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Le rejet liquide de la décharge d'Akrach

30 mars 1996 Paru dans le N°190 à la page 45 ( mots)
Rédigé par : Elmaati NAIFAR, Saïd KITANE, Jean-louis PINEAU et 2 autres personnes

L'agglomération de Rabat rejette 257 000 t par an de déchets urbains dont 187 000 t vont dans la décharge d'Akrach, actuellement saturée. Il s'agit d'une ancienne carrière de calcaire dans la géométrie se rapproche d'un puits, de section rectangulaire. Comme elle se situe à proximité de la partie amont de l'oued Bou Reggreg, qui longe ensuite Rabat, s'est posé le problème de son rejet liquide. Une reconnaissance a montré qu'une faible quantité du rejet s'évacue superficiellement vers l'oued. Aussi, l'étude a porté sur une modélisation de la circulation souterraine de ce dernier. Le modèle le plus probable déduit des études chimiques, mathématiques et géologiques est le passage au travers d'un réseau faillé qui l'amène à apparaître dans une vallée voisine au niveau de la résurgence d'une nappe souterraine.

L’agglomération de Rabat compte 676 000 habitants et elle rejette 257 000 tonnes par an de déchets urbains ayant subi un premier tri de proximité. Sur ces 257 000 tonnes, seulement 70 000, provenant de la commune Medina-Hassan, vont dans une unité de compostage. Les 187 000 restantes vont dans une décharge à une dizaine de kilomètres au sud-est de Rabat, dans une ancienne carrière de calcaire située non loin de l'oued Bou Regreg. La décharge a été mise en service en 1990. Elle arrive à saturation par suite du comblement de la carrière. Ces lieux sont représentés sur la carte de la figure 1.

La proximité des deux oueds, d'une part, et l'importance du Bou Regreg dont l'embouchure sépare les deux agglomérations de Rabat et de Salé, d’autre part, font qu’il est nécessaire d’étudier les risques encourus à cause de cette décharge. L'importance de cette étude et la complexité du problème ne peuvent être envisagées que par étapes successives, dont la première est de cerner dans un premier temps les paramètres majeurs. C'est cette approche qui est proposée. Elle s'appuie sur une étude d’analyses chimiques d’eaux prélevées à différents endroits. La première partie correspond à la présentation des résultats et une comparaison de certains d’entre eux avec des données issues de la littérature pour en vérifier la cohérence. La deuxième partie correspond à l'étude de ces résultats. Elle consiste à établir des niveaux de proximités. La première proximité étudiée est mathématique. Elle est de type ponctuel pour les points de prélèvements et de type corrélatif pour les éléments chimiques en relation avec les points de prélèvements. La deuxième proximité est physique avec l'utilisation de la géographie, de la géologie et de la stéréographie.

Il ressort que le modèle probable du chemin emprunté par le rejet liquide de la décharge d’Akrach est celui d'un réseau faillé. Ce rejet se retrouve dans la zone inondée de la vallée de l'oued Akrach, parallèle à celle où se trouve la décharge. Il est mélangé à une partie des eaux usées du village d’El Qahawi puis dilué par une eau souterraine venant de la retenue par le biais d'une zone mylonitisée. Le village d’El Qahawi regroupe 2 000 habitants environ vivant à proximité immédiate de la décharge qu’ils exploitent.

Étude des analyses chimiques des prélèvements d’eau

Pour mettre en évidence les facteurs à l’origine des risques encourus à cause de la décharge, une campagne de prélèvements a été effectuée à différents endroits qui ont été définis à partir d’une reconnaissance géographique du site. Les lieux de prélèvements et la description géographique du secteur sont donnés dans la deuxième carte de la figure 1, de type état-major afin que le relief soit plus apparent.

La campagne de prélèvements a été effectuée le 23 décembre 1994 après une longue période humide sans pluie pour ne pas subir soit un assèchement de surface, soit une dilution. Comme l'étude a été volontairement inscrite dans une démarche prospective, l’échantillonnage s'est limité à un prélèvement de 2 à 5 litres d'eau à faible profondeur, et l’analyse des eaux a été orientée vers une recherche de la compréhension de la circulation de ces dernières.

Bou Reggreg

retenue d'eau

[Photo : La région.]
[Photo : Le site.]

Fig. 1 : Les cartes.

De fait, les teneurs qui sont données ci-après ne sont que des indicateurs et ne peuvent être utilisées à d'autres fins tel que le contrôle de qualité.

Les résultats analytiques

Ils sont présentés dans le tableau I, en fonction du numéro de prélèvement et l'élément dosé. Le classement des métaux et des autres éléments dangereux, indésirables et autres n'est qu'indicatif. Dans une même classe, les éléments sont rangés par ordre alphabétique.

Analyse de la cohérence des résultats

La simplicité de l'échantillonnage est compensée par une analyse de la cohérence des données. Les différents points abordés sont la salinité de l'eau prélevée près de l'embouchure du Bou Reggreg, la teneur en plomb, la différence entre le rejet liquide de la décharge et les eaux usées du village d'Al Qahawi.

Analyse de la salinité de l'eau du prélèvement n° 8

Les analyses de la salinité et des ions principaux du prélèvement 8 influencé par le flux et reflux de l'océan Atlantique confirment que l'eau prélevée a bien une composition proche de l'eau de mer. La salinité est de 22 g/l en NaCl pour l'eau prélevée. Celle des mers est en moyenne de 30 g/l (Garrels, 1967).

L'analyse des ions est établie à partir de la comparaison des pourcentages des charges provenant des ions rencontrés dans l'eau prélevée et dans une eau moyenne des mers. Les résultats sont présentés dans le tableau II. Pour cette analyse sont utilisés :

  • la molalité qui est la quantité d'ion par litre d'eau, la masse dissoute par unité d'eau est divisée par la masse de l'ion,
  • le pourcentage d'ion libre établi par Garrels,
  • la charge qui correspond à la charge de l'ion, par exemple 1 pour Na+ et 2 pour Mg++.

Analyse du plomb

Pour l'eau du prélèvement n° 8 qui vient d'être étudiée, la concentration en plomb dépasse le milligramme/litre, alors qu'elle devrait être de 0,03 mg/l en moyenne pour une eau océanique (Brewer, 1975), avec un maximum de 0,2 mg/l environ pour un pH voisin de 8 d'une eau à différentes alcalinités calciques (Leroy, 1994). Cette forte valeur en plomb pour ce prélèvement comme pour le prélèvement 4 n'est pas incohérente si nous nous référons aux rejets gazeux des véhicules à essence et aux rejets liquides de certaines industries. L'exemple est l'analyse en éléments métalliques d'un oued près de Rouiba-Reghia, à l'est d'Alger (Belabed, Kestali, 1994), où la concentration en plomb est comprise entre 0,9 mg/l et 2 mg/l. Il faut noter qu'en France, d'après le CITEPA (Thibaut, Donati, 1990), 94 % du plomb de la pollution atmosphérique en milieu urbain en 1987 est dû aux seuls véhicules à essence.

Les eaux usées du village d'Al Qahawi

Le tableau I montre que globalement les eaux usées du village d'Al Qahawi ont les concentrations les plus élevées en éléments dangereux et indésirables. Il est important de savoir si cette différence est significative. En effet, elle pourrait correspondre à un prélèvement aberrant au sens statistique des eaux usées, à savoir un prélèvement n'appartenant pas à la famille de ceux donnant des résultats proches et plus faibles. Pour cette étude, une comparaison (tableau III) est faite avec des données de trois sites français, une ville de 40 000 habitants, Marseille (Lardic, 1990) et un site non précisé sur lequel a été faite une étude d'échantillonnage (Fénelon et Mazet, 1990). Les seuls métaux communs ont été le cuivre (Cu), le zinc (Zn) et le chrome (Cr). Les données sont des valeurs moyennes m. Avec Fénelon, nous avons en plus le coefficient de variation cv, qui est le rapport de l'écart-type sur la moyenne des données.

Les eaux usées d'Al Qahawi sont fortement chargées en chrome. L'écart est même significatif d'après le coefficient de variation correspondant. Par contre, elles sont moins chargées en cuivre qu'explique la distribution de l'eau potable. Les conduites intérieures aux habitations françaises sont en général en cuivre, alors qu'à Al Qahawi l'eau est fournie par des fontaines publiques reliées directement au réseau.

Tableau I

Analyses des prélèvements

lieux de prélèvement12345678910
Na113828981114121082760050400
K2,71,728602062424,328231
Ca48462208698271783254
Mg3957430135945424129212252
Cl150145280480550111450170781
SO41401444117758642470186228

éléments dangereux (µg/l)

12345678910
Ag465012136535730934048
As42634012783663711290309404
Cd1421067344009331
Cr116503234236091725
Pb23245501172635662761437168327
Sb861050364174159023446112

éléments indésirables (µg/l)

12345678910
B471840139684097502977113336
Ba8216728153533433194183396177
Cu080384101301
Ni6191046612612503512165
Zn0301480004100

éléments autres (µg/l)

12345678910
Bi1151160318169178211863699
Be08350032015900
Ce24832840484317316138628194324
Co2363014569790187732
La11302461134561748225830514178213361431
Li549774284104107422664183
Mn055802842775113517616113780
Mo4532051501801629
Nb46600177936271451948
Sn294648116147372250135156
Sr51926606342174249119011832
V137188114236149147119191129140
W9200258805019
Y61941598318611
Zr1866147025195421531

Seule la teneur en zinc est comparable. Cette similitude n'est qu'apparente parce que le coefficient de variation est supérieur à l'unité. Cela signifie qu'un paramètre interagit de façon prépondérante en créant une hétérogénéité dispersive importante. En effet, la valeur du coefficient de variation cv caractérise un état d'hétérogénéité de l'objet étudié. Plus cv tend vers 0, plus l'hétérogénéité est faible vis-à-vis du facteur étudié. Les résultats sont homogènes autour de la valeur centrale parce que le facteur étudié est prépondérant. Quand cv croît de 0 vers 0,5, l'hétérogénéité de l'objet étudié devient importante pour le facteur. C'est ainsi que pour des valeurs de cv supérieures à l'unité, l'étude du facteur doit tenir compte d'un paramètre à l'origine de l'hétérogénéité. La moyenne du zinc donné par Fénelon est en fait une composition de deux moyennes dont une est légèrement inférieure mais du même ordre de grandeur que celle d'Al Qahawi.

Par conséquent, nous ne pouvons noter que la différence supérieure significative pour le chrome puisque la différence inférieure explicable pour le cuivre et la similitude pour le zinc vont dans le sens de l'acceptation de ces données.

Le rejet liquide de la décharge d'Akrach

Une analyse comparative analogue à celle menée ci-dessus est effectuée sur le rejet liquide de la décharge d'Akrach. Les concentrations données dans le tableau IV sont des valeurs limites minimales et maximales obtenues sur des rejets liquides de décharges françaises de déchets industriels accueillant des déchets ménagers (Mertens, Richelle, Watelet et Wallast, 1995).

Excepté le plomb, pour lequel la concentration du rejet de la décharge d'Akrach est équivalente à la valeur centrale, tous les autres éléments sont caractérisés par des valeurs proches des valeurs minimales, ce qui se justifierait par l'absence a priori de déchets industriels dans la décharge d'Akrach. Cela n'est pas néanmoins déterminant parce que le type d'écoulement des rejets liquides des décharges influe sur la concentration, comme le montre la variabilité des données (Maës, 1990).

Les deux écoulements sont l'écoulement naturel et l'écoulement accéléré par un pompage des rejets collectés dans des buses. Dans le tableau V sont donnés pour différents éléments la valeur moyenne m et le coefficient de variation cv correspondant pour l'écoulement naturel et l'écoulement accéléré.

Les concentrations sont les plus fortes et la dispersion des résultats la plus faible pour l'écoulement accéléré. Cela s'applique en particulier au zinc, qui a le même coefficient de variation pour l'écoulement naturel que pour les eaux usées (tableau III). Ces résultats dépendent pour beaucoup de l'état d'équilibre dans lequel se trouvent les métaux, comme le confirme la lixiviation des déchets ménagers effectuée par Idrissi et al. (Idrissi, El Abidi, Iraqui et Naouri, 1994). Les résultats de la lixiviation correspondent à la proportion de métaux solubilisés par kilogramme d'ordures ménagères équivalent sec, soit en mg/kg. Comme les unités sont différentes, la comparaison se fait à partir du classement des résultats qui est donné dans le tableau VI.

C'est ainsi qu'il est impossible de juger de la cohérence des résultats avec cette comparaison parce que la spéciation des métaux ainsi que les paramètres qui caractérisent l'équilibre tels que le EH, le pH et la force ionique sont inconnus.

La comparaison des eaux usées d'Al Qahawi et du rejet liquide de la décharge

Les déchets ménagers de Rabat sont composés à plus de 65 % de matières organiques animales et végétales (Utom, 1993) avec une part relative prépondérante de la matière végétale. Comme les eaux usées sont caractérisées par des rejets de nature humaine donc, par extrapolation, de nature animale, il est possible de comparer le chimisme des deux solutions. Pour cette comparaison (tableau VII), nous utilisons la teneur moyenne de certains métaux contenus dans les végétaux et les animaux analysés dans une recherche sur l'échantillonnage des éléments traces dans le domaine de l'environnement (Pais, 1994). Les teneurs sont en milligramme/kg de matière sèche. La comparaison est effectuée sur la détermination d'un rapport de dilution fictive.

Tableau II

Comparaison de la répartition des charges des différents ions.

Garrels – Eau n° 8

Ions positifs

ion positif% ion libremolarité% chargemolarité% charge
Na⁺990,4879,80,3376,9
K⁺990,0101,70,0071,5
Mg²⁺870,05415,10,0920,0
Ca²⁺910,0113,40,0071,6
total100,0100,0

Ions négatifs

ion négatif% ion libremolarité% chargemolarité% charge
Cl⁻1000,5694,10,41493,9
SO₄²⁻540,0285,10,0276,1
total100,0100,0

Tableau III

Tableau comparatif des concentrations en Cu, Zn, Cr.

Cu (µg/l)Zn (µg/l)Cr (µg/l)
Al Qahawi38323148
Marseille11333449
Ville 40 000 hbts16510205
Fénelon462117232
cv0,460,421,30

Tableau IV

Tableau comparatif des rejets liquides.

(µg/l)ZnMnNiCdCoCrCuPb
val min10280160010105040
val max441003400045001706101103401050
Rejet décharge Akrach35580912163658455

Tableau V

Influence du type d’écoulement sur la concentration.

ÉlémentsÉcoulement naturelÉcoulement accéléré
m (µg/l)cvm (µg/l)cv
zinc27701110100,40
manganèse19000,8594600,50
nickel1500,815300,44

Entre la concentration réelle des éléments étudiés par Pais et apparaissant dans le tableau I et la concentration fictive calculée à partir de la concentration de ces éléments dans le rejet liquide de la décharge affectée d’un coefficient égal au rapport des teneurs de ces éléments entre végétaux et animaux.

Exception faite du bore, pour les sept autres éléments, y compris le chrome et le molybdène, le rapport avoisine la valeur de 20, alors que les données sont complètement différentes pour le vanadium, le lithium et le zinc. Cela signifie que la différence de concentration entre le rejet liquide de la décharge et les eaux usées s’explique par des différences de dilution et une différence des matières premières à l’origine des métaux. Cela permet en première approche d’accepter la cohérence des résultats en termes de signification physique.

Comme cette cohérence physique a été mise en évidence avec le prélèvement 8 près de l’embouchure du Bou Regreg et que les concentrations en métaux dangereux et indésirables de l’eau du prélèvement 3 sont nulles, exception faite de l’argent et du baryum, pour lesquels les valeurs sont néanmoins faibles, l’analyse de proximité des prélèvements à partir de l’étude des concentrations est possible.

Étude de proximité des prélèvements

L’étude par l’analyse des données de la proximité des résultats analytiques des eaux des différents prélèvements permet dans un premier temps d’établir la proximité des prélèvements, indépendamment de leur positionnement géographique réel. Elle est complétée par une étude géographique et géologique du site afin de relier la proximité des résultats analytiques des eaux des différents prélèvements à la proximité physique réelle de ces prélèvements. C’est cette étude qui nous permet de mettre en place un modèle probable de l’impact de la décharge sur son environnement.

Proximité des résultats analytiques

Pour cette étude de proximité sont utilisés les outils suivants de l’analyse de données : l’analyse en composantes principales (ACP) et la matrice de corrélation (Saporta, 1990). L’ACP décrit la proximité entre individus, les individus étant les résultats analytiques. La matrice de corrélation décrit la proximité entre variables, les variables étant les éléments analysés. Elle complète l’ACP. L’étude de proximité est appliquée d’abord à l’équilibre ionique, ensuite à la composition globale des prélèvements.

L’équilibre ionique

Comme l’équilibre ionique dépend pour l’essentiel de la proportion relative des ions majeurs se trouvant en solution, d’une part, et que les concentrations diffèrent d’un prélèvement à l’autre, d’autre part, l’étude est effectuée sur une transformation des résultats analytiques en nombres de charges de chacun des ions, calculés sur la base d’une charge de l’ion Na⁺ pour chacun des prélèvements. Le calcul du nombre des charges a été fait à partir des données du tableau I, en supposant que les éléments sont sous forme ionique libre. Le nombre de charges par prélèvement et par nature de l’ion est donné dans le tableau VIII.

L’analyse par ACP du tableau IX, exception faite du Na⁺, montre que l’espace géométrique à cinq dimensions défini par les cinq ions (K, Ca, Mg, Cl, SO₄) est projetable dans un plan dans lequel se retrouve 75 % de la dispersion ou inertie totale des dix analyses dans l’espace à cinq dimensions. Ce pourcentage étant élevé, nous admettons que la projection est suffisante pour décrire la disposition relative spatiale mathématique des prélèvements. Elle est donnée dans la figure 3 avec le sens de l’importance des charges des ions ainsi que les secteurs dans lesquels se regroupent les prélèvements.

Il y a quatre groupes de prélèvements :

– le groupe n° 1, où l’équilibre ionique est réalisé par le chlorure de sodium, défini par les points 8 et 10 ;

– le groupe n° 2, ayant un surplus du chlorure équilibré par le potassium et le magnésium, défini par les points 4, 5, 6. Il correspond à une proximité géographique ;

– le groupe n° 3, avec un surplus de sulfate compensé par du calcium, défini par les points 1, 3, 7. La proximité est liée à l’utilisation ;

– le groupe n° 4, défini par le seul point 9, caractérisé par un surplus de chlorure de magnésium et de potassium et de sulfate de calcium.

Cette étude déduite de l’équilibre ionique ne peut pas être complétée par celle des 27 éléments. Ce nombre est trop élevé pour pouvoir mener en l’état une analyse de proximité des prélèvements ; cette analyse ne serait pas significative. Il est donc nécessaire de ne retenir que les éléments qui apportent de l’information sur la disposition relative des prélèvements. Ces éléments sont ceux qui sont les plus éloignés les uns des autres par opposition à ceux qui sont plus proches.

Tableau VI

Comparaison lixiviat et rejet liquide

Éléments lixiviation rejet liquide
teneur (mg/kg) classement concentration classement
zinc 1230 1 3 6
plomb 538 2 455 3
chrome 423 3 65 4
cadmium 96,62 4 21 5
étain 36,10 5 648 2
manganèse 29,20 6 5580 1

Tableau VII

Rapport de dilution

Éléments concentration (µg/l) teneur (mg/kg)
rejet décharge eaux usées végétaux animaux rapport
bore 184 1396 50 0,5 757
cuivre 8 38 14 2,4 27
chrome 65 323 0,6 0,07 43
lithium 97 284 0,1 0,02 15
molybdène 32 51 0,9 0,2 7
nickel 91 66 3,0 0,8 19
vanadium 188 236 1,6 0,1 20
zinc 3 148 100 250 20

Tableau VIII

Nombre de charges par unité de charge de Na⁺

Na⁺ K⁺ Ca²⁺ Mg²⁺ Cl⁻ SO₄²⁻
1 1 0,01 0,49 0,65 0,86 0,59
3 1 0,01 0,65 0,09 1,15 0,84
4 1 1,88 0,28 0,63 2,02 0,22
5 1 0,11 0,09 0,71 2,95 0,34
6 1 0,12 0,09 0,71 2,95 0,34
7 1 0,03 0,37 0,55 0,09 1,44
8 1 0,02 0,03 0,32 1,24 0,15
9 1 0,04 0,74 4,60 2,21 1,78
10 1 0,00 0,16 0,25 1,27 0,27

Proches. C'est ainsi que l’étude des proximités des éléments permet à la fois de trouver les éléments associés mais aussi de définir ceux qui serviront à l’étude de proximité des prélèvements.

Analyse de proximité des éléments

L'éloignement opposé à la proximité s’analyse en termes d’indépendance, la proximité en termes de relation. C'est ainsi que le critère d’analyse commun est le coefficient de corrélation ou cc. Plus cc est proche de 1, plus les éléments sont proches ; plus cc tend vers 0, plus les éléments sont éloignés. Pour cette étude, il faut à la fois calculer le coefficient de corrélation de chaque couple d'éléments et vérifier que le graphe correspondant est décrit correctement par cc. En effet, un point éloigné peut, par exemple, faire croire à une liaison entre deux éléments en donnant cc proche de 1 par suite des regroupements des neuf autres points, alors que la suppression du point éloigné montre l'indépendance des deux éléments pour les neuf points restants.

La taille de la matrice des coefficients de corrélation étant trop importante et le report des 351 graphes correspondants inutile, nous ne présentons que les conclusions générales qui servent à cette étude, les premières sur la composition globale, les secondes sur les éléments dangereux et indésirables. La distinction entre proches et éloignés a été établie à partir de deux seuils. La classe des proches est définie par cc compris entre 1 et le seuil de 0,82 % en valeur absolue. Le coefficient de corrélation de 0,82 % correspond à une explication des deux tiers de la dispersion des résultats en termes de régression linéaire. La classe des éloignés est définie par cc compris entre 0 et 22 % en valeur absolue, 22 % correspondant à 5 % de l'explication de la dispersion, indépendamment de la valeur statistique du coefficient de corrélation.

Proximité et éloignement des éléments de la composition globale

Nous distinguons deux familles, la famille la plus importante des éléments proches et la famille de ceux non liés aux autres :

  • les proches : Ag, Cd, Pb, Sb, Ni, Bi, Ce, Co, Li, Nb, V
  • les éloignés : As, Ba, Sn, Sr

Proximité des éléments dangereux et indésirables

[Photo : Fig. 3 – ACP sur le pourcentage ionique de charges par rapport à Na⁺.]
[Photo : Fig. 4 – Proximité des éléments dangereux et indésirables.]
[Photo : Fig. 5 – ACP sur les éléments indépendants.]
[Photo : Coupe de niveau du site et géométrie de l’ancienne carrière devenue décharge d’Akrash.]
[Photo : Le cartouche simplifié.]
[Photo : L’analyse structurale simplifiée du site.]
[Photo : La coupe simplifiée.]

Établissons une carte relative des proximités des éléments dangereux et indésirables, à partir des coefficients de corrélations propres à chaque couple d’éléments. La figure 4 décrit ces proximités et il ressort que :

les éléments dangereux et indésirables se regroupent en deux familles ayant des éléments communs, l’argent, le nickel, et le plomb. L'analyse des proximités des éléments a la valeur d’un constat puisqu’il faudrait, pour les expliquer, connaître la spéciation de ces éléments et l'équilibre des solutions.

Analyse de proximité des prélèvements

Nous reportons directement les proximités décrites par l’ACP dans les deux figures 5 et 6 suivantes. La figure 5 décrit la proximité en fonction des seuls éléments éloignés, arsenic, le baryum, l’étain et le strontium ; la figure 6 est celle des éléments dangereux et indésirables, arsenic, chrome, bore et baryum. La part explicative de la dispersion des points est de 77 % pour la figure 5 et de 74 % pour la figure 6.

Proximité des prélèvements en fonction des éléments de la composition globale

La figure 5, qui correspond aux termes constitutifs indépendants de tout autre élément, montre trois pôles. Le premier correspond aux eaux usées d’Al Qahawi (n° 4), caractérisées par une forte concentration en arsenic et étain. Le deuxième est celui du rejet liquide de la décharge (n° 2) marqué par des fortes concentrations en baryum et étain. Le troisième pôle est celui de l'eau de l’embouchure du Bou Regreg (n° 8), avec l'absence d’arsenic et d’étain mais une forte concentration en strontium. Les autres prélèvements se regroupent préférentiellement suivant l’axe n° 4/n° 8, montrant une orientation de la pollution arsénieuse, le plus influencé étant le groupe 1 et 10, puis le groupe 5, 6 et 9, enfin le moins marqué étant le groupe 3 et 7. L'influence du 2, qui est celui du rejet de la décharge, est secondaire. Elle affecte partiellement le groupe 5, 6 et 9.

Comme le 10 se différencie géographiquement du 1 par la séparation du lit de l’oued Akrach d’une part et que le 9 n'est pas dans la même vallée que le 5 et 6 d’autre part, cela signifie que d'autres facteurs interviennent. Le bore et le chrome sont les deux éléments dangereux les plus éloignés l'un de l'autre. Ils vont servir, avec l’arsenic et le baryum, à l’étude de proximité des prélèvements.

Proximité des prélèvements en fonction des éléments dangereux

La figure 6, qui est celle des éléments dangereux et indésirables, diffère de la figure 5 par la disposition des pôles et l'apparition d'un quatrième correspondant au groupe 3 et 7 des eaux non polluées. Le groupe 1 et 10 est toujours présent alors que le groupe 5, 6 et 9 s’est dissocié pour donner le groupe 5 et 6 et le groupe de l'élément unique 9. L’axe majeur est celui défini par le groupe 3 et 7 des eaux non polluées et le 4, qui est celui des eaux usées d’Al Qahawi, avec un accroissement des concentrations des métaux dangereux du 3,7 vers le 4. Le 8, qui est celui de l’embouchure du Bou Regreg, se situe d'un côté de cet axe marqué par le bore. Le rejet de la décharge défini par le 2 est grossièrement symétrique. Il est marqué par le baryum. C’est le 9 qui apparaît influencé par le 2. Les deux groupes, celui 1 et 10 d'une part et celui 5 et 6 d'autre part, subissent préférentiellement l’influence du 4.

Autant la proximité répétée du 5 et 6 s'explique facilement par leur proximité géographique, autant celle du 1 et 10 est plus délicate. Aussi est-il utile de compléter cette information par la description géographique et géologique du site.

Proximité géographique et géologique

Ce relief de plateaux étant fortement entaillé, la géographie du site est aussi importante que la géologie.

Proximité géographique

La coupe est-ouest partant du plateau rabati pour aller à la retenue d'eau (figure 7), déduite de la carte de Tamara (Cartographie du Maroc, 1984) montre une topographie tourmentée. Dans cette coupe, sont figurés

Tableau IX

Types de roches reliés aux étages géologiques.

Marnes sableuses à calcaires argileux Tertiaire Pliocène Formation de Tamara
Passées grééseuses supérieur Base du primaire supérieur Dévonien supérieur Formation de l’Oued Korifla
Pélites (mélange induré de grains de quartz microniques et d’argile) Supérieur Inférieur Formation de l’Oued Akrach
Avec des roches calcaires Primaire inférieur Ordovicien
Schiste et granite Cambrien Bloc de Sehoul

Le niveau 0 de l’océan Atlantique, celui de l’eau retenue par le barrage du Bou Regreg et la profondeur estimée de l’ancienne carrière, qui est actuellement la décharge d’Akrach. Avec cette coupe nous donnons un aperçu de la géométrie de l’ancienne carrière. La description de la carrière a été possible grâce à l’étude stéréoscopique des photographies aériennes de 1987. L’année 1987 correspond à la fin proche de l’exploitation. Il ressort que :

• les eaux usées étant des eaux de surface s’évacuent logiquement et préférentiellement vers le Bou Regreg ;

• le n° 9 a une position particulière. Son altitude est proche du niveau 0 qui est celui de l’Atlantique très proche. L’océan se situe à 7 km au maximum, non compris la proximité du Bou Regreg. Le n° 9 est à –53 m environ du niveau de l’immense retenue d’eau qui est à 3 km environ ;

• les numéros 5 et 6 sont au niveau de l’Atlantique au mètre près. Ils devraient subir normalement le flux et reflux de l’océan, si le barrage-pont au confluent de l’oued Akrach dans le Bou Regreg ne constituait pas un obstacle.

Proximité géologique

La proximité géologique s’analyse en termes de nature de terrain avec la pétrographie et de géologie structurale avec la disposition des terrains et leur faillage, résultat des grands faits géologiques. Le résumé est donné par la carte géologique du Maroc (Fetah, Bensaid et Dahmani, 1989).

La pétrographie :

Il y a cinq grands types de roche reliés aux étages géologiques, du plus récent au plus ancien (tableau IX).

Le premier schéma de la figure 8 représente le cartouche géologique et le deuxième schéma de la même figure, la coupe géologique simplifiée.

Le premier schéma montre aussi une zone fortement faillée ou mylonitisée s’étendant de l’oued Akrach à la grande retenue d’eau à l’est. Cette zone se trouvant dans le dévonien supérieur pélito-gréseux définit un couloir perméable, qui explique, avec la coupe géologique, la venue d’eau dans le secteur de l’oued Akrach décrit par le prélèvement n° 9. Juste en amont, le lit de l’oued Akrach est à sec, alors que la zone est inondée.

Le deuxième schéma résume la coupe géologique dans laquelle ressort le horst de la formation d’Akrach résultant d’une tectonique cassante. Dans une telle tectonique, les failles jouent le rôle majeur dans des terrains indurés.

À ce système de plissement et de faillage d’axe NW/SE se surimpose une famille de failles perpendiculaires anté-pliocènes, dont l’une relie l’oued Akrach et le village d’Al Qahawi. Cette faille est très importante car elle décrit un système de plus grande perméabilité dans la formation de l’Oued Akrach au niveau de la décharge et du village d’Al Qahawi. En effet, la formation de l’Oued Akrach est peu perméable, en raison de la nature des roches telles que les pélites et du système de plissement orienté NW/SE.

Conclusion

Modèle probable de l’impact du rejet liquide de la décharge d’Akrach

L’impact du rejet liquide de la décharge d’Akrach se situe essentiellement dans la vallée de l’oued Akrach, plus particulièrement dans la zone faillée du dévonien supérieur correspondant au prélèvement n° 9. Le rejet liquide emprunte un réseau de failles SW/NE suivant deux chemins. Le premier se termine par l’exutoire correspondant au prélèvement n° 10. Une étude de reconstitution du chimisme de l’eau de ce prélèvement à partir de l’analyse globale montre qu’il est constitué par 50 % d’une eau non polluée comme celle du n° 3, par 35 % du rejet liquide de la décharge et 15 % d’eaux usées d’Al Qahawi. L’eau du n° 10 se retrouve dans la zone inondée du n° 9, dont le chimisme se rapproche encore plus du rejet liquide de la décharge d’après la proximité mathématique caractérisée en particulier par plus de baryum et moins d’arsenic. Cela signifie que le rejet liquide de la décharge, en particulier celui du premier quartier d’exploitation de la carrière, le plus important en volume, dont le fond se situe à –30 m et qui est plus à l’est, emprunte un deuxième chemin pour arriver au n° 9. L’eau est diluée par la venue de l’eau de la retenue par le chemin mylonitisé, ce qui explique en plus la part relative de sulfate de l’étude de l’équilibre ionique, le magnésium et le potassium étant liés au n° 4.

Les teneurs élevées des n° 5, 6 et 8 correspondant à différents endroits de l’oued Bou Regreg sont liées à des rejets similaires au n° 4 et à ce rejet des eaux usées. Les eaux des prélèvements 3 et 7 correspondent à l’eau de la retenue, le n° 3 l’eau brute circulant par infiltration et le n° 7 l’eau rejetée par l’unité de traitement qui doit utiliser du sulfate d’alumine.

Le n° 1 décrit une situation similaire au n° 10, à la différence près qu’il collecte une dominante d’eaux usées venant du plateau rabati.

La mise en place de ce modèle est la première étape de l’étude d’impact du rejet liquide de la décharge d’Akrach. Elle se poursuit par une étude sur l’échantillonnage des rejets et sur la spéciation des éléments.

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