Your browser does not support JavaScript!

Le sauvetage des poissons et crevettes dans les prises d'eau

29 novembre 1985 Paru dans le N°96 à la page 61 ( mots)

Les centrales thermiques réfrigérées en circuit ouvert utilisent d’importantes quantités d’eau : environ 40 m³/s pompés dans l’estuaire de la Gironde par les quatre tranches de la centrale du Blayais, et 240 m³/s pompés en Mer du Nord par la centrale de Gravelines. À titre de comparaison, et pour fixer l’ordre de grandeur de ces débits, précisons que le débit moyen de la Seine à Paris est de 250 m³/s.

Les problèmes

De nombreux organismes vivants se laissent entraîner dans les prises d’eau ; ceux qui excèdent une certaine taille, poissons et crustacés, sont alors plaqués sur les dispositifs de filtration placés à l’entrée des circuits et constitués en général de tambours filtrants de grand diamètre (15 à 17 m) à axe horizontal comportant un tamis métallique à maille fine (3 × 3 mm). Ces tambours sont lavés dans leur partie émergée par des jets d’eau à forte pression (3 à 4 bars) qui projettent les débris et animalcules situés sur les tamis dans une goulotte qui les renvoie alors dans le milieu. Ceux-ci sont ainsi soumis à d’importants chocs mécaniques entraînant une mortalité plus ou moins élevée suivant la résistance des espèces en cause.

[Photo : Centrale de Gravelines. Prise d'eau en canal. Le pompage d'eau s'effectue dans des pertuis disposés en série sur le bajoyer du canal.]
[Photo : Centrale du Blayais. Prise d’eau immergée. Pompage sur le fond de l’estuaire de la Gironde à 4 000 m de la berge.]
[Photo : Goulotte de récupération des organismes par dispositif à jets d'eau basse pression. Disposée tangentiellement au tambour filtrant, cette goulotte permet, de par sa forme spéciale, de récupérer, sur un matelas d'eau et donc avec un minimum de chocs mécaniques, les organismes décollés du tamis filtrant par des jets d'eau à basse pression.]
[Photo : Filtre rotatif situé à l'entrée des circuits d'eau de réfrigération. Ces tambours de grand diamètre sont garnis de tamis à maille fine. Ils sont nettoyés en partie émergée par des jets d'eau à haute pression.]

Les captures concernent essentiellement les organismes à capacité de nage réduite : on y trouve donc une majorité de poissons de petite taille — juvéniles et petites espèces — ainsi que les « mauvais nageurs », telles les crevettes et les poissons plats. Les alevins de poissons migrateurs (saumons, truites, aloses…), dont le comportement naturel est de se laisser entraîner par le courant d’eau lors de leur descente vers la mer, se font également piéger facilement.

Les captures sont très variables d'un site à l’autre. Les plus fortes abondances se trouvent en général dans les estuaires, lieux de reproduction riches en progéniture de certains poissons et crustacés, et dans certaines zones côtières où existent des frayères (aires de ponte) et des nourriceries (aires de grossissement). Dans certains cas, les destructions dans les prises d'eau pourraient être du même ordre de grandeur que la pêche commerciale et représenteraient de ce fait une perte économique importante. Dans d’autres cas, la destruction systématique des jeunes pourrait conduire à une baisse importante voire à la disparition de certaines populations locales.

Outre l’aspect écologique, les arrivées massives de poissons dans les prises d’eau peuvent également entraver le bon fonctionnement des centrales thermiques ; ainsi de nombreux déclenchements de centrales dus au colmatage brusque des dispositifs de filtration par des bancs de poissons se sont produits, certains s'étant soldés par des dégâts matériels plus ou moins sérieux.

Les solutions

Comment éviter la destruction de ces petits êtres vivants ? Deux voies sont possibles :

  • — empêcher leur entraînement grâce à l'aménagement adéquat des prises d’eau ou à l'emploi de dispositifs de dissuasion ;
  • — récupérer et renvoyer dans le milieu ces organismes, avec le minimum de dommages, lorsque leur capture est inévitable ; on utilise à cet effet des dispositifs dits de restitution.

Une bonne conception des prises d’eau doit tenir compte à cet égard de diverses contraintes :

  • — localiser la prise d'eau dans les zones les moins peuplées d’organismes. On évitera ainsi les frayères et les nourriceries riches en juvéniles ;
  • — réduire la vitesse de l'eau à l’entrée dans les ouvrages de prise ;
  • — réduire le débit pompé.

En pratique, les degrés de liberté sont malheureusement très réduits et il est préférable de mettre en place des installations adéquates pour limiter les dommages.

Les dispositifs de dissuasion font appel à des stimuli conduisant les organismes à se détourner du courant d'eau.

Divers types de « barrières » ont été imaginés : écrans lumineux ou sonores, champs électriques, rideaux de bulles. Seuls les écrans électriques ont connu une certaine faveur, en particulier en Allemagne fédérale ; ces systèmes posent peu de problèmes pour l'exploitant : pas de colmatage ni de perte de charge. Mais dans la pratique, ces dispositifs sont trop spécifiques et donc applicables à un nombre très réduit d’espèces.

Parmi les autres types de barrières possibles, il faut signaler l’écran hydrodynamique employé dans certains aménagements hydrauliques, et à la centrale de San Onofre aux États-Unis sur la côte californienne. Il consiste en un rideau de persiennes placé devant les

[Photo : Echantillonnage d'organismes capturés sur les filtres (poissons, crevettes). On remarquera leur petite taille.]
[Photo : Expérimentation de déflecteurs hydrodynamiques destinés à détourner les poissons des prises d'eau. L'écran (« rideau de persiennes ») guide les poissons jusqu'à un exutoire (à droite sur la photo) où il peut être restitué au milieu naturel.]

Les filtres rotatifs ou bien l'utilisation des filtres eux-mêmes (surface de filtration verticale disposée à environ 30° par rapport à la direction du courant) sont mises en pratique dans les prises d'eau de centrales. Cette barrière est associée à un dispositif de récupération : les poissons et autres organismes sont capturés dans une chambre spéciale et renvoyés dans le milieu par l'intermédiaire de pompes adéquates ou de systèmes de relevage (ascenseurs).

[Photo : Filtre rotatif de centrale thermique et dispositifs permettant de récupérer vivants les organismes entraînés dans les prises d'eau.]
[Photo : Pompes à poissons expérimentées à la centrale du Blayais. Ces pompes, d'une conception spéciale non traumatisante pour les organismes, aspirent les organismes plaqués sur la maille filtrante et les restituent au milieu naturel.]

Ce dispositif ne va pas sans poser d'importants problèmes technologiques tant sur le plan hydraulique que sur celui du nettoyage.

Les dispositifs de restitution s'avèrent donc nécessaires dans la plupart des cas où un problème réel se pose. Ils utilisent les filtres rotatifs comme engin de capture et des aménagements sont effectués afin de récupérer les organismes sur la toile filtrante. Cette récupération doit évidemment se dérouler « en douceur » puisque l'on a affaire à des êtres en général relativement fragiles et dont on veut assurer la survie. Deux systèmes ont été mis au point et expérimentés par E.D.F.

Le premier, réalisé en collaboration avec la Société Beaudrey, consiste en un ensemble de pompes spéciales — capables de véhiculer des organismes vivants sans dommages (pompes à vortex) — aspirant sur la maille filtrante ceux qui y sont plaqués pour les renvoyer ensuite dans le milieu.

Le deuxième utilise des jets d'eau à basse pression situés dans la partie émergée des filtres pour les décoller et les envoyer dans une goulotte spéciale. Ce dernier système a fait l'objet d'une mise au point sur modèle réduit de façon à y minimiser les chocs mécaniques. Grâce à sa forme « en escargot » il se forme sur sa surface interne un film d'eau qui réceptionne « en douceur » petits poissons et crustacés et les renvoie au « bercail ».

Ce dernier dispositif, qui fait actuellement l'objet d'une demande de brevet, a été choisi pour équiper l'ensemble des huit tambours filtrants de la centrale du Blayais. La majorité des juvéniles de poissons et crevettes pourront ainsi regagner bien vivants l'estuaire de la Gironde.

François Travade.

D'après le n° 5 de la revue « Epure », éditée par Electricité de France.

Cet article est réservé aux abonnés, pour lire l'article en entier abonnez vous ou achetez le
Acheter cet article Voir les abonnements