INTEROX-CHIMIE
I. — TECHNIQUES D'ÉPURATION
Il devient de plus en plus rare, du moins dans nos régions à urbanisation intense, de pouvoir décharger dans la nature les eaux usées municipales sans traitement préalable. Ces eaux devront recevoir des traitements d'épuration dont l'importance variera, entre autres choses, en fonction de l'utilisation ultérieure du milieu récepteur des effluents liquides municipaux.
Nous décrirons rapidement les principales opérations que peut comporter un traitement d'épuration complète.
a) Les effluents individuels sont d'abord collectés et transportés sur une distance plus ou moins longue vers la station de traitement. Selon la topographie locale et l'éloignement de la station, le transport se fera par écoulement gravitaire ou par pompage.
b) Les effluents subissent généralement tous un traitement d'épuration primaire qui consiste à éliminer les éléments solides présents. Ce traitement primaire peut être plus ou moins sophistiqué selon le degré de pollution de l'effluent. Ainsi, on peut avoir des opérations de dégrillage, dessablage, déshuilage, dégraissage, tamisage, flottation, floculation avec ou sans addition de produits chimiques, sédimentation.
c) Le stade suivant dans l'épuration consistera à éliminer la plus grande quantité possible de matières organiques dissoutes et en suspension colloïdale dans l'eau par une dégradation biologique. Très schématiquement, on dira que l'on mettra en contact l'effluent contenant des matières organiques avec des bactéries qui vivront et se reproduiront aux dépens des produits à éliminer (bactéries hétérotrophes). L'épuration biologique consiste essentiellement en une série d'éliminations d'atomes d'hydrogène du substrat organique.
L'oxygène moléculaire peut jouer le rôle d'accepteur d'hydrogène, on parlera alors d'une épuration en milieu aérobie.
bactéries Mat. organique + O₂ ———> CO₂ + H₂O + énergie (RH₂)
Les bactéries consommeront de l'oxygène pour assurer leurs besoins énergétiques, pour se reproduire par division cellulaire et pour leur respiration endogène. Cette épuration aérobie entraînera la production de matières inertes et d'un excédent de matières vivantes, l'ensemble formant ce qu'on appelle « les boues en excès ».
Si l'oxygène moléculaire fait défaut, c'est l'oxygène combiné qui servira d'accepteur d'hydrogène; on parlera alors d'une épuration anaérobie.
bactéries Mat. org. + NO₃ ———> N₂ + H₂O + s/prod. + énergie (RH₂)
bactéries Mat. org. + SO₄ ———> H₂S + H₂O + s/prod. + énergie (RH₃)
bactéries Mat. org. + CO₂ ———> CH₄ + H₂O + s/prod. + énergie (RH₂)
Ces réactions libèrent des quantités d'énergie décroissantes. Il en résulte que l'oxydation des matières organiques (ou leur déshydrogénation) se fera de préférence par prélèvement de l'oxygène des nitrates, ensuite des sulfates et enfin de l'acide carbonique.
Certaines bactéries peuvent assurer une épuration en l'absence totale d'oxygène. Dans ce cas, on parle de système anaérobie strict qui peut être représenté par les réactions suivantes :
bactéries Mat. org. solubles ———> Interméd. org. acides + CO₂ (B) (BH₂) + H₂O + énergie
bactéries Interm. org. acides ———> CH₄ + CO₂ + énergie (BH₄)
Le métabolisme anaérobie libère beaucoup moins d'énergie que le système aérobie. L'accroissement de la biomasse sera par conséquent beaucoup plus faible; par ailleurs, la majeure partie du carbone
organique transformé le sera en gaz carbonique (CO₂) et en méthane (CH₄).
Trois systèmes pratiques d’épuration biologique sont d’usage courant ; ils se différencient entre autres par leur aptitude à épurer des niveaux de pollution variables.
Le système le plus simple consiste à épurer l’effluent naturellement en le faisant séjourner dans des étangs d’oxydation (lagunage). La capacité d’épuration de ce système est limitée. L’essentiel de l’épuration se fait en milieu aérobie. Il est donc vital d’assurer la présence d’une quantité suffisante d’oxygène.
Un deuxième système consiste à mettre en œuvre des lits (ou filtres) bactériens. Dans ce système, on fait ruisseler l’eau sur une masse de matériaux adéquats qui servent de support aux micro-organismes épurateurs. Pour pouvoir fonctionner, ces lits doivent être aérés (alimentés en oxygène). La charge organique polluante et l’oxygène diffusent à travers le film biologique jusqu’aux bactéries accrochées aux matériaux constituant le lit tandis qu’inversement les sous-produits et le CO₂ s’élimineront dans les fluides liquide et gazeux.
À noter l’importance d’assurer une bonne aération du filtre bactérien.
Le troisième système convient particulièrement pour le traitement des effluents fortement chargés. Ce système est dit « par boues activées ». Le principe consiste à provoquer le développement d’un floc bactérien (boues activées) dans un bassin d’aération alimenté en eau à traiter. Le mélange « effluent-boue » est brassé de façon à y être aéré et maintenu en suspension. La liqueur subit ensuite une opération de clarification de façon à séparer les boues de l’eau purifiée. Une partie des boues est renvoyée au bassin d’aération, le solde est évacué.
Comme pour les deux premiers systèmes, on note que la présence d’oxygène en quantité suffisante est essentielle à l’opération de purification.
Selon l’usage qu’on veut faire de l’eau épurée et selon son degré de pollution, il est parfois nécessaire de procéder à des traitements supplémentaires d’épuration.
Ces opérations généralement désignées comme « traitements tertiaires » peuvent comporter :
+ l’élimination de matières en suspension (filtration sur terres d’infusoire, …) ;
+ l’élimination de matières organiques (adsorption sur charbon actif, …) ;
+ l’élimination de matières inorganiques (ultra-filtration, échange d’ion, osmose inverse, …) ;
+ l’élimination de l’azote et du phosphore (précipitation des phosphates, dénitrification biologique, air stripping, etc.).
Un traitement complémentaire consiste également à désinfecter l’eau précédemment épurée.
e) Les diverses phases d’épuration décrites ci-dessus entraînent la formation de résidus solides désignés sous le nom général de boues. Ces boues doivent être éliminées. Les techniques pour ce faire sont diverses. Citons :
+ opérations de concentration (filtration sous vide ; centrifugation, etc.) ;
+ digestion (aérobie, anaérobie, compostage) ;
+ séchage et combustion ;
+ élimination par déversement sur champs, par immersion en mer, etc.
[Schéma]II. — PROBLÈMES RÉSOLUS PAR LE PEROXYDE D’HYDROGÈNE
Ayant rappelé brièvement en quoi peut consister un traitement d’épuration d’eaux résiduaires, nous examinerons les difficultés et déficiences qui peuvent apparaître au cours de ces opérations et pour lesquelles l’emploi de peroxyde d’hydrogène constituerait une solution partielle ou totale.
a) Collecte et transport des effluents
1) Corrosion des conduites
Les effluents domestiques peuvent être une source de corrosion du béton, matériau d’utilisation courante pour la confection des conduites de transport et des chambres de collecte.
Cette corrosion est imputable à une attaque par acide sulfurique. Les principales réactions qui interviennent lors de ce phénomène sont les suivantes :
+ formation de sulfate de calcium aux dépens de la chaux libre Ca(OH)₂ + H₂SO₄ → CaSO₄·2H₂O
+ formation de sulfoaluminate de structure molle (entraînant un « gonflement », une
« expansion » et finalement un « éclatement » du béton)
3 CaO·Al2O3·12 H2O + 3 (CaSO4·2 H2O) + 14 H2O → 3 CaO·Al2O3·3 CaSO4·32 H2O
+ décomposition des silicates hydratés
3 CaO·2 SiO2·nH2O + 3 H2SO4 → 3 CaSO4·2 H2O + 2 SiO2 + mH2O
Le mécanisme de formation de l’acide corrosif peut se décrire schématiquement comme suit. Toute eau résiduaire municipale contient des dérivés du soufre. Ce soufre est présent sous la forme de sels inorganiques (sulfates) ou inclus dans des molécules organiques (protéines animales et végétales, sulfonates).
Sous l’action de bactéries d’un type donné travaillant en milieu anaérobie, les matières organiques subiront une certaine minéralisation et le sulfate sera réduit en sulfure. Cette activité biochimique est surtout intense le long des parois immergées des conduites recouvertes de boues et de dépôts (slimes).
[Figure : Effet des sulfures dans une conduite par gravité]Dans les installations ne travaillant pas sous pression (conduites gravitaires), l’hydrogène sulfuré peut se dégager dans l’atmosphère. Ce dégagement sera favorisé par une acidification des eaux (conséquence entre autres de la fermentation anaérobie), une élévation de la température et tout phénomène de turbulence. L’hydrogène sulfuré dégagé dans l’atmosphère peut y être oxydé biochimiquement en acide sulfurique. Celui-ci attaquera le béton préférentiellement à la ligne de séparation des phases liquide et gazeuse.
En résumé, on aura les réactions suivantes :
milieu anaérobie : bact. protéolytiques — mat. org. contenant du soufre — mat. org. + SO4²⁻ — SO4²⁻ → S²⁻ + sous-produits — S²⁻ + 2 H⁺ ⇆ H2S ⇆ HS⁻ + H⁺ milieu aérobie : bactéries — HS⁻ + 2 O2 → H2SO4
Dans les installations sous pression, la formation d’acide sulfurique ne pourra se faire faute d’oxygène. Elle aura lieu à la sortie des conduites (trous d’homme, évents, chambres de collecte, etc.).
À noter aussi que l’hydrogène sulfuré peut corroder certaines conduites métalliques (corrosion électrochimique du fer).
Parmi les solutions envisagées à ce problème de corrosion, nous en citerons trois.
La première consiste à prévenir la formation de sulfures (la réduction biochimique des sulfates). Cela peut se faire en injectant en début de conduite de l’air, de l’oxygène ou du peroxyde d’hydrogène. Puisque la solubilité de l’oxygène et de l’air dans l’eau est fort limitée, il faudra procéder à des injections répétées tout le long de la conduite. Le peroxyde d’hydrogène n’ayant pas ce problème de solubilité sera d’une utilisation plus facile. On peut songer aussi à injecter des nitrates qui seront réduits de préférence aux sulfates. Un autre moyen d’empêcher la formation de sulfures est d’inhiber par le chlore l’activité des bactéries sulfato-réductrices. Ce système est d’une mise en œuvre délicate.
Une deuxième solution consiste à empêcher les sulfures formés de se dégager dans l’atmosphère. L’addition à l’effluent de sels ferreux ou ferriques permet de réaliser cet objectif par floculation des sulfures. À noter cependant qu’un rejet (accidentel) d’acide peut entraîner une remise en solution des sulfures.
Une troisième solution est d’oxyder les sulfures au moyen de peroxyde d’hydrogène selon la réaction :
H2S + H2O2 → S + 2 H2O
La vitesse de cette réaction est accélérée par la présence de certaines impuretés dans l’effluent (du fer par exemple).
Ce problème de corrosion se pose pour un grand nombre de conduites existantes. Pour les conduites à construire, on peut tenter d’éviter l’apparition de ce problème par l’utilisation de matériaux résistant à l’acide sulfurique (bétons spéciaux, bétons recouverts d’une couche protectrice, plastique, etc.).
2) Odeur
L’hydrogène sulfuré dont la formation a été décrite ci-dessus est un produit connu pour son odeur nauséabonde. Celle-ci est détectable même lorsque la concentration de H2S dans l’air est extrêmement faible. En outre ce produit est hautement toxique.
Les trois techniques énoncées ci-dessus pour empêcher la corrosion du béton sont évidemment d'application pour éviter l'apparition d’odeur de H₂S. La méthode de traitement cependant la plus ancienne consiste à traiter l'effluent par du chlore ou de l'hypochlorite. L’hydrogène sulfuré est oxydé par ces réactifs en acide sulfurique selon la réaction
4 H₂O + 2 H₂S + 4 Cl₂ → 2 H₂SO₄ + 8 HCl
En pratique, il s'avère que la quantité de chlore à mettre en œuvre pour éliminer le sulfure d’hydrogène est supérieure à la quantité stœchiométrique, le chlore réagissant avec un certain nombre d'autres constituants de l’effluent. L’emploi de cet oxydant nécessite en outre une surveillance attentive, puisqu’un excès de chlore peut perturber sérieusement les phases d’épuration biologique ultérieures et entraîner des problèmes de toxicité.
Les techniques faisant appel au peroxyde d’hydrogène et à l’oxygène sont utilisées industriellement tant aux États-Unis qu’en Australie et en Europe. L'injection du peroxyde d’hydrogène n’exige qu'un investissement modéré qui se réduit à un réservoir de stockage et à une pompe doseuse. De manipulation aisée et complètement miscible à l'eau, le peroxyde d’hydrogène permet une optimisation parfaite du traitement.
L’élimination des odeurs peut également être réalisée en utilisant des alcalis, de l'ozone, des parfums masquant l’odeur de H₂S voire la technique coûteuse d’adsorption sur charbon actif.
b) Épuration biologique
1) Déficit en oxygène
Comme nous l’avons vu, la présence d’oxygène est indispensable au bon fonctionnement de l’épuration biologique (lagunage, lits bactériens, boues activées).
Il peut arriver que la quantité d’oxygène disponible soit insuffisante pour assurer l’épuration souhaitée. Ce déficit en oxygène peut avoir diverses origines. Ainsi :
— une augmentation de la température des étangs d'oxydation entraînant une diminution de la quantité d’oxygène dissous ou une surconsommation d’oxygène par suite de la prolifération d’algues,
— une surcharge de l'installation d’épuration consécutive à un sous-dimensionnement (installations anciennes) ou à des à-coups de pollution (afflux touristique, campagnes sucrières, etc.).
Il a été démontré qu'une addition de peroxyde d’hydrogène permettait d’apporter le supplément d’oxygène souhaité. On a trouvé que la biomasse n'était pas affectée par une addition raisonnable de peroxyde. Il a également été constaté que la libération d’oxygène au départ du peroxyde se faisait en fonction des besoins, certains constituants de la biomasse agissant comme régulateurs. L'utilisation de peroxyde d’hydrogène comme source complémentaire d’oxygène est une pratique qui a fait ses preuves dans un certain nombre de cas d’urgence tant dans notre hémisphère qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande.
2) Foisonnement des boues
Certaines unités de boues activées voient leur fonctionnement perturbé par une mauvaise décantation voire un gonflement des boues dans la phase qui suit l’aération.
Les causes réelles de ce mauvais fonctionnement peuvent être très variées. On peut l'imputer entre autres choses à la composition de l'effluent à traiter (présence d’un excès de carbohydrates, de certains éléments toxiques, ...), à des variations de température ou de pH de l’effluent, à des surcharges momentanées de l'installation.
Il est d’usage de distinguer deux types de foisonnement. L’un est lié à la présence et à la prolifération de bactéries filamenteuses. L’autre s’apparente à une défloculation, conséquence d’une altération d’origine métabolique de la fraction mucilagineuse du floc et est beaucoup moins fréquent.
La méthode la plus courante de traitement d'une boue affectée d’un foisonnement du type filamenteux est le recours à la chaux ou au chlore. Cet oxydant présente l’inconvénient d’être très peu sélectif et de pouvoir attaquer également des micro-organismes utiles. L’addition de chaux (floculant) peut améliorer la décantation mais n’élimine pas les bactéries responsables du foisonnement. L’élimination de bactéries filamenteuses par addition de peroxyde d’hydrogène s’est avérée possible dans un certain nombre de cas. Le foisonnement non filamenteux peut parfois aussi être éliminé par un traitement oxydant au chlore ou au peroxyde (phénomène d’électrophorèse). Il faut noter que la connaissance du phénomène de foisonnement n’a pas encore atteint un degré tel qu’on puisse prévoir avec certitude l'efficacité d’un traitement curatif quelconque même s'il fait appel au peroxyde.
Une mauvaise décantation des boues peut aussi être le résultat d’une dénitrification. L’absence d’une quantité suffisante d’oxygène dans le décanteur peut conduire les micro-organismes à prélever leur oxygène entre autres sur les nitrates qui seront réduits en azote :
bactéries NO₃ — O₂ → NO₂ — O₂ → N₂
Les bulles d’azote produites par cette réaction tenteront de s’échapper dans l’atmosphère et entraîneront à la surface du décanteur une certaine quantité de matières solides.
Ce phénomène de dénitrification peut survenir lorsque le temps de séjour du mélange boue/effluent dans le décanteur est trop long (unité surdimensionnée ou sous-charge momentanée). Une addition de peroxyde constitue le remède pour combattre cette dénitrification. L’avantage considérable du peroxyde, produit liquide, est de pouvoir être introduit dans le décanteur sans provoquer de turbulence entraînant une rupture des flocs.
bactéries NO₂ → N₂
c) Traitement des boues
Dans certains cas, l’élimination des boues résiduaires se fait par épandage ou par immersion.
Le peroxyde d’hydrogène s’est révélé efficace dans certaines opérations de déshydratation sur filtre ou sur lit de séchage et est utilisé pour ce faire au Japon par exemple.
Le peroxyde peut également être utile pour désodoriser les boues ; des applications pratiques existent en Europe et aux États-Unis.
d) Traitements tertiaires
Le peroxyde d’hydrogène peut être d’un emploi très utile lors de certaines opérations de polissage des effluents.
Le rôle du peroxyde sera cette fois encore de prévenir la formation de conditions anaérobies néfastes au rendement de l’épuration.
À titre d’exemple de ce que peut apporter le peroxyde, citons une amélioration du fonctionnement des filtres à sable. On pourra obtenir une meilleure élimination des matières en suspension et de l’azote ammoniacal. Ce dernier produit peu souhaité dans les eaux destinées à la fabrication d’eau potable sera oxydé biochimiquement en nitrate selon les réactions :
bactéries NH₄⁺ + 1 ½ O₂ → NO₂⁻ + 2 H⁺ + H₂O bactéries NO₂⁻ + ½ O₂ → NO₃⁻
À côté de ce rôle d’agent oxygénant, le peroxyde peut dans certains cas être utilisé en tant qu’oxydant, par exemple pour l’élimination de colorants.
CONCLUSION
Le peroxyde d’hydrogène est un produit dont les possibilités d’applications dans le traitement des eaux résiduaires municipales sont multiples.
Ses qualités intrinsèques en font en outre un réactif de choix dans l’épuration de nombreux effluents industriels.
Le tableau suivant présente une vue synoptique de ses possibilités.