Si l'on admet que le nombre des réservoirs d'eau potable existant en France est de l'ordre de 40 000 ouvrages, on peut estimer que 4 000 d'entre eux appartiennent a des services publics de distribution dont la gestion est confiée à la Compagnie Générale des Eaux. Un certain nombre de ces réservoirs sont à l'origine de difficultés d'exploitation qui embarrassent parfois les responsables locaux. Les auteurs, MM. Gibert, ingénieur chimiste, et Demerlé, ingénieur en génie civil, ont eu l'occasion de reconnaitre et d'examiner quelques-uns de ces problémes. C'est une sorte de bilan de leurs observations et de leurs réflexions qu'ils nous livrent dans l'article qui suit.
Un certain nombre de ces réservoirs sont à l’origine de difficultés d’exploitation qui embarrassent parfois les responsables locaux.
Les auteurs, MM. Gibert, ingénieur chimiste, et Demerlé, ingénieur en génie civil, ont eu l’occasion de reconnaître et d’examiner quelques-uns de ces problèmes. C'est une sorte de bilan de leurs observations et de leurs réflexions qu’ils nous livrent dans l’article qui suit.
Un réservoir est un équipement qui est toujours utile et souvent indispensable à un réseau de distribution d’eau ; c’est un ouvrage de génie civil, très généralement construit en béton, présentant une certaine capacité destinée à recevoir, contenir et conserver à l’abri de toute contamination, de l'eau produite pour l’alimentation des habitants de la cité ; c’est aussi un investissement onéreux, dont on attend un fonctionnement continu et une disponibilité exempte de toute interruption et de toute défaillance pendant plusieurs décennies.
Différentes natures de produits ont été utilisées et appliquées comme revêtement à l'intérieur des réservoirs dans le but de conférer aux parois un état de surface convenable ainsi qu’une étanchéité sans défaut. Les problèmes rencontrés concernant la qualité des eaux mises au contact de ces produits, problèmes organoleptiques le plus souvent, font que, de plus en plus, cette préoccupation entre dans les critères de choix du distributeur d’eau et du maître d’ouvrage.
Des procédures strictes et complètes d’agrément de ces matériaux par le ministère de la Santé semblent se mettre en place depuis peu, afin d’assurer une garantie minimale indispensable. Toutefois, le caractère « alimentaire » d'un produit, même après de sérieuses procédures d’agrément, ne peut être le seul élément à prendre en considération : il y a aussi la tenue dans le temps de ces produits et leur comportement, qui laissent parfois à désirer et mettent alors en difficulté l’exploitation du service.
Dans la pratique, on se trouve ainsi, malheureusement, confronté à deux types de problèmes :
- — la qualité du revêtement n’est toujours pas celle qui a été constatée en laboratoire, par suite de conditions d’application déficientes ;
- — le vieillissement conduit à une dégradation de cette qualité.
Dans le premier cas, plus les conditions d’application sont difficiles (mélange des composants, état des surfaces, conditions de polymérisation...), plus les risques sont grands de s’écarter des conditions idéales, d’autant plus que l’environnement dans un réservoir est peu propice aux manipulations délicates. Dans le second cas, seul l’examen d’applications similaires datant de quelques années peut donner les garanties nécessaires.
Les produits utilisés peuvent être classés en six types différents que nous examinerons ci-après.
Enduits à base de ciments et de liants hydrauliques
C’est l’enduit traditionnel qui a été appliqué sur tous les réservoirs construits en maçonnerie de pierre ou en béton, et ceci jusqu’à une époque très récente. Cette technique était encore utilisée en 1959 pour la construction de réservoirs surélevés, ou châteaux d'eau, de 2 500 m³ de capacité, réalisés dans la proche banlieue de Paris.
Ces enduits, qui ont été très soigneusement exécutés, ont d’une façon générale fort bien résisté à l’épreuve du temps, comme en témoignent les très nombreux réservoirs encore en service actuellement dont certains ont déjà plus d’un siècle d’existence. L’une de leurs caractéristiques est leur très faible résistance aux efforts de traction ou de cisaillement. Mais la qualité de la structure, dont ils peuvent
suivre intégralement les mouvements, leur permet de s’affranchir de cette faiblesse, tout au moins tant qu’il n’y a pas de fractures comme celles qui apparaissent dans les ouvrages insuffisamment résistants.
Sur le plan de la qualité des eaux, les matériaux offrent l’avantage d’être totalement inoffensifs, du fait d’une composition entièrement minérale très proche de celle de la paroi du réservoir.
Enduits à base de produits dits d’imprégnation, d’imperméabilisation, de minéralisation, de silicatisation, de fluatation...
Ces procédés sont connus depuis longtemps : ils ont été mis au point et appliqués depuis plus de cinquante ans pour assurer la protection des bétons contre les agents agressifs, en leur apportant une imperméabilité plus complète. Les produits contiennent des silicates et des fluosilicates divers (sodium, potassium, magnésium…) qui réagissent avec la chaux libre du béton et forment des gels et des surfaces vitrifiées. Ils agissent comme des bouche-pores, et sont sans doute plus connus sous le nom d’hydrofuges (hydrofuges de masse lorsqu’ils sont incorporés au béton, ou de surface lorsqu’ils sont appliqués en enduit). On peut en recenser aujourd’hui une bonne vingtaine, dont les caractéristiques sont améliorées avec des adjuvants et des additifs provenant de l’industrie chimique.
Leur aptitude à l’emploi dans un réservoir reste limitée car ils sont appliqués en film de faible épaisseur, nécessitant donc un enduit préalable des surfaces pour en
faire disparaître les irrégularités. Comme les enduits à base de ciment, ils sont « rigides », c’est-à-dire qu’ils ne présentent aucune résistance à la traction, aucune souplesse, et n’ont aucune vocation à constituer des enduits susceptibles d’un certain allongement.
Sous réserve de vérifier l’innocuité d’éventuels additifs organiques, ces produits ne peuvent pas en principe provoquer de dégradation de la qualité des eaux.
Revêtements à base de bitume
À l’instar des étanchéités en produits bitumineux (extraits des hydrocarbures) ou asphaltiques (extraits de la houille) appliquées sur la couverture des bâtiments pour les protéger de la pluie, on a cherché à assurer l’étanchéité des réservoirs d’eau potable avec ces mêmes produits et selon ces mêmes techniques.
Ces méthodes sont toujours en pratique aujourd’hui, et bien des maîtres d’ouvrage n’hésitent pas à les accepter, sinon à les préconiser. On peut s’en étonner : voici plus de trente ans que les fabricants de tuyaux pour canalisations d’eau potable font de moins en moins appel à ces produits pour la protection intérieure des conduites contre la corrosion. Malgré les bons résultats que l’on constatait, on y a renoncé pour deux motifs : goûts et saveurs désagréables communiqués à l’eau (chlorophénol), possibilités de relargage de substances cancérigènes (hydrocarbures aromatiques polycycliques) pour lesquelles les limites admises dans l’eau potable sont très basses : les normes européennes indiquent une concentration maximale admissible < 0,2 µg/litre. Ces produits sont généralement appliqués avec des solvants qui présentent des risques si l’étape de séchage n’est pas rigoureusement respectée. D’autre part, l’expérience prouve que les produits se dégradent assez fréquemment ; ou ils deviennent durs, cassants et poreux, ou ils se décollent des parois verticales et fluent sous l’action de la pesanteur, et la protection superficielle par feuille d’aluminium (de 8/100 mm d’épaisseur seulement) disparaît en général très rapidement. En outre, les produits de collage et les bitumes utilisés pour la mise en œuvre imprègnent les bétons, et il devient très difficile lors d’une réfection, d’appliquer un produit de nature différente sans procéder au préalable à un enlèvement complet et à un sérieux décapage du béton, ce qui nécessite ensuite un ragréage important.
Revêtements à base de paraffines
Des substances composées de paraffine ou de cires, extraites des pétroles, d’une consistance analogue à celle du suif, ont été utilisées pour constituer un enduit à l’intérieur de certains réservoirs, très localisés dans certaines régions de France, semble-t-il.
Ces produits présentent certainement l’avantage d’une application facile, de permettre des réparations aisées, et de conserver leurs caractéristiques pendant très longtemps. Mais ils présentent d’autre part l’inconvénient d’empêcher un nettoyage correct des parois par suite de leur fragilité, et de se recouvrir d’une flore peu désirable de moisissures, d’algues et de champignons.
Revêtements à base de résines synthétiques
Ces produits sont apparus sur le marché il y a quelque vingt-cinq ans.
Issus de l’industrie chimique dérivée des pétroles, ils appartiennent à trois familles différentes :
Les revêtements vinyliques
Les polychlorures de vinyl et les acétates de vinyl entrent dans la gamme des ré-
résines thermoplastiques qui ramollissent à chaud. En solution dans des solvants (méthyléthylcétone, méthylisobutylcétone, acétate d’éthyl, cyclohexanone, toluène) et additionnés de charges diverses (polypropylène, copolymères acryliques, oxydes et sulfates de baryum et de titane), ils sont appliqués par projection sur la paroi du réservoir (préalablement nivelée et réglée avec un enduit au ciment) par couches successives jusqu’à constitution d'une épaisseur de 1 mm.
Différents plastifiants, en général des phtalates, leur sont ajoutés pour conférer au revêtement une certaine souplesse ; de plus une armature en toile ou en fibres peut être appliquée sur tout ou partie de la surface pour améliorer la résistance à la traction et au déchirement.
C'est par centaines que des réservoirs et des châteaux d’eau ont été traités depuis plus de vingt ans par ces procédés. On ne peut pas dire que les résultats aient été toujours heureux : le revêtement s’imbibe au contact de l’eau, se décolle du support, se couvre de cloques et de pustules gonflées de liquides où l’on retrouve les solvants et les divers additifs de la résine en solution aqueuse ; les odeurs et les saveurs que peut prendre l’eau distribuée après un passage dans le réservoir mettent souvent en difficulté les services de distribution des eaux ainsi que les services responsables de l’hygiène publique, sans parler de réservoirs dont l’exploitation est devenue impossible par suite des plaintes du consommateur...
Ces difficultés, rencontrées peut-être un peu au hasard, trouvent probablement une explication dans la nature et l’origine des constituants, les conditions pas toujours favorables à l’évaporation des solvants, le défaut d’adhérence (ou tout au moins une adhérence très irrégulière) sur le support, la perte d’étanchéité due à l’état d’imbibition, et l’existence d’une pression osmotique qui s’exerce entre l’eau du réservoir et l’eau au contact du béton, dont les caractéristiques sont différentes.
Les revêtements époxydiques
Les résines époxy appartiennent à la gamme des résines thermodurcissables, dont le durcissement résulte de la polymérisation de la résine de base après mélange avec un durcisseur, lequel est généralement un amine ou un polyamide. La polymérisation ne peut s’effectuer correctement que dans des conditions précises de température, qui limitent en général l'emploi du produit entre 10 ° et 30 °C. En-dessous de 5 °C, la polymérisation ne s’effectue qu’au bout de plusieurs semaines ; au-delà de 40 °C, le laps de temps de mise en œuvre après mélange des composants (durée pratique d’utilisation) risque d’être trop réduit pour permettre une application correcte.
Les produits, résine de base et durcisseur, sont présentés sans solvants, en solution aqueuse, ou en solution avec solvants. Par addition interne de brai, de phtalates, ou de polyuréthanes, on obtient des produits polymérisés dotés d’une certaine souplesse et susceptibles d’allongement.
C’est un époxy-uréthane à deux composants sans solvant, qui est généralement proposé comme revêtement pour les réservoirs et appliqué à la brosse ou par projection au pistolet « airless ». L’absence de solvants évite la formation des pores et permet d’obtenir un revêtement particulièrement étanche ; quant à la fluidité de la résine, elle permet d’obtenir une excellente adhérence sur le béton. Les conditions de réalisation et l’expérience de l’entreprise (contrôle de la température et de l’hygrométrie ambiante, propreté et siccité du support, compétence du personnel responsable de l’application) présentent autant d’importance que la qualité des produits pour obtenir un revêtement durable. Après une quinzaine d’années d’exploitation, des revêtements de ce type présentent encore une excellente tenue.
Les produits proposés sont nombreux et variés ; les formulateurs et les applicateurs le sont aussi. Le choix est à faire sur la base des références et du comportement « alimentaire » du produit face aux règlements d’hygiène, en particulier face au règlement sanitaire départemental. En ce domaine, ils sont loin d’avoir tous passé avec succès les tests du ministère de la Santé.
Les revêtements polyuréthanes
Obtenu par réaction d'un composé polyhydroxylé (polyol) sur un polyisocyanate, le polyuréthane peut prendre l’aspect d’un matériau rigide, semi-rigide ou souple, selon la vitesse de cette réaction et les additifs employés. On peut également obtenir des mousses par addition d’agents d’expansion ou de produits tensio-actifs.
Diverses formulations ont été proposées pour constituer des revêtements souples applicables dans un réservoir, depuis les produits sans solvant à deux composants jusqu’au produit monocomposant avec solvant. Les applications aux réservoirs d’eau potable semblent assez peu nombreuses ; on se heurte en fait à de sérieuses difficultés de mise en œuvre, et la nature même des composants provoque immédiatement des réactions très restrictives chez les spécialistes de l’hygiène alimentaire (composés aromatiques). D’une part, ces produits exigent un support rigoureusement sec et d’autre part, ils sont très sensibles à la seule présence d’humidité atmosphérique. Il est donc difficile de réunir à l’intérieur d'un réservoir les conditions nécessaires pour obtenir une bonne adhérence et une polymérisation complète.
On peut penser que les produits sans solvant sont préférables aux polyurétha-
…nes avec solvant, qui peuvent donner naissance à une prolifération de cloques inadmissible avec une adhérence au béton très irrégulière.
Les produits sont beaucoup mieux adaptés à la protection des métaux ou à la fabrication de peinture. C'est d'ailleurs là leur emploi le plus fréquemment rencontré. Il se pourrait cependant que l'usage des polyuréthanes dans le domaine des revêtements d’étanchéité soit amené à se développer.
Revêtement par membrane
L'idée est séduisante : habiller l'intérieur d’un réservoir d’une jaquette étanche et continue ; c'est en fait reprendre la technique déjà pratiquée avec les complexes bitumineux préfabriqués en usine et livrés en rouleau sur le chantier.
On trouve maintenant d’autres types de matériaux, produits industriellement et livrés en feuilles souples ou en rouleaux, et présentant des caractéristiques de souplesse et d’étanchéité convenant à la confection d’un réservoir souple à l’intérieur d’un ouvrage en béton. On peut ainsi disposer de feuilles en polychlorure de vinyle, en polyéthylène, en polyisobutylène ou en hypalon. Il semble que seul le PVC ait été utilisé jusqu’à présent mais les réalisations sont apparemment peu nombreuses. Les lés sont fixés en partie haute des parois, et soudés ou collés entre eux avec un recouvrement. C’est donc une pose « en indépendance » qui est réalisée : la membrane reste indépendante du support et n’est pas liée à ses mouvements, contrairement à la pose « en adhérence » pratiquée pour le collage sur les parois du complexe bitumineux.
L’exécution ne va pas sans difficultés (manutention malaisée, absence de place et de surfaces horizontales, position généralement inconfortable pour effectuer la mise en place, l’agrafage et le collage, problèmes d’habillage des orifices et des surfaces à double courbure...). En cours d’exploitation, ces feuilles se tendent sous l’effet de leur propre poids et de la pression des eaux, et risquent de se déchirer.
Le nettoyage des réservoirs devient une opération délicate par suite de la glissance des sols. La présence de chlore ou de solutions chlorées, utilisés pour le traitement des eaux ou introduits dans le réservoir lors du nettoyage, peut provoquer une décomposition des plastifiants qui ont été inclus dans le PVC pour leur donner la souplesse désirée. La membrane se trouve ainsi à l’origine de goûts et de saveurs qui ont à différentes reprises créé des difficultés d’exploitation.
Malgré ces contraintes, l’idée reste séduisante car elle permet de restituer une étanchéité à un ouvrage qui présente bien des défauts en doublant une étanchéité existante en mauvais état, mais le mode opératoire ne semble pas encore bien éprouvé ; il faudrait aussi adopter des membranes de meilleure qualité, probablement en hypalon, plus résistantes sur le plan mécanique et sur le plan de l’inertie chimique, mais plus difficiles à souder. Du point de vue de la qualité des eaux, cette solution est beaucoup plus sécurisante. En effet, le polymère est préformé en usine, où il est plus facile d’assurer une qualité constante que par une polymérisation sur le site. Il est également possible d’effectuer des contrôles de réception (test de saveur en laboratoire) avant application.
Conclusion
L'industrie chimique a depuis quelques années mis à la disposition des constructeurs bien des produits nouveaux qui ne manquent pas d’intérêt. Cependant, on n’a pas encore mis au point le produit le mieux adapté convenant à un réservoir d’eau potable.
Celui-ci devrait être porteur d’un certain nombre de spécifications :
— conformité aux règlements sanitaires propres aux eaux destinées à l’alimentation humaine ;
— absence d’interaction avec l’eau potable, quelle que soit l’origine de cette eau et quels que soient les processus de traitement appliqués ;
— ne pas favoriser ni entretenir le développement des algues et des bactéries, ou constituer un substrat nutritif ;
— faciliter les opérations de nettoyage (état de surface, résistance mécanique, résistance chimique aux solutions désinfectantes employées) ;
— comporter une inertie chimique et physique vis-à-vis du support ;
— présenter des facilités d’emploi indépendantes de l’état du support, de son humidité et de la température ;
— garantir des caractéristiques de souplesse, de résistance à la traction, et d’adhérence, convenant à la structure de l’ouvrage à traiter ;
— donner l’assurance de tenue dans le temps et d’absence de vieillissement, dépassant le niveau de la garantie décennale trop souvent considérée comme un strict nécessaire.
L’expérience montre que l’on n’a pas encore trouvé mieux que les enduits à base de ciment et de liants hydrauliques, dans lesquels l’eau entre elle-même comme élément constitutif, à condition toutefois que la structure soit adaptée à ce type de revêtement. Le béton lui-même permet de réaliser directement l’état de surface et l’étanchéité que l’on recherche, grâce à une qualité de coffrages et à une composition granulométrique que l’on sait aujourd’hui bien maîtriser ; le complément qu’apporte une précontrainte judicieusement étudiée permet de maintenir un état de compression qui s’oppose aux risques de fissuration.