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Le procédé Nitrazur faisabilité cas concret d'application industrielle

30 novembre 1982 Paru dans le N°69 à la page 34 ( mots)
Rédigé par : Yves RICHARD, Antoine LEPRINCE et Bernadette FRESSONNET-CHAMBARLHAC

Ces dernières années ont permis de mettre en évidence un accroissement sensible de la teneur en NO?? des eaux souterraines. Ces apports de nitrates sont généralement attribués aux engrais azotés non consommés par les cultures ainsi qu’à certains rejets domestiques ou industriels. Ceci aboutit à une augmentation lente mais irréversible du taux de nitrates dans les eaux souterraines. En effet, la migration des nitrates vers les nappes souterraines est assez lente (quelques mètres par an en moyenne) et le problème des nitrates risque donc de se poser de manière encore plus aiguë dans les années à venir.

De la même manière, en ce qui concerne les eaux de surface, il n’est pas rare d’observer une augmentation de la concentration en ions nitrates, la qualité de l’eau étant là encore soumise aux rejets azotés. Cependant, la tendance est moins marquée et les teneurs en nitrates relevées en rivières n’atteignent pas des valeurs très élevées, sauf dans quelques cas particuliers.

Les États membres de la C.E.E. disposent d’un délai de cinq ans (à partir du mois d’août 1980) pour que les eaux soient conformes aux concentrations maximales admissibles : 50 mg/l en nitrates ; 0,1 mg/l en nitrites ; 0,5 mg/l en ammonium ; 1 mg/l en azote Kjeldahl.

[Photo : Vue générale du pilote de dénitrification.]

PRÉSENTATION DU PROCÉDÉ

Pour satisfaire ces normes, différents procédés sont disponibles, on distingue deux types de traitement :

  • les procédés physico-chimiques : échanges d’ions, osmose inverse ;
  • les procédés biologiques : dénitrification autotrophe ou hétérotrophe.

Les procédés biologiques sont les seuls susceptibles de fonctionner sans grave problème d’éluat : ils soustraient ainsi complètement les nitrates de l’environnement immédiat.

En effet, le principe de la dénitrification biologique consiste à réduire, par catalyse biochimique, les nitrates en azote gazeux pendant que l’on oxyde un réactif carboné jusqu’au stade CO₂. Les réactifs carbonés utilisés sont l’acide acétique et l’éthanol ; les réactions mises en œuvre sont les suivantes :

Utilisation de l’acide acétique :

8 NO₃⁻ + 5 CH₃COOH → 4 N₂ + 10 CO₂ + 6 H₂O + 8 OH⁻

Utilisation de l’éthanol :

12 NO₃⁻ + 5 C₂H₅OH → 6 N₂ + 10 CO₂ + 9 H₂O + 12 OH⁻

Ces réactions sont mises en œuvre dans des réacteurs biologiques spéciaux, spécifiquement conçus et mis au point par la Société Degrémont, dénommés « procédés NITRAZUR ». Dans ce type de réacteur, il est particulièrement facile d’éliminer les nitrates, mais le traitement doit être complété si l’on veut obtenir une eau répondant aux normes de potabilisation.

En particulier (figure 1) après une oxygénation simple, les étapes complémentaires de filtration-

désinfection permettent de produire une eau conforme aux normes en vigueur.

FAISABILITÉ DU RÉACTEUR BIOLOGIQUE

Pour permettre une exploitation industrielle, il faut vérifier la bonne faisabilité du processus biologique. En particulier, étudier les événements suivants concernant la reprise de la dénitrification : après un lavage, après un arrêt carboné, après des arrêts complets de durée plus ou moins longue.

Reprise de la dénitrification après un lavage

La figure 2 montre la reprise d'activité après un lavage. Malgré l’influence défavorable de l’oxygène dissous introduit par le lavage, le rendement nominal est obtenu rapidement, au bout de 40 minutes environ. Pendant cette période, l’eau produite, partiellement dénitrifiée, pourra être avantageusement utilisée au remplissage de la bâche de stockage de l'eau de lavage.

Par la suite, l’élimination des nitrates croît légèrement au cours du temps : ce phénomène peut s’expliquer par l’accroissement de la biomasse produite au cours du temps. Ce redémarrage rapide après un lavage ne vient par conséquent pas grever le rendement global du réacteur biologique.

Influence d’un arrêt de l’alimentation carbonée

La concentration en carbone disponible régit le rendement de la dénitrification. L’arrêt de l’alimentation carbonée va limiter fortement le procédé de dénitrification ; il importe alors de connaître le comportement du réacteur biologique à la reprise de l’alimentation carbonée. Après un arrêt de 8 heures de l’alimentation carbonée (acide acétique ou éthanol) on observe une reprise correcte du processus (figure 3), puisque, avec l’acide acétique, on obtient 90 % du rendement initial en 2 heures (il faut 1 heure avec l’éthanol) et 100 % du rendement initial en 3 h 30 (seulement 2 h 30 avec l'éthanol). La stabilisation du réacteur après un arrêt momentané de l’alimentation en carbone est donc satisfaisante, ce qui ne doit pas poser de problèmes au stade industriel.

Sur les figures, on note par ailleurs l’élimination d’environ 20 % des nitrates présents sans qu’il y ait pour autant de carbone disponible ; ceci peut s’expliquer par une autodestruction des bactéries dénitrifiantes pendant l’arrêt de l’alimentation carbonée. Au moment du redémarrage, le temps de latence observé correspond donc à la reconstitution d’une partie de la population bactérienne.

[Photo : Fig. 1 — Dénitrification. La chaîne de traitement.]
[Photo : Fig. 2 — Reprise de l'activité bactérienne après un lavage du réacteur à biolite.]
[Photo : Fig. 3 (a et b). — Reprise de l'activité bactérienne après un arrêt de l'alimentation carbonée.]

Influence d’un arrêt total ou d’un fonctionnement discontinu du réacteur

Dans ce cas de figure, sont simulées les pannes de fonctionnement et/ou une marche syncopée de l’usine si elle est asservie à la demande en eau du réseau, afin de répondre aux conditions de l’exploitation industrielle… En simulant des arrêts complets de l'installation pendant 6, 12, 24 ou 48 heures, les résultats obtenus sont les suivants :

a) Avec l'acide acétique

L'obtention d’un rendement de 100 % nécessite d’autant plus de temps que l’arrêt a été long : le redémarrage sera d’autant plus rapide que l’arrêt aura été limité dans le temps (figure 4).

Toutes les courbes démarrent avec un rendement de 100 % au temps 0 : en effet, pour un arrêt de plusieurs heures, vient se greffer un phénomène parasite qui permet d’éliminer les nitrates présents au sein du réacteur. Il y a, en effet, lyse des bactéries et il est justifié de démarrer avec un rendement de 100 %, même s’il ne s’agit pas, à proprement parler, du rendement de la dénitrification mais plutôt du rendement d'endogénèse. Au bout d'une heure environ, les rendements sont d’autant plus bas que l’arrêt a été court. Cette constatation, a priori surprenante, s’exprime là encore par la réaction d’endogénèse des bactéries, réaction indépendante du substrat choisi :

5 C₂H₅OH + 23 NO₃⁻ → 25 CO₂ + 6 H₂O + 23 OH⁻ + 14 N₂

Cette hypothèse se trouve confirmée par les observations que l'on peut faire sur l’évolution de la turbidité au cours des différentes reprises. La figure 5 met en évidence un pic de turbidité dès la reprise du processus, pic d’autant plus marqué que l’arrêt a été long : cet accroissement de turbidité est donc facilement attribuable aux déchets bactériens, lysés pendant l’arrêt, et éliminés par le courant d'eau dès la remise en marche du réacteur.

[Photo : Fig. 4. — Reprise de la dénitrification après un arrêt total.]
[Photo : Fig. 5. — Évolution de la turbidité pendant la reprise de la dénitrification après un arrêt total.]

fait de ce phénomène endogène, le taux résiduel de nitrates à l'intérieur du réacteur tend vers 0 et il y a, au démarrage, un effet de dilution important. Pour un arrêt de longue durée, la forte endogenèse accroît le facteur de dilution, ce qui justifie le minimum de rendement de 85 %. Pour des arrêts plus courts, l'effet de dilution est moindre et l'on atteint seulement 70 %. Ces minimums sont obtenus au bout d'une heure environ, durée qui constitue le temps de contact réel de l'installation pilote au moment des essais.

Les variations de la teneur en COT au cours de ces essais ont été normales (figure 4). Une légère augmentation de la concentration en carbone (jusqu'à 3 mg/l) traduit le redémarrage du processus biologique et disparaît régulièrement en 3 heures environ. L'effluent dénitrifié atteint alors son niveau de carbone habituel.

b) Avec l'éthanol

La concentration résiduelle de 35 mg/l (cas d'un fonctionnement normal) est atteinte de manière stable au bout de 1 h 30 pour un arrêt de 12 heures et au bout d'une heure pour un arrêt de 48 heures (figure 6).

[Photo : Reprise de la dénitrification après un arrêt total.]

Dans la période qui précède cette stabilisation, les phénomènes sont complexes mais ils traduisent l'endogenèse du réacteur pendant les périodes d'arrêt. Comme le cas de l'acide acétique, l'endogenèse des bactéries est d'autant plus importante que l'arrêt a été long.

En conclusion, la réponse du réacteur biologique est satisfaisante puisque, même pour un arrêt prolongé, la reprise est relativement rapide (tableau 1), avec un avantage si c'est l'éthanol qui est utilisé au lieu de l'acide acétique (effet du pH, dans les conditions des essais).

Tableau 1

Reprise de la dénitrification après un arrêt total

Durée de l'arrêt (heures) — Temps de fonctionnement pour obtenir le rendement initial de 100 % (heures)

Acide acétique :
6 h → 3,5 h
12 h → 4,5 h
24 h → 6,5 h
48 h → 9,0 h
Éthanol :
12 h → 2,0 h
48 h → 1,0 h

Passage de l'acide acétique à l'éthanol

Pour diverses raisons (technologiques, économiques…), l'exploitant d'une usine de dénitrification peut être amené à changer de réactif carboné ; c’est-à-dire, si l'on tient compte des agréments actuellement en vigueur, à passer de l'acide acétique à l'éthanol ou inversement. Quelle est alors la réaction de la faune bactérienne ?

Sur l'installation pilote, l'acide acétique a été brutalement remplacé par l'alcool éthylique. Les contrôles effectués pendant cette période de transition montrent que les micro-organismes se sont adaptés très rapidement à ce nouveau nutrient puisque les performances du réacteur sont sensiblement identiques (figure 7 et tableau 2).

Si les valeurs atteintes en sortie du traitement semblent plus faibles lors du traitement à l'alcool, c'est que la concentration de nitrates a légèrement diminué dans l'eau brute comme le confirme l’analyse statistique des résultats. Les performances du procédé biologique sont donc identiques avec l'un ou l'autre des deux nutrients.

Tableau 2

Changement de nutrient sur le procédé de dénitrification

| | Avec l'acide acétique | | Avec l'éthanol | |
|------------------------|-----------------------|------------|----------------|------------|
| | Moyenne | Écart type | Moyenne | Écart type |
| NO₃⁻ (eau brute) | 117 | 4 | 109 | 4 |
| NO₂⁻ (eau brute) | 32 | 6 | 24 | 6 |
| Δ NO₃⁻ | 85 | — | 85 | — |
[Photo : Fig. 7 – Comportement du réacteur biologique au changement de nutrient carboné.]

Compte tenu du temps d’adaptation très court qui a été observé, on peut penser que la faune bactérienne n’a pas eu le temps de subir de profondes modifications et qu'il s'agit d'une adaptation du métabolisme de chaque espèce considérée.

Si besoin est, il sera donc possible de remplacer, sans difficultés particulières, l'acide acétique par l'éthanol (ou inversement) sur un réacteur industriel.

Contrôle du procédé

Avant de terminer cette partie « faisabilité », il est utile de connaître les moyens disponibles permettant le contrôle du procédé, non pas au niveau des analyses complètes de contrôle qui peuvent être réalisées par des laboratoires agréés à une fréquence fixée par la législation, mais plutôt au niveau du problème des exploitants qui désirent un contrôle instantané, sinon continu, du procédé.

Puisque le réacteur biologique fonctionnera avec un résiduel de nitrates, c’est-à-dire en défaut de carbone, le contrôle du procédé consistera à bien contrôler la teneur en nitrates en entrée et en sortie de réacteur ; la mesure fréquente du carbone organique résiduel, d’un coût très élevé, ne s’avère donc pas nécessaire, même si un contrôle régulier de ce paramètre doit être envisagé.

Pour la mesure de la concentration en nitrates, plusieurs techniques analytiques sont envisageables ; dans un ordre croissant de complexité et de coût, on a : l’électrode spécifique, la mesure colorimétrique et la chromatographie ionique.

CAS CONCRET D’INSTALLATION INDUSTRIELLE

Dénitrification d'eau de forage ; caractéristiques moyennes de l'eau d'entrée :

• débit maxi à dénitrifier : 50 m³/h  
• teneur moyenne en NO₃ : 80 mg/l  
• teneur moyenne en O₂ : 7 mg/l  
• température de l'eau : 10 à 15 °C  
• pH : 7,2 environ  
• TAC : 23,5 ° F  
• TH : 37,1 ° F  
• H₂S : 0

L'eau traitée présentera alors une teneur moyenne en nitrates de 50 mg/l pour une teneur de l’eau brute de 80 mg/l.

Le réacteur de dénitrification est conçu en béton avec un plancher à buseulures. L’eau y circule de bas en haut à travers un matériau de type biolite L. La hauteur de matériau est de 3 m, pour une surface de 6,5 m². La vitesse de passage dans le réacteur est de 8 m/h, ce qui conduit à une charge de nitrates éliminés par heure de 1,5 kg NO₃.

Après dénitrification, l'eau est réoxygénée par ruissellement en cascades successives avant passage sur le filtre à sable. Ce filtre, dont le but essentiel est d’éliminer la turbidité résiduelle, fonctionne lui aussi à 8 m/h, avec une hauteur de couche de 1,2 m. Une désinfection ultérieure a lieu par chloration classique. L’eau traitée chlorée transite ensuite par un réservoir avant distribution.

La dénitrification conduit à la synthèse de matière vivante, d’où un colmatage progressif, traduit par une augmentation de la perte de charge du réacteur. Il est donc nécessaire d’opérer un lavage toutes les 48 heures environ pour éliminer ce colmatage, et donc les boues en excès. Le lavage, après chaque cycle de fonctionnement, s'effectue avec une première phase de détassage à l'air et à l'eau, suivie d'une deuxième phase de rinçage à l'eau seule. Les eaux de lavage sont ensuite renvoyées sur la station d'épuration située à proximité et ce faible débit en rejet nocturne.

Pour le traitement de telles eaux, différentes voies sont également envisageables : chaulage – chloration – traitement physico-chimique suivi d'une filtration – stabilisation aérobie – flottation.

Ce procédé biologique d’élimination des nitrates est maintenant bien connu : les bases de dimensionnement sont établies, sa faisabilité a été étudiée ; il présente en outre la particularité de fonctionner sans problème de concentrats à traiter. Son coût d’exploitation est raisonnable. Il permet donc de résoudre, de manière élégante, le problème des nitrates dans les eaux potables pour les années à venir.

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