Le traitement anaérobie, qui dégrade la matière organique en l’absence d’oxygène, est utilisé depuis longtemps sous diverses formes. Certaines font appel à des technologies très développées, comme les digesteurs chauffés utilisés pour le traitement des boues des grandes stations d’épuration ; d’autres, au contraire, sont plus rustiques, consistant en un stockage plus ou moins contrôlé des effluents dans des étangs.
Dans les digesteurs, la matière organique libère par fermentation un mélange de gaz carbonique et de méthane qui est récupéré et brûlé afin de maintenir la température dans l’appareil. Cette technique séduisante nécessite des investissements importants et une exploitation très rigoureuse. Elle ne peut s’appliquer actuellement qu’aux grosses installations.
Les solutions rustiques sont également efficaces, mais les longs temps de séjour, 200, voire 500 jours, en limitent l’utilisation (1). Ainsi, sur les effluents de distillerie (2), des rendements de 95 % en DBO₅ ont été atteints en 110 jours. L’aspect de ces étangs est souvent peu agréable, les risques d’odeurs sont grands et les surfaces sont importantes.
Depuis quelques années, des situations intermédiaires se sont développées au cas par cas sous la forme de lagunes anaérobies. Basées sur une rusticité certaine, elles font toutefois l’objet d’un schéma d’élaboration structuré qui semble allier les avantages des deux systèmes cités précédemment. Il peut donc sembler surprenant que l’emploi de ces dernières ne se soit pas plus généralisé.
Le présent article vise, d’une part, à partir des résultats obtenus au laboratoire et sur des réalisations en fonctionnement, à faire le point sur les possibilités et les contraintes du lagunage anaérobie. Il tend, d’autre part, à déterminer si ce procédé peut assurer un traitement complet d’effluents ou s’il doit être inclus dans une chaîne de traitement.
Au début seront rappelés les mécanismes biologiques utilisés dans le lagunage anaérobie et leurs paramètres. On dégagera ensuite les avantages et les contraintes de ce procédé. Puis son incidence économique sera présentée lorsqu’il est incorporé dans des chaînes de traitement plus élaborées, et l’on finira par les éléments à prendre en compte pour son implantation, sa conception, son entretien.
1. RAPPELS FONDAMENTAUX DES MÉCANISMES ANAÉROBIES
Le processus de dégradation de la matière organique par voie anaérobie conduit à des produits différents de ceux obtenus par réaction aérobie (tableau n° 1). On constate que dans le cas de l’anaérobiose, il se dégage du méthane qui peut être récupéré. En ce qui concerne la dégradation des produits azotés, la réaction s’arrête au stade ammoniacal.
Il faut rappeler que, pour les cours d’eau sensibles à vocation salmonicole, l’azote doit se trouver préférentiellement sous forme nitrique plutôt qu’ammoniacale. En effet, l’ammoniac sous forme non dissociée présente une certaine toxicité vis-à-vis des poissons et sa concentration ne doit pas dépasser 0,025 mg/l dans une rivière de classe 1.
2. PARAMETRES INFLUENÇANT LA DEGRADATION ANAEROBIE
Le phénomène biologique qui dégrade la matière organique dans ces lagunes est sensiblement le même que celui, bien étudié, de la fermentation méthanique (3.4) à ceci près que les cinétiques de réaction sont très lentes.
Comme pour les digesteurs anaérobies, les facteurs influençant le fonctionnement d'épuration des lagunes anaérobies sont la température, le pH, la charge.
2.1 - Influence de la température
Comme toutes les réactions enzymatiques, la digestion anaérobie est fortement influencée par la température. Les expériences suivantes permettent de situer cette influence.
En France, à l’abattoir de volailles SERANDOUR à LANFAINS, nous avons effectué des mesures en période froide durant laquelle l'eau des bassins était à 6 °C et en période plus chaude à 12 °C. Le rendement de la lagune anaérobie (800 m³, 2 m de profondeur), dans laquelle les influents séjournaient dix jours, était de 45 % en DBO₅ l'hiver et de 80 % au printemps pour une activité similaire de l’abattoir.
De même, les résultats obtenus à l'abattoir de porcs de DENISON, IOWA, aux États-Unis (56) montrent qu’avec un temps de séjour de six jours dans la lagune anaérobie (12 000 m³, 4 m de profondeur), le rendement en DBO₅ pouvait atteindre 82 % à une température de 20 °C, l'influent arrivant dans la lagune à 28 °C.
OLDHAM et NEMETH (6) ont obtenu en laboratoire, à partir de lisier de porcs, un rendement en DBO₅ de 80 % en six jours à 18 °C. Au-dessous de 10 °C, le rendement est inférieur à 50 %.
C'est pourquoi, devant l'influence évidente de la température sur la biodégradation de l’effluent par fermentation, nous avons effectué des essais en cuvée au laboratoire à partir d'un effluent d'abattoir.
Deux cuves ont été placées dans des conditions de température peu différentes : entre 10 et 12 °C pour l’une et 14 à 16 °C pour l’autre. Comme le montre la figure n° 1, les vitesses de réaction de la biodégradation sont différentes dans les deux cas. L’activité biologique, on le sait, est d’autant plus intense que la température est élevée. Après six jours de fermentation, on a obtenu un abattement de 35 % en DCO dans le premier cas et 55 % dans le deuxième à température plus élevée. Autrement dit, la moitié de la charge en DCO est éliminée en 4-5 jours à 15 °C et en dix jours à 11 °C.
Une élévation peu importante de la température peut avoir une forte influence sur le mécanisme d’épuration anaérobie. Quant aux basses températures, elles entraînent un fort ralentissement de la fermentation et un blocage en dessous de 4 °C.
Il apparaît donc indispensable de maintenir l’effluent à la température qu’il possède à la sortie de l’usine puisque, dans le domaine agro-alimentaire, les effluents sont généralement chauds.
2.2 - Influence du pH
Lors d’une fermentation avec récupération de méthane, le pH doit être supérieur à 6,8 et l’optimum se situe aux environs de 7,2. Pour certains types d’eaux résiduaires, l’évolution du pH pendant la fermentation est faible. L’expérience au laboratoire sur rejets d’abattoir montre que le pH se stabilise entre 7,5 et 8,0.
De même, OLDHAM et NEMETH (6) montrent que le pH varie peu pendant la fermentation de lisier de porcs, contrairement à un effluent de laiterie qui, traité au laboratoire, voit son acidité augmenter régulièrement. Pour notre part, nous avons observé un ralentissement de l’élimination de la DCO à partir de pH 5 (nettement perceptible sur la figure 2) et un blocage complet du processus biologique qui se produit à pH 4,2.
Là aussi, deux solutions sont envisageables : soit maintenir le pH près de la neutralité avec addition de réactifs, ce qui peut représenter des frais de fonctionnement pour quelques types d’eaux résiduaires, soit appliquer cette technique uniquement aux effluents dont le pH varie peu car ils ont un certain pouvoir tampon.
2.3 - Influence de la charge
Communément, il est dit que l’apport de pollution organique dissoute biodégradable doit être suffisant pour maintenir l’anaérobiose.
Certaines expériences d’auteurs américains (7) indiquent de très bons rendements d’élimination de la DBO₅, de l’ordre de 90 %, à des charges volumiques d’environ 1,5 kg DBO₅/m³ à 25 °C.
Par ailleurs, la lagune anaérobie de l’abattoir SERANDOUR provoque un abattement en DBO₅ de 80 % après un temps de séjour de dix jours avec une faible charge de 0,05 kg DBO₅/m³.
De même, ce procédé est utilisé surtout pour des effluents concentrés. Et pourtant, il peut être appliqué à des effluents peu chargés.
DBO5 est de plus de 80 % avec des concentrations en DBO5 de l'influent de 2 600 mg/l (5) ou 1 250 mg/l (7), elle est également du même ordre dans la lagune anaérobie de SERANDOUR pour une concentration de 500 mg/l en DBO5.
Dans ce domaine, une meilleure connaissance des mécanismes régissant la dégradation anaérobie permettrait d'optimiser le dimensionnement des projets.
2.4 - Rôle des boues.
On a constaté depuis longtemps qu'une grande quantité de boues dans une lagune favorise la dégradation de la matière organique et que le maintien des boues décantées permet de les stabiliser et d'en réduire le volume.
PARKER et SKERRY (8) pour leur part montrent, à partir de mesures effectuées sur des lagunes anaérobies existantes, que les boues ont une meilleure activité en été qu'en hiver. En effet, en hiver, les boues ont tendance à accumuler la pollution tandis qu'en été la digestion de cette pollution est prépondérante. Mais surtout ils démontrent que les boues sont plus actives à réduire la DBO5 dissoute après un certain temps de stabilisation et ils observent cet optimum d'activité dans les boues situées près de la sortie de la lagune anaérobie.
Ceci confirme que l'on doit garder le plus longtemps possible les boues qui se déposent dans la lagune.
En l'état actuel des connaissances, il apparaît donc que la température soit la cause principale des variations de rendement de ce procédé d'épuration. Le pH joue également le rôle d'un facteur limitant puisque pour les valeurs faibles, le processus de dégradation est arrêté, ce qui limite l'application de ce procédé à certains types d'effluents.
3. AVANTAGES ET CONTRAINTES DU LAGUNAGE ANAÉROBIE
3.1 - Avantages.
Ce procédé présente de nombreux avantages :
1) Tout d'abord, une lagune anaérobie peut être mise en place sur une faible surface. En comparaison avec la surface nécessaire pour une lagune aérée, à rendement égal, on peut estimer à plus d'un tiers l'économie réalisée pour installer une lagune anaérobie de 4 m de profondeur ;
2) Ce procédé ne nécessite pas de prétraitement, ni tamisage, ni dégraissage, ce qui limite les investissements et la surface nécessaire à l'implantation du traitement.
Ce procédé permet d'obtenir de bons rendements d'élimination des graisses (78 % sur la lagune de DENISON (5)) ;
3) La production de boues est plus faible par voie anaérobie que par voie aérobie. La fraction de pollution transformée en biomasse par voie anaérobie n'excéderait pas 20 % (9) de la DBO5 éliminée. Cependant, il apparaît difficile à l'expérience d'effectuer un bilan boues sur une lagune et la bibliographie fait très rarement référence à de telles mesures ;
4) Enfin, à rendement égal, le coût de ce procédé est moins élevé que les autres traitements. Il ne nécessite presque pas d'équipement, peu ou pas de génie civil, seulement des travaux de terrassement.
Par ailleurs, le seul entretien inhérent au procédé est l'évacuation périodique des boues déposées. Les coûts d'exploitation sont donc peu élevés.
En conclusion, les résultats obtenus, soit aux États-Unis, soit en France, montrent que l'on peut dégrader partiellement la pollution et en peu de temps. Toutefois, ce procédé présente des inconvénients que l'on ne peut négliger et qui limitent donc son application.
3.2 - Contraintes.
1) Tout d'abord, le procédé peut être responsable de nuisances : il faut reconnaître qu'un bassin non aéré est d'aspect peu agréable. De plus, la dégradation de la matière organique sans oxygène génère des composés intermédiaires malodorants. L'implantation d'un tel bassin doit donc être choisie en conséquence.
Toutefois, les odeurs peuvent être très nettement atténuées par la présence d'une couverture graisseuse ou de déchets remontant à la surface comme les grains et peaux de tomates par exemple (10). C'est pourquoi, pour des effluents chargés en graisses, tels que ceux d'abattoirs de volailles, on a intérêt à ne pas mettre de dégraisseurs en tête afin d'avoir une couche de graisses à la surface du bassin ;
2) - la profondeur des bassins imposée pour maintenir et l’anaérobiose et la température, doit atteindre au moins 2,50 m. Il est certain que cette contrainte de construction peut limiter l’application de ce procédé dans certaines régions à sol particulièrement résistant ou bien là où une nappe d’eau est très proche ;
3) - le rendement d’élimination de la D.B.O. et de la D.C.O. :
Compte tenu de la cinétique de réaction (fig. 1), il apparaît que ce procédé sera financièrement très intéressant lorsque le temps de séjour des influents sera relativement réduit. La charge de l’effluent est alors bien souvent trop élevée pour permettre un rejet direct en rivière.
Par exemple, la lagune anaérobie de l’abattoir de volailles des ESSARTS en VENDÉE fonctionnait en 1976 à une charge volumique de 0,48 kg DBO5/m³. Après un temps de séjour de 2 jours seulement, le rendement de la lagune a atteint 73 % en DBO5, 59 % en MES et 40 % en graisses.
D’une façon générale, pour des eaux résiduaires agro-alimentaires, on peut espérer obtenir un rendement de 50 % en DBO5, en moyenne sur l’année, pour un temps de séjour de 5 jours qui, selon l’activité industrielle, atteint 7 jours bien souvent.
4) - La teneur en azote de l’effluent joue un rôle important :
a) - Tout d’abord, l’azote organique est transformé en azote ammoniacal comme le montrent les mesures effectuées sur la lagune de l’abattoir SERANDOUR :
Tableau n° 2 – Évolution de l’azote dans la lagune anaérobie de l’abattoir de volailles SERANDOUR (mg N/l)
NTK | N-NH4+ | |
---|---|---|
Eaux brutes | 111 | 95 |
Effluent lagune | 118 | 135 |
Filtrat | 146 | 120 |
La teneur en azote ammoniacal (N-NH4+) augmente pendant la fermentation de la matière organique et tend à rejoindre la valeur de NTK. Autrement dit, l’azote total Kjeldahl tend à être totalement sous forme ammoniacale.
Ceci a été confirmé par les essais en laboratoire qui ont montré qu’au bout de 21 jours de temps de séjour, la teneur en azote ammoniacal est égale à celle du NTK.
b) - Les matières en suspension contiennent des matières azotées comme le fait apparaître la différence entre l’azote total Kjeldahl mesuré sur eau brute et après filtration.
Ces matières azotées se retrouvent en partie dans les boues déposées au fond de la lagune.
c) - L’effluent de la lagune anaérobie est très chargé en azote ammoniacal. Comme nous l’avons vu, l’ammoniac sous forme non dissociée est toxique pour les poissons à une certaine concentration de telle sorte que pour respecter les usages de l’eau et donc les objectifs de qualité des rivières, il n’est pas toujours possible de rejeter un effluent.
Ce paramètre de pollution limite considérablement l’utilisation de ce procédé.
En conclusion, étant donné l’élimination partielle de la charge organique et la transformation de l’azote organique en azote ammoniacal de l’influent, bien souvent le lagunage anaérobie ne permettra pas un rejet direct dans le milieu récepteur. La pollution restante devra alors être éliminée par un traitement complémentaire.
Dans la majorité des cas, ce procédé doit être intégré dans une chaîne de traitement afin de dégrader la charge carbonée et d’oxyder l’ammoniaque en nitrates.
Nous examinerons dans le chapitre suivant, les différents couplages possibles.
4. COUPLAGES ET INCIDENCE ÉCONOMIQUE
4.1 - Traitements associés au lagunage anaérobie.
L’effluent prétraité par anaérobiose peut subir un traitement complet par un système aérobie naturel, lagunage aéré aussi bien que boues activées ou filtre bactérien (11).
a) - Lagune anaérobie + lagunes naturelles.
Ce couplage, qui apparaît le plus rustique, a été mis en place aux États-Unis dans une usine de traitement de viandes à ADA dans l’OKLAHOMA (7). Le suivi de cette installation montre que le système lagune anaérobie — lagune aérobie naturelle permet d’obtenir un rendement d’élimination en DBO5 de 95 % et une concentration en DBO5 de l’effluent inférieure à 50 mg/l.
L’intérêt de cette réalisation est de mettre en évidence la possibilité d’une bonne épuration après lagunage anaérobie sans apporter artificiellement de l’oxygène.
Les principales caractéristiques de la station de ADA sont les suivantes :
- — lagune anaérobie
- — charge volumique = 0,24 kg DBO5/m³
- — profondeur = 2,70 m
— temps de séjour :
= 11 jours
— lagune de transition :
— charge apportée = 55 kg DBO₅/ha.j
— profondeur diminuant progressivement entre l'entrée et la sortie de la lagune de 2,20 m à 0,90 m
— temps de séjour = 32 jours
La teneur en oxygène dissous est voisine de la saturation en surface et en sortie de la lagune de transition.
— lagune de stabilisation :
— charge apportée = 10 kg DBO₅/ha.j
— profondeur = de 2,20 m à 0,90 m
— temps de séjour = 90 jours
— épandage de l'eau traitée sur terrain agricole
Tableau n° 3. – Rendements d’élimination des 3 lagunes de ADA (pourcentage cumulé)
La dernière lagune de stabilisation a surtout pour rôle de transformer l'azote ammoniacal en nitrates, mais a l'inconvénient de faire apparaître un développement d'algues qui chargent en DCO et en MES l'effluent. C'est bien souvent le cas des lagunes de finition.
b) – Lagune anaérobie + lagune aérée.
De très nombreux exemples américains font état d'un couplage de traitement anaérobie-aérobie par lagunage aéré. La lagune anaérobie accepte des charges de 0,24 kg DBO₅/m³.jour et permet d'atteindre un abattement de 60 % en DBO₅ ; suivie d'une lagune aérée, l'abattement global peut atteindre 95 % en DBO₅ (11-12).
Les charges admissibles dans ces lagunes aérées sont très variées : de 150 à 550 kg DBO₅/ha.j. On obtient dans tous les cas de très bons résultats. Ceci montre la grande souplesse de ce système.
Avec des charges beaucoup plus faibles, on obtient de même d'excellents résultats : l'abattoir de volailles SERANDOUR a une lagune anaérobie d'une charge volumique de 0,05 kg DBO₅/m³ permettant un temps de séjour des influents de 10 jours et une lagune aérée de 18 jours de temps de séjour. L'ensemble donne des abattements moyens sur l'année de 95 % en DBO₅, atteignant plus de 99 % en période favorable, c'est-à-dire l'été (analyses effectuées après élimination des algues par filtration).
Finalement, parce que les lagunes aérées peuvent accepter des influents anaérobies fortement chargés en DBO₅, le couplage lagune anaérobie et lagunes aérées s'est beaucoup développé.
c) – Lagune anaérobie + lit bactérien.
L'abattoir de porcs de DENISON à IOWA (5) a mis en place un tel couplage de traitement :
— lagune anaérobie — charge = 0,40 kg DBO₅/m³.jour
— profondeur bassin = 4 m
— temps de séjour = 6 jours
— bassin de préaération — temps de séjour = 30 min
— 2 lits bactériens à remplissage plastique — charge = 1 600 kg DBO₅/jour, soit 1,12 kg DBO₅/m³.jour
— clarificateur
Le bassin de préaération a été installé pour deux raisons : d'une part, pour contrôler les odeurs provenant de l'effluent anaérobie et, d’autre part, pour apporter l'oxygène nécessaire avant le traitement sur lit bactérien. Les mesures d’oxygène dissous effectuées dans la lagune anaérobie et le lit bactérien sont les suivantes : 0 mg/l pour la première et
une moyenne annuelle variant entre 1,5 et 4,9 mg/l pour le second. On peut se demander si, avec un recyclage important, la préaération est vraiment nécessaire pour obtenir une teneur en oxygène dissous suffisante.
Toutefois, le transfert d’un effluent anaérobie sur un lit bactérien peut présenter un risque de dégagement d’odeurs et, rien que pour cela, cette filière anaérobie — lit bactérien impose un bassin de préaération.
Le rendement obtenu par le lagunage anaérobie, à partir d’une eau concentrée à 2 600 mg/l en DBO5, est de 82 %. Le lit bactérien suivi du clarificateur, qui reçoit alors un influent ayant 480 mg/l de DBO5, a un rendement de 74 %, soit pour l’ensemble du couplage un rendement moyen annuel d’environ 95 %.
Dans cette filière, la lagune anaérobie permet non seulement de traiter biologiquement la pollution, mais sert aussi de régulateur hydraulique pour le lit bactérien.
d) - Lagune anaérobie + aération prolongée.
Le rôle de bassin régulateur joué par la lagune anaérobie est également très important dans ce schéma, rencontré lorsqu’il y a prétraitement anaérobie à l’usine et rejet dans une station d’épuration à boues activées, communale par exemple.
Il est possible d’envisager un couplage lagune anaérobie – station boues activées moyenne ou forte charge. Mais une telle solution reste une hypothèse d’école pour plusieurs raisons : le lagunage anaérobie tel qu’il est décrit ici est un procédé simple, rustique, qui s’allie mal au procédé ci-dessus plus sophistiqué ; ses avantages passent alors inaperçus, ses inconvénients, par contre, deviennent des contraintes majeures, notamment la teneur en oxygène dissous très faible qui accroît la demande immédiate en oxygène.
Par contre, le rejet d’un effluent anaérobie à débit constant dans un bassin de boues activées à faible charge, à long temps de séjour, permet de réduire les odeurs et d’oxygéner l’effluent au fur et à mesure de son déversement.
4.2 - Incidence économique.
Parce que le lagunage anaérobie est seulement un prétraitement, l’étude économique de ce procédé doit comparer les couplages examinés précédemment (anaérobie + aérobie) et la seule filière aérobie correspondante permettant d’obtenir un traitement complet. Nous comparerons les chaînes de traitement suivantes :
- — lagune naturelle et lagune anaérobie + lagune naturelle ;
- — lagune aérée et lagune anaérobie + lagune aérée ;
- — lits bactériens en série et lagune anaérobie + lit bactérien ;
- — aération prolongée et lagune anaérobie + aération prolongée.
Les coûts d’investissement et de fonctionnement des différentes filières sont très difficiles à déterminer, principalement en raison des abattements de pollution qui sont différents selon les procédés utilisés.
Il s’agit donc ici de dégager les économies éventuellement réalisables par l’implantation d’une lagune anaérobie, par un calcul économique très sommaire et certaines évaluations globales.
L’ordre de grandeur des coûts d’investissement et de fonctionnement des différentes filières a été évalué en prenant les hypothèses de base suivantes :
@ Hypothèse de calcul.
1) - Simple étage.
- • Les coûts d’investissement I₁ et les frais d’exploitation E₁ ont été évalués à partir des deux études P. SAUVEGRAIN avec les coûts hors taxes 1978 (13) et SETUDE-CETE-SLEE avec les coûts hors taxes 1977 réactualisés 1978.
- • Pour le lagunage naturel, lagunes en série de charges différentes, la charge moyenne sur l’ensemble des bassins a été évaluée à 70 kg DBO5 par hectare et par jour, et un coût moyen d’installation de 20 F par m³ de bassin comprenant les frais de réalisation des terrassements et des raccordements nécessaires.
2) - Double étage.
On considère que la lagune anaérobie a un rendement de 50 % en DBO5 avec un temps de séjour de l’effluent de 5 jours et que le deuxième étage traite donc les 50 % de la charge restante.
Le coût d’investissement de la lagune anaérobie est calculé :
- a) à partir du volume déterminé par le temps de séjour de l’effluent, soit 5 jours. Statistiquement 1,5 m³ d’effluent d’abattoir de volailles apporte 1 kg DBO5, ce qui nécessite un volume de bassin de 7,5 m³ pour traiter 1 kg DBO5.
- b) à partir du coût moyen d’installation de 20 F par m³ de bassin, soit un coût d’investissement de 150 F/kg DBO5 entrante.
- • Le coût d’investissement du procédé complémentaire est, par approximation et dans un souci de simplification, évalué à un peu plus de la moitié (50 % de la pollution à traiter) du coût du simple étage correspondant, soit 60 % de I₁.
L’investissement total du traitement complet est donc la somme de ces deux coûts : I = 0,6 I₁ + 150 F.
● Le coût d'exploitation de la lagune anaérobie concerne l'enlèvement des boues déposées et des graisses, évalué de la même façon que l'enlèvement des boues des bassins de décantation qui suivent un lagunage aéré, soit :
0,09 F/kg DBO₅/jour (13).
● Le coût d'exploitation du procédé complémentaire correspond à l'exploitation de la moitié de la charge, est proportionnel en partie à l'investissement (charges fixes importantes). Il est estimé aussi globalement à 60 % de E₀.
Les frais d'exploitation pour l'ensemble du procédé sont donc :
E₁ = 0,6 E₀ + 0,09.
Les coûts d'investissement sont exprimés en F/kg DBO₅/jour (correspondant à la capacité de l'ouvrage) et les frais d’exploitation en F/kg DBO₅ transitant dans l'ouvrage (prix hors taxes 1978).
Tableau n° 4. – Comparaison des coûts d'investissement et d'exploitation estimés dans le cas de traitement unique ou à double étage : lagunage anaérobie + procédé aérobie – prix hors taxes 1978.
Il faut signaler que le lagunage naturel ne peut s'appliquer qu'à des installations de petite taille. Les frais d'investissement et de fonctionnement amenés au kg de DBO₅ n'ont pas une grande signification. Toutefois, il était logique de prévoir que le couplage lagunage anaérobie – lagunage naturel se révèle la filière la plus économique en fonctionnement.
En conclusion, il faut retenir qu'en faisant précéder un traitement aérobie par un lagunage anaérobie, à performance au moins égale sinon plus (exemple : le couplage anaérobie + lit bactérien), les frais d'investissement et d'exploitation sont diminués d'environ un tiers.
5. CONCEPTION D'UN LAGUNAGE ANAÉROBIE
La conception d'une lagune anaérobie est simple à condition de respecter certaines règles, mais ne dispense pas de réaliser quelques études préalables.
5.1 – Études préalables
5.1.1 – Sur les caractéristiques de l'influent
• le pouvoir tampon des eaux à traiter doit être suffisant pour maintenir le pH supérieur à 6 afin d'éviter le blocage des fermentations ;
• la teneur en azote de l'influent ne doit pas être trop élevée puisque ce procédé ne permet pas d'enlever l'azote. Un rejet en rivière après traitement aérobie ne sera pas toujours possible, comme nous l'avons vu précédemment. De plus, lorsque le rapport C/N à l'entrée est très faible, la perte de carbone par dégradation anaérobie accentue ce déséquilibre. Dans ce cas, l'efficacité du traitement aérobie complémentaire au traitement anaérobie sera fortement limitée.
5.1.2 – Sur la nature des sols
La profondeur des bassins doit être aussi grande que possible ; une étude de sol est donc indispensable. Elle devra s'attacher à définir les caractéristiques du sol, notamment son imperméabilité, sa dureté et les mouvements de la nappe phréatique éventuelle.
5.2 – Choix du lieu d'implantation
a) Étant donné les risques d'odeurs, un certain éloignement des habitations est évidemment souhaitable. Toutefois, si l'on veut limiter le dégagement d'odeurs, la surface doit être couverte. Nous avons vu que pour les abattoirs, la graisse remonte à la surface et constitue une surface isolante. D'autres matériaux, tels que des plaques de polystyrène, peuvent jouer le même rôle ;
b) Pour maintenir la température de l'influent, qui est souvent chaud à la sortie des ateliers, il faut placer le bassin le plus près possible des bâtiments de l'usine.
5.3 – Éléments de dimensionnement
Deux éléments sont à prendre en compte : le premier est la profondeur et le deuxième est le volume du bassin.
a) La profondeur du bassin doit être suffisante de telle sorte que la surface de contact avec l'atmosphère soit aussi réduite que possible afin de maintenir l'anaérobie du milieu et d'éviter les pertes de chaleur. On a donc tout intérêt à diminuer la surface du bassin et à avoir la profondeur maximale que le terrain permet. Une hauteur de 4 m paraît souhaitable ;
b) Le volume du bassin est calculé sur le temps de séjour nécessaire pour obtenir un rendement suffisant. Pour un effluent agro-alimentaire, nous
Nous avons vu qu’avec un temps de séjour de 5 jours on peut escompter atteindre une réduction de 50 % de la DBO5. Une partie du volume est occupée par les boues décantées au fond du bassin.
Afin de maintenir la température de l’effluent, l’eau doit arriver au fond du bassin mais sans agiter la boue déjà décantée, comme schématisé sur la figure n° 3.
Une cloison siphoïde permet de retenir les graisses dans la lagune. La sortie de l’effluent peut ainsi s’effectuer à la surface du bassin pour rejoindre en cascade la lagune aérée placée en traitement complémentaire éventuellement.
5.4 - Entretien.
Le principal entretien des lagunes anaérobies consiste à évacuer périodiquement les boues déposées lorsque leur volume est trop important et le temps de séjour de l’influent alors insuffisant. En moyenne, il faut enlever les boues dès qu’un tiers de volume est occupé.
Cette évacuation se réalise soit par curage à la pelle mécanique, soit par pompage. Comme l’indique le schéma ci-dessus, un tuyau de soutirage des boues peut être placé en permanence au fond du bassin ; l’enlèvement des boues s’effectue alors simplement en reliant l’embout de ce tuyau à une tonne à lisier.
Enfin, le bassin doit être curé complètement tous les 2 à 3 ans, ce qui est l’occasion d’enlever la couche de graisse isolante. Pendant la période de curage, l’effluent est envoyé directement dans l’ouvrage de traitement complémentaire et l’eau du bassin anaérobie est rejetée progressivement dans ce même ouvrage.
CONCLUSION
Le lagunage anaérobie est un procédé d’épuration qui apporte une solution intéressante aux industriels du secteur agro-alimentaire par son efficacité et par son faible coût d’investissement. Sur une faible surface, en peu de temps et avec le minimum de frais de fonctionnement, il peut éliminer plus de 50 % de la charge organique.
Il est extrêmement sensible aux conditions de pH et de température des effluents. Sa limite principale est de ne pouvoir éliminer l’azote.
Pour cette raison, dans la plupart des cas, il ne peut donc être qu’un élément, mais un élément précieux car fiable et peu onéreux d’une chaîne de traitement plus complète.
Il ne sera qu’exceptionnellement un traitement complet ; par contre, en prétraitement il mérite d’être développé puisque par sa rusticité et sa fiabilité il apparaît économiquement bien plus avantageux que beaucoup d’autres procédés technologiquement plus élaborés.
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