La ferveur des plasmas chauds
Dans les milieux « bien informés », on apprenait récemment le resserrement des liens techniques dans la coopération de deux géants de l'industrie française : Rhône-Poulenc et Aérospatiale.
Rhône-Poulenc, grâce à sa haute compétence des métiers de la chimie, propose des matériaux nouveaux (céramiques, produits polymérisés et composites) dont les applications sont envisageables dans les industries aéronautiques et de l’espace, domaines où l’Aérospatiale a conquis un poste de premier plan (avions de transport, hélicoptères, avion Hermès, lanceurs, missiles, satellites...). Ce dont les médias ont moins parlé, dans ce programme ambitieux, c’est de leurs expérimentations communes sur la destruction thermique des déchets industriels dangereux. Ces essais révolutionnaires tendent à incinérer « proprement » des déchets organochlorés de l'usine RP de Pont-de-Claix en Isère, par la torche à plasma, générateur calorifique de très haute énergie et faible encombrement, utilisant l’électricité comme source énergétique et un gaz partiellement ionisé, le plasma, comme vecteur (figures 1 et 2).
Pourtant, depuis 1984, Aérospatiale ne cesse d’expérimenter, directement sur sites industriels, son système plasma transportable d’une puissance modulable de 0,5 à 2,4 MW pour des essais de qualification de procédés où l’apport d’énergie plasma convient comme une solution économiquement séduisante. Cet outil de promotion a déjà équipé les installations de traitement thermique suivantes :
- — haut-fourneau à fonte, avec ou sans injection de charbon (HFRSU de Saulnes et Uckange : 1,5 Mt/an) (figure 3),
- — four à arc et poche d’acier en fusion (Ugine-Gueugnon et SFPO à Boulogne-sur-Mer : 0,3 Mt/an),
- — cubilot de fonderie (Peugeot à Sept-Fons),
- — four à ciment (Lafarge-Coppée : 150 t/j).
Ces réalisations françaises faisaient alors écho aux exploits suédois de SKF Steel Engineering appliquant ses procédés Plasmadust, Plasmared, Plasmamelt. Le plasma allait bientôt intéresser les éco-industries et l'Hygiène Publique avec la régénération des liqueurs noires de papeterie (procédés SKF Plasmapulp et américain West Virginia Pulp & Paper Co), la destruction des ordures ménagères et déchets hospitaliers contaminés, des pneumatiques usagés sans décohésion préalable, la pyrolyse au plasma des déchets radioactifs faiblement contaminés, et l’incinération directe, en lots, des déchets industriels toxiques, type organochlorés.
Plasma contre germes et dioxines
À l'heure actuelle, on peut affirmer que les expérimentations entreprises en France par Aérospatiale, EDF et les pouvoirs publics en matière de plasmas de puissance, sont délibérément sorties du domaine de la transformation des métaux, où la reconduction de l’exemple suédois les avait cantonnées jusque-là, pour se tourner résolument vers le traitement des déchets. À partir de 1985 s’amorçaient des essais de destruction par plasma d’ordures ménagères, de pneumatiques usés, de déchets hospitaliers et de résidus organochlorés industriels divers (J. Lemaistre, DPT-EDF, 1987).
Les essais préliminaires entrepris par Aérospatiale, EDF, CNIM et TIRU à la centrale EDF du Ponteau, à Martigues (Bouches-du-Rhône) (figure 4) ont porté en 1986 sur une poche de sidérurgie chauffée au moyen d'une torche à plasma de 500 à 1000 kW (charge de 700 kg/h de déchets hospitaliers mélangés à des ordures ménagères pour une puissance appliquée de torche inférieure à 600 kW). Les gaz issus de la pyrolyse, au PCI variable de 4000 à 7000 kJ/m³ N, à 1500 °C, étaient refroidis et brûlés, moyennant une très faible teneur en imbrûlés des cendres (0,25 % comparés à 2-8 % dans les unités conventionnelles), une émission de gaz et poussières aux valeurs réglementaires et une consommation spécifique de 0,8 kWh/kg.
Forts de cette expérience, les essais ont été menés par Aérospatiale, EDF et CNIM en 1988 à l'usine d'incinération d’ordures ménagères et déchets hospitaliers de Créteil (Val-de-Marne), d'une capacité de 150 t/j, exploitée par CIE, construite par Caliqua selon le procédé
Les atouts du plasma de puissance thermique vis-à-vis de la flamme ordinaire du réacteur ou de l'incinérateur sont ses propriétés exceptionnelles :
- — une forte densité d'énergie, donc un apport thermique de bon rendement à des températures élevées (applications sur hauts-fourneaux, cubilots, sécheurs-atomiseurs, lits fluidisés...),
- — des gradients de température usuels, de 2 000 à 10 000 °C, inaccessibles avec les moyens des fours traditionnels (destruction de déchets thermorésistants...),
- — un état ionisé, occasionnant de nouvelles réactions chimiques et réhabilitant d'anciennes synthèses classées chimériques (synthèse de l'acétylène et des oxydes d'azote, conversion profonde du pétrole et des résidus pétroliers...). Cependant, les réactions se produisant dans la flamme d'arc, une trempe est nécessaire pour « figer » les produits obtenus et privilégier le schéma de conversion désiré,
- — un apport d'énergie par dard radiatif sans gaz résiduels de combustion et sans pollution introduite (préparation de céramiques ultra-pures, silice de fibres optiques, raffinage des métaux...) ni rayonnement important, ce qui est un avantage pour la tenue thermique des parois du four (écoulement court de 1 m environ pour une puissance de 2 à 3 MW).
Générateur de plasma à arc soufflé
Caractéristiques typiques d'une torche de 2 MW pour utilisations industrielles :
- — gaz plasmagène : air, gaz industriels ou mélange (argon, azote, dioxyde de carbone, propane...),
- — durée de vie des électrodes : minimum 500 h dans l'air,
- — courant : 900 A,
- — enthalpie : 2,4 kWh/kg,
- — générateur de courant continu.
Le système Aérospatiale de torche à plasma d'arc non transféré est composé de cinq sous-ensembles distincts :
- — un générateur de plasma, cœur du dispositif, créant la torche à l'intérieur de laquelle les gaz se trouvent chauffés ;
- — une alimentation électrique en courant continu par redresseurs statiques (10 MW/torche), de puissance adaptée aux performances du générateur, avec une stabilité compensée de l'arc (longévité accrue des électrodes : 500 h minimum de durée de vie dans l'air) ;
- — un circuit hydraulique de refroidissement, pour absorber la chaleur dégagée aux électrodes ;
- — un circuit d'alimentation en gaz plasmagène, air, gaz industriels ou mélanges, argon, azote, dioxyde de carbone, propane, avec injection tourbillonnaire, pour une puissance de 2,4 à 3 MW ;
- — un système de contrôle-commande-mesure, c'est-à-dire de pilotage automatique.
De pyrofusion Andco Torrax.
Pyrolyse et gazéification ont été, on s'en souvient (1), considérées comme des moyens de valoriser les résidus urbains entre 1974 et 1980 (exploitation du laitier des scories assimilable à un minerai polymétallique, des gaz combustibles et des produits de craquage recyclables) mais abandonnées depuis parce qu'elles concernaient des produits à faible valeur ajoutée. Ces procédés sont en passe de sortir de leur injuste oubli aujourd'hui, du fait de la hausse sensible du coût d'incinération des déchets, du fait des traitements obligatoires relatifs à la déchloruration, au dépoussiérage, à la détoxication en métaux des fumées, à la lixiviabilité des cendres.
Avec le procédé Andco Torrax de Caliqua, toute la matière organique est convertie en chaleur urbaine et électricité, tandis que le dépoussiérage des gaz est assuré par électrofiltre. L'installation comporte un gazéifieur où les déchets brûlent à 1 400 °C, une chambre de post-combustion où les gaz de pyrolyse sont incinérés à 1 300 °C, une chaudière de récupération et un dépoussiéreur électrostatique. Les déchets, introduits dans la partie supérieure du four, descendent à contre-courant des gaz chauds de pyrolyse, sans organe mobile. Un faible excès d'air facilitant une meilleure récupération thermique, la torche à plasma expérimentée dans le procédé est placée justement sur le réchauffeur d'air et élève la température de l'air admis vers 4 000 °C. Cet artifice offre d'autres avantages.
On sait que les conditions d'incinération doivent satisfaire aux exigences prescrites par l'arrêté du 9 juin 1986 relatif
(1) Station-pilote de la Sodeteg de pyrolyse, desservant une population de 10 000 habitants à Grand-Quevilly, en Seine-Maritime.
aux installations d'incinération des déchets urbains et assimilés (temps de séjour de 2 secondes à la température de 750 °C minimale des gaz et produits de combustion des déchets). Mais la bonne règle veut que la température de post-combustion atteigne au moins 1000 °C pour permettre le craquage définitif des maillons aromatiques moléculaires.
Si la quasi-totalité des composés organiques se trouve détruite lorsque leur température est portée au-delà de 500 °C, par contre, il a été démontré que la combustion des organochlorés à un niveau thermique insuffisant permettait à des molécules très stables, type dioxines PCDD et furannes PCDF (1) de se former par pontage oxygène. L'incinération est d’ailleurs considérée comme une opération responsable de la dispersion de dioxines dans l'environnement quand les dispositions de prévention ne sont pas appliquées (émission totale annuelle moyenne de 1 à 100 g d'équivalents TCDD (2) pour un incinérateur de taille normale traitant 50 à 200 kt/an de déchets) (C. Rappe et Col., Université d'Umeå, Suède, 09/1987). Comme, en France, près de 40 % de nos ordures ménagères sont actuellement incinérées, on ne peut négliger le risque potentiel de pollution atmosphérique par les dioxines en zone urbaine, à proximité et sous les vents « favorables » des usines d'incinération de déchets. Les divers travaux de recherche, entrepris pour connaître les conditions de formation de ces organochlorés lors de l'incinération, s'accordaient à retenir que la quantité globale de PCDD et PCDF était réduite avec :
- — l'admission limitée d'un excès d'air,
- — l'augmentation de la densité d’énergie du foyer.
D'autre part, pour les déchets « hospitaliers » à risque, susceptibles de contenir des germes pathogènes et d’en occasionner la dissémination atmosphérique lors d'une combustion mal conduite, les DDASS admettent les conditions d'incinération retenues par l'arrêté du 9 juin 1986.
Les intérêts du dopage par torche à plasma deviennent évidents : destruction des organochlorés complète à la température de 1 400 °C, limitation à la formation des PCDD et PCDF par le contrôle du débit d’air introduit, destruction des germes pathogènes, récupération thermique améliorée autorisant un prix de revient de 1 200 à 1 500 F/t de déchets (M. Brenot, CNIM, 1988) (3).
Notons que la formation de ces toxiques PCDD et PCDF est une telle sujétion liée à l'incinération insuffisante des ordures ménagères et déchets assimilés que l'usine proche de Stuttgart, en RFA, n’a pas hésité à s'équiper d'une installation de détoxication des cendres traitant 600 kg de cendres/h. Le procédé Hagenmaier repose sur le fait que les PCDF naissent principalement dans les cendres volantes et non dans les chambres de combustion : métaux lourds et oxydes métalliques sont les catalyseurs de formation de PCDF en présence d’un excès d'oxygène mais provoquent la réaction inverse en défaut d'oxygène. Le procédé Hagenmaier applique aux cendres un traitement anoxique de quelques minutes à 300 °C pour la destruction des PCDF.
Le dopage à la torche à plasma pallie aussi cet inconvénient. Parmi les travaux étrangers, il faut citer l'unité-pilote de la Sté Résorption Canada Ltd pour la destruction des déchets urbains. Elle permet l'incinération au taux de 200 kg/h dans une chambre à réaction maintenue à 1 200 °C et pourvue d'une torche à plasma Plasma Energy Corporation de 150 kW, d'où les gaz extraits, lavés à l'eau, sont valorisés sous forme de combustible riche de 50 % vol. en H₂ et 25 % vol. en CO.
Par rapprochement, on mentionnera les réalisations suédoises associées au chauffage urbain. L'usine d’Höganäs qui produit 190 kt/an d'éponges de fer par le procédé Plasmared, et l'usine de Malmö délivrant 78 kt/an de ferrochromes par le procédé Plasma-Chrome (huit torches de 6 MW par arc transféré) mettent en œuvre la technologie SKF Steel Engineering du plasma et font économiser respectivement à chaque ville raccordée 80 kt/an et 33 kt/an de charbon du fait de la récupération de la chaleur résiduelle, sous forme de gaz ou d'eau chaude.
Pyrolyse des PCB
Parmi les déchets – toxiques – incinérables par la technologie Plasma, les PCB occupent une place indéniable (figure 5). Une législation contraignante est en effet venue s'abattre sur l'emploi de ces PCB accusés, entre autres, de conduire à la formation de PCDD et PCDF lors de leur décomposition thermique accidentelle. La directive européenne 85/467/CEE du 1er octobre 1985 interdit depuis le 1er juillet 1986 la mise sur le marché et l'emploi d’équipements neufs contenant des PCB. Le décret n° 87-59 du 2 février 1987 a transcrit en droit français la directive européenne. Il en résulte en France des besoins d’élimination de déchets à PCB visant principalement notre parc national de transformateurs à fluide diélectrique (soit 100 000 unités contenant 50 kt de fluide à 60 % de PCB et 100 kt de carcasses imprégnées après vidange simple — environ 5 % de PCB résiduaires), et de condensateurs moyenne tension (soit 250 000 unités représentant 10 kt de solides mélangés à 5 kt de PCB purs dont 50 % sont vidangeables).
On sait aussi que tous les déchets à PCB doivent être détruits dans une installation agréée et qu'une seule plateforme répond en France à cette exigence, celle de la Sté Tredi à Saint-Vulbas dans l’Ain (4). Le prix d'élimination à la charge du détenteur de l'appareil est assez élevé : pour la destruction d'un transformateur moyen de 630 kVA contenant 500 l de diélectrique à PCB et d'un poids moyen de 2 t, il faut compter, hors
(1) PCDD : polychlorodibenzodioxines ; PCDF : polychlorodibenzofurannes.
(2) TCDD : tétrachloro-2, 3, 7, 8 dibenzoparadioxine ou « dioxine ».
(3) D'après le Guide Technique n° 2, Hygiène publique, du Ministère de la Santé, coût de traitement des déchets hospitaliers à risques : coût d’enlèvement : 250 — 1 000 F/t ; coût d'incinération en site extérieur : 300 — 1 800 F/t, en F 1988.
(4) La circulaire du 30 septembre 1985, la directive 85/467/CEE du 1er octobre 1985 et l'arrêté-type du 11 mars 1986 assimilent au PCB toute préparation, tout produit, tout déchet, tout matériau contenant ou contaminé par plus de 100 ppm de PCB (soit 100 mg/kg ou 0,01 % en poids). Les huiles minérales usagées présentant une teneur en PCB supérieure à 50 ppm devront être éliminées dans les mêmes conditions. L'installation de la Sté Aprochim à Gréz-en-Bouère, en construction actuellement, viendra bientôt soulager celle de Tredi à Saint-Vulbas dont les capacités de traitement paraissent saturées en PCB (14 000 t/an de PCB et 10 000 transfo/an pour 1989).
transport, un budget de l'ordre de 15 000 F HT (1).
Aux USA, le procédé pyrolytique développé en commun par ATC (Arc Technologies Company) et EPRI (Electric Power Research Company), basé sur l'emploi du four à arc classique, a été particulièrement conçu pour la destruction des PCB en condensateurs entiers. L'arc électrique chauffant le four, alimenté en courant continu, est créé entre une électrode creuse en graphite et le métal des condensateurs en fusion, introduits en entier dans le four à l'aide de deux sas étanches de chargement.
Après la fonte de l’enveloppe métallique libérant les PCB, ceux-ci pyrolysent vers 1 600 °C. Les gaz de pyrolyse, essentiellement H₂, HCl, CO et hydrocarbures légers en C₁, sont refroidis, dépoussiérés en venturi-cyclone et lavés du gaz chlorhydrique dans deux tours successives avant d’être brûlés. Depuis 1987, une unité opérationnelle fonctionne ; dotée d'une puissance électrique de 3 MW, elle traite 1,5 t/h de condensateurs, fournit 750 kg/h de métal fondu et 850 m³ N/h de gaz valorisables.
(1) Le coût total de l’opération se décompose ainsi :
- — incinération du fluide à PCB : 4 F/kg,
- — décontamination : 11 F/kg transformateur et 8 F/kg condensateur,
- — collecte et acheminement au centre : 2 000 à 6 000 F par appareil,
- — stockage intermédiaire éventuel : 1 000 F/mois.
Coût pratiqué en Royaume-Uni : 15 000 F transformateur plein.
Coût pratiqué en RFA : 6 000 – 10 000 F/t fluide à PCB + 700 F/t de dépôt des carcasses vides en mine de sel
15 000 F t ht
Les avantages du procédé à plasma d'arc sont :
- — la destruction des PCB en conteneurs entiers, sans manipulation de PCB, solvants de décontamination souillés, ni traitement des condensateurs après dépotage,
- — la production d’un faible débit gazeux à traiter,
- — la réalisation d'une pyrolyse en l'absence d'oxygène (J.P. Groo, Sté des Techniques en Milieu Ionisant — Revue RGE, 09/1987).
Dès 1982, et à la demande du Secrétariat d'État à l’Environnement américain, la Sté Pyrolysis System Inc. expérimentait le procédé Pyroplasma de Westinghouse, l'un des grands constructeurs mondiaux de torches à plasma. Une première unité mobile de 500 kW pour traiter 0,3 m³/h a été exploitée sur le site pollué de Love Canal. Une seconde unité de 1,2 m³/h est en service depuis 1987. Le procédé Pyroplasma met en œuvre un plasma d’air avec injection du liquide dans le vortex. Après passage dans la torche (5 500 °C à 10 000 °C), les gaz traversent une chambre de combustion (temps de séjour de 1 seconde à 1 100 °C) puis sont lavés et refroidis par une solution de soude piégeant l'HCl formé. Une post-combustion au propane facilite le brûlage des gaz CO et H₂ avant rejet atmosphérique.
Des expérimentations menées sur des déchets liquides contenant des PCB (25 % en masse de PCB avec 75 % en masse d'un mélange de méthyl-éthyl-cétone et méthanol) ont montré que 99,99990 % des PCB étaient détruits, alors que le rendement exigé à l’usine de Saint-Vulbas est de 99,9999 % (fig. 6) limitant ainsi la concentration en sous-produits PCDD et PCDF à des traces de l‘ordre du ppt, partie par trillion (2).
Le chalumeau à plasma de Westinghouse permet ainsi de recycler à faible coût les déchets de métaux précieux, les poussières métalliques des fours électriques, et d’éliminer les NOₓ et SOₓ dans les émissions, du fait du milieu réducteur du plasma thermique : le procédé Pyroplasma dissocie les combinaisons organiques à l'état de CO, CO₂, N₂, HCl, carbone particulaire, H₂ et de gaz éthylène CH₂ = CH₂ et acétylène CH≡CH (S.C. Vorndran, Westinghouse — 1986). Cet équipement à plasma mobile offre la possibilité de détruire sur place, en semi-remorque équipé d'analyseurs automatisés des effluents gazeux, sans avoir pour l’industriel à prendre en charge le coût et la responsabilité liés au transport et à l'élimination de ses déchets dangereux.
La Sté Plasma Energy Corporation de Raleigh a mis au point des torches de 15 kW à 1,5 MW, et particulièrement un système de 6 MW à arc transféré pour des essais de destruction de déchets chimiques solides.
(2) Sous-multiples utilisés dans la notation des faibles teneurs et quantités infinitésimales :
- ppm : partie par million, 10⁻⁶, micro
- ppb : partie par billion, 10⁻⁹, pico
- ppt : partie par trillion, 10⁻¹², atto. On utilise aussi une valeur intermédiaire : 10⁻⁹, nano.
Au Canada, la Sté Plasma Research de Kingston développe un réacteur à plasma de 1 MW où sont injectés les déchets sous forme liquide dans un jet de plasma à la température extrême de 15 000 °C, les dioxines s’y trouvant parfaitement détruites. Parallèlement, la Sté Hydroquebec exploite un procédé « Pyral » de pyrolyse alcaline de déchets chlorés dans un four à arc sous argon dont la température est maintenue vers 1 500 °C. Avant leur injection dans le four, les déchets ont été malaxés avec du carbonate de sodium afin que le traitement thermique s’opère en milieu réducteur, exempt d’oxygène et, de ce fait, ne génère ni dioxines ni furannes. Les gaz émis sont brûlés, refroidis et lavés, la destruction des PCB se révèle totale.
La société suisse Moser Glaser préconise un procédé de destruction totale des déchets solides introduits entre deux torches à plasma Retech éclatant dans un réacteur rotatif en cuivre. Les gaz de pyrolyse sortant de ce réacteur subissent ensuite une oxydation totale par injection d’oxygène pur, puis sont épurés tandis que les déchets sont convertis en une masse vitreuse stable.
Une première réalisation, d’une capacité de traitement de 5 à 7 kt par an, démarrera courant 1989 près de Washington (creuset de 2,4 m, 2 torches de 1,2 MW chacune, alimentation par sas du réacteur en lots de 30 à 200 kg ; coût du traitement relativement élevé : de 2 000 à 2 500 FS/t).
Grandes productrices de fibres de cellulose, les usines à papier suédoises sont du même coup accusées de polluer la Baltique par des rejets constants de résidus organochlorés résultant du blanchiment au chlore de la pâte. Au point que toutes les émissions en PCDD et PCDF des industries suédoises sont repérées et suivies sur carte depuis 1988. C’est maintenant à SKF Steel Engineering d’exercer son savoir-faire acquis en technologie de la torche à plasma pour détruire les déchets organochlorés. Pour cela, SKF préconise le procédé Plasmawaste qui rejoint le principe d’Andco Torrax.
Torche à plasma pour RP Pont-de-Claix
Il est symptomatique de noter que la première torche à plasma européenne de l’Aérospatiale, destinée à détruire des déchets industriels, a été mise en service sur la plus importante plate-forme chimique de France (effectif de 2 150 personnes, surface au sol de 135 ha, C.A. de 3 Mrd F/an). L’usine RP du Pont-de-Claix, en Isère, est remarquable à beaucoup d’égards : particularités de site et de production industrielle.
Implantée depuis 1916 dans la banlieue grenobloise, cette usine, initialement conçue pour la production de chlore et de gaz de combat (ypérite ou gaz moutarde ; sulfure d’éthyle dichloré), a su s’adapter et poursuivre son développement jusqu’à devenir, au cours des années 70, un grand complexe de chimie lourde axé sur la préparation du chlore (actuellement : 220 kt/an) et de phytosanitaires.
Depuis 1980, les nouvelles fabrications y ont pris le relais des anciennes de la chimie lourde et les arrêts d’ateliers (oxyde de propylène, acides aliphatiques, phénol-acétone, perchloréthylène) ont été compensés par des produits nouveaux. Aujourd’hui, la plate-forme de Pont-de-Claix évolue vers des productions à plus haute valeur ajoutée où les intermédiaires de synthèse et matières premières pour l’agrochimie occupent une place primordiale : phosgène (oxychlorure de carbone ou chlorure de carbonyle : COCl₂, comme intermédiaire de synthèse), chlorophénols, TDI (diisocyanate de toluène pour peintures haut de gamme et herbicides sélectifs), lindane (isomère gamma de l’hexachlorocyclohexane dit HCH, insecticide puissant) dont la production atteint 4 kt/an (production mondiale : 6 kt/an) et bisphénol A.
Mais Rhone-Poulenc est le seul groupe chimique possédant le know-how industriel pour traiter par cracking thermique les 36 kt/an de dérivés de cette fabrication, les transformer en trichlorobenzènes utilisés dans l’industrie et résoudre au niveau de l’environnement les problèmes posés par cette énorme charge de matières inactives (dépollution des rejets, des eaux, des effluents, odeurs, bruit…).
Malgré tout, la dangerosité de la plate-forme est incontestable car la plupart de ces produits de base ou de fabrication sont des toxiques notoires, des pesticides actifs ou des gaz sous forme liquide, susceptibles d’inflammation.
spontanée et d’explosion à l’air. Autre particularité, malheureusement, l’usine est dans la ville de Pont-de-Claix (en occupant 30 % de la surface communale) et trois de ses côtés sont ceinturés par des habitations absolument contiguës, sans aucun périmètre de sécurité. C’est que l’usine Rhône-Poulenc a été rejointe par le déferlement de la banlieue de Grenoble à 22 km N-E, usine dûment répertoriée dans la liste des établissements industriels soumis à la Directive Seveso ! Aussi s’expliquera-t-on assez aisément le refus en 1988 de la municipalité du Pont-de-Claix d’installer en son sein une usine d’incinération d’ordures ménagères proposée par le Sieparg, Syndicat Intercommunal d’Aménagement de la Région Grenobloise. Rhône-Poulenc, ayant hérité d’un des 103 anciens dépôts anarchiques de produits chimiques répertoriés par le Ministère de l’Environnement sur le territoire français en 1985, avait, de sa propre initiative, installé un réseau piézométrique de surveillance de la nappe sous l’usine du Pont-de-Claix. En effet, les investigations du DRIR avaient mis en évidence, au lieu-dit « La mare aux goudrons », tout un arsenal pyrotechnique noyé dans des déchets et résultant des activités passées du site. Le curage définitif du dépôt et l’optimisation du contrôle phréatique apportaient toute la sécurité aux mesures de résorption.
Dès 1978, Rhône-Poulenc avait mis en place dans ses services des GAP, Groupes d’Amélioration de Procédés, constitués de chercheurs, d’ingénieurs de développement et d’exploitants. Objectif ? l’amélioration de l’outil industriel par la mise en place de technologies propres. Le principe ? utiliser des procédés qui minimisent les déchets, les effluents gazeux ou liquides et optimisent le recyclage et la valorisation des sous-produits (R. Pénisson, directeur général adjoint — R.P. Chimie — 1989). Car Rhône-Poulenc de Pont-de-Claix « va de l’avant », autant dans ses options d’engineering (en 1986, unité d’électrolyse avancée de l’eau de 2,4 MW avec production de 480 m³/h d’hydrogène à la pureté de 99,9 %) que dans son programme de sécurité (atelier de HDI, hexaméthylène-diisocyanate, — confiné sous une bulle étanche en acier ancrée sur dalle antisismique).
Quant à la réforme des technologies polluantes, RP s’emploie à maîtriser :
- — les effluents gazeux : l’utilisation de gaz naturel à la place du fioul comme source d’énergie a diminué considérablement les rejets d’anhydride sulfureux. De 40 t SO₂/j, ils ont chuté à 0,80 t/j (la part de l’usine ne représente plus que 2,5 % des rejets soufrés à l’atmosphère de l’ensemble des industries grenobloises),
- — les effluents liquides : entre 1969 et 1986, Rhône-Poulenc a réduit de 75 % la pollution organique des eaux par retenue à l’émission et par séparativité des réseaux.
La destruction des déchets dangereux est effectuée par deux unités récemment aménagées :
- — une plate-forme de brûlage de résidus chlorés et non chlorés d’une capacité de 30 kt/an pour liquides et gaz représentant un investissement de 160 MF qui deviendra opérationnelle en 1990 ; l’étude et la construction des deux lignes d’incinération constitutives de cette plate-forme ont été confiées par Rhône-Poulenc à Lurgi S.A.,
- — un pilote d’incinération utilisant la torche à plasma en collaboration avec Spie-Batignolles, Speichim, EDF et Aérospatiale, et intéressant les déchets solides toxiques de Rhône-Poulenc, Atochimie, Roussel-Uclaf principalement. Les déchets brais et goudrons divers, contenus dans des fûts, pourront être directement incinérés à la température de 3 000 à 4 000 °C, sans avoir été dépôtés. L’usine devait jusqu’à présent expédier en centre Trédi dans l’Ain quelque 1 300 t de déchets/an. Pour des raisons de stratégie et d’économie, RP investit 20 MF aujourd’hui en expérimentation de la technologie Plasma, et compte en 1989 démontrer la possibilité d’éliminer les déchets toxiques en fûts.
Ainsi, de la mise à l’épreuve des matériaux stratégiques à la destruction des résidus industriels, le plasma thermique connaît un heureux transfert des technologies spatiales aux technologies propres, transfert intelligent que souhaite Henri Curien, ministre de la Recherche et de la Technologie. La torche à plasma est devenue une arme efficace contre les toxiques résistants de notre monde industriel contemporain. Le Pr J. Bernard n’aime-t-il pas à répéter : « Ce sont les progrès mêmes de la connaissance qui règlent les problèmes que le progrès précédent a créés » ?