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Le rôle de la réutilisation des eaux usées urbaines pour le développement durable des zones touristiques

31 decembre 2007 Paru dans le N°307 à la page 59 ( mots)
Rédigé par : Valentina LAZAROVA, Vincent STUMY, Roland CATIMEL et 2 autres personnes

Ce document présente et examine les clés de la réussite du projet de réutilisation des eaux usées sur l'île de Bora Bora en Polynésie Française et son rôle pour le développement durable de cette île très touristique. Pour mieux préserver la santé publique et surmonter toute contrainte, un traitement tertiaire par membranes d'ultrafiltration a été mis en place permettant de produire une eau recyclée de haute qualité. Une attention particulière a été apportée à la fiabilité de l'exploitation et à la viabilité économique du recyclage des eaux. Au cours des deux dernières années, la demande pour cette nouvelle eau recyclée a été en constante augmentation avec une large diversification des utilisations urbaines, non seulement pour l'arrosage, mais également pour le nettoyage, les usages industriels et commerciaux et la protection contre les incendies. Les avantages monétaires et non-monétaires ont été évalués et reconnus. Comme suite à la réussite de cette entreprise, de nouveaux projets de recyclage sont en cours de développement. À l'heure actuelle, le recyclage des eaux usées permet d'économiser 10 % des précieuses ressources naturelles d'eau douce. En plus de la réutilisation, d'autres techniques environnementales performantes ont été mises en place par la commune de Bora Bora et la SPEA dans le cadre de la politique de développement durable. Par conséquent, les efforts soutenus des élus locaux pour la gestion des ressources ont été récompensés par l'écolabel "Pavillon Bleu d'Europe", symbole d'une qualité environnementale exemplaire.

Mots clés : développement durable, gestion intégrée des ressources, réutilisation des eaux usées, usages urbains sans restriction, facteurs clés de succès, avantages monétaires et non-monétaires.

Valentina Lazarova, Suez-Environnement

Vincent Stumy, Roland Catimel, SPEA – Papeete-Tahiti (Polynésie Française)

Yannick Chung Sao, SPEA – Papeete-Tahiti (Polynésie Française)

Gaston Tong Sang, Maire de Bora Bora – Bora Bora (Polynésie Française)

The role of water reuse for the sustainable development of tourist areas

La réutilisation des eaux usées est un enjeu politique et socio-économique pour le développement futur des services d’eau potable et d’assainissement à l’échelle mondiale. Elle présente, en effet, l’avantage majeur d’assurer une ressource alternative à moindre coût permettant de limiter les pénuries d’eau et de mieux préserver les ressources naturelles. En fait, recycler les eaux usées correctement traitées représente un des moyens les plus simples et efficaces pour limiter la consommation des ressources naturelles en assurant ainsi le développement durable de notre société.

Les régions arides et semi-arides ont été les premières à reconnaître l'importance de la gestion intégrée des ressources et le rôle de la réutilisation des eaux usées pour le développement durable. La Californie et la Floride sont les pionnières et les leaders mondiaux dans ce domaine avec 1,6 ± 0,1 million de m³ par jour d’eaux usées urbaines recyclées pour différents usages non-potables et la production indirecte d’eau potable. L'Espagne est le leader européen en matière de réutilisation des eaux usées avec 408 millions de m³ par an, qui est encouragée par des incitations institutionnelles et financières telles que, par exemple, la recommandation d'utiliser exclusivement de l'eau recyclée pour l'arrosage des terrains de golf (AGUA Plan, 2000). La Chine, Singapour et l’Australie sont aujourd'hui les pays ayant la plus grande croissance dans la production d’eau recyclée de plus de 20 % par an. Actuellement, de nombreux projets à grande échelle (> 200 000 m³/j) sont mis en place en Espagne (Barcelone), Chine (Beijing), Italie (Milan), Singapour, Australie, etc.

Il est important de souligner que la réutilisation des eaux usées devient un élément important des politiques nationales et locales de gestion intégrée des ressources avec des objectifs de résultats comme, par exemple à l’horizon 2010, satisfaire une partie de la demande en eau potable par de l'eau recyclée (10 % à Madrid, 13 % en Californie, 20 % en Singapour et Australie) ou recycler 100 % des eaux usées (Israël, Chypre, Hawai).

L’avantage capital du recyclage des eaux usées urbaines est qu'il libère un volume équivalent d'eau potable pour les besoins domestiques. La fiabilité de la réserve en eau recyclée – en période de sécheresse, lorsqu’il n'est pas permis d'utiliser l'eau potable pour l'arrosage des espaces verts – devient un atout particulièrement important pour les consommateurs pour qui il est crucial d'entretenir en permanence de beaux espaces verts, surtout dans les zones touristiques et les îles. Ainsi, l’avantage majeur de l'eau recyclée est qu'elle est « à l'épreuve de la sécheresse », puisque les restrictions en cas de sécheresse n'affectent pratiquement pas le débit des eaux usées. La principale contrainte de cette application est une plus grande probabilité d'exposer involontairement le grand public aux eaux recyclées dans les zones densément peuplées. C'est la raison principale, conjuguée à l'absence de réglementation adéquate, qui entrave la mise en œuvre de projets de réutilisation des eaux usées pour l'arrosage des terrains de golf et des espaces verts en France (Lazarova et Brissaud, 2007).

Dans ce contexte, l'objectif principal de ce document est de présenter

…ter et d'examiner les clés de la réussite du projet de réutilisation des eaux usées à Bora Bora, en Polynésie Française, située au cœur du Pacifique Sud, et son rôle dans la politique de développement durable mise en place par les autorités locales. La mise en œuvre d'un traitement tertiaire par membranes des eaux usées a permis de surmonter les contraintes institutionnelles et administratives pour les usages urbains de l'eau recyclée sans restriction. La station de recyclage initiée par le bureau d’étude local SPEED et par le Centre de Recherche de Suez Environnement est construite et exploitée par SPEA, filiale polynésienne de Suez Environnement, mettant à profit la grande expérience de la société en matière de recherche et développement, de conception et d'exploitation dans le domaine du traitement et de la réutilisation de l'eau.

[Photo : Le concept de développement durable de la commune de Bora Bora.]

Le concept de développement durable appliqué à la gestion de l'environnement

Le développement économique de Bora Bora, surnommée « La perle du Pacifique » et mondialement renommée pour la beauté de son lagon, s’effectue grâce à une politique communale de développement durable, soutenue par une forte volonté de ses élus et fondée sur un respect scrupuleux de l'environnement, des ressources naturelles et de l'intégration des constructions dans le paysage pour ne pas provoquer de rejet de la part de la population locale.

Comme illustré par la figure 1, le concept de développement durable de la commune de Bora Bora est un modèle de développement économique qui a pour objectif la conciliation des éléments suivants :

1. Le développement économique avec la création de richesses par les activités liées au tourisme. 2. La gestion durable des ressources naturelles et la protection de l’environnement, en particulier des ressources en eau et de l’écosystème du lagon, riche mais fragile et vulnérable. 3. Le développement social avec la recherche du bien-être social et du plein-emploi.

Un élément très important dans cette politique est la gestion des ressources en eau. Les ressources naturelles de l'île en eau douce ne suffisent pas à alimenter la population résidente (8 000 habitants) et les 200 000 touristes par an. Suite à l'accroissement de la demande en eau et aux périodes de sécheresse de plus en plus sévères, la capacité de production d'eau potable a dû être augmentée à plusieurs reprises, avec la mise en place des ressources alternatives comme le dessalement de l'eau de mer et la réutilisation des eaux usées (figure 2). Les étapes majeures de l’amélioration du service de distribution d’eau sont :

• 1990 : ressources limitées (1 200 m³/j), service discontinu, couverture partielle, eau de qualité non potable, création d'un partenariat public-privé. • 1993 : mise en service de nouveaux forages (3 600 m³/j), extension des réseaux à l'intégralité de l'île, service assuré 24 h/24, eau potable conforme aux normes européennes. • 2000 : déficit en eau lié aux effets des sécheresses et de La Niña, et…

mise en place de la première usine de dessalement avec 3 unités d’osmose inverse de capacité unitaire de production de 350 m³/j.

* 2005 : construction d’une nouvelle usine de dessalement de 1 000 m³/j et mise en route de la production d’eau recyclée après ultrafiltration d’une capacité de 300 m³/j.

2007 : construction d’une troisième usine de dessalement de 1 000 m³/j. Ces deux dernières installations de dessalement bénéficient du progrès technologique mondial et permettent d’économiser 40 % de l’énergie consommée par la première usine.

Compte tenu de la rareté de la ressource et de son coût, une politique drastique de gestion des réseaux de distribution a été mise en place pour éviter tout gaspillage et maintenir en permanence un haut standard de rendement (télégestion, sectorisation du réseau, recherche systématique des fuites).

Il est important de souligner que dans le cadre d’un développement durable, la gestion des ressources en eau doit comprendre non seulement les services d’eau potable, mais également la mise en place de la collecte et du traitement des eaux usées. Dans le cas de Bora Bora, la construction d’hôtels et de logements a rapidement bouleversé le mode de vie insulaire : les rejets non contrôlés d’eaux usées mal traitées ont provoqué l’eutrophisation du lagon et l’apparition d’algues vertes, en 1990, sur les superbes plages de sable blanc. C’est sous l’impulsion de ses élus que l’île s’est alors attachée à se doter de tous les moyens pour réaliser les services d’assainissement.

L’ensemble des eaux usées de l’île est désormais collecté et transporté par réseau sous pression à l’aide de 70 postes de relevage puis traitées par 2 stations d’épuration (une au nord de l’île et une au sud). Les eaux usées sont traitées pour obtenir un rejet d’un niveau de qualité eau de baignade conformément à la directive européenne. Les boues résiduaires sont traitées et recyclées à l’aide de la technologie de rhizocompostage. Le compost obtenu (> 1 200 m³/an) est réutilisé dans son intégralité pour fertiliser les sols pauvres (coralliens) des espaces verts des hôtels, les lieux publics et les jardins privés.

Les eaux usées traitées sont pour partie rejetées au lagon et pour partie recyclées en eaux industrielles non potables pour divers usages urbains. Le réseau de distribution d’eau recyclée a été étendu pour couvrir la totalité des besoins des grands hôtels de luxe. La qualité des eaux recyclées est rigoureusement suivie par le Service Territorial d’Hygiène et de Santé Publique.

La bonne qualité du traitement des eaux usées a montré un réel effet sur le milieu naturel : le développement des algues a été stoppé et les plages de sable blanc ont retrouvé leur beauté initiale tant prisée par les touristes et photographes du monde entier.

Ainsi Bora Bora est l’unique commune de la Polynésie française qui a

[Photo : Figure 2 : Les étapes de développement des services de production et de distribution d’eau potable / The stages of development of water production and supply]

obtenu le “Pavillon Bleu de l'Europe” et a su le conserver pour une 8ᵉ année consécutive. Ce label est très prisé des touristes étrangers, notamment ceux du Nord de l’Europe, qui ont l'habitude de sélectionner leur lieu de vacances en fonction de critères d'environnement.

Le rôle et les clés du succès du recyclage des eaux usées

Motivation du projet de réutilisation

Comme noté précédemment, depuis 1998 l'île de Bora Bora subit régulièrement des pénuries d’eau, dues principalement à une pluviosité en baisse et à des sécheresses chroniques, combinées au développement d’hôtels et à l’augmentation de la population. En conséquence, une grave pénurie en eau a été observée entraînant des interruptions périodiques de la distribution d'eau. Au cours des années, l'île s’est équipée de ressources alternatives, telles que le dessalement de l'eau de mer et un réseau de réutilisation des eaux usées. Initialement, l’eau recyclée a été un effluent épuré par lagunage, dont la qualité n'était pas approuvée par les autorités sanitaires pour l'arrosage. De plus, des problèmes récurrents d'odeur et de croissance bactérienne (en particulier des bactéries sulfato-réductrices) dans le réseau de distribution ont conduit les consommateurs, notamment les hôtels de luxe, à restreindre leur demande en eau recyclée.

En conséquence, les pénuries et la demande croissante en eau furent les principaux facteurs ayant déterminé la mise en place d'un nouveau projet de réutilisation de l'eau. De plus, la volonté de la municipalité de préserver les ressources en eau, assurant ainsi le développement durable de cette île touristique renommée, a été un autre facteur décisif ayant motivé la mise à niveau du traitement tertiaire de

[Photo : Figure 3 : Vue des plages de Bora Bora honorées par l'écolabel du Pavillon Bleu d'Europe, symbole d'une qualité environnementale exemplaire.]
[Photo : Figure 4 : Évolution de la demande en eau recyclée depuis le lancement du traitement par membrane.]
[Photo : Vue d’un des consommateurs et de la construction du réseau de distribution sous-marin au fond du lagon.]

La station d’épuration de Povai grâce au traitement avancé par membrane pour produire une eau recyclée de haute qualité.

Le programme adéquat de mise en place du projet avec l’implication de la population et la proche collaboration des parties concernées a été une autre clé de la réussite.

Le choix approprié de la technologie de traitement et la capacité à produire une eau recyclée de haute qualité sans aucune interruption ont été les deux autres facteurs qui ont assuré la croissance rapide de la demande en eau recyclée (figure 4). Actuellement, de nouvelles installations annexes sont en cours d’études pour l’arrosage de terrains de golf et le réapprovisionnement des aquifères pour éviter l’intrusion saline.

Types d’usages d’eau recyclée

L’augmentation de la demande en eau recyclée était liée non seulement à l’augmentation des volumes d’arrosage des espaces verts, mais également à des besoins pour d’autres utilisations urbaines. Le nombre de consommateurs au début 2006 a triplé par rapport à celui de 2004. Actuellement, l’eau recyclée est utilisée pour les usages suivants :

  • • Arrosage des espaces verts (la plupart des connexions).
  • • Alimentation des gros consommateurs que sont principalement les hôtels de luxe. Pour 8 d’entre eux situés sur les “motu” (petits îlots coralliens), la connexion s’est faite par des canalisations sous-marines (0,5 à 2 km, profondeur maximum 40 m) (figure 5).
  • • Nettoyage et arrosage des espaces verts dans toutes les unités de traitement de l’eau et des eaux usées et dans 70 stations de pompage.
  • • Lavage de bateaux et remplissage des réservoirs d’eau des bateaux de protection contre les incendies.
  • • Nettoyage des engins de construction et préparation des bétons sur plus de 7 chantiers de construction.
  • • Protection d’incendies.
[Photo : Vue du bâtiment de traitement tertiaire et de l’installation des membranes.]

La filière de traitement tertiaire

Les membranes organiques immergées d'ultrafiltration Zenon (ZeeWeed 500) ont été choisies pour épurer une partie de l'effluent secondaire et mises en place dans la station de traitement des eaux usées de Povai en avril 2005 (figure 6). La capacité de ce traitement tertiaire est de 300 m³/j. Le traitement en amont consiste en un procédé conventionnel de boues activées, pour l'élimination du carbone et de l'azote, dimensionné pour traiter un débit journalier maximal de 6 250 m³/j. La lagune de maturation existante a été mise à niveau pour servir de stockage des eaux de pluie. L’eau recyclée est stockée dans un réservoir fermé et pompée dans le réseau de distribution d'eau industrielle après une chloration pour maintenir un chlore résiduel de 0,5 mg/L.

[Photo : Figure 7 : Principe de l'ultrafiltration, barrière physique pour tous les microorganismes.]

L'ultrafiltration comme traitement tertiaire a été choisie pour produire une eau recyclée de très bonne qualité complètement désinfectée. Les membranes de Zenon d’ultrafiltration ont des pores très fins de 0,035 µm, ce qui représente une barrière physique efficace pour tous les microorganismes et les pathogènes, y compris les protozoaires, kystes, bactéries et virus (figure 7).

Qualité de l'eau et fiabilité de fonctionnement

Le tableau 1 indique la qualité des eaux usées (eaux brutes, effluent secondaire et eau recyclée) pour la période de janvier 2005 à avril 2007. Malgré les grandes variations de la qualité des eaux usées brutes, l'ultrafiltration tertiaire a produit de façon constante un effluent de très bonne qualité, débarrassé des matières en suspension et ayant une très basse teneur en carbone organique (COD et BOD en dessous des limites de détection).

Durant les 2 années d'utilisation des membranes immergées d'ultrafiltration, deux cas seulement de contamination de l'eau traitée par coliformes fécaux (concentrations mesurées de 60 et 100 ufc/100 mL respectivement) ont été détectés à cause de fuites de vannes et de débordements d'effluent secondaire non filtré. Des entérocoques (56/100 mL) et des spores de Clostridium (2/20 mL), qui en règle générale ne sont pas présents dans le perméat, ont également été détectés lors de ces incidents. Une telle défaillance opérationnelle n'affecte pas la qualité finale de l'eau, car une…

Tableau 1 : Caractéristiques* de l'effluent secondaire et de l'eau recyclée de la station de Povai pour la période d’avril 2005 à mai 2007

Paramètre Eaux brutes Effluent secondaire Eau recyclée (perméat) Norme de réutilisation
DCO, mg/L 595 (270-837) 31 (6-65) 9 (15-43) 40
DBO₅, mg/L 349 (100-640) 17 (<5-29) 4 (1-6) 20
MES, mg/L 238 (125-276) 9,5 (3-14) 2 (0-5) 20
Ntot, mg/L 47 (30-70) 8,3 (1-18) 7,3 (2-7) 20
Ptot, mg/L 6,8 (4-18,1) 2,5 (0,3-5) 1,9 (0,4-5,8)
E.coli/100 mL ND 105 0/100 mL 0/100 mL

* Valeur moyenne et limites de variation (32 échantillons composites, exclusion de E.coli suivi dans des échantillons ponctuels).

[Photo : Figure 8 : Évolution de la perméabilité normalisée de la membrane (moyenne minimale et maximale journalière).]

des coliformes d'origine fécale ont été détectés (concentrations mesurées respectivement de 60 et 100 cfu/100 mL), dus à une fuite au niveau des vannes et à un déversement d'effluents secondaires non filtrés. L'Enterococci (56/100 mL) et des spores de Clostridium (2/20 mL) qui, en règle générale, ne sont pas présents dans le perméat, ont aussi été détectés durant ces pannes. De telles défaillances n'affectent pas la qualité finale de l'eau, car un traitement final par chloration est mis en place après le réservoir de stockage.

La figure 8 indique l'évolution de la perméabilité des membranes immergées à Bora Bora pour les deux années d’exploitation. En appliquant les procédures recommandées de maintenance et de nettoyage, un bon recouvrement de la perméabilité des membranes a été observé : 202 à 247 L/h·m²·bar à 20 °C comparé à la valeur initiale de 250 L/h·m²·bar. Il est important de souligner qu'à part quelques problèmes de fonctionnement mineurs, et un dégât majeur que la station d'épuration a subi en septembre 2005 à cause d'une forte houle marine provoquant une infiltration d'eau de mer et une perte de boues activées du décanteur, un excellent flux des membranes à 242 L/h·m² (20 °C) a été maintenu de façon constante.

Les mesures préventives contre l'encrassement des membranes sont essentielles pour éviter une perte excessive de la perméabilité des membranes (rétrolavages, lavages de maintenance, relâchement des membranes). La fréquence du nettoyage chimique de recouvrement de la perméabilité varie de 2 à 6 mois selon la qualité des eaux usées. Par sécurité, le nettoyage de recouvrement est effectué avant d’avoir atteint la valeur limite de la perméabilité de 100 L/h·m²·bar.

Coûts et tarification de l'eau recyclée

Comme mentionné plus haut, le tarif important de l’eau potable (tranche gros consommateurs) produite par dessalement d’eau de mer, ainsi que la demande croissante en eau des hôtels de luxe, en particulier pour les besoins en arrosage des espaces verts et pour les autres utilisations urbaines en eau non potable, ont été les facteurs déterminants pour la mise en place d’un traitement tertiaire avancé sur membranes afin de produire une eau recyclée de haute qualité, totalement désinfectée. Le principal défi de l’exploitation de la station est donc de minimiser le risque de défaillance du traitement tertiaire, tout en maintenant des coûts d’exploitation et de maintenance inférieurs à ceux du dessalement de l’eau de mer.

Les coûts d’exploitation de l’installation de recyclage de Bora Bora incluent l’exploitation et la maintenance non seulement du traitement tertiaire sur membranes, mais aussi du réseau de distribution, principalement sous-marin (immergé dans le lagon). Les principales dépenses comprennent les coûts fixes de main-d’œuvre, les réparations et la maintenance, les membranes…

[Photo : Figure 9 : Répartition des coûts d'exploitation (traitement tertiaire et réseau de distribution).]
[Publicité : RGA Environnement]

principaux ayant motivé la mise en place du traitement tertiaire avancé par membrane, en vue de produire une eau recyclée de haute qualité et complètement désinfectée. Par conséquent, le principal défi de l’exploitation de la station était de minimiser les risques de défaillance du traitement tertiaire à des coûts d’exploitation et de maintenance acceptables, moins élevés que ceux de la production d’eau potable.

Les coûts d’exploitation de la station de recyclage de Bora Bora englobent le fonctionnement et la maintenance, non seulement du traitement tertiaire par membrane, mais aussi du système de distribution, essentiellement sous-marin (immergé dans le lagon). Les dépenses principales comprennent les coûts fixes pour la main-d’œuvre, les réparations et la maintenance, le remplacement des membranes et la surveillance de la qualité de l’eau, ainsi que les coûts variables pour les produits chimiques et la consommation d’énergie.

Comme illustré par la figure 9, la main-d’œuvre constitue la tranche principale des coûts d’exploitation, comptant pour 46 % du coût total du fonctionnement, ce qui se rapproche des valeurs types que l’on trouve dans les traitements conventionnels par boues activées (45 à 55 %). Malgré le prix très élevé de l’électricité (0,18 €/kWh) sur cette île touristique isolée, la part des coûts en énergie est de seulement 14 %, une valeur relativement basse comparée aux valeurs type du traitement secondaire 25 ± 5 % et tertiaire MF/RO 26 à 32 % (Lazarova et al., 2005). Les coûts en produits chimiques pour le nettoyage des membranes et la chloration finale constituent 12 % des coûts d’exploitation. Les réparations et la maintenance s’élèvent à 21 %, remplacement des membranes inclus. Il est important de souligner que le coût des pièces de rechange est également élevé en raison de l’éloignement de l’île et donc du transport onéreux. L’impact financier du suivi de la qualité de l’eau reste relativement bas, 4 % du coût d’exploitation, mais une grande partie des dépenses sont comprises dans le coût de la main-d’œuvre. La consommation d’énergie moyenne est de 0,3 kWh/m³ à débit nominal et de 0,95 kWh/m³ à 30 % de la capacité hydraulique du traitement d’ultrafiltration.

La tarification est un outil crucial pour la viabilité économique des projets de réutilisation de l’eau (Morris et al., 2005). Cette tarification doit refléter ce que les consommateurs sont prêts à payer et la fiabilité de l’approvisionnement en eau recyclée ayant le niveau de qualité exigé. Le système de tarification le plus adéquat pour faire des économies en coûts de distribution, et pour séduire les gros consommateurs d’eau, est celui du tarif dégressif.

Tableau 2 : Tarification pour la consommation en eau recyclée à Bora Bora

Paramètre Critère Première tranche Deuxième tranche Troisième tranche
Volume pour gros consommateurs, m³/mois > 350 0,55 € 0,80 € 1,00 €
Volume pour consommateurs moyens, m³/mois < 350 2,10 € 2,20 € 2,65 €
Prix de l’eau recyclée, €/m³ 1,15 € 1,18 € 1,25 €
Volume pour petits consommateurs, m³/mois < 30 5,10 € 7,10 € 7,80 €
Prix de l’eau recyclée, €/m³ 0,76 € 0,71 € 0,67 €

Comme l'indique le tableau 2, à Bora Bora, le tarif dégressif par tranche a été appliqué pour motiver les gros consommateurs, tout en assurant des prix inférieurs pour les petits consommateurs privés. Conformément à cette nouvelle tarification de l'eau recyclée, établie depuis novembre 2005, le prix de l'eau recyclée varie de 30 à 100 % du tarif de l'eau potable, selon la catégorie de consommateur (demande en eau). En plus de ces tarifs basés sur la consommation, un forfait annuel de 187 € est exigé pour chaque connexion.

En comparaison, le tarif précédent de l'eau recyclée pour un effluent issu du traitement par lagunage était fixé à 0,67 €/m³ quelle que soit la consommation d'eau.

Il est important de souligner ici que l'usage de l'eau industrielle, donc les abonnements au service, sont réservés aux besoins strictement professionnels de la population.

Bénéfices du recyclage des eaux usées

Le programme de réutilisation de l'eau mis en place à Bora Bora est un élément important de la stratégie globale des décideurs dans le domaine de la gestion intégrée des ressources. Comme souligné précédemment, cette approche comprend également les mesures d’économie de l'eau potable et la mise en place de mesures spéciales pour maîtriser les fuites dans les réseaux de distribution d'eau potable et d'eau recyclée, ainsi que l’établissement d'un schéma directeur de l'eau potable pour les dix prochaines années.

Les gros consommateurs tels que les hôtels de luxe ont été les premiers à trouver un important avantage économique, car l'eau recyclée de haute qualité leur revient 2,5 à 3 fois moins cher que l'eau potable. En conséquence, la demande en eau recyclée augmente, encouragée également par le système de tarif dégressif.

L'avantage monétaire qui peut être facilement évalué est l’évitement de la perte de revenus des entreprises de construction et de tourisme. En effet, à cause de la grave sécheresse survenue fin 2005, et en raison des pénuries d’eau qui en ont résulté durant cette période, l'utilisation de l'eau potable pour des usages non potables a été interdite et quatre chantiers de construction importants auraient pu être interrompus à cause du manque d'eau pour la préparation du béton et les tests (construction d’une station de dessalement et trois agrandissements d’hôtels, chacun ayant 100 suites de luxe de 100 m²), ainsi que pour les espaces verts.

L'usage de l'eau industrielle a permis d’éviter ces retards. Le préjudice économique qui aurait pu être occasionné par le retard de construction a été estimé à plus de 2 à 3 millions d’euros, sans compter la perte de revenus potentielle durant la haute saison touristique qui peut être estimée à plus de 50 millions d’euros.

Les avantages économiques et sociaux de cette nouvelle stratégie de recyclage ont aussi été

[Photo : Forums publics organisés dans la station de recyclage de l'eau]

reconnus par les autorités locales et régionales, du fait que le démarrage du traitement par membrane a permis de reporter la construction d'une usine supplémentaire de dessalement, et aussi de limiter les coupures d'eau pour les habitants, coupures qui étaient fréquentes et inévi­ tables durant les périodes de sécheresse.

Les avantages majeurs du recyclage des eaux usées bien épurées en matière d'environnement sont la protection de la ressource naturelle souterraine en eau douce (10 % du volume journalier pompé est économisé), ainsi que la pro­ tection du lagon et de sa biodiversité. Ce système écolo­ gique fragile peut en effet rapidement être détérioré par les activités humaines, comme le rejet accidentel des eaux usées et les déchets.

Un important facteur de réussite, pour assurer la viabilité écono­ mique de la réutilisation de l'eau, est la collaboration active qui a été organisée entre toutes les parties prenantes (figure 10) : les déci­ deurs, les élus locaux, les bureaux d'études, les exploitants, les consommateurs.

L'information et l'implication de la population ont été également un élément capital pour la réussite du projet : des forums ont été réguliè­ rement organisés avec les élus locaux, des consultants, des exploi­ tants, des consommateurs pour présenter les aspects techniques et sanitaires, ainsi que les avantages économiques et environnemen­ taux du recyclage de l'eau.

En continuation de ces efforts de concertation, notons que de nou­ velles extensions au programme de recyclage des eaux usées sont en cours de développement :

• Augmentation de 100 % de la capacité du traitement tertiaire (ultra­fil­ tration, stockage et pression dans le réseau de distribution),

• Extension du réseau de protection contre les incendies et construc­ tion d'un nouveau réservoir de stockage d’eau pour la lutte contre les incendies,

• Construction d'une nouvelle installation de recyclage par membrane avec la production d'une eau recyclée de haute qualité pour l'arrosage d'un terrain de golf (150 ha) et le réapprovisionnement des aquifères (usine de traitement par ultrafiltration couplée à l’osmose inverse).

Conclusions

Le développement économique de Bora Bora, mondialement renom­ mée pour la beauté de son lagon, se fait en menant également une politique communale de développement durable, basée sur le res­ pect scrupuleux de l'environnement et la gestion intégrée des res­ sources. Dans ce contexte, la réutilisation des eaux usées apparaît comme un élément important de la politique de protection des res­ sources en eau limitées de l'île. La collaboration étroite des profes­ sionnels de l'eau avec les autorités locales et les consommateurs ont permis de reconnaître la viabilité économique du recyclage des eaux usées de très bonne qualité et d'identifier clairement les nombreux avantages et bénéfices.

Citons notamment : la préservation et la protection de l'environne­ ment, le développement économique local, l'économie d'eau potable pour les besoins domestiques et la disponibilité de ressources alter­

[Photo]

natives fiables en cas de sécheresse.

L’avantage économique pour la communauté de Bora Bora est, pour l'essentiel, d’éviter des pertes potentielles considérables. En outre, le montant des économies identifiables s'élève à plusieurs millions d'euros. Le choix d'une tarification adéquate a favorisé l'augmentation de la demande en eau recyclée et a ainsi permis un meilleur recouvrement des investissements et des coûts de production. Il a été clairement démontré que le recyclage de l'eau permet de maintenir un certain nombre d'activités économiques telles que la construction de bâtiments, le nettoyage des bateaux et l'entretien de beaux espaces verts même en cas de sécheresse grave accompagnée d'interdiction d'utiliser l'eau potable pour des usages non potables. La disponibilité en eau recyclée de haute qualité a ainsi permis de mener à bon terme plusieurs gros projets de construction dans de bien meilleurs délais.

La mise en place du procédé d'ultrafiltration pour le traitement tertiaire des effluents secondaires a entraîné une amélioration significative de la qualité des eaux recyclées et l'augmentation de la confiance des consommateurs pour leur utilisation. En conséquence, l'augmentation de la consommation en eau recyclée a compensé les coûts plus élevés du traitement par membrane. Actuellement, plusieurs nouveaux projets de recyclage de l'intégralité des eaux usées et épurées sont à l'étude.

À l'heure actuelle, le recyclage des eaux usées permet d'économiser 10 % des précieuses ressources naturelles d'eau douce. En plus de la réutilisation des eaux usées, d'autres techniques environnementales performantes ont été mises en place par la commune de Bora Bora et la SPEA dans le cadre de la politique de développement durable :

• Le captage des eaux douces naturelles et le traitement par dessalement se font dans le respect de l'environnement : consommation énergétique minimale et absence d'utilisation de réactifs chimiques et de production de boues.

• Le rendement des réseaux d'eau est maintenu à son niveau le plus haut possible pour limiter les pertes de cette ressource rare et onéreuse.

• Le traitement des eaux usées est effectué à un niveau élevé de qualité conformément aux exigences de la protection des zones de baignade.

• Les boues issues du traitement des eaux usées sont recyclées après un traitement par rhizocompostage comme compost qui permet de fertiliser les sols pauvres et riches en corail.

La présence sur l'île d'un tourisme de luxe n’est pas comme on pourrait le redouter une source de dégradation de l'environnement. Au contraire, grâce à une tarification adaptée des services de l'eau qui demande une plus forte contribution aux hôtels, le tourisme permet de financer des services publics d’un haut niveau de qualité, comme des installations performantes de dessalement de l'eau de mer et du traitement avec recyclage des eaux usées pour compenser le stress hydrique et protéger le lagon, le patrimoine le plus précieux de l'île. Enfin, les efforts soutenus de la communauté de Bora Bora pour la gestion des ressources ont été récompensés depuis l'année 2000 par l'écolabel “Pavillon Bleu d'Europe”, symbole d'une qualité environnementale exemplaire.

Références bibliographiques

* Asano T., Burton F.J., Leverenz H.L., Tsuchihashi R. et Tchobanoglous G. (2007) Water Reuse: Issues, Technology, and Applications, McGraw-Hill Professional Publishing, New York.

* Morris J., Lazarova V. et Tyrrel S. (2005) Economics of water recycling for irrigation. In : Irrigation with recycled water: agriculture, turfgrass and landscape, Lazarova V. et Bahri A. (éds), CRC Press, Boca Raton, 266-283.

* Lazarova V. et Brissaud F. (2007) Intérêt, bénéfices et contraintes de la réutilisation des eaux usées en France, L’eau, l'industrie, les nuisances, n° 299, 43-53.

* Lazarova V., Carle H. et Stuy V. (2007) Economic and environmental benefits of urban water reuse in tourist areas, Proc. of the 6th IWA Spec. Conf. on Wastewater Reclamation and Reuse for Sustainability “Guiding the Growth of Water Reuse”, 9-10 octobre, Anvers, Belgique.

* Lazarova V., Rougé P. et Stumny V. (2006) Evaluation of Economic Viability and Benefits of Urban Water Reuse and its Contribution to Sustainable Development, Proc. IWA Water Congress, Pékin.

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