un auxiliaire de sécurité pour l’affinage de l’eau potable
par : G. GAILLARD, Directeur Technique Vannes LEFEBVRE
et : G. DESBOS, Chef de la Section Traitement - Cie européenne de Traitement des Eaux (C.T.E.)
Dans un numéro récent de la présente revue, deux spécialistes décrivaient le processus d'affinage de l'eau potable adopté dans une usine de la région rouennaise.
En introduction de leur exposé, ils mettaient l'accent sur la dégradation de la qualité des eaux exhaurées, dégradation qui est allée en s'accélérant depuis 1967, par suite d'une surexploitation, par les industries voisines, de la nappe du champ captant (1).
Par ailleurs, dans une communication au XIᵉ Congrès de l'Association Internationale des Distributions d'Eau, à Amsterdam, un éminent conférencier soulignait que près de 20 millions d'Européens étaient alimentés en eau potable par des usines faisant largement appel aux eaux du Rhin, reconnu comme le fleuve le plus pollué d'Europe…
PERFECTIONNEMENT DES ORGANES DE RÉGULATION
Cette dégradation des eaux « brutes » entraîne des conceptions de filières de traitement toujours plus complexes dans le même temps que les usines productrices d'eau potable tendent à pousser de plus en plus l'automatisation de tous les postes de leurs chaînes de traitement.
Tout cela implique que les appareillages et ouvrages hydrauliques d'une usine déterminée fonctionnent selon des critères rigoureux, serrant au plus près les lois qui régissent chacune des opérations de son « traitement de l'eau ».
Pour ce faire, les ensembles de régulation ont dû être souvent améliorés, voire repensés, de manière à assurer une adaptation régulière et continue du débit d'eau réel à traiter, aux ouvrages dans lesquels cette eau transite pour y subir chacune des phases de son épuration.
Une de ces phases, d’ailleurs essentielle au bon traitement de l'eau, est la filtration ; de la réussite de cette opération physique finale dépendra l'aspect de l'eau : limpidité, coloration, c'est-à-dire une preuve de ses qualités organoleptiques ainsi que de l'efficacité de sa stérilisation.
(1) « L'EAU ET L'INDUSTRIE », n° 9, septembre 1978, page 21 : « Affinage de l'eau potable à l'usine de La Chapelle, à Saint-Étienne-du-Rouvray », par D. VERSANNE et Ph. REINMANN.
RÉGULATION DE LA FILTRATION
Les techniques de filtration rapide actuelles, utilisées parfois seules, et le plus souvent en aval d'un décanteur, mettent en œuvre des filtres à colmatage « en profondeur » composés d'une épaisse couche de matériau granuleux (sable en général).
Ce type de filtre a fait ses preuves grâce à ses grandes possibilités de rétention de particules et à sa facilité de régénération ; il offre de plus la possibilité d'extraire de l'eau des particules en suspension, de dimension plus faible que les passages des cellules formées par l'empilage des grains composant la masse filtrante (effet de surface).
Un tel phénomène, très intéressant, ne s'observe toutefois en permanence que si la vitesse de percolation au travers de la masse filtrante ne subit pas de variations brutales ni très peu de variations lentes.
Il est donc essentiel de disposer à ce poste d'un organe régulateur fiable, capable d'assurer un contrôle et une constance de la vitesse instantanée de filtration.
Un tel régulateur existe désormais, dont la mise au point a pu être réalisée en répondant au souci d'obtenir de hautes performances tout en conservant la plus grande simplicité de conception de l'appareil et des réglages qu'il nécessite.
Ce régulateur, le « VARIBAR », est le produit d'une collaboration des techniciens de la C.T.E. avec ceux des VANNES LEFEBVRE ; il a été breveté sous le n° 73.04.965, et est déjà exploité et commercialisé dans plusieurs pays par la Société des VANNES LEFEBVRE sous sa marque déposée. Son champ d'application peut d'ailleurs être étendu au-delà du traitement de l'eau potable, par exemple à des problèmes de réglage de niveau pour des bassins quelconques.
DÉFINITION DU SYSTÈME DE RÉGULATION
Capable de compenser des perturbations lentes, étalées dans le temps (particulièrement en compensation de colmatage de filtre) et en même temps de corriger rapidement un « débit sortant » en fonction d'une variation brusque d'un « débit entrant », le « REGLEF » entre dans la catégorie des régulateurs à réglage continu par action proportionnelle et dérivée.
• Réglage continu : par opposition au réglage discontinu où l'organe principal de réglage passe directement de la position fermée à sa position d'ouverture maximum (battement « tout ou rien »).
• Action proportionnelle : une variation d'un débit entrant provoque l'action du régulateur de manière telle que le débit sortant équilibre le nouveau débit entrant, tout en maintenant un niveau d'eau en charge sur l'organe principal de réglage quasi constant (linéarité entre grandeur réglée et grandeur de réglage).
• Action dérivée : une pression antagoniste s'oppose au mouvement de l'organe principal de réglage d'autant plus fortement que la perturbation est importante, cette contre-pression s'établit aussi d’autant plus vite que la perturbation est plus rapide (réglage automatique du taux de réaction).
Il se compose essentiellement d'une vanne papillon LEFEBVRE — organe principal — actionnée par un vérin pivotant double effet à grande course (fig. 2).
Le piston du vérin est commandé par un fluide moteur dont les valeurs de pression sont modulées par deux organes de réglage simples, solidaires chacun d'un organe de détection (en fait : robinets-flotteurs spéciaux à caractéristiques exponentielles).
Un coffret standard, renfermant l'appareillage de contrôle et de réglage du fluide moteur, permet le raccordement direct entre les différents organes (fig. 3).
Le principe de fonctionnement consiste en l'asservissement d'une vanne papillon LEFEBVRE à un niveau de plan d'eau libre en charge sur celle-ci. Une hauteur de lame d'eau, détectée immédiatement en aval de la vanne papillon, a valeur de consigne, et est appliquée sous forme d'une contre-pression au vérin commandant la vanne papillon.
A noter que la consigne peut se décaler automatiquement d'une valeur relativement importante sans que l'effet de contre-réaction au niveau du vérin soit supprimé.
FONCTIONNEMENT DU « REGLEF »
1. A l'arrêt :
Aucun débit n’alimente les filtres (fig. 4), leur niveau d'eau (1a) est bas, les sorties modulées (2) du fluide moteur de commande des vérins sont ouvertes en grand : la pression dans les chambres (A) est minimum, dans les chambres (B) règne une pression (définie par la fuite freinée par un diaphragme) suffisante pour avoir entraîné le déplacement maximum des pistons et donc la fermeture complète des vannes papillons (4) de réglage ; aucun débit ne passe par les orifices de sortie (5).
2. Au démarrage :
Dès que l'on alimente les filtres (fig. 5), leur niveau, détecté (1b) entraîne le freinage du débit du fluide de commande des vérins ; la pression dans les chambres (A) augmente puis dépasse la valeur de la pression dans les chambres (B) où ne règne encore que la pression correspondant au débit traversant les diaphragmes.
Les pistons des vérins se déplacent (flèche sur croquis) entraînant l'ouverture progressive des vannes papillons ; un débit traverse les capacités de transit (6).
3. En fonctionnement :
Le niveau d'eau augmente (fig. 6) sur le déversoir de sortie de la capacité de transit, et pour une hauteur d'eau prédéterminée les organes de détection-réglage (3) réduisant les débits des fuites diaphragmées, augmentent la valeur de la pression dans les chambres (B) des vérins : la vitesse de déplacement des pistons se trouve alors ralentie, puis leur course arrêtée ; les vannes-papillons qui se sont ouvertes lentement ne dépassent pratiquement pas une position correspondant au débit entrant dans les filtres. La constance de ce même débit assure une hauteur de lame d'eau constante sur les déversoirs de sortie des capacités de transit.
A l'inverse, une augmentation du débit entrant dans les filtres tend à faire monter le niveau sur chacun d'eux, d’où augmentation de la pression dans les chambres (A) des vérins, déplacement des pistons, et ouverture des vannes-papillons ; le débit d'eau filtrée supplémentaire se traduit par une hauteur de lame plus importante sur le déversoir de sortie, d'où réduction de la fuite diaphragmée, augmentation des pressions dans les chambres (B), nouveau freinage, puis arrêt des pistons pour un nouvel état d’équilibre : de part et d'autre des pistons les valeurs de chacune des pressions sont alors plus fortes qu'avant augmentation du débit alimentant les filtres, mais leur écart est identique.
Le fonctionnement des régulateurs à vérin, tel que décrit ci-dessus, assure aussi l'équirépartition automatique des débits entrant dans les filtres pour autant que les plans d'eau sur chacune des capacités de transit (6) soient calés sur un même plan horizontal, ce qui est toujours réalisable aisément.
Donc, lorsque le débit général Q alimentant n filtres est constant, les débits partiels q1 + q2 + ... + qn = Q sont égaux entre eux tout comme lorsque le débit Q est variable de ± X,
x x x ou q1 + — = q2 + — = qn + — n n n x x x et q1 – — = q2 – — = qn – —. n n n
POSSIBILITÉS DU RÉGULATEUR « REGLEF »
Une version « simple détection » mettant en œuvre uniquement la « détection aval », permet de maintenir constant un débit en contrôlant une lame ou une charge d'eau sur un ajutage (charge d'eau limite : 1 bar).
Dans sa version normale « double détection », il permet en assurant le maintien d'un niveau amont quasi fixe, un débit aval (sortant) constant lorsque le débit amont (entrant) est lui-même constant, et un débit aval proportionnel au débit amont même lorsque ce dernier varie dans une large mesure.
En régulation de filtres, cette dernière possibilité évite la régulation du débit global d'exhaure assuré par un appareil de dimension obligatoirement importante.
Toujours en « double détection », et en régulation de filtres (fig. 7), plusieurs ENSEMBLES REGLEF assurent l'équirépar-
d'un débit d'eau (brute ou décantée) constant ou variable sur plusieurs filtres, sans nécessiter la création à leurs entrées de pertes de charge toujours nuisibles du fait de la mise en vitesse en ce point (bris de flocs ayant échappé à la décantation).
Dans sa fonction régulation de filtres, avec compensation du colmatage, le REGLEF, par son action intégrale et sa faible constante de temps (due entre autres à l'utilisation d'un fluide de liaison non compressible), assure à la filtration une qualité incomparable : absence de « pompage » et donc constance de la vitesse instantanée de filtration, condition indispensable pour éviter le « décrochage » des particules extrêmement fines arrêtées dans une masse filtrante (oxydes de manganèse par exemple).
Outre cette qualité de la régulation, primordiale, les autres avantages du REGLEF sont de plusieurs ordres :
— simplicité de fonctionnement : essentiellement liée au fait que les organes de détection et de réglage des pressions de commande sont mécaniquement solidaires, et qu'un même fluide sans transformation ni amplification ou « mise en forme » assure aussi bien la transmission des ordres (depuis la détection) que la force motrice actionnant l’organe principal (vérin et vanne de réglage) ;
— fiabilité, obtenue grâce à un choix de matériel classique et éprouvé et à la relative simplicité des équipements ne comportant quasiment pas d’organes intermédiaires susceptibles de dérèglements ou de pannes : le choix de l'eau comme fluide moteur et de liaison contribue aussi à la fiabilité du REGLEF en évitant les ennuis de « broutage » existant à l'intérieur des vérins avec l'utilisation d'air comprimé (conditionné ou non), et les obturations répétées des orifices de très faible diamètre (quelques centièmes de millimètre) accompagnant les systèmes de détection classique (buses-palettes) utilisés avec l'air comprimé.(L'on sait aussi que la constante de temps est toujours plus grande avec l'utilisation de l'air comprimé à la pression « normalisée » de 7 à 8 bars — 100 psi — ce défaut devenant très gênant dès que les longueurs des canalisations dépassent quelques mètres.)
— faible encombrement, très avantageux dans les gros débits par rapport à de nombreux autres types de régulateurs ;
— étanchéité d'arrêt, n’obligeant pas à le doubler en amont d'une vanne automatique du même diamètre que celle équipant le régulateur lui-même ;
— universalité d'emploi, le REGLEF couvre en effet toute la gamme des filtres, et peut également être utilisé chaque fois que se pose un problème de régulation basé sur le contrôle d'un plan d'eau libre.
QUELQUES RÉFÉRENCES D'USINES D'EAU POTABLE
— Istanbul (Turquie) : 15 000 m³/h
— Le Larzac (12) : 150 m³/h
— Tulle (19) : 750 m³/h
— Orléans (45) : 3 150 m³/h *
— Jussey (70) : 50 m³/h
— Quimperlé (29) : 250 m³/h
— Durtal (49) : 100 m³/h
— Austreberthe (76) : 400 m³/h
— Saint-Didier-en-Velay (43) : 100 m³/h *
— Montfaucon (43) : 30 m³/h
— Pierrepont (54) : 100 m³/h
— Gérardmer (88) : 300 m³/h
— La Giscle (83) : 700 m³/h
* Première tranche.
CONCLUSION
Mis au point et breveté dans le courant de l'année 1975, le système de régulation « REGLEF » constitue un auxiliaire de sécurité tout à fait fiable pour le bon fonctionnement, au stade final des filières de production d'eau potable, de l'opération de filtration sur des filtres rapides à colmatage « en profondeur ». L'efficacité de ces filtres est directement tributaire des vitesses de percolation au travers de la masse filtrante, et le régulateur « REGLEF » apporte dorénavant un contrôle et une constance de la vitesse instantanée de filtration qui sont des exigences pour la bonne réussite de l'opération.
G. GAILLARD – G. DESBOS.
SÉCHERESSE-76 :
La Lyonnaise des Eaux tire des conclusions...
Les responsables à l'échelon national des Exploitations de la Société Lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage ont réuni la presse pour faire part des conclusions qu'ils dégagent, en qualité de distributeurs d'eau, de la sécheresse de l'année 76, une « Sécheresse du Siècle ». Leur point de vue, que nous proposons ci-après à nos lecteurs, complète celui déjà exprimé dans cette revue, pour ce qui concernait le problème de la qualité des eaux de Seine (1).
Il serait fastidieux de faire le tour de France des installations de la S.L.E.E. pour passer en revue les points où la sécheresse a créé des problèmes. Nous nous contenterons donc de survoler la France pour nous appesantir un peu plus longtemps sur la région parisienne.
Sur le plan « Sécheresse 76 », et comme on le sait déjà, il n'y a rien à dire de toute la moitié méridionale de la France où les précipitations furent, cette année, plus abondantes que d'habitude et si la Ville de Nîmes a connu des manques d'eau, ce n'est pas du fait de la sécheresse, mais des inondations !
Au nord de la Loire, le problème fut tout autre puisque le déficit de pluviométrie a atteint un maximum qui, suivant les régions, peut être considéré comme n'arrivant qu'une fois par siècle ou une fois tous les trente ans. Là encore les situations furent très différentes suivant les origines de l'eau utilisée pour alimenter la population.
Partout où les besoins sont satisfaits par des prélèvements effectués dans des nappes dont le cycle est pluriannuel, c'est-à-dire qui bénéficient d'une grande inertie parce qu'elles emmagasinent de grandes quantités d'eau, il n'y eut aucun problème : ce fut le cas de tout le nord de la France. Cette région avait pourtant dans le passé souffert d'une sécheresse que nos contemporains ont peu remarquée, habitués qu'ils sont à souhaiter du soleil en été. Au cours des années 69-70-71, il n'y eut pas de soleil en été et ces années passèrent pour pluvieuses. Pourtant les mois d'hiver furent particulièrement secs, ce qui entraîna un déficit très sensible de l'alimentation des nappes profondes et cette sécheresse, passée inaperçue, alla jusqu'à compromettre l'alimentation en eau de l'agglomération de Dunkerque.
(1) Voir « L'EAU ET L'INDUSTRIE » n° 8 : juin-juillet 1976, p. 69, l'article « Pollution organoleptique de la Seine, le point de vue de la Lyonnaise des Eaux (en juin 1976). »
Au début de l'année 1976, quand apparut le déficit des pluies, les nappes de la craie ou du calcaire carbonifère du Nord de la France avaient été particulièrement gonflées par l'hiver 74-75 qui fut fort pluvieux et par l'automne 75 qui ne le fut pas moins. Il n'y eut donc aucun problème pour faire face aux besoins de l'été sauf évidemment dans les collectivités où les équipements étaient trop justes, mais il y avait là problème d'installations et non pas de ressources.
À l'extrémité ouest de la France, en Bretagne en particulier, la situation était fort différente. Il n'y a pas, en effet, de nappes souterraines de grande capacité. Il est sans doute exact que l'on peut trouver de l'eau dans le granit ainsi qu'il a été dit cet été, mais les débits que l'on peut escompter sont faibles car le granit n'est pas suffisamment fissuré pour emmagasiner de grandes quantités d'eau. L'alimentation des collectivités bretonnes repose donc soit sur des petites nappes alluviales de faible surface et de faible épaisseur, soit sur des petits fleuves, dont le débit minimum n'était pas toujours très bien connu, ce qui n'est guère étonnant puisque, comme nous le verrons plus loin, l'été 1976 a mis en évidence que l'on avait du mal à mesurer les débits de la Seine lorsqu'ils deviennent trop faibles.
Le bonheur a fait que les collectivités alimentées par la Lyonnaise des Eaux n'eurent pas à connaître de manque d'eau du robinet, sauf peut-être occasionnellement le tout petit village de Saint-Jean-de-Mayenne.
La leçon que l'on peut tirer dans les départements de l'Ouest de l'été 76 est qu'il convient de multiplier les barrages-réservoirs et de réaliser des interconnexions de réseaux sur le modèle de celles qui ont été faites dans les Côtes-du-Nord, à l'Arguenon, ou dans le Finistère, au Syndicat du Bas-Léon : l'eau est vendue en gros à une multiplicité de collectivités qui la revendent au détail et cela leur procure ainsi un surcroît de ressources en eau qui vient s'ajouter aux puits de chacune d'entre elles.
La différence avec les ouvrages réalisés pour le compte de l'agglomération parisienne sur la Seine et la Marne est que dans ce dernier cas, l'eau arrive depuis le réservoir jusqu'aux utilisateurs en empruntant la rivière, alors qu'au Bas-Léon, elle part de l'usine de traitement jusqu'aux compteurs des collectivités, dans un système de canalisations.
QUE S'EST-IL PASSÉ DANS LA RÉGION PARISIENNE ?
La sécheresse a eu des conséquences dans le domaine de la quantité mais aussi et peut-être même surtout dans le domaine de la qualité.
a) Dans le domaine de la quantité, les débits de la Seine tombèrent à des niveaux qui parurent étonnamment faibles aux hydrologues, puisqu'on mesura un jour du mois de juin, à peine 7 m³/s à l'écluse de Suresnes. Il est vrai que ce même jour, on trouvait tout de même 20 m³/s à l'entrée de Paris, ce qui amène à mettre en doute la précision des mesures à bas débit.
Malgré ces inquiétudes, la Seine ne s'est pas arrêtée de couler et a apporté suffisamment d'eau aux distributeurs d'eau potable pour que l'alimentation des Parisiens ne soit jamais menacée. Il faut toutefois souligner que, sans les barrages-
réservoirs de Seine et de Marne, la situation eut été catastrophique. Un planning de lâchures des barrages fut établi, fruit de la concertation de tous les intéressés : Service des barrages-réservoirs, Distributeurs d'eau, Service de la Navigation, E.D.F., etc. Remis à jour au mois d'août, il prévoyait d’étaler les lâchures jusqu'au début du mois de décembre. En effet, un automne sec, comme il s’en est déjà vu, pouvait faire craindre que le débit de la Seine n’aille decrescendo jusqu'à cette date. Heureusement la pluie revint dès le mois de septembre et le rythme des lâchures put être augmenté.
En résumé, ni les habitants de la Ville de Paris, du Syndicat des Communes de la Banlieue, ni les collectivités alimentées par notre Société n'eurent à connaître de restriction de consommation. Malgré des besoins qui dépassèrent largement tous ceux qui avaient été enregistrés antérieurement, les installations ont fait face et l'on peut se féliciter de la façon dont elles ont été conçues. En effet, les besoins dont on disait qu'ils connaissaient un certain tassement firent, au cours de l’été, un véritable bond en avant : dans la banlieue Sud, le jour de pointe qui se situa le 29 juin dépassa de 28 % la pointe 75 déjà considérée comme élevée et les ventes d'eau dépasseront à la fin de l'année d’environ 13 % les chiffres de l'année précédente ; dans la banlieue Ouest, le jour de pointe témoignait d'une augmentation de 22 % et les ventes de l'année 1976 auront crû de 10 % par rapport à 1975.
C'est le métier des distributeurs d'eau que de ne jamais s'arrêter d'étudier le développement des ventes. Depuis quelque trois-quatre ans, tous avaient simultanément cru constater un tassement qui les amenait à enregistrer chaque année des consommations inférieures à celles qui étaient prévues. Sur le graphique des consommations prévues, le jour de pointe 76 sera enregistré par un point estimé largement au-dessus de la courbe, ce qui remet en question les hypothèses retenues il y a quelques années quant aux progressions des ventes.
b) Dans le domaine de la qualité, de nombreux problèmes ont surgi.
Tout d'abord, bien sûr, les faibles débits des rivières diminuaient la dilution des flux polluants rejetés tant par l'industrie que par les collectivités. Cela entraînait pour les traiteurs d'eau un certain nombre de difficultés. Dans bien des usines, les taux de réactifs ont atteint les niveaux maxima prévus par les installations.
Ce n'est pas étonnant si l'on songe qu'à Croissy, l'on traite l'eau en y ajoutant en moyenne 60 g/m³ de sulfate d'aluminium et qu'il fallut aller cet été jusqu'à 240 g. Mais il s'agissait là d'une accentuation de phénomènes connus et auxquels on a l'habitude de faire face. Par contre, deux faits nouveaux apparurent qui, eux, étaient inhabituels.
Les températures de l'eau atteignirent des sommets puisque la Seine dépassa 30 °C à différentes reprises. Les experts ne sont pas d’accord sur les conséquences de ce que l'on a appelé la pollution thermique : l'élévation de température a en effet certains effets bénéfiques – l'eau est moins visqueuse, donc plus facile à décanter – et d'autre part certains effets, au contraire, désagréables : le pouvoir d'auto-épuration des fleuves est réduit et, partant, l'azote dans les rivières est moins nitrifié. Le problème devint suffisamment aigu pour qu'apparaisse une incompatibilité entre la marche à plein régime de la centrale de Vitry et la marche à plein régime de l'usine de filtration lente de la Ville de Paris à Ivry. En fait, un compromis fut trouvé qui consista à freiner les deux usines. Lorsque la consommation d'E.D.F. crût après le retour des vacanciers, il fut même envisagé d'arrêter complètement la station d'Ivry pour permettre à l'usine de Vitry de tourner à plein régime et éviter d’être obligé d'acheter à prix fort des kWh à l'étranger. Les premières pluies firent disparaître le problème.
Une autre pollution devint vite la « bête noire » des traiteurs d'eau. De façon paradoxale, il ne s'agit pas d'une pollution découlant d'une quelconque activité humaine mais bel et bien d'une pollution parfaitement naturelle. L'élévation de température entraîna dans la Seine des développements d’algues considérables, à tel point qu'une fausse alerte « à la peinture verte » fut déclenchée au mois de juillet. Il s'agissait en réalité d’un développement d’algues vertes. Parallèlement, un champignon microscopique se développa qui communiqua à l'eau un goût qui, il faut bien le reconnaître, échappait au traitement et arrivait jusqu'au robinet de l'usager, rendant l’eau désagréable à boire.
Les actinomycètes se développent principalement dans les vases mais peuvent se trouver dans l'eau, généralement accrochés aux matières en suspension et aux débris de toutes sortes ; ils sécrètent des corps indésirables : la géosmine, le méthylisobornéol, qui, à des proportions infimes, donnent des saveurs désagréables. L'on estime que les papilles du consommateur perçoivent le goût dès que la teneur atteint quelque 3-4 nanogrammes/litre. Les traitements conventionnels sont absolument inefficaces contre ces goûts et les traiteurs d'eau français qui se vantent de fournir une eau irréprochable furent pour la plupart pris au dépourvu par une pollution que l’on rencontre assez classiquement dans les pays tropicaux mais qui n'avait touché la Seine, dans le passé, que quelques rares fois et encore quelques jours dans l'année. Ceux qui avaient généralisé la filtration sur lit de charbon actif en grains, procédé mis au point pour améliorer le goût de l'eau, purent constater l'efficacité du procédé sur ces goûts inhabituels.
(Communiqué par la Société Lyonnaise des Eaux et de l'Éclairage, novembre 1976.)