L?épandage des boues d'épuration est la filière choisie par la majorité des collectivités du bassin Rhône-Méditerranée. Une étude menée par l'Agence de l'eau RM&C avec l'aide des Chambres d'Agriculture fait le point sur la qualité des boues épandues et les compare aux autres fertilisants utilisés en agriculture.
, chargée d'étude « assainissement non collectif et boues » à la Direction des Interventions Sectorielles, Agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse
La production de boues sur le bassin Rhône-Méditerranée s’élève à environ 265 000 tonnes de matières sèches par an (ce qui représente très approximativement 2 500 000 tonnes de boues brutes) et cette production va croissante du fait des efforts importants réalisés par les collectivités pour préserver le milieu naturel et donc améliorer le traitement des eaux usées.
Il est donc essentiel de maîtriser la gestion de ces boues en sécurisant les débouchés existants, notamment l’épandage agricole qui est la filière choisie par la grande majorité des collectivités, et en développant des filières permettant de prendre en charge ces quantités. La valorisation agronomique reste la solution la plus conforme au principe de développement durable, pour des boues qui respectent la réglementation.
L’étude présentée ne vise pas à démontrer l’intérêt et l’innocuité du recyclage agricole.
des boues. Cette question a fait l'objet en France depuis plus de vingt ans, d'une vigilance et d'un effort de recherche important. Un dossier documentaire « les boues municipales et leur utilisation en agriculture » a été publié par l'ADEME dans le cadre de travaux du Comité national sur l'épandage des boues.
Il s'agit de faire un bilan objectif de la qualité des boues épandues sur le bassin en 2004, de voir l’évolution depuis le dernier état des lieux effectué par l'Agence en 2002 mais aussi de relativiser l'impact des boues par rapport aux autres fertilisants utilisés en agriculture.
La réalisation de cette étude a été rendue possible grâce à la collaboration des Missions d'Expertise et de Suivi des Épandages (MESE)*. Ce travail sera renouvelé par la suite car la qualité des boues reste un indicateur intéressant en terme de pollution urbaine, notamment en ce qui concerne la surveillance des rejets dans les réseaux d'assainissement.
Contexte
En 2004, sur les bassins Rhône-Méditerranée et Corse, 265.000 tonnes de matières sèches de boues ont été produites, dont la moitié a été recyclée en agriculture. 60.000 TMS ont été recyclées par épandage direct (après déshydratation et éventuellement chaulage) et 62.000 tonnes de matières sèches (TMS) par épandage après compostage.
Les filières d'évacuation des boues ont considérablement évolué ces dernières années (cf figure 2).
Si l'épandage direct a diminué de moitié depuis la fin des années 1990, le compostage a triplé en 5 ans, passant de 25.000 TMS de boues compostées en 2001 à 74.000 TMS en 2005.
Les autres filières d'évacuation des boues sont l'incinération, qui augmente régulièrement avec la création de co-incinérateurs ou d'incinérateurs spécifiques, et la mise en décharge qui tend à disparaître depuis 2002 du fait de la réglementation interdisant, depuis le 1er juillet 2002, la mise en décharge de déchets non ultimes.
Origine des données
Dans le cadre de l'autosurveillance des épandages, réalisée par les exploitants de stations d'épuration, des analyses de boues sont réalisées tout au long de l'année sur différents paramètres : éléments traces métalliques (ETM), composés traces organiques (CTO) et valeur agronomique.
Les Missions d'Expertise et de Suivi des Épandages (MESE)*, présentes sur 20 départements du bassin, collectent et expertisent les résultats de cette autosurveillance. En parallèle, ces MESE (ou la police de l'eau) peuvent également, de façon ponctuelle, prélever et faire analyser des échantillons de boues pour confirmation des résultats. C'est l'ensemble de ces données qui a permis la réalisation de ce document.
*Les MESE sont des structures départementales issues d'un accord-cadre établi entre l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse, l'État, la Chambre d'agriculture et parfois le Conseil Général, afin de s'assurer de la validité des données de l'autosurveillance, comme le prévoit l'Arrêté du 8 janvier 1998. Ce sont les Chambres d'Agriculture qui assurent la fonction d'expertise sur le terrain.
Les résultats d’analyse collectés et traités dans ce document concernent uniquement les boues urbaines directement recyclées en agriculture (exclusion des boues mises en décharge, incinérées ou compostées).
Représentativité de l’étude
Les analyses collectées portent sur plus de 1 800 échantillons de boues, provenant de 561 stations d’épuration, pour environ 2 000 stations d’épuration déclarant utiliser la filière d’épandage, ce qui constitue déjà une base de données significative.
Ces analyses caractérisent une quantité annuelle de boues d’environ 41 300 tonnes de matières sèches, soit 70 % des quantités déclarées épandues chaque année.
La carte ci-contre montre la répartition des stations d’épuration concernées par l’étude, sur l’ensemble du bassin Rhône-Méditerranée. On voit apparaître une concentration de stations d’épuration plus prononcée dans le nord du bassin en raison de pratiques d’épandage plus fortes.
Toutes les catégories de stations sont représentées avec une majorité de stations d’épuration de charge nominale comprise entre 2 000 et 10 000 Équivalent Habitants (EH), comme le souligne la figure 4.
Descriptif de la base de données :
• 1 320 résultats d’analyse de chacun des éléments traces métalliques.
• 480 résultats d’analyse des PCB¹.
• 540 résultats d’analyse des HAP².
Les résultats
95 % des stations d’épuration produisent des lots de boues conformes aux seuils réglementaires fixés par l’arrêté du 8 janvier 1998. 5 % des stations d’épuration ont des lots de boues contaminées en éléments traces métalliques ou en composés traces organiques (les boues sont alors évacuées sur d’autres filières).
On constate globalement peu de dépassements des seuils réglementaires…
45 échantillons dépassent les valeurs seuils réglementaires pour les éléments traces métalliques, la moitié de ces dépassements étant dus au cuivre. Ces 45 échantillons proviennent de 21 stations d’épuration différentes. 3,7 % du nombre total de stations d’épuration produisent donc des boues non conformes en éléments traces métalliques.
13 échantillons dépassent les valeurs seuils en composés traces organiques. Ces 13 échantillons proviennent de 8 stations d’épuration différentes. 1,4 % du nombre total de stations d’épuration produisent donc des boues non conformes en composés traces organiques.
Soit au total, 58 échantillons contaminés en composés traces organiques ou éléments traces métalliques, provenant de 28 stations d’épuration du bassin. Les lots de boues contaminés sont évacués vers l’incinération ou la décharge.
… pour une très bonne qualité des boues en moyenne
90 % des résultats d’analyse des éléments traces métalliques sont inférieurs à 65 % des seuils. Si l’on exclut le cuivre, 90 % des échantillons analysés sont inférieurs à 38 % des valeurs seuils.
Le cuivre est le paramètre qui demande le
¹ Polychlorobiphényls.
² Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques.
plus de vigilance. Ceci est dû à la présence d’activité viticole (lavage des cuves de traitements phytosanitaires), ainsi que, plus ponctuellement, à la présence d’eau potable « agressive » et de tuyauteries en cuivre présentes à l'intérieur des habitations.
90 % des résultats d’analyse des composés traces organiques sont inférieurs à 22,5 % des seuils.
Comparaison 1998/2000/2004
La comparaison des données 1998, 2000 et 2004 met en évidence une amélioration globale de la qualité des boues (cf. tableaux).
La comparaison de la qualité moyenne des boues pour ces 3 années est possible car les analyses recueillies sont en quantité suffisante et proviennent globalement des mêmes stations d’épuration.
Les figures 7, 8 et 9 présentent l’évolution des concentrations moyennes en éléments traces métalliques et en composés traces organiques.
Comparaison avec les autres produits épandus en agriculture
L’épandage des boues de stations d’épuration porte sur 1 à 2 % des sols agricoles français, et représente moins de 3 % des matières organiques épandues, qui sont constituées essentiellement d’effluents animaux, ce qui relativise considérablement l’impact des boues. Pour mémoire, la quantité de boues épandue sur le bassin est d’environ 120 000 tonnes de matières sèches (tMS) en prenant en compte les composts, celle des effluents d’élevage avoisine les 4 à 5 millions de tMS.
Le tableau 1 présente les teneurs en éléments traces métalliques de quelques engrais et produits organiques dont les boues.
Il est assez net que la concentration en éléments traces métalliques des boues du bassin est du même ordre de grandeur que celle des autres produits épandus.
Il est cependant intéressant de comparer également les ordres de grandeur des quantités totales d’éléments traces métalliques apportées par hectare. En effet, les boues sont épandues à des doses équivalentes à celles des fumiers ou des lisiers (de l’ordre de 3 tMS/ha), mais les engrais chimiques sont apportés en quantité plus faible (quelques centaines de kilos/ha). Le tableau 2 présente les quantités totales d’ETM apportées au champ pour différents types de fertilisation.
Les itinéraires de fertilisation intégrant des produits organiques (fumiers, lisiers) conduisent à des apports proches de ceux des boues, sauf pour le mercure et le sélénium.
L’itinéraire avec fertilisation chimique seule apporte le moins d’ETM, à l’exception du cadmium lié aux engrais phosphatés. L’itinéraire avec lisier apporte le moins de cadmium. Le mercure est essentiellement apporté par les boues.
Le dernier élément permettant de mieux connaître et de mieux relativiser l’impact des boues est la prise en compte des apports atmosphériques, notamment en plomb.
Conclusion
La présente étude confirme la bonne qualité générale des boues épandues sur le bassin, qualité qui de surcroît s’améliore depuis 1998.
Cette bonne qualité, liée en grande partie à l’amélioration des rejets aux réseaux d’assainissement et dans une moindre mesure à l’abandon du recyclage par des collectivités
Tableau 1 : Exemples de teneur moyenne en éléments traces des fumiers, lisiers, engrais en g/t MS (Synthèse de sources ADEME, BRGM, UNIFA, ATC, IFCT, ACTA, MAP).
* Les colonnes vides correspondent le plus souvent à des valeurs nulles, parfois des valeurs manquantes.
produisant des boues de moins bonne qualité, est un facteur important de sécurisation de la filière d'épandage.
Le 9ᵉ programme de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée et Corse met l’accent sur la lutte contre la pollution dispersée provenant notamment des rejets au réseau des industriels, PME et PMI comprises. L’amélioration de la qualité des eaux résiduaires brutes et traitées peut être suivie à travers l’évolution de la qualité des boues qui captent une partie importante des substances à caractère toxique.
Il sera donc intéressant de refaire un état des lieux sur la qualité des boues à la fin du programme pour mesurer les progrès réalisés en matière de rejets en réseaux, en particulier sur les démarches collectives qui auront été contractualisées individuellement avec des agglomérations.
Tableau 2 : Bilan des apports en éléments-traces (g/ha/an) – Simulation pour une rotation sur 4 ans : betterave/blé/pois/blé
Type de fertilisation | Cd | Cr | Cu | Hg | Ni | Pb | Zn |
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Engrais minéraux | 4,5 | 24,8 | 3,8 | 0,0 | 0,3 | 0 | 35,8 |
Boues + engrais minéraux | 2,7 | 54,0 | 330 | 2,3 | 40 | 90 | 802 |
Fumier + ammonitrate | 2,7 | 43,3 | 150,0 | 0 | 79,0 | 37,5 | 565,0 |
Lisier + ammonitrate | 0,4 | 22,0 | 338,0 | 0 | 15,7 | 13,5 | 787,0 |
Source : document ADEME « Les boues d’épuration municipales et leur utilisation en agriculture ».
Éléments | Cuivre | Zinc | Cadmium | Plomb |
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Quantité totale | 15 300 T/an | 3 200 T/an | 68 T/an | 8 300 T/an |
Déchets urbains | 5 % | 28 % | 7 % | 3 % |
Déchets agricoles | 19 % | 70 % | — | — |
Engrais et phytosanitaires retombées atmosphériques | 76 % | 0 % | 89 % | 97 % |
Données ADEME « Les boues d’épuration municipales et leur utilisation en agriculture ».