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Le lac Baïkal : la plus grande réserve d'eau douce de la planète

30 juillet 2013 Paru dans le N°363 à la page 108 ( mots)
Rédigé par : Marc MAUDUIT

Situé au sud-est de la Sibérie dans la Fédération de Russie, le lac Baïkal, d'une superficie de 3,15 millions d'hectares, est le plus ancien et le plus profond lac du monde. Son réservoir représente 20 % des eaux douces non gelées de la planète. Son ancienneté et son isolement ont permis de sauvegarder l'une des faunes les plus riches et remarquables de la planète qui présente une valeur exceptionnelle pour la science.

L’existence d’un lac est toujours liée à celle d’une contre-pente qui entrave ou bloque l’écoulement de l’eau. Pas moins de 78 origines possibles de contre-pentes génératrices de lacs ont été recensées, que l’on peut regrouper en plusieurs catégories : tectonique, volcanisme, glissement de terrain, glaciation, dissolution, action fluviale, action éolienne, dynamique littorale, accumulation de matière organique, actions d'organismes vivants, impact météorites. Pour simplifier, on distingue généralement trois grands groupes de lacs : les lacs dont l’origine relève de la géodynamique interne, les lacs d'origine volcanique et les lacs d'origine tectonique. Le lac Baïkal appartient à cette dernière catégorie de lacs, dont l’existence est directement associée au jeu de failles qui se localisent en position de grabens. Il s’agit en général de lacs très profonds.

Le lac Baïkal, un lac tectonique

Le lac, qui occupe la principale dépression du rift Baïkal, se matérialise par une

[Photo : Le lac, qui occupe la principale dépression du rift Baïkal, se matérialise par une étendue d’eau en forme de croissant, longue de plus de 650 km.]

Au nord de la grande zone de déformation intra-continentale asiatique, le rift Baïkal est un phénomène naturel assez rare à la surface de la planète ; en effet, le « rifting », qui désigne le processus conduisant à la séparation des masses continentales, est une étape brève, de l’ordre de quelques millions d’années, par rapport à la durée de vie d’un océan auquel il donnera souvent naissance. Car tous les grands océans furent à leur naissance des rifts. Il suffit pour s’en rendre compte de refermer progressivement l’océan Atlantique et de constater la mise en contact des plaques continentales Amérique à l’Ouest et Europe-Afrique à l’Est. Comme cette séparation initiale dure relativement peu de temps, il existe très peu de rifts actuellement en cours de formation ; le rift Baïkal est pourtant l’un d’eux.

Pour comprendre la formation du rift du Baïkal qui a engendré le fond du lac, il faut raisonner à l’échelle de la tectonique des plaques et remonter au début de la collision de l’Inde et de l’Eurasie qui a généré la formation de ce rift. La zone de rift du Baïkal, allongée du sud-ouest au nord-est, s’étend sur 2 000 km, depuis le fossé d’effondrement de Boussingol, traversé par la frontière entre la Russie et la Mongolie, jusqu’à celui de Tokyo. Le Baïkal est au centre de ce système dont le point culminant est le mont Mounkou Sardyk qui culmine à 3 491 mètres. Selon toute vraisemblance, sa formation remonterait au début du tertiaire. Dans son état actuel, qui date d’une époque allant du pliocène au quaternaire, le Baïkal se présente comme une succession de trois fossés d’effondrement. Le premier, au sud, se termine à l’embouchure de la Selenga (profondeur maximale de 1 473 mètres). Le deuxième (profondeur maximale de 1 637 mètres) s’étend jusqu’à une ligne jalonnée par le nord de l’île d’Olkhon, les îles d’Oushkani et le cap Baloukan, où les fonds remontent à 400 mètres. Enfin, le troisième correspond à la partie la plus large du lac (profondeur maximale de 983 mètres).

Le lac Baïkal présente la particularité de continuer à s’approfondir, l’affaissement des plaques étant supérieur à l’apport de sédimentation qui tombe dans le lac. Ceux-ci, fait tout à fait remarquable, s’échelonnent par endroits, notamment dans le lac central, sur 8 000 mètres d’épaisseur ! Cette couche sédimentaire est généralement composée de vase argileuse.

Le lac, mais aussi le rift Baïkal dans son ensemble, constituent donc un laboratoire naturel exceptionnel pour de nombreuses disciplines scientifiques. Dans le domaine des sciences de la Terre, il est un des sites privilégiés sur la planète, avec le rift est-africain, pour l’étude des causes et de l’évolution de la déformation interne des continents, et plus spécialement pour l’étude du « lifting ». Mais le lac Baïkal est aussi par lui-même une vraie curiosité.

Le lac Baïkal, une vraie curiosité

Comme la plupart des lacs d’origine tectonique, le lac Baïkal est très profond : 730 mètres d’eau en moyenne et 1 637 mètres d’eau à l’endroit le plus

[Photo : Le lac Baïkal représente 20 % des réserves d’eau douce non gelée de la planète, et 70 % des réserves d’eau pure, propre à la consommation sans traitement préalable.]
[Encart : Le lac Baïkal, sentinelle avancée du réchauffement climatique Depuis plus d'un siècle et demi, les dates d'embâcle et de débâcle (gel et dégel) du lac Baïkal ont été minutieusement relevées. En règle générale, les dates de gel et de dégel constituent d’excellents indicateurs de la température de l’air au niveau du sol. L’étude des relevés du Baïkal indique clairement que, dans l’hémisphère Nord, le froid hivernal et le réchauffement printanier ne se manifestent plus aux mêmes dates que par le passé. En moyenne, la prise du gel survient six jours plus tard qu’il y a un siècle, tandis que l’eau se libère des glaces plus de six jours plus tôt, signe de printemps de plus en plus précoces. Les climatologues ont pu en déduire une augmentation de 1,2 °C de la température de l’hémisphère Nord au cours du dernier siècle.]

profond du lac. C’est aussi un lac très étendu, puisque sa superficie atteint les 31 500 km². À titre de comparaison, la superficie du lac Baïkal est 53 fois plus importante que celle du lac Léman ; son volume, comparable à celui de la mer Baltique, est 256 fois supérieur à celui du Léman. Il occupe la surface d’un pays grand comme la Belgique. Le Baïkal est aussi la plus importante réserve d’eau douce non gelée de la planète. Il contient autant d’eau que la mer Baltique ou les cinq grands lacs américains réunis, et 336 rivières viennent l’alimenter. Ce lac représente 20 % des réserves d’eau de la planète et 70 % des réserves d’eau pure, propre à la consommation. C’est sans aucun doute l’un des rares endroits du monde où l’on peut encore se désaltérer sans crainte. La transparence, la pureté cristalline de ses eaux permet de voir très clairement le fond jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur !

La faune est également très abondante et riche en espèces dont l’origine remonterait en partie au haut tertiaire. Parmi les 1 300 espèces préhistoriques qui y ont été recensées, 70 % sont inconnues ailleurs. Pourtant, la température de l’eau ne dépasse pas 10 °C en surface au moment de la plus forte chaleur. Car le lac est pris par les glaces chaque année de janvier à avril. Durant cette période, couvert d’une épaisseur de glace de l’ordre d’un mètre et plus, il sert de route, reliant les petits villages entre eux. En 1904, lors de la guerre russo-japonaise, une voie ferrée a même été posée sur le lac afin d’acheminer plus rapidement les troupes sur le front ! Mais des courants chauds et des colonnes d’eau thermale amincissent la glace en plusieurs endroits, causant de fréquents accidents : dans certaines zones, le fond du Baïkal est un cimetière de camions, de voitures et probablement aussi de leurs occupants…

Les problèmes écologiques du Baïkal

Très tôt, les Russes ont pris conscience de l’importance de la protection du lac, au point qu’il figure sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Mais le lac a bénéficié aussi du relief montagneux de ses côtes, qui n’a pas permis l’implantation de trop nombreuses villes qui auraient pu le polluer de façon irréversible. Le Baïkal a donc été classé patrimoine protégé et de nombreux experts occidentaux restent très vigilants.

Les coupes de bois sont interdites sur une profondeur de 40 km à partir des rives ! De très nombreux parcs nationaux, réserves naturelles, ont été créés depuis de nombreuses années, à l’instar de celui de Bargouzine, créé en 1916. Plusieurs décrets ont été votés par les plus hautes instances du pays pour stopper toutes les exploitations minières et forestières qui pourraient peser sur le lac, et les constructions sur les rives sont très réglementées.

Il subsiste pourtant certaines sources de pollution, comme celle générée par l’usine de cellulose de Baïkalsk, le problème numéro un du lac. Ses rejets représentent 60 % des eaux usées du bassin. L’usine a été créée pendant la guerre froide pour fabriquer des matériaux destinés à équiper les avions militaires. Avec la fin de la guerre froide, elle aurait pu perdre de son importance, mais il n’en a rien été. Ses besoins en eau du lac, initialement de 400 000 m³, ont été ramenés à 200 000 m³. Mais 70 % de cette eau est rejetée à 150 mètres de la côte par un émissaire. Et la liste de produits polluants rejetés dans le lac est longue. L’usine de Baïkalsk a été équipée récemment d’une station d’épuration dont la capacité de traitement reste toutefois insuffisante.

Une autre source de pollution est générée par la rivière Selenga, le plus important des 336 cours d’eau qui se jettent dans le lac. La pollution qu’elle entraîne

[Photo : Le Baïkal est classé au patrimoine mondial de l’humanité et de nombreux experts occidentaux veillent sur son équilibre.]
[Photo : Dans quelques millions d’années, le lac Baïkal méritera sans doute son surnom actuel, celui de « mer de Sibérie ». Il deviendra un véritable océan, étape finale classique de l’évolution des rifts continentaux.]

est essentiellement due aux différentes usines qui jalonnent son cours, comme par exemple toutes celles de la capitale de Bouriatie Oulan-Oude. La pollution qui arrive dans le Baïkal a tendance à remonter, à cause des courants qui la poussent vers le nord. Le détroit de la Selenga fait donc encore partie des gros problèmes du lac qui ne paraissent pas devoir être réglés à court terme.

La situation n'est donc pas tout à fait rose sur le Baïkal, mais comparativement à bien d'autres sites remarquables, beaucoup a déjà été fait pour le préserver. Et aucun des problèmes de pollution dont souffre aujourd'hui le lac ne présente la particularité d’être irréversible.

Le lac Baïkal, un océan en devenir ?

Cette préservation des grands équilibres du lac permet de voir l'avenir avec une relative sérénité. Peut-être même à l’échelle géologique, qui verra probablement s'agrandir le rift Baïkal qui a donné naissance au lac il y a 25 millions d'années. Il est en effet peu probable que les forces responsables de son ouverture cessent d’agir dans l'avenir. Dans ce cas, le lac Baïkal a toutes les chances de mériter d'ici quelques millions d’années son surnom actuel, celui de « mer de Sibérie ». Il s’agira peut-être même d'un véritable océan, étape finale classique de l’évolution des rifts continentaux.

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