Pour disposer d'un capteur de chlore facile à installer, économique, fiable, précis et n'exigeant aucune maintenance durant de nombreux mois d'exploitation, plusieurs sociétés du groupe Lyonnaise des Eaux (Cylergie, CIRSEE, Eau et Force/Parisienne des Eaux) et la SAGEP ont développé un microcapteur de chlore actif, à l'issue de plusieurs années de recherche et d'essais pratiqués en grand nombre sur de multiples sites. Après le rappel des enjeux de la mesure continue du pouvoir désinfectant des eaux, l'article présente le micrcapteur ampérométrique et son équipement permettant une installation facile sur n'importe quel point d'un réseau de distribution d'eau potable, d'une usine de traitement d'eau, d'une piscine collective ou d'une installation industrielle. L'exposé des divers moyens d'essais utilisés pour finaliser et qualifier le microcapteur de chlore introduisent les diverses applications possibles de cette génération d'instrumentation innovante.
Caractéristiques d’un capteur idéal pour la mesure continue du pouvoir désinfectant des eaux
L’hydrolyse du chlore dissous conduit à la dissociation, en pH neutre, de l’acide hypochloreux (HClO) en hypochlorite (ClO-). Dans le domaine des eaux potables ou des eaux de baignade, la proportion des deux formes du couple acido-basique est très sensible aux variations du pH et de la température [1]. Il est admis que la quasi-totalité du pouvoir désinfectant et oxydant du chlore libre est attribuable à la forme acide HClO qualifiée ainsi de « chlore actif » [2]. La figure 1 montre l’évolution du pouvoir désinfectant d’une eau, proportionnel à la concentration d’acide hypochloreux, en fonction du pH, à 25 °C.
Pour être significative du pouvoir désinfectant d’une eau potable ou d’une eau de baignade, la mesure doit être sélective au chlore actif. Si la réglementation concernant les eaux potables ne cadre pas exactement les modes de contrôle de la désinfection, la réglementation sur le contrôle du pouvoir désinfectant des eaux de baignades est sans ambiguïté.
L’article 5 de l’arrêté du 7 avril 1981 stipule que la concentration en chlore actif doit être comprise entre 0,4 et 1,4 milligramme par litre. Il est ajouté que le pH doit être compris entre 6,9 et 7,7. On peut vérifier sur la figure 1 qu’une variation de pH de cette amplitude divise le pouvoir désinfectant par 2, à concentration constante de chlore libre. Pour une telle variation, un analyseur de chlore libre, basé sur la réaction colorimétrique avec la diéthylène-p-phénylène diamine ne décelerait aucune diminution de la concentration en agent désinfectant, ce qui pourrait conduire à de graves problèmes sanitaires. Citons aussi l’exemple des eaux potables dont le pH est supérieur à 8,0 et dont le pouvoir désinfectant résiduel ne peut être apprécié par une mesure rassurante mais incomplète de la concentration en chlore libre. Le contrôle du pouvoir oxydant de solutions chlorées utilisées dans l’industrie (papeterie, sidérurgie, textiles, etc.) nécessite aussi une mesure précise de la concentration en acide hypochloreux.
L’absence de spécificité de la mesure colorimétrique et la maintenance astreignante des analyseurs basés sur cette méthode conduisent ainsi à l’implantation de capteurs ampérométriques exprimant directement le pouvoir désinfectant des eaux par comptage électrochimique de la concentration en acide hypochloreux. La mesure ampérométrique, intrinsèquement linéaire et précise se prête parfaitement au développement de sondes com-
compactes et fiables. Pourtant les sondes actuellement disponibles ne satisfont que partiellement le cahier des charges d’un capteur pouvant fonctionner de façon totalement autonome sur de nombreux points d’un réseau de distribution.
Pour répondre au besoin d’une mesure continue du pouvoir désinfectant des eaux, le capteur doit être sensible, sélectif à l’acide hypochloreux, peu encombrant, facile à installer, ne pas dériver, n’exiger aucune maintenance et impliquer des frais d’exploitation réduits.
Présentation du capteur Chlorscan
L’intégration d’un microcapteur ampérométrique fabriqué selon les procédés de la microtechnique permet au capteur de répondre au cahier des charges défini. La microcellule ampérométrique, dont la structure et le fonctionnement ont été exposés antérieurement [3], est fabriquée par la société suisse Microsens. Grâce à ses microstructures parfaitement définies, à sa configuration, à l'emploi de matériaux nobles et à la membrane de diffusion recouvrant l’électrode de travail, la réponse du microcapteur présente un très bon rapport signal sur bruit et est sélective au chlore actif. En l’absence d’acide hypochloreux, la ligne de base se maintient sur le zéro, sans aucune compensation électronique. Son fonctionnement n’implique aucun réactif chimique, ce qui élimine toute maintenance et toute source de dérive.
Dans la version Chlorscan VD proposée par Seres, la microcellule est insérée dans une chambre de passage en polycarbonate transparent. Un connecteur intègre les composants électroniques nécessaires à la précalibration en usine. L’ensemble constitue la sonde interchangeable.
La couche d’échange entre la membrane de diffusion et l’eau analysée devant être renouvelée en permanence, la chambre doit être parcourue par une dérivation d’eau dont le débit se situe autour de 1 litre/minute.
Pour imposer cette dérivation, il suffit de visser la vanne d’entrée du capteur sur un raccord de plomberie. L’ouverture de la vanne impose immédiatement et sans réglage le bon débit d’eau.
Le tuyau d’amenée est constitué de matériau à très faible demande en chlore, de sorte que la mesure n’est absolument pas faussée par la dérivation. Le tuyau de sortie de cellule permet d’évacuer l’eau analysée.
Le boîtier électronique connecté sur la sonde assure les fonctions d’alimentation, de potentiostat et d’amplification du signal. Le signal est transmis sur une boucle de courant 4-20 mA et visualisé par afficheur LCD. Des fonctions d’alarmes de dysfonctionnement et de seuil de mesure complètent le module étanche. L’électronique développée pour ce capteur présente certaines spécificités du fait des très faibles valeurs de signal émises par le microcapteur (1 nA pour 1 mg/l de HClO). Le signal est par exemple découplé optiquement de la boucle de courant. Les divers éléments constituant le capteur peuvent être reconnus sur la photographie suivante.
Après raccord hydraulique de la sonde, la mise en fonctionnement est immédiate. La maintenance se limite au remplacement des sondes usagées, après une période de fonctionnement continu comprise entre 6 et 18 mois. Cette opération est rapide et n’exige pas de précaution particulière.
Ce capteur compact, simple et fiable peut être installé facilement en tout point d’un réseau de distribution d’eau potable ou équiper toute installation industrielle. Cependant, les essais pratiqués sur de nombreux sites ont suscité le développement de deux modules optionnels facilitant l’exploitation d’un tel capteur sur un poste ne disposant d’aucune infrastructure.
nécessaire à l’instrumentation. Un module électronique constitué d’une carte numérique d’acquisition paramétrable et d'un modem permet de stocker et de télétransmettre sur réseau téléphonique le signal du capteur. Si aucune alimentation électrique adéquate n’est disponible sur le lieu d’implantation, l’ensemble peut être alimenté par un microgénérateur utilisant l’énergie hydraulique de la dérivation d’eau. Ce type d’intégration peut être obtenu grâce à la faible consommation électrique du capteur (<150 mA sous 24 V).
L'ensemble constitue une véritable mini-station de surveillance de la qualité de l'eau potable, transportable et utilisable sur la totalité d’un réseau de distribution.
Campagne de tests
La convivialité du capteur provient en partie d’une vaste campagne de tests initiée en 1992 sur de nombreux sites. La diversité des métiers exercés dans le groupe Lyonnaise des Eaux nous a incités à tester le microcapteur dans des applications très variées. Le microcapteur a ainsi été installé dans des usines de traitement d’eau potable, sur des postes de rechloration, déchloration, sur différents sites de réseaux urbains ou ruraux, dans des piscines collectives exploitées par le groupe... La complémentarité recherchée de ces tests nous a permis de tester le capteur dans des eaux très différentes (pH, dureté, teneur en chlore). À titre d’exemple, mentionnons les températures des eaux analysées qui ont varié de 2 °C dans le cas des eaux distribuées en Haute-Savoie jusqu’à 34 °C dans le cas de piscines thérapeutiques. Il était aussi intéressant de constater que le microcapteur se prêtait aussi bien à une exploitation dans les galeries techniques du réseau parisien qu’à une utilisation dans les réseaux de distribution ruraux.
La carte de la figure 4 expose les différents sites d’essais des microcapteurs de chlore. En trois ans, nous avons ainsi pu tester une centaine de microcapteurs sur une vingtaine de sites. Les expériences de SAGEP sur le réseau parisien complètent cette campagne.
Afin de tirer le maximum d’informations de ces tests, nous avons imposé certaines règles d’installation : les microcapteurs devaient être installés par paire et en série avec un analyseur commercialisé. De plus, les signaux des capteurs devaient facilement être consultés de nos laboratoires. La carte d’acquisition développée à cet effet a permis de satisfaire ce principe.
Certains sites d’essais ont été plus développés que d'autres. Nous avons par exemple installé sur une station de pompage un banc complet destiné à tester simultanément 15 capteurs et à réguler les principaux paramètres d'utilisation (pression, débit, etc.). Ce type d’expérience nous a permis de fiabiliser le capteur et d’optimiser ses conditions d’utilisation. Ces essais ont aussi apporté aux exploitants testant les microcapteurs des informations pertinentes sur le contrôle du pouvoir désinfectant des eaux.
Bilan des tests, performances du capteur
Les utilisateurs du microcapteur sont séduits par sa simplicité, sa compacité et sa facilité d’utilisation. Ces qualités et l’absence de maintenance facilitent son installation sur des sites où la mise en œuvre d’un analyseur classique est impossible. Nous avons pu confirmer les performances métrologiques enregistrées en laboratoire en comparant les signaux des microcapteurs à ceux d’analyseurs commercialisés installés sur un même point. La mesure de fortes concentrations de chlore actif ne permet pas de différencier les sondes ampérométriques bénéficiant toutes de l’excellente linéarité de la mesure ampérométrique, d’une sensibilité adéquate et d’un temps de réponse inférieur à trois minutes. Les cellules à trois électrodes se montrent cependant plus sélectives que les cellules à deux électrodes.
Le microcapteur se différencie plus nettement dans la mesure de faibles concentrations de chlore. La stabilité de la ligne de base, la résolution et la sélectivité de la microcellule ampérométrique autorisent des mesures dans un domaine où les analyseurs classiques sont inopérants.
La limite de
détection constatée sur site se situe autour de 20 ppb de chlore actif. La figure 5 est une illustration des performances extrêmes que l’on peut obtenir avec ce type d’instrumentation. Deux microcapteurs ont été installés en série sur un point d’un réseau de distribution où la teneur en chlore est très faible. Leurs signaux sont recueillis avec une carte d’acquisition connectée sur modem. L'ensemble est alimenté par un microgénérateur hydraulique. Les courbes visualisées ont été obtenues après une année de fonctionnement continu sans aucune maintenance. Le décalage observé entre les signaux des deux capteurs est attribué au décalage de la ligne de base et correspond à 8 ppb de chlore actif. La stabilité de la ligne de base et la résolution autorisent un contrôle efficace de la teneur en chlore résiduel dans les réseaux de distribution.
Le microcapteur peut aussi être utilisé pour le suivi de la teneur en bioxyde de chlore résiduel. La réponse au bioxyde de chlore est indépendante du pH de l’eau, tout comme le pouvoir désinfectant du ClO₂.
L'absence de dérive du zéro et de la sensibilité constitue l’autre avantage majeur du microcapteur. La figure 6 présente les courbes de réponses de deux microcapteurs installés en série dans une piscine collective. Après six mois de fonctionnement continu, sans intervention, aucune dérive significative ne peut être observée.
L'absence de dérive est déterminante car la précision des capteurs est souvent affectée par le manque d’exactitude des recalibrages sur sites. Dans le cas de mesures de traces de chlore, ces recalibrages sont impossibles.
Le temps de vie des sondes se situe actuellement entre 6 et 18 mois. Il dépend des conditions d'utilisation et de la teneur en chlore de l’eau analysée. L'utilisateur est averti de la défaillance de la sonde par un dysfonctionnement final net et soudain.
Conclusion
La mise au point du microcapteur ampérométrique de chlore et l'importante campagne d’essais aboutit à la commercialisation d’un capteur convivial et performant. Sa configuration et sa compacité simplifient la mesure continue du pouvoir désinfectant des eaux. Ses performances métrologiques en font un outil inégalable pour le suivi de la teneur en résiduel de chlore dans les réseaux de distribution d’eau potable. L'absence de maintenance et de dérive qui caractérise son fonctionnement facilite une implantation massive de ce type de capteurs sur des points éloignés d’un réseau de distribution. Ils deviennent alors des outils performants du contrôle de la qualité de l’eau distribuée. Mais les applications s’étendent aussi au contrôle du pouvoir désinfectant des eaux de piscine ou au suivi du pouvoir oxydant des eaux utilisées dans les process industriels.
BIBLIOGRAPHIE
[1] WHITE J.C., The handbook of chlorination, Van Nostrand Reinhold, New York, 1986.
[2] CARLSON S., Fundamentals of water disinfection, L. Water SRT-Aqua, 1991, 40, 6, 346-356.
[3] GRISEL A., ARCHENAULT M., LACOMBE P., MONDIN G., Integrated chlorine sensor for drinking water distribution security systems, Analusis, 1994, 22, 9, 13-15.