Le procédé d’épuration des eaux urbaines par lagunage naturel présente des qualités de robustesse et de simplicité : il s’agit en effet de reproduire les phénomènes naturels d’auto-épuration en les accélérant et en les maîtrisant. Encore ne faut-il pas, comme on le fait fréquemment, affirmer qu’un lagunage naturel ne requiert aucune surveillance : bien au contraire, un entretien physique des abords est indispensable, ainsi qu’un suivi technologique et scientifique régulier du processus épuratoire.
Dans l’Hérault, un site unique en Europe s’est développé autour de la station d’épuration par lagunage naturel de Mèze (3 bassins de 8 ha de plans d’eau, capacité 5 000 eq/hab. hiver, 25 000 eq/hab. été).
Mèze, située sur les rives de l’étang de Thau, élément économique important par ses activités conchylicoles (culture d’huîtres et de moules) qui se trouvait confronté, dans les années 1970, à des problèmes de pollution persistants (malgré l’installation d’une station d’épuration du type classique), s’est orientée vers la construction d’un lagunage naturel. Ce dernier s’est en effet avéré comme étant la seule technique de traitement d’eaux usées qui restitue au milieu récepteur un effluent possédant les caractéristiques chimiques et bactériologiques voisines d’une eau de baignade.
LE MÉCANISME DU LAGUNAGE NATUREL
Ce mécanisme agit de deux manières :
Élimination de la matière organique et des nutriments
Le lagunage est un procédé d’épuration des eaux usées qui consiste en un lent écoulement de l’eau dans un ou plusieurs réservoirs peu profonds où prolifèrent des bactéries et autres organismes vivants au détriment des matières organiques et des sels minéraux contenus dans les eaux ; simultanément, le nombre des agents pathogènes (bactéries, virus, parasites) est considérablement réduit, notamment en raison de la longue période de rétention dans les réservoirs.
Il s’agit d’un processus biologique d’épuration permettant l’élimination des matières organiques biodégradables avec production de sels minéraux, ce qui conduit au phénomène d’eutrophisation, signalé par une prolifération d’algues (phytoplancton) qui croissent sous l’effet conjugué de la présence des dérivés azotés et phosphorés dans l’eau et de la photosynthèse due aux radiations solaires (figure 1). Ce phénomène si nuisible pour les eaux naturelles s’avère profitable dans le processus du lagunage. En effet, la destruction de la matière organique s’opère grâce à une association biologique extrêmement large (figures 2 et 3) :
– au fond du premier bassin de lagunage, une catégorie de micro-organismes dégrade la matière organique selon les processus classiques de la fermentation anaérobie ;
– dans la partie supérieure du bassin de tête et dans les autres bassins, l’aérobiose est généralisée et les bactéries minéralisent les matières organiques solubles en suspension. Le métabolisme de ces bactéries aérobies implique un apport important en oxygène provenant de la photosynthèse des algues qui se développent vigoureusement dans un milieu riche en matières nutritives.
À titre indicatif, pour synthétiser 100 mg de tissu algal, il est nécessaire que le milieu fournisse sous forme assimilable 50 mg de carbone, 0,8 mg d’azote et 0,1 mg de phosphore… Un kilogramme d’algues produit ainsi 1,6 kilogramme d’O₂ par jour et nécessite en moyenne un kilogramme de DBO₅.
Les chiffres ci-dessus montrent que, dans ce procédé, le développement des algues est fonction de la quantité de matières organiques disponible (l’azote, le phosphore et les oligo-éléments sont toujours présents en quantité suffisante dans un effluent urbain).
En ce qui concerne l’impact des rejets sur le milieu récepteur, la circulaire du 4 novembre 1980 a placé le lagunage au niveau « d » auquel correspond la qualité minimale suivante :
- — matières en suspension totales (MES) : 120 mg/l ;
- — demande chimique en oxygène (DBO5) : 40 mg/l sur échantillon filtré.
Ainsi apparaît encore l’intérêt du lagunage où l’on a à la fois une excellente épuration microbiologique des eaux usées en même temps que l’édification, au niveau des derniers bassins, d’une nouvelle biomasse organique vivante édifiée à partir des nutriments en excès. Dans la mesure où cette biomasse est valorisée pour l’aquaculture ou l’agriculture, son extraction contribue à créer des richesses permettant un autofinancement, partiel, du fonctionnement de l’installation d’épuration.
Le lagunage exerce aussi une efficacité certaine quant à la réduction de certaines substances particulièrement nocives vis-à-vis des milieux naturels ; des éléments tels que les phénols, hydrocarbures ou détergents voient leur teneur considérablement abaissée après passage dans un étang de stabilisation. De plus, on note une accumulation importante des métaux lourds dans les sédiments du bassin de tête. Ainsi, les effluents épurés ne contiennent pratiquement plus de substances toxiques risquant de s’accumuler dans la chaîne trophique.
Élimination de la pollution microbienne
C’est un avantage essentiel que présente le lagunage par rapport aux autres techniques d’épuration des eaux usées. Le lagunage engendre, en effet, une élimination presque complète des germes tests de contamination fécale et des micro-organismes pathogènes. On a également constaté l’élimination des mycobactéries, salmonelles et staphylocoques dorés. Ces résultats, contrairement à ceux obtenus sur d’autres types de station, sont très importants et montrent l’efficacité de l’épuration par ce moyen (abattement de 4 à 5 unités log10). Cet abattement est fondamental car il permet la valorisation des effluents épurés à des fins aquacoles et agricoles.
D’autre part, en ce qui concerne les virus, les investigations entreprises sur certaines stations d’épuration ont montré qu’il existait de fortes présomptions que l’infectivité virale soit également réduite dans de très fortes proportions.
Ces résultats rendent cette écotechnique intéressante pour protéger des milieux naturels sensibles à la pollution bactérienne (zones de baignade, d’installations conchylicoles, lieux de pêche, etc.) :
- — en zone de baignade en mer, le nombre guide est 100 coliformes fécaux pour 100 ml et le nombre impératif est de 2 000 coliformes fécaux pour 100 ml ;
- — en zone conchylicole, la directive européenne demande une teneur en coliformes fécaux inférieure ou égale à 300 par millilitre dans le broyat de la chair des coquillages et du liquide intervalvaire, ce qui donne une teneur limite de 10 coliformes fécaux pour 100 ml d’eau des parcs.
Ces valeurs peuvent être aisément atteintes en période estivale à la sortie de la station de lagunage.
CONCEPTION DES INSTALLATIONS
La conception de bassins de lagunage sera établie en fonction des considérations qui précèdent ; elle doit notamment :
- — permettre l’activité photosynthétique avec une surface adaptée à ce besoin ;
- — permettre, par l’adaptation des volumes disponibles, la dégradation des matières organiques pendant un temps de séjour convenable ;
- — faciliter les phénomènes hydrauliques et de dilution par un écoulement permanent, sans zones préférentielles ou non renouvelées ;
- — assurer un écoulement permanent en assurant l’étanchéité des bassins, soit par la mise en œuvre correcte du matériau naturel, soit en place, soit par apport ou par l’emploi de matériaux synthétiques.
La majorité des ouvrages ou publications préconisent, d’une part, une surface de 10 m² par équivalent-habitant, d’autre part, un volume de bassin constant. Si ces données sont empreintes de simplicité, elles permettent néanmoins d’approcher un ordre de grandeur des emprises lors des premières investigations. Celles-ci doivent être suivies par des études approfondies en tenant compte des nombreux facteurs en présence.
En effet, l’épuration en cause est due à une action bactérienne induite par un apport d’oxygène dû à l’activité photosynthétique dont la productivité globale, très influencée par la température et la durée de luminescence, peut varier en France dans une proportion de un à six.
Nous passerons en revue ci-après les divers éléments entrant en compte dans l’établissement d’un projet.
Les conditions climatiques
- Le vent : il faut connaître l’intensité et la direction des vents dominants qui favorisent l’oxygénation des eaux des bassins, mais qui peuvent aussi dégrader les digues par batillage.
- La température : elle intervient dans les calculs de dimensionnement des installations. Les moyennes mensuelles devront être connues pour les cinq dernières années.
L’évaporation : dans certaines régions, elle est très intense en période estivale (10 à 15 mm par jour). Elle diminue le débit des effluents traités et augmente donc la charge à l’hectare. Elle peut être néfaste et doit donc être prise en compte lors des calculs du dimensionnement des différents bassins.
La pluviométrie : elle doit être connue pour le calcul de la hauteur des digues afin d’éviter tout risque éventuel d’inondation.
Les effluents
La population : il faut la définir avec précision, qu’elle soit raccordée au réseau ou raccordable ultérieurement, qu’elle soit sédentaire ou saisonnière.
Le débit : il est en principe compris entre 150 et 200 litres par habitant et par jour.
La charge organique : exprimée en DBO5, elle intervient dans le dimensionnement des installations ; elle doit donc être connue avec précision.
Les concentrations bactériennes : elles varient peu : dans 100 ml d’effluent, on trouvera en moyenne : 10⁶ coliformes totaux, 10⁵ coliformes fécaux, 10³ streptocoques fécaux, 10 salmonelles.
Rappelons que les traitements primaires et secondaires traditionnels ne modifient pratiquement pas les teneurs en germes ; seul le procédé du lagunage naturel permet un abattement considérable des concentrations en bactéries (de 10⁶ à 10²).
Par ailleurs, la nature de l’effluent dépend de la qualité du réseau. Si les effluents en provenance des réseaux séparatifs sont les plus adaptés à ce traitement, ceux amenés par un réseau unitaire ne sont pas à exclure, à condition de bien dimensionner les bassins d’épuration. D’autre part, un réseau trop étendu peut nuire à la qualité des effluents, car il peut se produire à l’intérieur des conduites des réactions de réduction entraînant des odeurs désagréables.
Les contraintes relatives aux conditions climatiques, à la qualité de l’effluent et à la nature du réseau ayant été examinées, il faut ensuite étudier sur le terrain celles qui sont dues au site.
Les installations
La dimension des bassins : l’expérience acquise au Centre de recherches de Mèze depuis cinq ans a permis de mieux comprendre le fonctionnement de cette écotechnique et, par conséquent, d’optimiser le dimensionnement des bassins afin de garantir un rendement épuratoire maximum.
La forme des bassins : elle doit être hydrodynamique pour faciliter la circulation des effluents et éviter ainsi les zones mortes.
La profondeur d’eau : elle peut varier de 1,50 m (limite de pénétration de la lumière) à un mètre pour éviter la pousse de végétaux supérieurs.
Les digues : elles ont en général une largeur approximative de 3 m à la crête (passage de véhicule). Un enrochement constitué de gros galets évitera les risques d’érosion par batillage et la pousse de végétaux parasites.
Les prétraitements
Simples et rustiques, ils seront installés en tête de la station. Ils comprennent :
- un dégrillage grossier, pour éliminer les flottants et les matériaux non biodégradables (plastiques) ;
- une décantation des grosses particules dans un chenal d’une dizaine de mètres environ ;
- une récupération des surnageants par la mise en place d’un dispositif approprié.
Il faut également prendre soin de l’aménagement des circulations d’effluents et notamment :
- de l’arrivée des effluents dans le premier bassin ;
- des ouvrages de communication ;
- de l’ouvrage d’évacuation.
L’impact des rejets dans le milieu récepteur doit également être pris en compte (circulaire du 4 novembre 1980), afin d’être compatible avec les activités et le milieu naturel existant.
Aménagement du site
En matière d’aménagement, le problème est de concilier les données du milieu existant et les impératifs techniques (surface de bassins, ouvrage de prétraitements) afférents au bon fonctionnement du dispositif épuratoire. Une station de lagunage naturel n’est plus seulement une station d’épuration étudiée sous le seul angle du traitement des eaux usées, mais elle peut aussi être conçue comme un site intégré au paysage par des formes de bassins d’épuration, des plantations, des bassins annexes réalisés dans un but pédagogique (aquariums, etc.).
APPLICATIONS
L’épuration par lagunage convient particulièrement bien aux agglomérations de petite et moyenne importance, lesquelles ont constitué jusqu’à présent son principal champ d’application (bien que des installations comprenant des bassins d’une superficie totale de plusieurs centaines d’hectares soient actuellement en service à travers le monde).
Lorsque les terrains nécessaires sont disponibles, l’établissement d’un ensemble de bassins de stabilisation présente les avantages suivants, par rapport à une station d’épuration conventionnelle : simplicité de mise en œuvre, fiabilité du traitement, élimination de la pollution microbienne, très bonne adaptation aux variations saisonnières, facilité d’exploitation, absence de consommation d’énergie et d’utilisation de produits chimiques, faible coût de fonctionnement, possibilité d’aménager le lagunage afin d’intégrer les plans d’eau dans le milieu naturel, valorisation de la biomasse planctonique à des fins aquacoles ou énergétiques, irrigation et fertilisation des terres avec l’eau épurée.
VALORISATION DE LA BIOMASSE ET DES EFFLUENTS ÉPURÉS
C’est un atout supplémentaire que présente le lagunage par rapport aux autres techniques d’épuration avec des aspects multiples à étudier au « cas par cas » avec les responsables locaux en fonction de nombreux paramètres tels que la climatologie, le foncier disponible, les études de marché, etc.
Citons cependant l’ensemble des valorisations qui ont été (ou vont être) étudiées (et pour certaines exploitées) au centre de recherches de la station de lagunage de Mèze :
Valorisation de la biomasse zooplanctonique :
- commercialisation directe de zooplancton (daphnies, copépodes, rotifères) collecté et conditionné ;
- grossissement et reproduction de poissons d’eau douce : carpes, tilapias, tucunarés, poissons d’ornement, etc.
— prégrossissement de poissons marins : loups, daurades, etc. ; — fabrication de farine animale pour l’élevage.
Valorisation des macrophytes :
— lentilles d'eau : aliments pour poissons (carpes) ou canards ; — jacinthes d'eau : utilisées dans la production d’énergie (biogaz, méthane), de compost (cultures horticoles et l’alimentation porcine).
Valorisation des effluents de sortie :
— irrigation des terres ; — enrichissement du milieu d’élevage de poissons et éventuellement de coquillages ; — utilisation pour la consommation humaine (après un traitement physique d'ultrafiltration sur membrane minérale).
Il faut donc, dès le départ, prévoir les actions de valorisation possibles qui peuvent être des sources de revenus importantes, créatrices d’emplois nouveaux, permettant de couvrir aisément les frais de fonctionnement.
EXPLOITATION ET SUIVI DU LAGUNAGE
Exploitation
Elle est relativement simple par rapport à une station d’épuration classique. Des interventions sont cependant nécessaires ; il faut en effet : — surveiller certains équipements, notamment les ouvrages de prétraitement (dégrillage, dessablage, déshuilage) ; — entretenir les digues en procédant régulièrement à un arrachage des herbes et roseaux ; — enlever les boues du premier bassin. Cette opération doit être réalisée environ tous les quinze ans. Ces boues pourront être valorisées pour leur utilisation en agriculture.
Suivi de la qualité des eaux : le Centre de Recherche
Simultanément à la réalisation de l’unité d’épuration des eaux usées à Mèze, il y a été créé un centre de recherche et d’expérimentation dont les objectifs fondamentaux tiennent en deux propositions : — contrôle, compréhension, amélioration de l'épuration réalisée par le lagunage naturel ; — exploitation et valorisation des sous-produits issus du procédé.
À cette fin, depuis la mise en route de la station (mai 1980) et dans le cadre de campagnes de recherches, des échantillons sont ainsi prélevés (environ 200 échantillons par mois) à intervalles réguliers et en divers points de l'ensemble des bassins, par des équipes de chercheurs pluridisciplinaires (physico-chimie, bactériologues, biologues). Cette opération est très importante ; elle conditionne en effet la bonne marche des installations, car elle conduit à des interventions efficaces sur le terrain dans le cas de dysfonctionnement.
La masse d'information ainsi prélevée, sans cesse remise à jour, a permis de mettre en évidence de nombreuses corrélations entre les paramètres étudiés, et l'usage de moyens informatiques puissants a abouti à l’élaboration d'un modèle mathématique dont le développement a permis de réduire de façon importante le nombre de mesures à réaliser dans l’espace et dans le temps.
On a ainsi pu mettre au point un protocole simplifié à employer pour l’optimisation du suivi d'une station d’épuration par lagunage naturel, ce qui conduit par l’analyse d’un nombre réduit de paramètres judicieusement choisis à obtenir une connaissance approfondie de son écosystème. Cet outil permet de maîtriser à tout instant le processus épuratoire par une gestion efficace et rationnelle en évitant l’apparition des causes internes de dysfonctionnement et de résoudre rapidement les causes accidentelles extérieures.
Signalons que grâce à des moyens informatiques, notre expérience peut être mise au service des exploitants de stations, lesquels par un contact permanent avec le centre de Mèze pourront exploiter les résultats et réagir rapidement pour corriger d’éventuels dérangements. Cet organisme peut également agir comme centre de formation de personnel qualifié pour effectuer les analyses.
Cet ensemble de savoir-faire est regroupé par Aquasoltec qui diffuse ces connaissances à partir de l’expérience vécue.
Du point de vue économique, le coût d'installation d’une lagune ressort à un montant nettement inférieur à celui d'une station d’épuration classique, les coûts d’investissements étant liés principalement à la qualité du sol, au prix des terrains à acquérir et à la disponibilité des matériaux de terrassement ; il est toutefois difficile de définir un coût d'installation standard, chaque situation étant très spécifique.
L’économie se révèle encore plus sensible sur les frais de fonctionnement : il est généralement admis que le coût d’exploitation d'un lagunage représente environ 20 % de celui d'une station d’épuration classique, cette proportion variant en fonction de la crise de l'énergie.
La charge essentielle est représentée par les frais d'enlèvement des boues (tous les 12-15 ans), le reste étant constitué par la surveillance des ouvrages de prétraitement et l’entretien des digues. Le coût du suivi de la qualité du pouvoir épuratoire de l’installation est lié, quant à lui, au nombre et à la fréquence des analyses physico-chimiques, bactériologiques et biologiques.
D’autre part, la réutilisation des eaux épurées et la valorisation des sous-produits à des fins aquacoles ou énergétiques sont des sources de recettes qui peuvent assurer la couverture des frais d'exploitation et de fonctionnement.