Dans le contexte armoricain, l'écoulement à la surface du sol ne représente qu'une fraction mineure des écoulements, mais constitue le vecteur privilégié des polluants liés aux particules de sol. Les pesticides se répartissent suivant deux fractions : la fraction soluble s'infiltre dans le sol et suit le parcours de l'eau ; la fraction fixée sur les particules, à la surface du sol, est susceptible d'être entraînée par ruissellement. Cette fraction est à l'origine des pics de concentration observés au cours des crues. Le ruissellement est principalement lié à l'intensification agricole dans le contexte armoricain, où les sols sont sensibles au tassement et à la battance. Les principaux facteurs naturels et anthropiques du ruissellement sont analysés dans la perspective d'une meilleure préservation de la qualité des sols et des eaux. Les zones et les périodes sensibles à une pollution par les pesticides sont discutées.
Le transfert des pesticides doit être resitué dans l’ensemble du cycle hydrologique, de façon à analyser les mécanismes impliqués dans le transfert de ces molécules. Ce raisonnement conditionne la recherche de solutions préventives. Cette démarche comporte cependant de très nombreuses inconnues : d’une part, on connaît mal les chemins et les temps de résidence de l’eau et des matières en suspension qui conditionnent les mécanismes d’épuration naturelle ; d’autre part, il existe une grande diversité de produits qui interagissent différemment avec l’eau et le sol.
Dans le massif armoricain et en contexte naturel, l’écoulement provient majoritairement de l’eau du sol ou de la nappe. De nombreux travaux basés sur le traçage de l’eau l’ont montré (Mérot et al., 1981). En effet, les sols présentent une forte infiltrabilité au regard des caractéristiques des pluies. Le ruissellement de surface est limité aux événements exceptionnels et à des situations rares.
Avec l’intensification agricole, l’infiltration de l’eau s’est fortement modifiée. Les sols limoneux de la région présentent une faible stabilité structurale et sont très sensibles à la battance, à la prise en masse et au tassement. L’infiltration reste largement dominante (Durand et JuanTorres, sous presse), mais des écoulements de surface du sol surviennent dans certaines conditions et entraînent des particules de sol. Ces écoulements de surface, ruissellement au sens strict – par opposition à l’écoulement de crue que l’on nomme également ruissellement par abus de langage – constituent le vecteur privilégié des polluants liés aux particules de sol. Ils restent souvent peu visibles. Notre région ne connaît en effet ni coulées boueuses, ni ravines de forte importance, témoins de phénomènes graves de ruissellement ou d’érosion. Il s’agit plutôt de transferts diffus, c’est-à-dire sous forme d’une lame d’eau répartie sur toute la surface du sol. Ces transferts de surface se font sur une plus ou moins longue distance, fonction des épisodes de pluie et de la géométrie du terrain.
Les pesticides suivent les différents compartiments hydrologiques :
- ° La fraction soluble, dont l’importance dépend des caractéristiques de la molécule, s’infiltre dans le sol et suit le parcours de l’eau. On retrouve cette fraction dans le débit de base et, pour partie, dans la crue.
- ° La fraction fixée à la surface du sol ou dans les premiers centimètres du sol, sur les particules de sol, est susceptible d’être entraînée, voire solubilisée au cours du transport, lorsqu’il y a ruissellement. Cette fraction est complexe à appréhender car elle subit des phases successives de dépôt et de remise en suspension dans le versant et le ruisseau. Cette fraction est à l’origine des pics de concentration très brefs que l’on observe fréquemment au cours de la crue.
- ° L’importance respective des deux fractions est fortement variable. Elle dépend, d’une année sur l’autre, de l’importance et des caractéristiques des crues par rapport à l’écoulement de base.
Des recherches, sur les mécanismes de déclenchement du ruissellement, sur la nature et l’importance des transports associés au ruissellement, ont été entreprises depuis trois ans. Elles ont pour objectif de proposer des solutions qui remédient à l’aggravation des problèmes de qualité des eaux.
Méthode
Des méthodes ont fait l’objet de mises au point dans le cadre de ce programme. Elles font appel à l’hydrologie, la physique du sol et à la chimie analytique. Ces dernières, détaillées par ailleurs (Seux, dans L’Eau, l’Industrie, les Nuisances n° 189, p. 43-47), ne seront pas reprises ici.
En hydrologie, l’accent a été mis sur la mesure des flux à des pas de temps et d’espace très fins, de façon à cerner les mécanismes qui sont à l’origine du ruissellement.
- ° Au niveau temporel, des technologies faisant appel aux sondes à ultrasons et aux stations d’acquisition de données ont permis de mesurer très précisément les intensités de pluies et les flux de ruissellement et d’infiltration, afin de repérer des seuils de déclenchement du ruissellement.
- ° Au niveau spatial, l’échelle de la parcelle agricole a été choisie. Différents types de dispositifs de recueil des eaux de surface ont été testés (Cayot, 1993 ; Gascuel-Odoux et al., sous presse ; Orhon, 1993). Ces dispositifs sont rudimentaires et donc faciles à multiplier. Ils ont servi à analyser la distribution
Tableau I
Répartition des occurrences de ruissellement (en %), en fonction de la distance à l’amont (en mètre), selon quatre classes de remplissage du container : vide, < 10 litres, > 10 litres et débordé. Valeurs moyennes calculées par niveau de pente et pour l’ensemble des averses analysées.
distance/amont (m) | 52 | 107 | 166 | 218 | 270 | 52 | 107 | 166 | 218 | 270 | moy | moy |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
vide | 47 | 39 | 36 | 40 | 69 | 34 | 51 | 29 | 30 | 44 | 46 | 38 |
< 10 litres | 23 | 17 | 23 | 25 | 6 | 27 | 16 | 32 | 28 | 16 | 19 | 24 |
> 10 litres | 8 | 9 | 10 | 12 | 15 | 16 | 24 | 14 | 9 | 7 | 11 | 14 |
débordé | 22 | 35 | 31 | 23 | 10 | 23 | 8 | 25 | 33 | 36 | 24 | 25 |
Spatiale des transferts de surface en fonction de la topographie et en fonction de la distance à une source de contamination.
En physique du sol, des caractéristiques physiques de la couche labourée ont été analysées. Les techniques utilisées font appel à la micromorphologie, à l’analyse d’image, pour étudier la structure des sols et analyser leur porosité. Elles font également appel à des mesures d’infiltrométrie à différentes succions – technique du TRIMS, Triple Ring Infiltrometer à Multiple Succion, décrite par Ankeny et al. (1991). Cette technique décrit l’infiltration dans tout le domaine proche de la saturation. Elle permet donc de connaître la gamme de la macroporosité affectée par des variations.
Résultats
Mécanismes
Le ruissellement
Une parcelle, de forme convexo-concave, de pente inférieure à 5 %, cultivée en maïs dans le sens de la pente, a été choisie (Cros-Cayot, en préparation). Dans le contexte armoricain, et vis-à-vis du ruissellement, c’est une situation moyenne du point de vue géomorphologique, mais favorable du point de vue agronomique. Quinze dispositifs recueillant des eaux de ruissellement ont été installés sur cette parcelle, suivant cinq niveaux de pente. Ces dispositifs ont été relevés pendant une année, après chaque épisode de pluie, caractérisé soit par un cumul pluviométrique supérieur à 4 mm, soit par une intensité moyenne par heure supérieure à 2,5 mm/h. On dispose ainsi d’une chronique, établie sur 38 averses, des volumes ruisselés par averse et par niveau de pente. Quatre classes de ruissellement ont été distinguées (Eleddadj et al., 1995).
Les résultats (tableau I) montrent que les valeurs ne sont pas réparties de façon très différente entre l’été et l’hiver, lorsque les divers niveaux de pente sont confondus : environ la moitié des averses analysées n’induit pas de ruissellement ; un quart conduit à un ruissellement conséquent, faisant intervenir le versant dans son ensemble. Les différences entre l’été et l’hiver portent sur la répartition des valeurs le long de la pente.
En été, un fort ruissellement est plus fréquent dans la convexité de versant qu’à l’aval. Durant cette période, les averses, souvent de forte intensité, induisent une redistribution des flux le long du versant, sans sortie vers le ruisseau dans la majeure partie des averses. Sauf lors d’un événement orageux très important, l’eau de ruissellement s’infiltre de façon privilégiée dans les concavités de bas de versant.
En hiver, à l’inverse, un fort ruissellement est plus fréquent à l’aval que dans le versant. Durant cette période, l’eau s’infiltre moins à l’aval que sur le versant, du fait de la plus forte saturation du sol en bas de versant. Le ruissellement alimente ainsi, de façon notable, le ruisseau.
Le transfert des charges solides
Deux périodes, l’été et l’hiver, et deux zones, le versant et la concavité aval, peuvent de même être distinguées. Des estimations grossières ont été réalisées en cumulant les charges solides mesurées tout au long d’une année, à partir de prélèvements sur les eaux de ruissellement décrites ci-dessus.
Les quantités de charges solides qui se déplacent au sein de la parcelle, à un niveau de pente donné, sont considérablement plus importantes que celles qui sortent effectivement de la parcelle. Les sorties ne représentent en effet que de l’ordre de 3 à 5 % des charges solides qui se déplacent à un niveau de pente donné.
Cette redistribution est surtout liée aux averses de très forte intensité de la période estivale, mais pas uniquement. On peut approximativement estimer la redistribution de versant au cours de la période hivernale à 10 % de l’ensemble de la redistribution annuelle pour l’année d’étude.
Les charges solides qui sortent de la parcelle sont, à contrario, à affecter majoritairement à la période hivernale (environ 65 % du total des sorties).
Les charges solides sont de nature très différente selon qu’elles font référence à l’une ou l’autre des deux périodes. En hiver, il s’agit de particules fines de taille argile, riches en colloïdes minéraux et en matières organiques, alors qu’en été, les transports reflètent l’ensemble des constituants du sol.
Traduits en termes de risque vis-à-vis des pesticides, ces résultats indiquent qu’en période estivale, les risques sont, dans la majeure partie des précipitations, plutôt de nature à créer des zones de concentrations des produits, en particulier dans les concavités de versant, plutôt qu’à alimenter directement le cours d’eau. Deux cas font exception : les précipitations exceptionnellement fortes, les versants sans zone d’infiltration et de dépôt avant le cours d’eau. Dans cette optique, les zones proches des ruisseaux, mais aussi la distribution spatiale de zones « tampon » dans le versant, constituées par des concavités ou des parcelles de fortes perméabilités, doivent être analysées avec attention.
À l’inverse, durant la période hivernale, les risques vis-à-vis d’une contamination directe des cours d’eau sont toujours relativement importants, à la fois dans l’espace et dans le temps. Ils sont liés aux caractéristiques des horizons de surface, notamment à leur humidité et à leurs propriétés hydrodynamiques, qui dépendent, de façon conjuguée, du déroulement du cycle cultural et de la chronique climatique, et déterminent ainsi l’infiltrabilité du sol. Ainsi, lors du passage d’engins, l’absence d’une couverture végétale accentue différemment les phénomènes de battance, de tassement ou de prise en masse de l’horizon de labour, selon leur place dans la chronique des pluies.
Les caractéristiques de la surface du sol
Des mesures de la conductivité hydraulique ont été réalisées à la surface du sol, en début et en fin de cycle cultural, sur la parcelle de maïs étudiée (figure 1).
Ces mesures conduisent à différents résultats. La conductivité hydraulique diminue fortement dans le temps, du début à la fin du cycle cultural. Cette diminution affecte toute la macroporosité du sol qui joue un rôle essentiel dans les processus d’infiltration. Cette diminution est environ deux fois plus forte sur passage de roue que sans passage de roue. Même dans ce dernier cas, la diminution est tout à fait remarquable.
Cette diminution est plus importante à l’aval que sur le versant, cela d’autant plus que l’on se situe sur un passage de roue.
Après un cycle cultural complet, le versant n’est plus homogène. Le passage des engins agricoles, au moment de la récolte, à un état hydrique du sol assez élevé, est propice à un tassement du sol. Ce tassement est d’autant plus important que le sol est humide. Les concavités en aval du versant sont donc plus tassées et sensibles au ruissellement, si elles ne sont pas reprises par un travail du sol ou une mise en culture. Les variations de la conductivité dans le temps et dans l’espace s’expliquent par d’autres considérations que celles liées aux passages des engins agricoles. D’une part, la distribution spatiale des zones d’érosion et dépôt dans le versant induit différents types de croûtes de battance selon la topographie. D’autre part, des régimes hydriques différents dans le versant conduisent, au cours des cycles d’humectation et de dessiccation, à des processus de prise en masse dans l’horizon de labour d’amplitudes différentes selon la topographie. Ces deux processus, l’un de surface uniquement, la battance, l’autre sur l’ensemble de la couche labourée, la prise en masse, doivent faire l’objet d’autres démarches expérimentales, actuellement en cours.
Application au transfert des pesticides
Des expérimentations sur le transfert des pesticides ont été menées, en relation avec la description des transferts d’eau et de charges solides et l’analyse des mécanismes associés. Ces expérimentations ont eu pour objectif de préciser les distances parcourues par quelques molécules, à la surface du sol, à partir de placettes de quelques m² traitées. Elles font suite à des résultats obtenus à l’échelle de bassins versants (Gillet et al., 1995). Elles ont été menées in situ, en conditions naturelles, sur la même parcelle que précédemment.
Une forte décroissance des concentrations dans les eaux de ruissellement en fonction de la distance à la zone traitée est observée (Orhon, 1993). Celle-ci indique qu’au cours des transferts à la surface du sol, les pesticides sont soit fixés en surface, soit entraînés dans le sol par l’infiltration de l’eau, au cours de la pluie. La part entre infiltration et ruissellement a pu être précisée, pour la période estivale et pour deux molécules, l’atrazine et le lindane (Farié, 1994). Les résultats montrent (figure 2) :
- une forte différence de comportement entre l’atrazine et le lindane. L’atrazine est en quantité nettement plus importante que le lindane, que ce soit dans les eaux de ruissellement ou dans le sol, à la surface ou en profondeur. Dans le cas du lindane, le transfert vertical est limité aux dix premiers centimètres. Ces résultats confirment que l’atrazine, molécule de plus forte solubilité, apparaît bien comme un produit beaucoup plus mobile que le lindane. Celui-ci reste fortement lié aux particules de sol et localisé en surface ;
- les concentrations dans les eaux de ruissellement dépendent très fortement de la distance à la zone traitée. Elles dépendent également de l’importance du ruissellement, qui permet une migration plus ou moins importante et sur une plus ou moins longue distance des produits ;
- les concentrations dans le sol dépendent elles aussi très fortement de la distance à la zone traitée. Ces transferts latéraux semblent dus exclusivement à des transferts de surface, tout au moins pour ce qui concerne la couche de labour concernée par les mesures. Lors des épisodes de petite importance, les molécules migrent en surface et s’infiltrent à la fois. Lors des épisodes plus importants, c’est essentiellement une migration de surface qui a lieu et qui atteint des distances notables.
La période hivernale est en cours d’étude, de même que l’importance relative des termes d’infiltration (Chasseux, 1995). Ces résultats montrent néanmoins l’importance du terme distance à la zone traitée par rapport au risque de pollution. Ils ne permettent cependant pas d’extrapolation quantitative sur l’importance des flux de pesticides en surface, soit en termes de redistribution, soit en termes de flux sortant, lorsque l’ensemble d’un versant est traité. Ces aspects devront faire l’objet d’autres travaux.
Conclusion
Ce travail montre qu’il existe un certain nombre de situations à risques. Dans l’espace, deux facteurs s’imposent : la proximité des surfaces traitées par rapport au cours d’eau est un facteur essentiel durant la période hivernale ; l’absence de zone de dépôt apparaît comme un facteur important durant la période estivale. Le temps entre la période du traitement et les épisodes de pluie apparaît comme un facteur temporel important. Ces situations doivent permettre de mieux raisonner le choix des cultures dans le versant, les interventions culturales et leur chronologie.
Pour limiter la pollution des eaux et des sols par les pesticides, et en raisonnant sur les transferts de surface, les axes de réflexion sont de deux ordres :
* un premier axe tend à limiter localement le déclenchement du ruissellement, en favorisant l’infiltration des eaux dans le sol. La structure et les constituants du sol (taux de matières organiques, stabilité structurale), facteurs permanents, en font partie. Le comportement du sol, suite aux interventions humaines, le type de recouvrement végétal en font également partie. Ces aspects sont très liés au système de culture et aux pratiques agricoles. Les décisions se prennent essentiellement au niveau de l’exploitation agricole. Il faut à cet égard sensibiliser la profession et trouver des solutions agronomiques compatibles avec les objectifs de l’exploitation pour préserver une bonne infiltrabilité des sols ;
* un autre axe tend à suppléer ou à limiter les carences de la démarche précédente. Il consiste à créer ou à ménager, entre les zones traitées et le ruisseau, des zones d’infiltration et de dépôt des particules transportées. On raisonne alors plus en termes d’aménagement du versant : soit de distribution des cultures dans le versant, soit de création de zones tampons, haies, bandes enherbées. De telles interventions sont à la fois lourdes à mettre en place et à gérer. La recherche de critères nécessitant ce niveau d’intervention serait souhaitable. Il s’agirait d’inventorier et de rechercher l’extension, d’une part des zones sensibles, telles que les zones saturées en hiver le long des cours d’eau, les zones à forte pente, d’autre part celle des zones tampons, telles que les concavités de versant. Il faut alors raisonner en termes de distance minimum par rapport à ces structures naturelles pour raisonner le positionnement des cultures jugées à risque.
Des stratégies en termes de développement et de recherche sont élaborées actuellement par l’INRA, en concertation avec celles développées dans d’autres contextes régionaux, en concertation également avec celles des chambres d’agriculture de la région, pour permettre de proposer, de tester et d’améliorer les mesures préventives actuellement préconisées.