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Le principe de la couche mince appliqué au domaine de la filtration

28 septembre 1984 Paru dans le N°85 à la page 29 ( mots)
Rédigé par : J HERMIA

De façon paradoxale, nous pouvons affirmer que, de nos jours, la plupart des problèmes de simple filtration impliquant la production d’un gâteau peuvent être résolus de manière satisfaisante, à la fois sur le plan technique et sur le plan économique.

En effet, il apparaît de plus en plus que dans une large majorité de procédés industriels de séparation, les étapes de pré-traitement de la suspension et de post-traitement du gâteau produit sont les plus difficiles à résoudre, de telle sorte que l’étape de filtration elle-même ne constitue plus le facteur limitant.

Le présent article concerne plus spécifiquement l’étude de la filtration avec post-traitement du gâteau, à savoir les techniques de lavage et de déshydratation.

Les raisons de ce choix sont les suivantes :

— la nécessité pour les industriels d’obtenir une meilleure pureté des gâteaux, soit pour des raisons commerciales liées à la qualité des produits, soit qu’il s’agisse de satisfaire à des réglementations sur la protection de l’environnement, soit encore pour ces deux motifs simultanés ; — la nécessité croissante d’optimiser, par un lavage poussé, l’extraction des matières premières qui sont condamnées à devenir de plus en plus pauvres. Dans les industries minérales, un des meilleurs exemples est donné par l’extraction de l’uranium : les tonnages sont très importants et la concentration du minerai est très faible, ce qui conduit à rechercher un filtre permettant un excellent lavage et par conséquent un haut taux de récupération des produits valeureux ; — la nécessité très souvent impérieuse de pratiquer une déshydratation efficace des gâteaux de manière à réduire les coûts de transport des matériaux solides produits ainsi que les frais de leur séchage dont les coûts sont étroitement liés à ceux continûment croissants des combustibles.

LES ÉQUATIONS DE PRODUCTION DES FILTRES

Les filtres discontinus

L’équation de base exprimant la production d’un filtre discontinu, dont l’exemple typique est celui du filtre-presse, est celle de Ruth, elle-même déduite de l’ancienne loi de Darcy :

\[ Q = \frac{dV}{dt} = \frac{P A}{\mu R_f} \tag{1} \]

\(Q\;(\text{m}^3\,\text{s}^{-1})\) est le débit instantané de filtrat, \(V\;(\text{m}^3)\) est le volume de filtrat écoulé au temps \(t\;(\text{s})\), \(P\;(\text{N}\,\text{m}^{-2})\) est la pression de filtration, \(A\;(\text{m}^2)\) est la surface de filtration, \(\mu\;(\text{N}\,\text{s}\,\text{m}^{-2})\) est la viscosité dynamique du filtrat et \(R_f\;(\text{m}^{-1})\) est la résistance du filtre, somme de la résistance du gâteau \(R_c\) et de celle de la membrane \(R_m\) :

\[ R_f = R_c + R_m \]

Dans le cas, très fréquemment admissible, où la résistance de la toile est négligeable, la résistance à prendre en considération se réduit à celle du gâteau.

Introduisons le concept de résistance spécifique, représentant la résistance d’une masse unitaire de filtre ; dans ces conditions, la résistance totale du gâteau devient :

\[ R_c = \alpha \frac{G}{A} \tag{2} \]

où \(G\;(\text{kg})\) est la masse de gâteau sec déposée et \(\alpha\;(\text{m}\,\text{kg}^{-1})\) est la résistance spécifique.

Un simple bilan de masse relie le volume de filtrat \(V\) à la masse du gâteau sec déposé :

\[ G = c\,V \tag{3} \]

où \(c\) (kg de MS / m³ de filtrat) est la concentration de la suspension.

En combinant les relations (1), (2) et (3), on obtient :

\[ \frac{dV}{dt} = \frac{P A^{2}}{\mu\,\alpha\,c\,V} \tag{4} \]

qui, après intégration, devient :

\[ V^{2} = K t \tag{5} \]

expression communément appelée « loi de Ruth », dans laquelle la « constante de Ruth » \(K\) vaut :

\[ K = \frac{2 P A^{2}}{\mu\,c\,\alpha} \tag{6} \]

La loi de Ruth exprime la relation entre la quantité de filtrat écoulée et le temps. Il est possible d’éliminer V pour faire apparaître l’épaisseur L (m) du gâteau ; un bilan massique effectué sur ce dernier s’écrit :

\[ L \, A \, \frac{\rho_c}{m} = G \tag{7} \]

où \(\rho_c\) (kg m⁻³) est la masse volumique du gâteau humide et m (kg de gâteau humide kg⁻¹ de MS) est un paramètre permettant de chiffrer l’humidité du gâteau produit ; notons à ce propos que l’on utilise aussi \(S_i = 1/m\), qui exprime la siccité du gâteau (kg de MS kg⁻¹ de gâteau humide). En combinant (7), (3), (6) et (5), on tire :

\[ t = \frac{\mu \, \alpha \, \rho_c \, L^{2}}{P \, m^{2} \, c} \tag{8} \]

Cette relation exprime le temps de filtration d’un filtre discontinu ; elle montre que le temps de filtration est proportionnel au carré de l’épaisseur du gâteau, ce qui conduit à préconiser des opérations de filtration en couche mince.

Cette conclusion très importante ne peut, hélas, être appliquée de manière systématique dans la pratique industrielle. En effet, par construction, les filtres discontinus comme les filtres-presses ou les filtres clos sous pression possèdent un volume fixe pour les chambres de dépôt et leur fonctionnement optimal exige que ces chambres soient remplies avant arrêt du cycle et débaîtissage, de telle sorte que les épaisseurs de gâteau rencontrées dans la pratique sont assez importantes (quelques cm en général).

Les filtres continus

L’utilisation de l’équation de Ruth peut facilement être étendue au cas de la filtration continue ; la loi peut alors revêtir plusieurs formes suivant le type de filtre considéré : filtre rotatif à tambour ou à disques, filtre à bandes, filtre à godets basculants.

À titre d’exemple, la loi exprimant la production d’un filtre à bande est établie ci-après.

Soit un tel filtre dont la largeur de bande vaut h (m) et la longueur de la zone de filtration Z (m). La vitesse de la bande vaut v (m s⁻¹).

Dans l’équation de Ruth (5), la constante K devient :

\[ K = \frac{2 \, P \, A^{2}}{\mu \, \alpha \, c} = \frac{2 \, P \, (Z h)^{2}}{\mu \, \alpha \, c} \tag{9} \]

Par ailleurs, pour un procédé continu, le débit de filtrat Q et le volume filtré V sont reliés par

\[ Q = \frac{V}{t}, \tag{10} \]

de sorte qu’en combinant (5), (9) et (10), on tire :

\[ Q^{2} = \frac{2 \, P \, Z \, h^{2} \, v}{\mu \, \alpha \, c} \tag{11} \]

Cette relation montre que la production de la machine est proportionnelle à la racine carrée de la vitesse de la bande.

D’autre part, la production peut également être exprimée par le débit de gâteau sec, ce qui est explicité par le bilan massique suivant :

\[ \frac{L \, h \, v}{m \, \rho_c} = c \, Q \tag{12} \]

L’expression (12) montre que la production du filtre est proportionnelle à v L. Or, l’épaisseur du gâteau est proportionnelle à \(\sqrt{t}\), c’est-à-dire \(1 / \sqrt{v}\) (voir équation 8), de sorte que finalement la production du filtre continu est inversement proportionnelle à l’épaisseur du gâteau formé.

Cette importante conclusion nous amène à préconiser la réalisation de couches minces de gâteau si l’on veut assurer une bonne production de la machine.

En principe, les filtres continus comme les filtres rotatifs à tambour ou à disques, les filtres à bandes, les filtres à table ou à godets basculants permettent la filtration en couche mince.

Il suffit, pour ce faire, d’augmenter la vitesse de rotation de la machine : l’épaisseur du gâteau produit diminue alors que sa production augmente.

Dans la pratique industrielle toutefois, cette conclusion théorique est souvent mise en défaut pour des raisons qui seront exposées au chapitre suivant.

La filtration croisée ou dynamique

Il existe plusieurs types de filtres conçus pour limiter la croissance du gâteau, certains de développement très récent.

Le principe de base de tous ces filtres consiste à favoriser la filtration croisée ou dynamique au détriment de la filtration unidirectionnelle (fig. 1).

[Photo : Schéma montrant la différence entre filtration croisée et filtration unidirectionnelle]
[Photo : Coupe schématique du filtre Artisan]

La croissance du gâteau peut être limitée par des dispositifs mécaniques comme c'est le cas pour le Dyno Filter ou le filtre Artisan. Ces appareils clos, à axe horizontal, sont multi-étagés et se composent d'une série alternée de plaques filtrantes circulaires fixes munies de toiles et de disques rotatifs, le jeu existant entre disque et plaque fixant l’épaisseur maximum de gâteau admissible. L’élimination du filtrat est progressive, de sorte que la concentration en matières solides va en croissant au fur et à mesure que le nombre d’étages augmente. En général, ces appareils sont prévus pour décharger les solides sous forme d'une boue très épaisse. Il va sans dire que la rotation des disques requiert une consommation énergétique qui croît avec la concentration de sortie des matières solides : c'est d’ailleurs le couple de torsion qui est le facteur limitant de l'appareil.

Un autre développement assez récent est le filtre Escher-Wyss qui, lui, est un appareil rotatif à axe vertical. Il se compose d’une enveloppe extérieure et de deux cylindres intérieurs concentriques perforés. Le cylindre central est en rotation tandis que le second est fixe ; la suspension est introduite en haut de l’appareil, dans l’espace annulaire compris entre les deux cylindres. Le filtrat s’échappe à la fois par l’espace annulaire compris entre le cylindre extérieur et l'enveloppe et par l’espace laissé libre à l'intérieur du cylindre rotatif. La rotation de ce dernier provoque des cisaillements importants dans l’espace annulaire de telle manière que la croissance du gâteau est fortement contrariée. Un tel filtre est également conçu pour décharger les solides sous forme pâteuse.

L'ensemble des filtres-épaississeurs, dont beaucoup sont d’utilisation classique depuis de longues années dans certaines industries comme les sucreries, fonctionne également sur le principe de la filtration croisée. Par définition, ces filtres ne déchargent jamais de gâteau à proprement parler mais bien une suspension épaissie. Dans certains appareils, la destruction du gâteau est continue et ce, grâce à la turbulence engendrée par un dispositif mécanique, ou par le mouvement relatif de l’ensemble des éléments filtrants par rapport à la suspension dans laquelle ils baignent. Dans d’autres appareils, travaillant de manière cyclique, on laisse le gâteau se créer normalement jusqu’à ce qu'il atteigne une certaine épaisseur ; à ce moment, l’alimentation est interrompue et on réalise un bref et brutal retour d’une fraction du filtrat produit, ce qui provoque le détachement du gâteau qui va ainsi épaissir la suspension.

LES ÉQUATIONS DU LAVAGE DES GÂTEAUX

Le lavage des gâteaux peut s'effectuer de deux manières totalement différentes : soit par le déplacement de la solution-mère par le liquide de lavage, celui-ci étant amené à percoler au travers du gâteau, soit par repulpage, le gâteau étant alors mélangé dans une cuve annexe avec le liquide de lavage.

La méthode de lavage par repulpage exige évidemment le recours à un filtre supplémentaire pour séparer le gâteau lavé de la liqueur de lavage. Si le procédé requiert plusieurs étapes de lavage, l'installation comprendra alors une série alternée de filtres et de cuves de repulpage.

Le calcul de ces installations est relativement simple [1] et se base sur une méthode de résolution absolument classique en génie chimique, à savoir le calcul récurrent d’un procédé multi-étagé.

Sur le plan industriel, cette technique de lavage exige des frais importants d'investissement et entraîne également des coûts opératoires élevés.

Dans le lavage par déplacement, la liqueur est amenée à percoler, au travers du gâteau, in situ. C'est de loin la technique de lavage la plus utilisée, qu’il s’agisse de la pratiquer sur les filtres-presses, les filtres clos ou sur tous les filtres continus sous vide (à bande, à tambour, à disques, à table, à godets basculants).

Pour ces derniers appareils, on rencontre la plupart du temps des procédés multi-étagés à contre-courant, ce qui minimise la consommation de liqueur de lavage.

Une nouvelle méthode de calcul de ces lavages par déplacement, multi-étagés et à contre-courant, a été publiée [2]. Cette méthode est très simple et se base uniquement sur les données de la courbe universelle de lavage obtenue par un essai de laboratoire.

Tout récemment [3], un article a été publié dans lequel figure la description d'un travail expérimental confirmant la validité de la méthode de calcul sus-mentionnée.

Une des conclusions de cette étude est que le modèle à dispersion axiale explique bien, du point de vue théorique, les constatations expérimentales observées lors d’un lavage par déplacement. Suivant ce modèle, l'équation traduisant la chute de concentration relative dans la liqueur de lavage (y/Y₀) s’écrit :

y/Y₀ = 0,5 (1 + erf ψ) (13)

avec

ψ = √(1 − R)/(2√R) (14)

et ɸ = √(u.L/Dₗ) (15)

Dans l’expression (15) définissant le nombre de dispersion ɸ, u (m/s) est la vitesse de percolation de la liqueur de lavage au travers des pores du gâteau et Dₗ (m²/s) est le coefficient de dispersion axiale, ce dernier pouvant être évalué par :

Dₗ = 0,707 D        si Re.Sc < 1         (16)  
Dₗ / D = 0,707 + 1,75 Re.Sc   si Re.Sc > 1  

D (m²/s) est le coefficient de diffusion moléculaire, et le produit des nombres de Reynolds et de Schmidt peut se calculer par :

Re.Sc = u.dₚ / D (17)

où dₚ (m) est le diamètre des particules.

Dans l’équation (14), R (-) est le taux de lavage défini comme étant le rapport du volume de liquide de lavage utilisé au volume des vides du gâteau :

             Qᵥ  
R = ———————————— (18)  
        v.h.ε.Lₗ  

où Qᵥ (m³/s) est le débit de liqueur de lavage et ε (-) représente la porosité du gâteau.

La figure 3 montre l’évolution de la chute de concentration dans l’effluent de lavage en fonction du taux de lavage utilisé ; comme paramètre figure le nombre de dispersion ɸ = v.L/Dₗ. On constate que lorsque ce nombre de dispersion grandit, la chute de concentration devient plus rapide. À la limite, lorsque ɸ = ∞, la courbe se confond avec celle qui représente l’écoulement piston, à savoir le déplacement de la solution-mère avec un taux de lavage unitaire : il est évident que ceci correspond à la consommation minimum en fluide de lavage.

[Photo : Modèle de lavage avec dispersion axiale. Influence du nombre de dispersion ɸ.]

Examinons maintenant le rôle de chacun des trois facteurs déterminant la valeur du nombre de dispersion.

À première vue, on pourrait croire que pour un filtre travaillant sous une dépression donnée ΔP, le produit u.L possédant alors une valeur fixée par application de l’équation de Darcy.

u = kΔP / L

Le nombre de dispersion serait ainsi fixé, ce qui conduirait à une valeur déterminée et immuable de l’efficacité de lavage.

C’est ne pas tenir compte de l’effet antagoniste du coefficient de dispersion axiale qui croît comme la vitesse de percolation du fluide de lavage de telle sorte que, dans la pratique, le rapport u/Dₗ est sensiblement constant. Par conséquent, le nombre de dispersion sera d’autant plus grand que l’épaisseur du gâteau sera plus forte, ce qui entraîne la conclusion bien connue des praticiens de la filtration que le lavage des gâteaux de filtration est d’autant meilleur que ces derniers sont épais.

Sur le plan de la conduite des installations industrielles, il y a donc opposition nette entre les conditions permettant de réaliser de grandes productivités (gâteaux minces) et de bons lavages (gâteaux épais).

On en déduit aisément que des conditions d’optimisation sont à rechercher, qu’il s’agisse d’assurer l’optimum technique et/ou l’optimum économique d’une machine donnée ou encore, lors du projet d’une nouvelle installation, de concevoir le design conduisant à l’utilisation optimale. Des études [4] ont déjà été publiées sur ce sujet dont l’intérêt s’accroît au fur et à mesure que les conditions d’exploitation de l’industrie des procédés se détériorent dans un contexte de crise économique générale.

LES ÉQUATIONS DE LA DÉSHYDRATATION DES GÂTEAUX

Les techniques de déshydratation des gâteaux sont plus nombreuses que celles du lavage mais en gros on peut les ranger en deux grandes catégories :

  • - celles qui permettent l’élimination du liquide interstitiel sans modification de la structure intime du gâteau. Essentiellement elles recourent à l’emploi d’un fluide annexe, non miscible avec le filtrat. Dans la pratique, on utilise très fréquemment de l’air que l’on force à pénétrer le gâteau soit par succion (filtres à vide) soit par pression (filtres sous pression) soit encore par centrifugation ;
  • - celles qui provoquent le départ du liquide interstitiel par modification de la structure du gâteau, c’est-à-dire par réduction de sa porosité.

ces techniques ne sont applicables qu’au cas des gâteaux compressibles qui sont, faut-il le rappeler, beaucoup plus fréquemment rencontrés que les gâteaux incompressibles. La compression des gâteaux peut être réalisée par le processus de filtration même, comme c’est le cas pour les filtres-presses par exemple, mais des résultats réellement significatifs ne peuvent cependant être obtenus que lors du recours à des dispositifs spéciaux comme des membranes élastiques, des presses à cadres mobiles, des presses à vis, etc.

Déshydratation par passage d’air

Rappelons tout d’abord que, dans ce processus, l’air doit avoir une pression suffisante pour pénétrer dans le gâteau, de manière à vaincre la pression capillaire du milieu poreux humide. Cette pression minimum P_b (N/m²) est donnée par

P_b = 4,61 (1 – ε) σ / ε d_c (19)

dans laquelle σ (N/m) est la tension superficielle du liquide. Nous supposerons dès lors que nous disposons d’air sous une pression d’air suffisante pour réaliser la déshydratation ; celle-ci est généralement un phénomène assez lent pendant lequel la saturation réduite S* va progressivement varier depuis un maximum égal à 1 jusqu’à un minimum de zéro. La saturation réduite est définie par

S* = (S – S_∞) / (1 – S_∞) (20)

dans laquelle S est la saturation instantanée, c’est-à-dire la fraction des vides occupée par le liquide à l’instant t, tandis que S_∞ est la saturation limite ou résiduelle, atteinte après un temps théoriquement infini*. Remarquons que la saturation n’est égale à 1 en début d’opération de déshydratation que si le gâteau est alors parfaitement saturé, ce qui est le cas sur les filtres industriels après filtration ou après un lavage en zone noyée.

La saturation résiduelle est atteinte après qu’un équilibre entre forces de drainage et forces de rétention capillaires se soit établi. Une loi empirique permet de calculer cette saturation limite en fonction du nombre capillaire N_c.

S_∞ = 0,155 (1 + 0,031 N_c^0,49) pour N_c > 10^-4 (21)

expression dans laquelle le nombre sans dimension N_c est défini par

N_c = ε^3 d^2 ΔP / (1 – ε)^2 L σ (22)

Introduisant (22) dans (21), on constate que la saturation d’équilibre sera d’autant plus faible, toutes choses égales, que l’épaisseur du gâteau sera importante.

Cette conclusion nous conduit dès lors à préconiser la déshydratation en couche mince si l’on désire que la saturation résiduelle soit faible.

En ce qui concerne maintenant la cinétique de l’opération, plusieurs corrélations ont été établies pour une large variété de milieux poreux humides, parmi lesquels beaucoup de gâteaux de filtration. Ces corrélations peuvent être représentées graphiquement en reportant la saturation réduite S* en fonction d’un temps adimensionnel de déshydratation t_d* défini par :

t_d* = B η_b t_d / μ L² ε (1 – S_∞) (23)

expression dans laquelle (B η_b²) est la perméabilité du gâteau et t_d (s) le temps réel de déshydratation.

[Photo : Fig. 4 – Variation de la saturation réduite du gâteau lors de la déshydratation par passage d’air.]

La figure 4 représente un tel graphique dans lequel intervient comme paramètre la pression de l’air rendue adimensionnelle par

ΔP* = ΔP / P_b (24)

relation exprimant que ΔP* représente le nombre de fois que la pression réelle ΔP vaut la pression minimum P_b pour commencer le drainage.

L’examen de l’équation (23) montre que le temps de déshydratation est proportionnel au carré de l’épaisseur du gâteau, cette relation étant, soulignons-le, identique à celle qui relie le temps de filtration à l’épaisseur du gâteau.

* Il est clair que même pour un « temps infini », jamais il ne peut être question d’évaporation d’eau dans le courant d’air : ceci n’est plus de la déshydratation mécanique mais bien du séchage (thermique).

Par conséquent, la conclusion générale concernant l’influence de l’épaisseur du gâteau sur la déshydratation (par passage d’air) est que, tant du point de vue équilibre que cinétique, il est opportun de mettre en œuvre des couches minces.

Déshydratation par compression mécanique

Il est possible d’estimer la déshydratabilité par compression mécanique des gâteaux en effectuant un essai dans une petite presse de laboratoire ou en utilisant une cellule de porosité-compression (fig. 5). En modifiant la pression exercée sur le gâteau, la porosité de ce dernier varie suivant la loi empirique :

(1 – e) = (1 – e₀) Δp^β (25)

où (1 – e₀) représente la fraction volumique des solides pour une compression unitaire.

[Photo : Schéma d’une cellule de porosité-compression.]

Il est admis en pratique qu’à partir d’une valeur de l’exposant β égale à 0,15, il y a avantage net à utiliser la technique de déshydratation par compression vis-à-vis de celle par passage d’air.

Dans toute la théorie des gâteaux compressibles, on considère que la valeur de la porosité en conditions d’équilibre ne dépend que de la pression exercée sur le gâteau et par conséquent qu’elle ne dépend en aucune façon de l’épaisseur du gâteau.

De même, il est admis que la résistance spécifique, qui est essentiellement fonction de la porosité, ne dépend nullement de l’épaisseur du gâteau ; l’établissement de la loi de Ruth repose d’ailleurs sur cette hypothèse.

L’expulsion de l’eau par compression est, comme le drainage de l’air, une opération relativement lente. L’étude de la cinétique de ce phénomène a été entreprise il y a déjà de nombreuses années par les spécialistes de la mécanique des sols.

Plusieurs modèles sont proposés dans la littérature ; le plus ancien est celui de Terzaghi qui est décrit par l’équation suivante :

Uₑ = 1 – exp (π² i² Cₑ / 4 Λ² tₑ) (26)

dans laquelle i (–) représente le nombre de surfaces de drainage mises en œuvre dans la déshydratation, Cₑ (m²/s) est le coefficient de consolidation et tₑ (s) le temps de compression ; Uₑ (–) est le rapport de consolidation défini par

Uₑ = L₀ – L / L₀ – L∞ (27)

où L₀ est l’épaisseur originale du gâteau, L l’épaisseur instantanée au temps tₑ et L∞ l’épaisseur finale, correspondant à l’équilibre atteint après un temps théoriquement infini.

Intervient encore dans l’expression (26) le facteur Λ qui représente le volume total du gâteau sec par unité de surface soumise à compression ; on remarquera que défini de cette façon, Λ représente en fait l’épaisseur d’un gâteau dont la porosité serait égale à zéro. Il va sans dire que Λ est pratiquement proportionnel à l’épaisseur L ; en effet, un bilan en volume sur le gâteau permet d’écrire :

A · L = Λ · A + e · A · L  
d’où  
Λ = L (1 – e)

L’examen de l’expression (26) montre que le temps de compression tₑ est proportionnel au carré de Λ, donc à peu près au carré de L. On en tire donc la conclusion que, si du point de vue valeur finale d’équilibre l’épaisseur du gâteau n’influence pas la déshydratation par compression, par contre sur le plan de la cinétique de l’opération, encore une fois on a intérêt à travailler en couche mince pour accélérer le phénomène.

Enfin, signalons que d’autres modèles de la compression des gâteaux, plus sophistiqués, sont préférés aujourd’hui à celui de Terzaghi en particulier pour tenir compte des déformations plastiques du solide ; les équations qui les décrivent sont nettement plus compliquées que l’équation (26) mais elles conduisent, en ce qui concerne l’influence de l’épaisseur du gâteau, à des conclusions identiques.

MISE EN ŒUVRE DES PROCÉDÉS DE SÉPARATION

Si un procédé doit mettre en œuvre une filtration suivie d’un lavage et d’une déshydratation du gâteau produit, la question se pose de savoir si l’on peut réaliser

Ces trois opérations dans un même appareil ou au contraire dans deux (ou trois) machines différentes.

Les industriels préféreront probablement un appareil unique parce qu’ils considéreront a priori que l'opération sera de cette manière plus simple à réaliser et plus économique.

Cette attitude sera sans doute renforcée par le fait que dans les industries de procédés, le filtre est généralement considéré comme une « nécessité inévitable », très souvent comme un goulet de production, et la plupart du temps comme une « boîte noire » très frustrante ; par conséquent, en ce qui concerne les filtres, les plus simples devraient être les meilleurs ! Il est évident que certains types de filtres, et parmi eux le plus vieux, le filtre-presse, peuvent réaliser les trois opérations de filtration, lavage et déshydratation de manière acceptable dans un appareil unique.

Mais dans leur conception classique, ces filtres ne conviennent pas de manière équivalente pour les trois opérations sus-mentionnées.

Par exemple, les filtres-presses autorisent une bonne déshydratation, surtout s’ils sont munis de membranes élastiques mais ils ne permettent, en général, que des lavages de piètre qualité. Les filtres sous vide horizontaux (à bande, à table, à godets basculants) sont au contraire excellents pour le lavage par déplacement mais ne conduisent qu’à de faibles déshydratations.

On conçoit donc que la mise en œuvre de procédés de séparation impliquant filtration, lavage et déshydratation s’effectue dans deux (voire trois !) appareils en série, chaque machine étant choisie en fonction de ses aptitudes à effectuer, dans des conditions optimales, une ou deux opérations. À titre d’exemple, la combinaison filtre-épaississeur/filtre finisseur est très classique ; de même, on voit se développer l’emploi de tandems filtre (laveur)/presse mécanique, en particulier dans le domaine agro-alimentaire.

Néanmoins la combinaison des trois opérations peut être réalisée de manière très satisfaisante dans des filtres plus sophistiqués qui, en fait, représentent des améliorations récentes et importantes du domaine de la filtration avec gâteau.

Par exemple, le filtre automatique à axe vertical (genre Hoesch, fig. 6) est capable de réaliser une filtration continue sous pression avec un haut taux de productivité car il met en œuvre des gâteaux minces. La déshydratation de ces derniers est excellente grâce à la présence de membranes élastiques. Enfin, le lavage est également très bon parce qu’il est précédé d’une pré-compression du gâteau qui réalise une homogénéisation du dépôt et crée un vide dans la chambre du filtre, ce qui autorise un meilleur écoulement « piston » de la liqueur de lavage au travers du gâteau. Ce type de filtre permet donc la mise en œuvre des trois opérations de filtration, lavage et déshydratation dans une seule machine et dans d’excellentes conditions opératoires.

[Photo : Fig. 6. - Filtre automatique sous pression Hoesch.]

Un autre développement technologique, plus récent encore, est le Squeezor (fig. 7) qui, en fait, consiste en deux filtres en série. Le premier est un filtre à bande qui travaille sous simple gravité. Le gâteau très humide produit sur ce dernier filtre tombe alors sur le second qui est un filtre à bande presseuse. Ce dernier est muni d’une presse qui peut écraser le gâteau entre les deux toiles et un cadre creux amovible.

[Photo : Fig. 7. - Schéma du Squeezor.]

La presse, sous pleine pression, accompagne les toiles le long de la machine et lorsqu’elle atteint la fin du filtre, ses deux mâchoires sont ouvertes, le cadre est soulevé dégageant ainsi le gâteau et la presse, par une rapide translation arrière, retourne au début de la bande pour un nouveau cycle. La production du gâteau est parfaitement continue et la déshydratation est excellente parce que le gâteau est mince (quelques mm) et la compression considérable (jusqu’à 15 bars, à comparer aux 2 bars d’une bande presseuse ordinaire).

Jusqu’à présent, ce filtre a été réservé à la déshydratation des boues de stations de traitement d’eau, pour lesquelles une haute siccité finale est requise lorsqu’une incinération est envisagée.

Enfin, citons le regain d'intérêt qui se manifeste depuis quelques années pour tous les types de presses à vis, à plateaux amovibles, à poches ou autres. Tous ces appareils conviennent en général très bien pour assurer une déshydratation poussée, aussi les dévelop-

Développements récents portent-ils sur des améliorations à apporter aux aspects filtration et lavage ainsi qu'à l'automaticité de l'appareil, en particulier pour permettre un déblatissage aisé sans intervention manuelle.

Dans cette famille de filtres, la presse Lambert semble promise à un bel avenir en raison de ses performances remarquables.

La machine ressemble en fait à un filtre-presse : elle est constituée d'une série alternée de plateaux et de poches à gâteau, le tout supporté par un bâti à axe horizontal.

La filtration et le lavage s'effectuent comme dans un filtre-presse ; l'originalité du filtre provient de la manière dont s'effectue la déshydratation ; celle-ci est réalisée par l'écrasement des poches à gâteau suite au déplacement, provoqué par de puissants vérins, des plateaux de la presse. La pression maximum autorisée peut atteindre 30 bars, soit le double des pressions admises par les membranes élastiques, ce qui confère à cet appareil une position privilégiée dans la famille des filtres autorisant la mise en œuvre des trois opérations de filtration, lavage et déshydratation.

CONCLUSION

La théorie démontre et l'expérience confirme que le principe de la couche mince est d'importance considérable dans le domaine de la filtration avec gâteau.

Réduire l'épaisseur des gâteaux permet en effet d'accroître la productivité des appareils tout en permettant une meilleure déshydratation des solides. Par contre, le lavage de ces derniers est favorisé par des épaisseurs de dépôt importantes. Dans les applications industrielles où la productivité de la machine et la siccité des gâteaux sont des facteurs techniques et/ou économiques prévalant sur celui du lavage, il est donc à conseiller de travailler avec couches minces : le domaine du traitement des boues résiduaires en constitue un exemple typique d'application.

Des impératifs d'ordre technologique, telles les limitations des machines existantes ou la nécessité de déblatir « à sec » ne permettent de pousser l'application de la filtration en gâteaux minces jusqu'à son maximum, constitué par la filtration croisée, que dans des cas bien spécifiques et moyennant le recours à des appareils parfaitement adaptés pour ce fonctionnement spécial ; l'ensemble des filtres-épaississeurs constitue certes à cet égard un exemple typique.

Si à ces considérations techniques on ajoute le fait qu'un lavage des gâteaux méthodique et à un taux minimum de solvant est de plus en plus demandé dans les procédés de séparation, on conçoit qu'une véritable étude d'optimisation de ces procédés doit être entreprise pour définir le design le plus adéquat et/ou les conditions optimales d'exploitation de la machine ou de l'ensemble des machines où seront effectuées les opérations de filtration, lavage et déshydratation.

ANNEXE : LISTE DES SYMBOLES

A Surface de filtration ........................................ m²
B Perméabilité ................................................ m²
c Concentration : masse solide/volume de filtrat ............. kg/m³
Cₑ Coefficient de consolidation ............................... m²/s
d Diamètre des particules .................................... m
D_L Diffusivité ................................................ m²
D_t Coefficient de dispersion axiale .......................... m²/s
G Masse de gâteau sec ........................................ kg
h Largeur d'un filtre à bandes ............................... m
i Nombre de surfaces de drainage ............................. —
K Constante de Ruth .......................................... m⁶/s
L Épaisseur de gâteau ........................................ m
m Humidité du gâteau : masse gâteau humide/ masse gâteau sec .......................................... —
N_c Nombre capillaire .......................................... —
P_eff Pression effective de filtration ........................ N/m²
Δp Pression adimensionnelle = ΔP/P_v ........................ —
P_γ Pression minimum de drainage à l'air ..................... N/m²
Q Débit ...................................................... m³/s
R Taux de lavage ............................................. —
R_t Résistance totale du filtre ............................... m⁻¹
R_c Résistance du gâteau ...................................... m⁻¹
R_m Résistance de la membrane ................................. m⁻¹
s Concentration : masse de solide/masse du cake ............. —
Δs Variation de concentration ................................ —
S* Saturation instantanée du gâteau .......................... —
s Saturation réduite du gâteau = (S – S∞)/(1 – S∞) ............ —
t Temps ...................................................... s
u Vitesse interstitielle du liquide de lavage ............... m/s
U_m Rapport de consolidation = (L – L∞)/(L∞ – L_c) ............. —
v Vitesse de la bande ........................................ m/s
V Volume de filtrat .......................................... m³
y Concentration en soluté de l'effluent de lavage ........... kg/m²
Z Longueur de la zone de filtration sur la bande ............ —

Lettres grecques

α Résistance spécifique ...................................... m/kg
β Coefficient de compressibilité (équation 25) ............... —
ε Porosité ................................................... —
λ Épaisseur de gâteau à porosité nulle ....................... —
η Viscosité dynamique ........................................ N·s/m²
ρ_c Masse spécifique du gâteau ................................ kg/m³
σ Tension superficielle ....................................... N/m
D_ab Nombre de dispersion = u L/D_L ........................... —

Indices

° Valeur initiale pour t = 0
∞ Valeur d'équilibre, après un temps infini
d Déshydratation par passage d'air
c Déshydratation par compression mécanique
w Liqueur de lavage

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

[1] J. HERMIA, D. TAEYMANS, Proceedings of SBF Symposium on Solid-Liquid Filtration, Antwerp, p. 61 (1978).

[2] J. HERMIA, Symposium Hydrometallurgy 81, UMIST (England), Proceedings edited by the Society of Chem. Industry.

[3] J. HERMIA, PH. LETESSON, Third World Congress on Filtration, Downingtown (USA) 1982, Proceedings edited by Filtration Society.

[4] Economic Optimization Strategy in Solid-Liquid Separation Processes, SBF, Louvain-la-Neuve (Belgique), 1981.

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