celui des nuisances qu’elles provoquent. Ces traitements constituent, dans bien des cas, de simples transferts de pollution. Ceci explique sans doute pourquoi les lessives à faible teneur en phosphore ne s'installent pas plus vite sur le marché. Si, en outre, l’industrie de la dépollution propose des techniques performantes, on se trouve dans la situation paradoxale suivante : en Suède où la douceur des eaux justifierait l’emploi de lessives à très faibles teneurs en phosphore, le besoin d’éliminer ce dernier des produits détersifs ne se fait plus sentir depuis que la déphosphatation a été généralisée, ce qui, par ailleurs, ne fait qu’accentuer le problème de l’élimination des boues.

* dont la liste ne fait que s’allonger : aux pesticides du groupe DDT viennent s'ajouter les hydrocarbures polyaromatiques (PAH), et les divers composés polychlorurés des biphényls (PCB), des dibenzodioxines (PCDD) et des dibenzofuranes (PCDF)

[Photo : Traitement de la Rivière Wahnbach (R.F.A.), au premier plan, le préréservoir (V = 460 103 m³) et l'usine de déphosphatation (cap. max. 432 103 m³ j⁻¹) ; au second plan, le réservoir du Wahnbach (V = 41,6 106 m³).]

Si les apports sont concentrés dans un affluent, il n'est pas exclu de traiter celui-ci. C'est ainsi que la rivière Wahnbach (R.F.A.) est déphosphatée avant de se jeter dans le réservoir du même nom : 18 000 m³/h sont filtrés après avoir été floculés aux sels de fer. Le résultat de cette opération d'envergure est d'éliminer 99 % du phosphore, 60 % de la turbidité et surtout d’avoir fait disparaître Oscillatoria rubescens, la fameuse algue du Sang des Bourguignons. L'ultime méthode de prévention consiste à détourner les effluents après qu’ils aient été collectés dans un réseau terrestre ou immergé.

[Photo : légende : Fig. 1. - Le dragage.]

Parmi les méthodes de traitement direct, le dragage a pris une place de choix. Ceci est d’abord dû à l'efficacité du procédé lui-même dont les limites sont les mêmes que celles de l'acte chirurgical : l'ampleur du mal et la qualité de la prévention. Quant aux limites purement techniques, elles sont plus définies par les possibilités de disposer des matériaux extraits que par les possibilités d'extraction du matériel utilisé. L'inactivation, méthode qui consiste à précipiter le phosphore in situ à l'aide d'un floculant minéral, voit ses possibilités d'intervention s'étendre à des lacs de plusieurs kilomètres carrés, mettant en œuvre des milliers de tonnes de réactif ! L'appareillage reste néanmoins très simple et les résultats sont performants et durables.

D'autres techniques voient préciser leurs limites d'utilisation. C'est ainsi que la récolte des macrophytes permet de dégager des zones de baignades ou d’éviter d’accroître les déficits en oxygène mais le peu de nutriments qu'elle contribue à exporter ne permet guère d'utiliser cette méthode pour rééquilibrer le bilan nutritif d'un lac à moins que celui-ci ne soit couvert de végétation et que sa charge annuelle soit inférieure à 1 mg P m⁻². Il est également possible d'utiliser à meilleur escient la destratification à la lumière des plus récentes études montrant notamment que la quantité de phytoplancton est fonction de l'épaisseur et de la concentration en phosphore de la couche mélangée alors que les espèces dominantes dépendent de la vitesse de mélange.

[Photo : légende : Inactivation du lac Medical (U.S.A.). (S = 67,6 ha.)]

Enfin certaines méthodes sont encore du domaine expérimental et ne passent au développement que grâce au dynamisme des industries qui en assurent la promotion. C'est le cas du traitement des sédiments qui, après avoir été expérimenté en France dès 1973, a été développé par la firme suédoise Atlas Copco également connue dans le domaine de la restauration des lacs pour son aérateur hypolimnique Limno. Le succès commercial de ce dernier est tel qu'un ensemble de 15 appareils est en cours d'installation sur le Tegeler See (Berlin Ouest).

[Photo : légende : Fig. 2. - Traitement des sédiments.]

CONCLUSION

La limnologie confirme ainsi l'orientation « pratique » qu'elle avait donnée à certaines de ses recherches aux environs des années 70. Les bénéficiaires d'une telle évolution sont, en amont, la connaissance fondamentale et, en aval, les utilisateurs des lacs. Il est seulement regrettable que le petit nombre des retombées à caractère immédiatement « lucratif et commercial » soit un frein à cette évolution, surtout dans les pays où l'eau est utilisée comme un véhicule de la pollution avant d’être considérée comme un élément du cadre de vie ou plus simplement de la VIE.

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