Le projet Loïlyse concerne l'élimination des composés actifs chimiques présents dans les eaux, appelés xénobiotiques. La plupart d'entre eux sont persistants, bio-accumulatifs et toxiques. Ces polluants ne sont pas traités dans les stations d'épuration actuelles et sont rejetés dans l'environnement. Le brevet international Loïlyse constitue une ultime étape d'épuration des eaux avant rejet ou réutilisation. Il est techniquement compatible avec les stations de traitement actuelles, et économiquement viable en termes d'investissement et de fonctionnement. Ce procédé peut être installé dans les usines de potabilisation, les stations d'épuration, les industries chimiques et pharmaceutiques, mais aussi sur tout effluent dit de process pour lequel la présence de matières organiques n?est pas souhaitée, afin d'assurer une meilleure protection de l'environnement, des consommateurs et de la ressource eau.
Les xénobiotiques (du grec ξένος/xénos = étranger et βίος/bios = vie) sont des substances chimiques étrangères aux organismes vivants ; ceci explique qu’ils puissent avoir une action toxique sur ces organismes, même à de faibles concentrations. La majorité de ces xénobiotiques sont des composés persistants, bio-accumulatifs et toxiques. Les xénobiotiques proviennent des utilisations humaines et vétérinaires [1], à tous les stades de la vie du produit : fabrication, utilisation, élimination. Leur contamination de l’environnement dépend de nombreux facteurs : la quantité fabriquée, la métabolisation chez l’homme et l’animal, leurs propriétés physico-chimiques, la biodégradabilité de la substance ou de ses métabolites, du type d’eaux, du type de sols, de la longueur des chaînes alimentaires…
Des questions de santé publique
Généralement non détruites ni dégradées dans les stations d’épuration (elles « traversent » ces stations [2,3]), ces substances sont rejetées dans le milieu naturel avant de se retrouver à nouveau dans le circuit d’alimentation et de distribution d’eau potable. Leur présence dans les eaux de ruissellement augmente régulièrement, entraînant des problèmes pour la santé humaine et la biodiversité des milieux aquatiques. On ne connaît pas encore tous les impacts.
[Encart : Des traces de substances médicamenteuses appartenant à une quarantaine de classes thérapeutiques ont été détectées dans les eaux superficielles à la sortie des stations d’épuration en France mais aussi sur tous les continents. Il a été démontré que le taux de destruction ou de rétention dans les boues des eaux résiduaires des stations d’assainissement était très variable selon les classes thérapeutiques et, dans une même classe, selon les substances (de 30 à plus de 90 %). Il a aussi été mis en évidence que des stations d’épuration pouvaient transformer certaines substances et leur redonner une forme biologiquement active. De plus, toutes les substances présentes dans les boues d’épuration peuvent théoriquement être transférées à l’homme après épandage sur les sols via les plantes alimentaires et/ou les animaux d’élevage, mais ce risque d’exposition est insuffisamment documenté. [5] Médicaments et Environnements – Rapport de l’Académie Nationale de Pharmacie – septembre 2008.]qu’elles peuvent avoir sur les organismes vivants qu’elles vont rencontrer. Leur rôle dans la perturbation du comportement de la faune piscicole (disparition du réflexe de fuite face à un prédateur) ou dans sa biologie (féminisation de certains mâles qui fabriquent des œufs, anomalies au niveau des descendants) est déjà avéré [4]. Quelle est leur influence dans la chute constatée de la fertilité masculine chez l’homme et dans l’augmentation des tumeurs du sein ? L’apparition de souches bactériennes résistantes à certains de ces composés (antibiotiques) est très préoccupante, tout comme la concentration au niveau des chaînes alimentaires. De plus, les effets d'une absorption quotidienne de xénobiotiques, même s’ils sont présents en très faible quantité, sont à ce jour totalement inconnus.
Une piste de recherche
Le point commun de tous les xénobiotiques (cf. encadré) est que ce sont des composés organiques (composés de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, de chlore, de soufre, de phosphore…).
56 millions de substances chimiques ont été recensées à ce jour [6]. Rien qu’au cours des sept dernières années, plus de 11 000 nouvelles substances ont été enregistrées.
La matière organique, qu’est-ce que c’est ?
La matière organique est composée majoritairement d’atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d’azote (ex : le paracétamol C8H9NO2). Elle peut également contenir des atomes de soufre, de phosphore, de chlore (ex : le diuron C9H10Cl2N2O, un pesticide).
Il est donc impossible de connaître la pollution présente dans les eaux tant la variété des molécules qui peuvent s’y trouver est grande.
Les xénobiotiques d'origine médicamenteuse se retrouvent dans les rejets des établissements de soins [8] et dans les eaux usées collectées par les égouts mais aussi au niveau des rejets d’élevages industriels y compris aquacultures. Pour les éliminer avant le rejet dans le milieu naturel au niveau des stations d’épuration ou avant la distribution dans le réseau d'eau potable, la conception d'un procédé capable de s'attaquer sans distinction à ces familles de molécules, techniquement compatible avec les filières existantes de traitement des eaux et économiquement acceptable, est d'une importance considérable ; l’efficacité du traitement doit pouvoir être vérifiée par le constat de l’absence (jusqu’aux limites de détection) de molécules organiques dans l’effluent ainsi traité.
Une recherche à plusieurs « voies »
À partir de ce constat, l’entreprise Loïra, dans une démarche volontariste en faveur de la protection de l’environnement, a développé un procédé permettant d’assurer la complète élimination de la pollution par ces molécules organiques. Loïra, spécialisée dans le traitement de l'eau, s’est rapprochée de l’équipe Photobiologie, Environnement et Photochimie du laboratoire des IMRCP de l’Université Paul Sabatier, reconnue pour ses compétences en photochimie. Elle a proposé au laboratoire d’examiner la faisabilité d'une dégradation de produits organiques xénobiotiques présents dans les effluents traités, par une technique photochimique appropriée précédée d'une filière de type bioréacteur à membranes. Un brevet international « Loïlyse » a été déposé en avril 2009, après une série d’essais concluants et de vérifications validant la pertinence du procédé.
Le dépôt de ce brevet s'est révélé concomitant à la mise en place de plusieurs groupes de travail nationaux à l’initiative du MEEDDM (Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de la Mer) et d’organisations professionnelles de la santé, afin d'identifier précisément l’importance de la présence dans les eaux des substances xénobiotiques, d’en évaluer les risques et de rechercher les moyens d’en diminuer les concentrations. Il est apparu opportun de vérifier la faisabilité technico-économique d'une unité industrielle mettant en œuvre le procédé, objet du brevet, en réalisant un pilote industriel.
Nom de code : « Loïlyse »
L’objectif de ce pilote consistait à tester la capacité du procédé à traiter des effluents de centres hospitaliers, mais aussi d’effluents issus d’entreprises pharmaceutiques ou de stations d’épuration urbaines, dans des conditions d'exploitation ordinaires. L’association AMPERE a réalisé la maîtrise d’ouvrage de l’opération. Sollicitée, l’Agence de l'Eau Adour Garonne a accepté d’aider cette opération à hauteur de 40 % du coût total du pilote, sous forme de subventions.
vention, de même que le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER).
L'Institut anticancéreux Claudius Regaud a fait part de son intérêt pour le projet et a proposé de fournir les effluents issus de son activité de soins, chargés en substances xénobiotiques, comme effluents tests, pour mesurer les performances du futur pilote.
« Loilyse » est marqué par un contexte local exceptionnel, issu de la rencontre et des efforts d'une PME locale, d’un laboratoire et d'un service commun de l'Université, du centre de soins du futur Cancéropôle, d'un établissement public (l’Agence de l’Eau), le tout sous la maîtrise d’ouvrage d'une association dont le but est la valorisation des compétences de Toulouse — Midi-Pyrénées et le développement de la recherche et de l'industrie, en l’occurrence dans le domaine de la santé et de l'environnement.
Le procédé utilisé
Le principe général (figure 1) est le traitement biologique des effluents, la séparation membranaire servant si nécessaire de barrière physique pour retenir les matières en suspension, et le perméat est alors envoyé dans le réacteur photochimique.
Le pilote industriel est hébergé sur le site de la pépinière d’entreprise du Grand Toulouse. Il est composé d'une station d’épuration équipée d’un bioréacteur à membranes (figure 2) et d’un réacteur photochimique. Cette station d’épuration peut traiter jusqu’à 8 m³/h.
Après 8 mois d’expérimentation et de tests, les résultats sont validés sur de nombreuses familles de produits, citons les antalgiques (paracétamol), anti-inflammatoires (diclofénac, ibuprofène), antibiotiques (amoxicilline), pesticides (diuron), anticancéreux (doxorubicine, 5-FU, méthotrexate), antiépileptiques (carbamazépine), agents de conservation (parabène), hormones (médroxyprogestérone, cortisone)... Les expériences ont porté sur l’élimination des composés seuls ou mélangés, dans l'eau du robinet ou dans le perméat, c’est-à-dire dans un effluent.
Tous ces produits sont présents à l’échelle du ng/L (10⁻⁹ g/L) dans les eaux contaminées [9]. Les tests ont été réalisés sur des concentrations supérieures ; ils ont montré que la dégradation obtenue était complète (concentrations non mesurables, inférieures aux seuils de détection) en seulement quelques minutes pour des concentrations de l’ordre de 0,1 mg/L sans jamais dépasser 3 heures pour les concentrations les plus élevées (> 1 mg/L). Des exemples sont présentés sur la figure 3.
Par rapport aux deux techniques aujourd’hui utilisées, l’ozonation et l’osmose inverse, le procédé Loilyse marque une avancée considérable. L’ozonation permet de « casser » les molécules mais crée aussi de nouveaux sous-produits aux effets non mesurés. L’osmose inverse permet de retenir par le biais de la membrane les xénobiotiques, mais ne les détruit pas. D’après le projet ANR Amperes, l’ozonation induit une augmentation de 30 € supplémentaires par an et par habitant, l’osmose inverse une augmentation de 60 € supplémentaires par an et par habitant. Le procédé Loilyse se situe en dessous de 10 € supplémentaires par an et par habitant.
En effet, avec le procédé Loilyse, les xénobiotiques peuvent être totalement éliminés par minéralisation, les éventuels sous-produits ou intermédiaires organiques étant détruits successivement pour ne former que des molécules simples (H₂O, CO₂, acides minéraux). Il ne met en jeu aucun produit chimique et demande très peu d’énergie.
Limitant ainsi les coûts d’exploitation. L'eau traitée peut être réutilisée, sans pollution du milieu récepteur, limitant ainsi la facture d'eau.
En résumé :
OZONATION | OSMOSE INVERSE | LOÏLYSE |
---|---|---|
molécules | molécules | molécules |
Sous-produits formés | Molécules rejetées non dégradées | Molécules détruites H₂O + CO₂ acides minéraux |
30 € * | 60 € * | 10 € |
Coût supplémentaire estimé par an et par habitant
* Projet ANR AMPERES 2006-2009
Le cadre juridique
Concernant la réglementation européenne, elle est actuellement en cours d’élaboration. L'article 3 du Journal officiel de l'Union européenne (4.3.2006) précise que : « Les États membres prennent les mesures appropriées pour éliminer la pollution des eaux par les substances dangereuses (liste I). ». Le programme REACH met en place l'enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et la restriction des produits chimiques pour chaque entreprise (décembre 2010 pour les substances, juin 2015 pour les mélanges). De plus, est mise en œuvre la deuxième phase de l’action nationale de recherche et de réduction des substances dangereuses pour le milieu aquatique présentes dans les rejets des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation (janvier 2009) : surveillance, quantification, réduction. Le Comité de Pilotage et de Suivi du Plan National sur les Résidus de Médicaments dans l'Eau (PNRM) a également été mis en place par Mesdames Roselyne Bachelot et Chantal Jouanno (novembre 2009) suite aux conclusions des tables rondes du Grenelle de l’Environnement.
Des résultats concluants
Les résultats obtenus par « Loïlyse » ouvrent la voie à des perspectives optimistes quant à la protection de l'environnement et à la préservation de la santé humaine.
Peu coûteux en exploitation, le procédé peut être installé, à titre préventif et/ou curatif, à la sortie des usines d’eau potable, à la sortie des stations d’épuration urbaines ou industrielles avant rejet, au sein des industries chimiques et pharmaceutiques, y compris en vue de réutiliser l'eau.
Les installations possibles du Loïlyse sont schématisées sur la figure 4. Des échanges ont commencé avec des responsables d'usines, mais aussi d’hôpitaux, ou encore de laboratoires pharmaceutiques, qui partagent ce même objectif : protéger la ressource eau.
Remerciements
Les auteurs remercient le professeur André M. Braun (Karlsruher Institut für Technologie, Karlsruhe, et Quantapplic, Mayence, Allemagne) pour la conception du réacteur photochimique, ainsi que l’ensemble des partenaires du projet, l'Institut anticancéreux Claudius Regaud, l'Agence de l’Eau Adour-Garonne et le Grand Toulouse, sous maîtrise d'ouvrage de l’Association Ampère.
Ce projet a été financé par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et l’Union européenne avec le Fonds Européen de Développement Régional qui s’engage en Midi-Pyrénées.
Références bibliographiques
[1] G. Virvoulet, Environnement Risques & Santé 5 (2006) 239-241
[2] M. Carballa, F. Omil, J.M. Lema, M. Llompart, C. Garcìa-Jares, I. Rodriguez, M. Gomez, T. Ternes, Water Research 38 (2004) 2918-2926
[3] A. Piram, A. Salvador, L.Y. Guavrt, P. Lanteri, R. Faure, Talanta 74 (2008) 1463-1475
[4] M. Auriol, Y. Filali-Meknasi, R.D. Tyagi, C.D. Adams, R.Y. Surampall, Process Biochemistry 41 (2006) 525-539
[5] Médicaments et Environnements - Rapport de l’Académie Nationale de Pharmacie (2008)
[6] http://www.cas.org/
[7] EAWAG NEWS - Micropolluants anthropiques dans l'eau, Effets — Risques — Moyens de lutte (2009)
[8] K.H. Langford, K.V. Thomas, Environnement International 35 (2009) 766-770
[9] A. Togola, H. Budzinski, Journal of Chromatography A 1177 (2008) 150-158