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Le recyclage en agriculture des composts urbains : avantages et contraintes

30 janvier 1990 Paru dans le N°133 à la page 49 ( mots)
Rédigé par : Régis-de LAUZANNE et Christian JUSTE

L’activité urbaine a conduit de tout temps à la production de déchets, dont la caractéristique essentielle est de contenir une certaine quantité de matière organique. Ces déchets ont pour origine la partie non utilisée des produits destinés à la consommation (ordures ménagères) ainsi que les déjections ou, plus généralement, les produits du traitement de ces dernières (boues de station d’épuration).

Il existe plusieurs filières de traitement des déchets, l’objectif fixé étant la réduction du flux produit, avec le souci permanent de respecter l’environnement.

Le recyclage en agriculture comme amendement des terres cultivées représente l’une de ces filières : l’histoire montre d’ailleurs qu’aux temps les plus reculés la pratique du retour à la terre de toutes sortes de déchets urbains était la règle. En effet, avant la découverte des engrais minéraux, on considérait que les plantes tiraient leur substance uniquement des matières organiques, ou plus précisément de l’humus, terme ultime de la transformation de ces dernières. Les travaux de Justus Von Liebig, en démontrant que les plantes se développaient en fait en prélevant dans le sol seulement des substances minérales (azote, phosphore, potassium, méso et oligo-éléments) et de l’eau, ont porté au siècle dernier un sérieux coup à ce dogme.

Des recherches ultérieures ont cependant montré que la matière organique, outre son rôle alimentaire accessoire, intervenait de manière déterminante sur de nombreuses propriétés physico-chimiques du sol. Aussi, les agriculteurs continuent-ils à restituer cet important facteur de production. En effet, par le simple jeu des processus microbiens, le stock de matière organique des sols cultivés se décompose et a donc tendance à diminuer. En zones tempérées, le taux de dégradation annuel, extrêmement variable en fonction du type de sol et surtout des conditions climatiques ou de certaines pratiques culturales (irrigation), se situe aux environs de 2 %. La restitution des déchets contenant de

[Photo : L’unité de compostage de Montbéliard]

la matière organique permet de s’opposer à ce phénomène. Pour réaliser une telle opération, les agriculteurs enfouissent les résidus de cultures (pailles de céréales, racines, chaumes, …) et, lorsqu’ils en ont la possibilité, ils font appel à divers produits organiques : parmi ceux-ci, les déchets urbains sont susceptibles d’occuper une place importante.

À de très rares exceptions près, tous les matériaux susceptibles de participer à l’entretien du stock organique des sols cultivés ne sont évidemment pas constitués que de matière organique pure. Ils renferment généralement une matrice minérale, d’importance variable en fonction de leur origine, qui est loin d’être négligeable dans le cas des résidus urbains où elle représente près de 50 % de la matière sèche. Certaines composantes de cette matrice (phosphore, potassium, oligo-éléments, composés azotés) sont des nutriments dont la valeur doit en toute logique s’ajouter à celle de l’amendement organique et peser en faveur du recyclage, notamment en période de tension des prix sur les engrais. Cependant, il est clair que le recyclage des déchets urbains en agriculture ne peut être prôné en toutes circonstances et sans réserves. En effet, aux avantages indéniables de cette pratique est associé un certain nombre de contraintes de tous ordres, liées principalement à la composition des matériaux mais aussi à leur difficulté d’insertion dans les circuits commerciaux traditionnels et à une image de marque souvent défavorable.

En raison de leur composition et de leurs propriétés (au sens agronomique) très différentes, il y a lieu d’examiner séparément les avantages et les contraintes d’utilisation des boues de station d’épuration et des composts d’ordures ménagères qui représentent l’essentiel de la production des déchets domestiques d’origine urbaine.

Nous traiterons dans le présent article de ce dernier aspect du problème.

Le gisement

Le gisement des déchets des ménages français est évalué aujourd’hui à 20 Mt dont 18 Mt d’ordures ménagères, soit environ 330 kg/hab et par an, et 2 Mt d’encombrants et inertes. La production d’ordures ménagères par habitant varie cependant en quantité et en composition en fonction de la taille des agglomérations.

En ce qui concerne la composition des ordures ménagères, la moyenne nationale est présentée dans le tableau I.

Cette composition est en train d’évoluer aussi bien en milieu urbain qu’en zone rurale. Plusieurs analyses récentes ont montré l’augmentation de la proportion des matériaux d’emballage ; ainsi, dans certains quartiers de Lille, la proportion de plastiques mesurée a été de 17 %, à Neuville de Poitou de 10 %, de même que la proportion de verre et cailloux s’est élevée dans ce cas à 17 % du poids frais des ordures ménagères. Par ailleurs, il faut souligner que celles-ci contiennent de plus en plus de produits susceptibles de poser des problèmes particuliers, tels les métaux lourds, les solvants, déchets de peinture, etc.

Le traitement

L’effort d’équipement des collectivités locales est très important, puisque 52 % des déchets des ménages sont traités dans des installations industrielles et 39 % en décharges, ce qui nous donne un taux de couverture de 91 % de la population française ; ce taux de desserte était de 56 % il y a 10 ans (tableau II).

On voit donc que la place du compostage est loin d’être négligeable ; mais

Tableau I

Composition des ordures ménagères

(Moyenne française en %)

Composants Teneur moyenne Variations
Papiers cartons 30 % 20 à 35 %
Matières putrescibles 25 % 15 à 35 %
Verre 12 % 5 à 15 %
Métaux 5 % 5 à 8 %
Matières plastiques 6 % 3 à 6 %
Textiles 4 % 1 à 6 %
Éléments fins (< 20 mm) 18 % 10 à 20 %

En fait, elle tend à stagner, voire à régresser depuis plusieurs années, malgré l'intérêt que présente cette filière, et ce en raison d'une certaine mauvaise image de marque du compost.

L'intérêt agronomique du compost

Après compostage, les ordures ménagères présentent des teneurs en éléments fertilisants, exprimées par rapport à la matière sèche, beaucoup plus faibles que celles caractérisant les boues et le fumier de ferme, considéré comme l'amendement organique traditionnel en agriculture. Il convient cependant de noter un fait important : les composts d’ordures ménagères sont, lors de leur mise à disposition, beaucoup plus pauvres en eau que les deux autres types de déchet ; à poids égal commercialisé, ces matériaux apportent donc à l'agriculture beaucoup plus d'éléments fertilisants et de matière organique.

Au moins à court terme, il est assez probable que la biodisponibilité de l'azote et du phosphore des composts soit moins importante que celles des boues et du fumier. Cela implique d'associer à leur usage celui d'engrais minéraux, à des doses tenant compte du rythme de libération des fertilisants par le compost. Cette réserve est cependant sans objet pour le potassium et le magnésium, dont la libération à partir des déchets organiques s'effectue facilement.

En raison précisément de sa siccité élevée et de sa teneur en matière organique, le compost d’ordures ménagères peut constituer une source peu coûteuse d'humus, utilisable à très fortes doses pour redresser le niveau organique des sols dégradés.

Un avantage assez peu souvent mis en avant dans le cas des composts est leur aptitude à corriger l'excès d'acidité des sols, grâce à leur teneur en carbonate de calcium. C'est là une des spécificités de ce type d'amendement par rapport au fumier et à la majorité des boues d'épuration.

Contraintes liées à l'utilisation des composts d’ordures ménagères en agriculture

Elles sont, à peu de choses près, identiques à celles caractérisant les boues de station d'épuration. D'une manière générale, les composts sont cependant moins chargés en métaux lourds que les boues, la biodisponibilité de ces micropolluants étant par ailleurs limitée par la présence de chaux. Le seul risque encouru lors de l'utilisation de compost d'ordures ménagères et vérifié de manière probante est l’enrichissement en mercure et en cadmium des champignons comestibles, cultivés sur des substrats préparés avec ce type de matériau.

L'un des principaux reproches adressés aux composts d’ordures ménagères est fréquemment l'insuffisance de maturité susceptible d’entraîner des effets dépressifs sur la culture par blocage d'azote, production de substances phytotoxiques ou privation d'oxygène. De même, l'excès de salinité limite l'emploi de ce type de matériau comme simple support de culture.

Une autre importante contrainte liée au recyclage des ordures ménagères est leur richesse relative en « inertes » ; en fait, cette appellation désigne, à la fois, les véritables inertes (graviers, morceaux de bois, …) dont le seul inconvénient est de diluer la fraction agronomiquement intéressante du produit, mais aussi des matières qui peuvent présenter une gêne, voire un danger, pour l'agriculteur (morceaux de verre, seringues, fragments de tissus, …) ou encore contribuer à la pollution esthétique du milieu (matières plastiques colorées, par exemple).

Au plan des risques de dissémination des pathogènes, les composts, qui doivent subir une phase d’évolution en conditions de thermogenèse strictes (plus de 60 °C) présentent une plus grande sécurité que les boues, le traitement thermique de ces dernières (digestions anaérobie le plus souvent) conduisant à des montées en température beaucoup plus modestes.

Recherches en cours

Le Ministère de l'Environnement, les Transformeurs et le Ministère de l'Agriculture ont incité ces dernières années un certain nombre d’organismes de recherches ou professionnels à engager des travaux visant à améliorer la connaissance des effets des composts d’ordures ménagères sur les sols, les plantes, les productions spécialisées comme celles des champignons comestibles ou des vers de terreau (lombricompostage) et les eaux des nappes. Comme dans le cas des boues, on observe actuellement un certain ralentissement de ces actions, les opérations encore en cours concernant essentiellement l'exploitation des essais de longue durée poursuivis notamment à l'INRA de Bordeaux ou dans l'Aisne (CETA de Château-Thierry). On signalera cependant qu'une importante étude bibliographique vient d’être réalisée, à la demande et avec le concours financier des Transformeurs, par la Station d'Agronomie INRA de Bordeaux : elle a pour objectif de dresser un état des lieux, le plus exhaustif possible, concernant l'effet des éléments-traces contenus dans les composts d’ordures ménagères sur l'environnement. Cet état des lieux devrait permettre de dégager quelques créneaux où un besoin complémentaire de recherche se fait encore sentir dans ce domaine, la présence de métaux lourds constituant encore le principal frein au recyclage de ce type de déchet.

Enfin, l’Agence envisage la réalisation en 1990 d'une étude sur la dispersion de métaux lourds lors du tri-compostage des ordures ménagères dans quatre schémas-types de traitement.

La réflexion sur la filière de traitement.

Une nouvelle logique de traitement

Cette réflexion est l'aboutissement logique des nombreuses visites menées par le Service d'Assistance Technique aux Usines de tri-compostage (S.A.T.U.C.) de l'Agence dans les usines françaises, ainsi que des études fondamentales qu'il a menées tant sur l'influence du broyage que sur la fermentation et l'affinage.

Les travaux du S.A.T.U.C. ont permis de dégager des axes importants d'amélioration de la filière, dans un double souci de rationalisation technique et de maîtrise des coûts, en faisant apparaître une nouvelle notion de logique de traitement conduisant à reconsidérer le procédé dans son ensemble et tout particulièrement les premières étapes du traitement, qui en tant que phases de préparation des ordures ont une incidence primordiale sur la suite de l’opération, notamment sur les étapes de tri.

Sans entrer dans les détails, on peut préciser que la phase de préparation comprendra par exemple une étape purement mécanique, un déchiquetage gros-

Tableau II

Mode de traitement Nombre d’unités Tonnage (milliers de t/an) Population desservie (milliers d’habitants) Taux de desserte (en %)
Valorisation
Incinération avec récupération d’énergie 66 3 968 12 401 22,8
Compostage et traitement mixte 95 1 539 4 810 8,9
161 5 507 17 211 31,7
Élimination
Incinération simple 218 2 281 7 129 13,1
Broyage et mise en décharge 125 1 306 4 082 7,5
Décharge contrôlée 341 5 972 18 664 34,4
Autres 5 794 2 483 4,6
689 10 353 32 358 59,6
Total population française 650 15 860 49 569 91,2
(54 331) 100

sier par exemple, destiné à ouvrir les contenants et à libérer les constituants des ordures, et une étape de fermentation/trituration qui, consistant en une mise en fermentation des ordures ménagères associée à des opérations de brassage énergique (ou trituration), permet de faire chuter de façon très importante la granulométrie des produits fermentescibles, sans affecter celle des autres constituants.

La marque NF « Compost Urbain »

C’est en juin 1986, que l’Agence a créé la marque NF « Compost Urbain ». Celle-ci comporte deux classes (A et B) et impose aux composts des caractéristiques spécifiques (cf. annexe ci-jointe) en ce qui concerne la granulométrie, la teneur en impuretés et la teneur en métaux lourds.

Les buts de cette marque NF étaient les suivants :

  • — inciter les producteurs à se fixer des objectifs de traitement et à améliorer la qualité de leurs composts ;
  • — apporter une garantie de qualité constante aux utilisateurs, chaque usine produisant un compost sous cette marque, étant tenue de pratiquer un autocontrôle permanent, l’Agence devant de son côté effectuer une inspection annuelle de l’usine et des produits fabriqués.

À ce jour, 6 usines seulement sur les 90 usines françaises ont obtenu le droit d’usage de la marque NF et trois autres ont déposé une demande. On ne peut donc pas écrire que la marque NF « Compost Urbain » ait reçu l’écho attendu, ni qu’elle a atteint les objectifs poursuivis initialement (10 usines certifiées à la fin de 1987, ce qui aurait permis un véritable effet d’entraînement)… Cela ne signifie pas pour autant que la situation soit mauvaise, dans la mesure où l’Agence attend beaucoup des résultats qui seront obtenus d’une part sur les usines ayant acquis le droit d’usage en 1989, et d’autre part sur les 5 ou 6 usines actuellement en cours de construction ou de réhabilitation, pour lesquelles le S.A.T.U.C. a défini les lignes directrices du cahier des charges dans la perspective de l’obtention d’un compost de qualité A ou B. Il est vraisemblable que c’est à partir de ces références que pourra s’instituer un processus de développement de la marque.

Conclusion

Si la situation constatée actuellement est globalement peu satisfaisante car l’élimination des sous-produits prend trop souvent le pas sur une véritable valorisation, on peut penser néanmoins que l’avenir de cette dernière est souriant dans la mesure où :

  • — l’évolution de la réglementation, avec l’arrêté du 9 juin 1986 visant l’incinération, et la circulaire du 11 mars 1987 visant la mise en décharge des résidus urbains, introduit incontestablement des contraintes d’utilisation de ces deux filières ;
  • — les risques de saturation des décharges et les difficultés croissantes pour trouver de nouveaux sites ne peuvent également manquer de poser à terme la question d’une limitation des flux de déchets organiques entrant en décharge ;
  • — le monde agricole est aujourd’hui à la recherche d’une fertilisation raisonnée, et souhaite parallèlement réduire sensiblement le coût de ses consommations intermédiaires. À cet égard, les déchets organiques, pour autant qu’ils ne soient pas pollués par les métaux lourds, constituent une source très importante d’amendements à prix raisonnable et compétitif ;
  • — se fait jour également une évolution des esprits pour éviter les gaspillages et aboutir à un meilleur respect de notre environnement.

L’ensemble de ces conditions conduit indubitablement à :

  • — payer de plus en plus l’élimination à son juste prix (qu’il s’agisse d’ailleurs d’aspects strictement financiers, ou plus généralement de contraintes pour les collectivités locales et leurs exploitants) ;
  • — offrir par conséquent à la valorisation agricole la possibilité de prendre toute la place qui lui revient, et la rendre plus attrayante.

Il importe donc de promouvoir cette filière afin qu’elle puisse prendre la place qui lui revient dans le cadre de la politique de gestion des déchets menée par les Pouvoirs Publics, et rendre à ce titre d’éminents services aux collectivités locales, aux industriels, et au monde agricole.

ANNEXE

Le compost urbain doit répondre aux spécifications de la norme NF U 44-051 « Amendements organiques » ainsi qu’aux clauses suivantes :

CLASSE

Éléments A B
1) Granulométrie du compost (tamis à maille carrée, en mm) 40 40
2) Teneur en impuretés (a) (en % de la matière sèche)
films, plastiques et polystyrène expansé de dimension supérieure à la maille ronde de 5 mm 1,6 2,5
lourds de dimension supérieure à la maille ronde de 5 mm 6 12
inertes totaux 20 35
3) Teneur en métaux lourds (en pp sur matière sèche)
Plomb 800 800
Mercure 8 8
Cadmium 8 8
Nickel 200 200
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