Le marché européen des appareils pour l'analyse de l'eau en continu pour l'environnement Le marché européen des analyseurs d'eau en continu (on-line) pour l'environnement se développe depuis le début des années 90. Il s'agit d'un marché concurrentiel complexe par le nombre de fabricants, l'abondance des solutions métrologiques proposées et la situation réglementaire toujours floue qui l'entoure. Les années qui viennent devraient apporter des clarifications à plusieurs niveaux et voir ce secteur atteindre sa maturité.
Il faut en premier lieu préciser que le terme générique “analyse d'eau” recouvre ici différents domaines d'application. Les types et gammes de mesure, la précision requise, le degré de robustesse des capteurs et analyseurs ne sont pas les mêmes suivant que l’on s’intéresse aux eaux usées, à la surveillance du milieu naturel ou à l’eau potable. D’autre part, l’offre consiste essentiellement en mesures physico-chimiques variées (du pH au COT) mais concerne aussi quelques mesures de paramètres biologiques. La démarche regroupe donc des utilisateurs aux besoins et contraintes parfois différents. Néanmoins, une approche générale reste parfaitement valable.
Il y a dix ans, le contrôle continu de l’eau pour l'environnement n’existait pour ainsi dire pas. Les mesures de la qualité des eaux étaient presque uniquement du ressort des laboratoires agréés. C’est le renforcement des différentes législations sur l’eau qui, créant de nouveaux besoins, eux-mêmes relayés par l'offre commerciale, a donné de l'importance au contrôle continu. Dans l'absolu, en effet, le on-line présente plusieurs avantages par rapport à l’analyse en labora-
…toire de prélèvements ponctuels, tels la détection instantanée de pics de pollution (et la mise en place rapide d’actions correctives adéquates) ou une meilleure connaissance des effluents suivis. Plus réactif, il peut également s’avérer plus économique que l’analyse en laboratoire si le nombre de mesures à effectuer est important. Pour qui est réellement concerné par la mesure de qualité de l’eau, le on-line semble ainsi la réponse la plus adaptée. Il devrait donc bénéficier à plein des renforcements des normes de qualité en vigueur.
Flou réglementaire
Les choses ne sont pas aussi simples en pratique, en raison des imbrications entre la réglementation, l’état de l’art en métrologie et la situation concurrentielle. Le cadre législatif joue ici un rôle essentiel à deux niveaux : les normes de qualité des eaux et celles concernant les types et méthodes de mesure. On assiste à un renforcement rapide de la législation sur la qualité des eaux, qui devient plus stricte et qui couvre des paramètres toujours plus nombreux. Néanmoins, l’incertitude règne tant sur les grandeurs à mesurer que sur les méthodes à utiliser ou encore les spécifications des appareils.
La première difficulté résulte des bases mêmes sur lesquelles reposent les mesures de qualité des eaux. Les méthodes normées (DBO, DCO, etc.), issues de la tradition et du laboratoire, sont les seules admises par la loi et validées par les organismes de contrôle. Elles sont souvent, à l’instar de la DBO (1), difficilement adaptables au on-line. De l’automatisation de ces méthodes normées résultent des appareils reposant sur des procédés souvent imparfaitement validés, complexes, coûteux à l’achat puis en maintenance car régulièrement hors service. Face à ces difficultés, les constructeurs proposent des mesures de substitution (qui permettent une approximation de la mesure réglementaire par corrélation), voire des indicateurs entièrement nouveaux, plus faciles à automatiser mais rarement validés. Certains organismes procèdent à des tests de validation (qui demandent de 3 à 24 mois) et admettent l’utilisation de tel ou tel appareil dans des cas bien définis. Négociation et pragmatisme sont ainsi la règle (2). Cette situation, généralisée au niveau européen et même mondial, est bien évidemment un frein certain au développement d’un marché qui repose avant tout sur la réglementation et les normes.
Demande : forte pression sur les prix
Les niveaux de prise de conscience par les opinions et pouvoirs publics des enjeux de l’environnement sont inégaux à l’échelle européenne. La rapidité de transcription en droit national des directives de Bruxelles et surtout leur degré d’application concrète (traduit en taux d’équipement par exemple) sont ainsi variables d’un pays à l’autre. Les pays latins, France comprise, sont en retard par rapport à l’Europe du Nord en ce qui concerne les équipements liés à une meilleure qualité de l’eau. La demande européenne en analyseurs on-line provient en majorité des municipalités et des industriels ainsi que, dans une moindre mesure, des organismes publics de contrôle. Une analyse plus fine montre que la répartition entre ces différents acheteurs n’est pas uniforme au sein de l’Union. En Allemagne, premier marché devant la Grande-Bretagne et la France, la demande est essentiellement le fait des industriels car les installations publiques sont d’ores et déjà bien équipées. Certains segments du marché allemand, comme celui des pH-mètres, atteignent même leur seuil de maturité pour ne concerner essentiellement qu’une demande de renouvellement. En revanche, les municipalités présentent toujours un réel potentiel de développement dans le Sud de l’Europe.
Le fait que la réglementation soit le moteur presque unique du développement du marché est une caractéristique de l’industrie de l’environnement dans son ensemble. Dans le cas des analyseurs d’eau, la situation réglementaire influe non seulement sur le taux d’équipement des utilisateurs potentiels mais aussi sur la qualité du matériel qu’ils achètent. Si l’on prend l’exemple des eaux usées, deux aspects importants sont à retenir. Premièrement, l’acquisition d’appareils de mesure en continu n’apporte généralement pas de valeur ajoutée immédiatement perceptible aux acheteurs (3). De fait, ces appareils ne sont pas considérés comme des achats stratégiques et subissent fortement les effets de la conjoncture économique. D’autre part, l’acquisition d’appareils on-line est régulièrement liée à la mise en place, souvent sous la contrainte des pouvoirs publics, d’installations coûteuses de dépollution dont il faut s’assurer du bon fonctionnement. L’achat d’appareils de mesure est alors vécu comme une dépense supplémentaire sur laquelle PMI et communes réalisent des économies. Comme la situation réglementaire ne pousse pas toujours les utilisateurs à s’équiper de matériel performant (4), ceux-ci font du prix leur principal critère d’achat. Viennent ensuite la qualité du service après-vente ou les choix technologiques du fabricant. La pression sur les prix devrait rester une composante fondamentale du marché pour les années à venir.
Tout cela se retrouve en France où le parti, peut-être critiquable, de l’autocontrôle laisse certaines libertés aux acteurs de rejets dans le choix de leurs méthodes de mesure. Ainsi, tandis que l’État ne se décide toujours pas à encourager le contrôle continu, par exemple en sortie des stations d’épuration, l’abondance d’une offre disparate, rarement validée et chère, permet aux acheteurs potentiels de faire jouer à fond la concurrence ou de gagner du temps en observant les évolutions. Il faut y ajouter les difficultés de financement du secteur public, alors que les municipalités françaises ont déjà pris un retard important par rapport à celles d’Europe du Nord en matière d’équipement. À l’heure actuelle, nombre de nos élus sont « tétanisés », pour reprendre les propos du président de Degrémont (5), par la déjà forte augmentation du prix de l’eau et freinent des investissements pourtant essentiels à la concrétisation des objectifs fixés par l’Europe pour 2002. On est en droit de s’interroger ici sur la part accordée à l’instrumentation dans le coût total d’une unité de dépollution : bien choisi et bien utilisé, le on-line ne permet-il pas une réelle optimisation du fonctionnement des installations ?
L’offre est donc très éclatée et personne en Europe ne peut en revendiquer le contrôle. Il n'y a qu'un acteur au-dessus de 10 % de parts de marché et ceux dont le chiffre d'affaires dépasse les 50 millions de francs sont peu nombreux. Cette situation concurrentielle est propice à l’entrée de nouveaux concurrents, aux regroupements ou aux joint-ventures et alliances diverses, phénomènes qui ont pris de l’ampleur depuis environ trois ans. Les buts poursuivis sont variés : accès à des technologies nouvelles, à des marchés nouveaux ou à une taille suffisante pour bénéficier d’économies d’échelle.
[Figure : Évolution du marché européen 1994-2001]On retrouve ici la notion de valeur ajoutée du contrôle continu. Si celle-ci est mal perçue par les utilisateurs, n’est-ce pas parce que l’autocontrôle en général a été présenté par les autorités avant tout sous son seul aspect de contrainte réglementaire ? Et que, adoptant ce point de vue, les arguments commerciaux des fabricants de on-line se focalisent largement sur les prix des appareils ? Il n’est pas certain qu'il s’agisse là de la meilleure manière de promouvoir le contrôle continu.
Fabricants : concurrence très vive
Malgré ces difficultés, l'évolution rapide de la réglementation européenne, qui tend au renforcement des normes de qualité des eaux, parvient à tirer le marché vers le haut. Les prévisionnistes (6) s'accordent sur une croissance plutôt intéressante de l’ordre de 6 % en moyenne par an pour les prochaines années. Le volume total devrait atteindre les 3 milliards de francs en 2001 (voir figure 1).
Cet attrait récent a réveillé un secteur resté plutôt tranquille et, aux quelques entreprises spécialistes déjà établies, ces dernières années ont vu s’ajouter de nombreux nouveaux acteurs aux origines diverses. Se sont ainsi installées des filiales de groupes internationaux se diversifiant à partir du contrôle de process industriel, de l’équipement de laboratoire ou d'autres secteurs de l’environnement. Elles y côtoient des PME récentes, souvent basées sur un unique concept innovant et alternatif (donc non validé) mais aussi moins cher. Aux origines différentes des constructeurs correspondent ainsi des solutions métrologiques variées qui, devant le flou concernant les validations de méthodes et les spécifications des appareils, s’affrontent avant tout sur les prix.
Se mettent en place deux stratégies majeures. La première vise à produire une offre globale, c’est-à-dire à pouvoir offrir l'ensemble des capteurs et analyseurs sous une même enseigne aux utilisateurs. C’est la stratégie du « One-Stop Shop », adoptée par certains grands noms du secteur. L'avantage pour l'utilisateur est de n’avoir qu’un seul interlocuteur, qu'il connaît et qui lui assure l’harmonisation et le suivi de son installation complète. Le constructeur tisse alors des liens plus étroits avec ses clients, dans un souci de fidélisation, à l'image de la tendance observée sur le marché des instruments destinés aux process industriels. Cette stratégie est à l’origine d’opérations de croissance externe ou d’alliances pour l’acquisition de technologies complémentaires. On peut tabler que les rapprochements sous toutes leurs formes devraient se poursuivre. Il reste, en effet, de nombreuses entreprises à la fois indépendantes et stratégiquement intéressantes et un examen attentif montre qu’aucun fabricant ne possède lui-même l'ensemble des savoir-faire disponibles sur le marché.
La seconde stratégie est celle de la conquête de niches bien spécifiques. Certains groupes ont une réputation telle sur un type d’instruments ou de mesures donnés que les utilisateurs se tournent d’abord naturellement vers eux. Des entreprises plus petites adoptent aussi cette stratégie en concentrant leurs efforts sur une technologie bien maîtrisée et/ou protégée. Ce sont souvent ces entreprises qui innovent sur des paramètres nouveaux, ce qui en fait parfois les cibles de groupes prônant l’offre globale. Enfin, d'autres entreprises jouent à fond la carte de la réactivité en proposant des solutions sur mesure à chaque client.
Les clés du succès futur : R&D et service
Les restrictions budgétaires des utilisateurs finaux se traduisent aussi par la difficulté de recruter du personnel suffisamment qualifié pour assurer la maintenance au quotidien des installations. La réponse des constructeurs suit deux axes : amélioration du service-client (surtout le SAV) et développement d’appareils plus simples d'utilisation (calibrations réduites, réduction des consommables), plus robustes, moins encombrants et toujours moins chers. Les entreprises du secteur dépensent en moyenne l'équivalent de 10 à 12 % de leur chiffre d'affaires en R&D et les évolutions techniques sont rapides. Une course à l’innovation est en route qui peut se faire au détriment des entreprises plus petites pour lesquelles la compétition sur les prix (baisse des marges) entraîne parfois une réduction des dépenses de R&D.
Les efforts de R&D portant surtout sur l'amélioration de l’existant, peu de concepts métrologiques nouveaux devraient se développer. Il faut tout de même mentionner l’émergence de spectrophotomètres peu chers, simples, robustes et n'utilisant pas de consommables. En analysant l'ensemble du spectre UV-Visible, ils sont capables, selon
… les cas, d’estimer ou de mesurer de nombreux paramètres et certains composés organiques jusqu’alors non mesurables en continu. La technologie des instruments multiparamètres a elle aussi fait d’importants progrès et ces instruments ont vu leurs revenus presque tripler entre 1993 et 1997, succès dû surtout à leur simplicité d’utilisation. La R&D devra aussi répondre par des innovations substantielles à la demande croissante pour des mesures biologiques fines (parasites et pathogènes), un segment où la métrologie est encore peu performante.
En ce qui concerne les capteurs plus classiques (pH, oxygène dissout, etc.), la demande devrait s’atténuer puisque ce segment atteint peu à peu sa maturité. Les appareils qui devraient bénéficier le plus des investissements à venir seront les COT-mètres et les mesures de nitrates, d’ammoniums, de phosphates ou encore de turbidité/matières en suspension. Les nouveaux polarographes, à la fois robustes, sûrs et performants car conçus pour le on-line, pourraient quant à eux profiter du renforcement des normes de rejets de métaux lourds. Tous ces appareils devront être toujours moins chers et plus simples à utiliser et entretenir. Ils devront de plus être évolutifs. Innover sur ces points est, pour les constructeurs, l’une des clés fondamentales de la réussite.
Conclusion
Le marché européen des analyseurs d’eau on-line est encore en phase de croissance. Toujours imparfait, mouvant, sa situation ne pourra réellement se simplifier sans que soit effectué un effort de clarification au niveau des normes. Pour se développer pleinement, il faudra bien que le contrôle continu soit reconnu par le législateur. Et la méfiance de ce dernier ne sera vaincue que lorsque l’ensemble des acteurs aura développé un argumentaire technique suffisant allié à un cadre normatif solide. La tâche est d’importance : il faut par exemple bien définir les besoins, proposer des protocoles d’évaluation et en rationaliser les outils, peut-être aussi se répartir les rôles au sein des organismes d’évaluation. En résumé, mettre en place une approche plus “intelligente” de l’évaluation qui déborderait des seuls capteurs et analyseurs pour englober l’ensemble de la chaîne de mesure, incluant entre autres la transmission et le traitement des données. Les travaux de l’AGHTM, par exemple, visent à préparer les bases techniques pour les analyses en ligne. Ceci suppose de pouvoir sortir de la recherche systématique de l’adéquation des mesures on-line avec celles du laboratoire. Ceci peut aussi vouloir dire favoriser l’acceptation de mesures nouvelles ou alternatives. En ce sens, l’avènement récent du COT au niveau européen est une évolution notable.
Cette approche, qui semble surtout bien admise en France et au Danemark, n’aura d’avenir que si elle s’étend au reste de l’Europe. Rien n’est encore figé. La France a ici l’occasion de jouer un rôle de leader dans les choix européens à venir. On mesure mieux les enjeux lorsque l’on sait les relations directes entre la situation de leadership d’un pays sur des normes environnementales et le développement de ses entreprises sur le secteur concerné (7).
L’histoire des marchés de l’environnement montre qu’en général, une politique publique de leadership sur les normes d’un marché permet la constitution de secteurs forts et innovants alors qu’une politique de rattrapage se traduit le plus souvent par l’ouverture du marché national aux technologies étrangères (8).
Notre pays pourrait marquer sa confiance dans le contrôle continu par certaines dispositions. Comme en encourageant, par exemple sous forme de prescriptions techniques, la mesure du chlore en sortie des usines d’eau potable ou encore la présence de turbidimètres comme indicateurs des performances des stations d’épuration. À défaut de profiter aux seuls constructeurs français, de telles mesures agiraient comme aiguillon pour l’ensemble des acteurs concernés à l’échelle nationale. Car si la France parvient à jouer ce rôle de leader dans le développement du contrôle continu en Europe, ce ne sera qu’en mobilisant les synergies existant entre pouvoirs publics, chercheurs, fabricants et utilisateurs.
Une telle approche est, chez nous, plutôt nouvelle et hésitante mais il semble y avoir une volonté assez générale d’engager le mouvement. Le temps presse si l’on entend saisir pleinement l’opportunité qui se présente de bâtir, pour notre pays, une position solide dans ce domaine de la métrologie.